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Full text of "Le Globe"

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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/leglobe23sociuoft 


LE  GLOBE 

/// 
/JOURNAL  GÉOGRAPHIQUE 


.!^ 


^ORa^:NrE 


SOCIÉTÉ  m  mmm  m  geive 

^_3^^r /'^^^>•:?.-■^' 
TOME  VINGT-TROISIÈME 


L 


Quatrième  Série  —  Tome  III 


BULLETIN 

18  84 


GENÈVE 

LIBRAIRIE      R.     BURKHARD 

SUCCESSEUR    DE    TH.     MUELLER 

2,  place  Molard,  '2 

188i 


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t.  ^3-^i 


9-1 .  iD .  cs" 


1%°  «. 


BULLETIN 


EXTRAIT 

DES  PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Session  1883-1884. 


SÉANCE  EXTRAORDINAIRE  DU  26  OCTOBRE  1883 
à  3  heures, 

SUR  LA  CATASTROPHE  DU  DÉTROIT  DE  LA  SONDE. 

M.  de  Seyff  fait  d'abord  la  description  du  délroit  de  la 
Sonde,  puis  il  rappelle  les  éruptions  de  volcans  et  les  trem- 
blements de  terre  qui  ont  eu  lieu  à  Java  dans  les  temps  his- 
toriques, depuis  158(i  jusqu'à  nos  jours,  en  particulier,  les 
éruptions  du  Tombora  (10  avril  181o),  et  du  Galœngœng 
(8  octobre  1822).  Il  arrive  ensuite  à  celle  du  Krakatao,  du  27  août 
dernier,  dans  l'île  de  ce  nom,  à  35  kilomèties  ouest  de  Java. 
Avant  d'en  enlamer  le  récit,  M.  de  S.  entre  dans  des  détails 
très  intéressants  sur  la  géologie  de  Java  et  de  Sumatra;  con- 
liairement  à  ce  que  l'on  avait  cru  d'abord,  on  y  a  constaté 
l'existence  de  gisements  tertiaires  anciens;  à  Sumatra,  les 
couches  tertiaires  anciennes  sont  en  majorité  sur  les  couches 
plus  récentes,  tandis  qu'à  Java  celles-ci  sont  plus  fréquentes 
que  les  anciennes.  La  pointe  occidentale  ou  presqu'île  mon- 
tagneuse de  Java  consiste  en  une  masse  vitrifiée  de  porphyre; 
les  îles  du  détroit,  à  l'exception  de  trois  du  groupe  des  Jut- 
phen  et  Brabantstiœdje,  sont  d'origine  éruptive;  en  résumé, 


4  m'LI.ETIN. 

il  fxislo  enire  J;iv;i  et  SiiiiialiM  une  grande  analogie  géolo- 
gi(i:n. 

Yenaiil  au  ié''il  de  la  cataslroplie,  M.  de  S.  Tait  (Tahoi'd  jus- 
lice  des  nouvelles  inexactes,  fantaisistes  et  extravagantes 
jUiMiées  au  premier  moment  [)ar  (piehiues  journaux,  entre 
aulies  [lar  le  Ddilii  Ncics,  de  Londres  qui,  avant  (pi'auciiii 
ra|>;(Oi-t  put  être  arrivé  en  EiH'ope  ou  en  Améri(]ue,  publiait 
un  artirle  où  il  entremêlait  les  noms  de  lienx,  et  donnait, 
connue  actuels,  des  événements  survenus  dans  les  éruptions 
on  les  tremlilements  de  terre  antérieurs,  jetant  ainsi  inutile- 
ment l'angoisse  d;'.ns  bien  des  familles  qui  ont  des  parents  ou 
des  amis  dans  les  îles  de  la  Sonde.  Le  désastre  était  déjà  assez 
con<idéral)Ie  pour  qu'il  n'y  eût  pas  besoin  de  l'amplifier. 

(7esl  le  l'az  de  marée  (lui,  cette  fois-ci,  a  été  le  principal 
agent  desti'ucleur. 

A  Java  la  première  lame  avait  nue  hauteur  de  13'"  à  .*50"; 
elle  a  été  le  plus  terrible  dans  le  détroit,  à  Dwars-in-de- 
We.L'.  A  plus  de  12o  kilomètres  de  Krakatao,  dans  la  rade  de 
Batavia  et  dans  son  voisinage,  sa  foixe  était  encore  assez 
grande,  pour  casser  comme  de  la  paille  de  vieux  canons  aux- 
quels un  navire  de  guerre  était  amarré.  Sur  la  côte  occiden- 
tale, à  Anger.à  Tjeringin,  à  Paninibang,  elle  a  Italavé  tout  le 
rivage,  jusqu'aux  collines  à  deux  kilomètres  et  demi  dans 
r intérieur,  l'asant  tout,  villages  et  forêts,  laissant  un  désert 
ou  marais  de  boue  l'ecouvei't  de  débris  tl'arln'es  et  de  maisons, 
eniremêlés  de  milliers  de  cadavres;  cependant, la  plus  grande 
partie  de  ceux-ci  ont  été  entraînés  à  la  mer;  un  navire  en  a 
renconti'é  hors  du  déli'oit  de  telles  masses  que  le  passage  en 
était  obstrué.  —  Les  demeures  européennes,  chinoises  ou 
mai  lises  de  la  côte  de  Mérak. situées  de  150  à  300  pieds  au-des- 
sus du  niveau  delà  mer,  ont  disparu;  seuls,  un  Européen  et 
deux  indigènes  ont  eu  la  vie  sauve.  Plusieurs  petites  îles, 
entie  auti-es  celle  de  Temposa,  ont  eu  le  même  sort. —  Sur  la 
côte  septentrionale  de  Java,  le  village  de  Karang  Antœ  (baie 
de  Bantam),  et  la  ville  chinoise  do  Kramat.  ont  éié  détruits, 
plusieurs  villages  indigènes  envahis  par  l'eau  ont  plus  ou 
moins  soHtTert,etplusd8  300  de  leurs  liabitauts  ont  été  noyés. 
M.  Morris,  commandant  d'un  steamer  anglais,  qui  a  pa^sé  le 
détroit,  une  semaine  après  le  ilésa>tre,  a  raconté  ijue  de  tous 


PROCES- VERBAUX.  0 

côtés  l'aspect  était  horrible  :  ruines  partout,  rien  que  îles 
rochers  nus,  la  mer  chai-riant  des  cadavres,  des  arbres 
entiers  et  des  masses  ponceuses  de  (i  à  7  pieds  de  hauteui-. 

Qui  pourra,  dit  M.  de  S.,  donner  une  idée  de  l'iinmerisité 
des  forces  qui  ont  fait  (hsparaiire  l'île  de  Krakatao,!on,uuede 
\0  kilomètres,  large  de  0  à  7  kibtmétres,  haute  de  S'i'i'^ 
au-dessus  de  la  mer,  celle-ci  ayant  en  oulr-e  une  pr'ofondeur 
de  30  à  70  brasses  (l™  60), et  qui,  au  nord  de  la  place  où  elle 
se  trouvait,  ont  fait  surgir  une  rangée  de  16  cratères  volca- 
niques, et  oïd  divisé  en  cinq  parties  l'île  de  Dwars-in-de- 
Weg.  Des  îlots  et  l'ochers  ont  disparu,  tandis  que  d'autres  ont 
surgi  ailleurs,  et  le  fond  du  détroit  a  été  profondément  modi- 
fié. La  terre  a  été  secouée  jusqu'à  Dell,  côte  occidentale  de 
Sumatra,  à  13S0  kilomètres;  des  pierres  ont  été  lancées  par- 
dessus les  montagnes  justpi'à  Serang,  capitale  du  Bantam,  à 
75  kilomètres  et  des  cendres  granulées,  en  énormes  masses, 
jusqu'à  Batavia.  Pendant  la  matinée  du  27  août,  les  cendi'es 
ont  obscurci  l'ouest  de  Java,  le  détroit  et  le  sud  de  Sumatra; 
à  Batavia  même,  on  a  dû  allumer  le  gaz  et  les  lanternes  des 
voitures!  et  les  pressions  atmosphériques  étaient  telles,  (|irà 
chaque  détonation  le  gaz  s'éteignait.  Les  plus  anciens  h;i!ii- 
tants  disent  qu'à  aucune  éruption  pr-écédeitte,  ils  n'avaient 
entendu  des  coups  ni  i\e<.  bruits  aussi  terribles;  plusieiiis 
familles  à  Batavia  et  à  Weltevi'eden  n'osant  l'ester  dans  leurs 
maisons,  passèrent  la  nuit  dehors,  dans  leurs  voitures. 

M.  de  Seyfï  donne  un  extrait  du  journal  de  bord  du  navire 
américain  Bérénice,  venant  de  New-York,  avec  un  charge- 
ment de  pétrole: 

«  Dimanche  26  août,  2  heures  après  midi,  20  milles  au  sud 
de  Sumatra;  en  avant,  ciel  noir  et  menaçant,  cargué  les  voiles 
supérieures. 

4  heures  :  temps  plus  menaçant,  rentré  toutes  les  voiles 
de  hune. 

6  hem  es:  terribles  coups  de  tonnerre  et  éclairs;  tout  à 
coup,  forte  pluie  de  cendres,  il  fait  obscur. 

Minuit:  la  pluie  de  cendres  augmente;  elles  sont  mélangées 
de  pien-es  ponces.  Tonnerres  et  éclairs  terribles;  à  chaque 
moment  des  globes  de  feu  tomljent  sur  le  pont  et  éclatent  en 
étincelles  ;  le;  timonier  reçoit  une  secousse  dans  le  bras,  les 


6  BULLETIX. 

(iriKMiieiits  en  cuivre  de  l;i  hiiire  deviennent  d'une  chnleuf 
lirùl.inlc;  le  c;i|)il;tine  avant  louclié  un  conla.w  mélalli(|iie 
reçoit  un  choc  (jui  le  force  à  lâcher  prise;  son  hras  l'esle  (|uel- 
qiies  minutes  engourdi;  les  matelots  se  plai.iiiienl  aussi  de 
secousses. On  couvre  de  voiles  les  ouveiMures  de  la  (-aie,  pour 
empécliei' le  pétrole  de  prendre  feu;  l'on  fait  rentrei' tout 
ré(|uipa,ue,le  capitaine  et  son  premier  officier  resi(Mit  seuls  sur 
le  pont. 

È7  août,  2  heures  du  matin  :  les  phénomènes  électriques 
continuent;  il  y  a  trois  pieds  de  cendres  sur  le  pont,  l'équi- 
page remonte  pour  les  jeter  à  la  mer. 

8  heures  :  pas  de  changement,  la  pluie  de  cendres  aug- 
mente; on  travaille  continuellement  à  les  Jeter  à  la  mer. 

11  heures  :  coup  de  vent  terrihle  du  sud-est. 

5  heures  après  midi  :  une  énorme  lame  haute  de  20  pieds 
passe  par-dessus  le  navire. 

6  heures  :  l'ohscurité  et  la  tempête  continueni  ;  à  la  lueur 
des  éclairs  on  voit  la  mer  couverte  de  pierres  ponces. 

Minuit  :  le  temps  paraît  vouloir  se  calmer,  les  éclairs  sont 
moins  fréquents. 

28  août,  4  heures  du  matin  :  on  peut  remonter  une  voile. 

8  heures  :  on  voit  de  nouveau  la  lumière  du. jour,  la  masse 
des  cendres  jetées  ci  la  mer  dans  ces  34  heures  consécutives 
peut  s'évaluer  cà  40  tonnes. 

Midi  :  naviguons  sous  pleines  voiles,  mais  la  forte  couche 
de  pierres  ponces  retarde  la  marche. 

Dans  l'après-midi,  passant  à  l'est  deKrakalao,  trouvé  celle 
île  éclatée  ainsi  que  Dw,irs-in-de-Weg.  La  mer  est  pleine  de 
pierres  ponces.  On  i'enconti-e  de  temps  en  temps  des  cada- 
vres, » 

Les  ravages  pi'oduils  par  l'éruption  de  Krakatao  sont  dus 
presque  entièi-em^ntau  i-az  de  marée,  et  celui-ci,  dit  M.  de  S., 
a  été  causé, non  |tar  l'éruption  du  volcan,  mais  par  l'etïondre- 
menl  de  la  plus  grande  partie  de  l'île  qui  a  occasionné  des 
ondes  circulaires  ainsi  qu'il  arrive  lorsqu'on  jette  une  pierre 
dans  l'eau.  Ce  raz  de  marée  n'a  pu  atteindi-e  aucune  des  deux 
cotes  de  l'Amériipe,  puisque,  à  l'est,  ses  effets  ne  se  sont  pas 
fait  sentir,  sur  les  côtes  de  Java,  au  delà  de  Samarang, 
au  nord  de  l'île,  tt  de  Tjilatjap^  au  sud;  à  l'ouest,  on  ignore 


PROCES-VERBAUX.  7 

avec  quelle  force  et  jusqu^à  quelle  distance  il  s'est  fait  sentir 
sur  les  côtes  de  Sumatra,  mais  il  a  été  observé  dans  le  golfe 
du  Bengale,  à  Ceylan,  aux  iles  Maurice,  de  la  Réunion  et  de 
Madagascar. 

Quelle  a  donc  été  la  cause  du  phénomène  observé  non 
seulement  sur  la  rive  américaine  du  Pacifique,  mais  dans 
l'Atlantique,  à  Colon,  isthme  de  Panama,  à  Suez  et  en  Europe  h. 
Rochefort?  M.  de  S.  n'admet  pas  que  le  raz  de  marée  de  Java 
ait  pu  faire  le  tour,  soit  du  cap  de  Bonne  Espérance,  soir  de 
la  Terre  de  feu,  et  il  émet  l'hypothèse  d'une  vibration  de  la 
masse  de  notre  planète;  un  savant  français,  M.  Daubrée, 
a  aussi  émis  l'opinion  que,  dans  ces  mouvements  de  l'onde, 
il  faudrait  tenir  compte  de  la  propagation  des  vibrations  par 
le  sol;  mais  dans  le  cas  actuel  et  dans  l'hypothèse  de 
M.  de  S.,  il  faudrait  admettre  une  vibration  verticale  a  tra- 
vers le  diamètre  de  la  terre,  et  par  conséquent  supposer  que 
l'intérieur  de  celle-ci  formerait  une  masse  compacte  et  ne 
serait  plus  rempli  de  la  matière  originaire  vaporeuse  ou 
nébuleuse. 

Vu  la  longueur  de  cette  communication,  la  séance  fut  levée 
après  que  M.  de  S.  eut  reçu  les  remerciements  de  la  Prési- 
dence, et  recueilli  les  applaudissements  mérités  de  la  nom- 
breuse assistance,  pour  son  travail  si  complet,  dont  nous 
n'avons  pu  donner  qu'un  extrait  bien  abrégé.  L'hypothèse  de 
M.  de  S.  a  été  développée  par  lui,  et  discutée  à  l'occasion  de 
la  revue  des  faits  géographiques  de  1883,  dans  la  séance  du 
11  janvier  1884  (voir  plus  loin  le  compte  rendu  de  cette 
séance). 


SEANCE  DU  9  NOVEMBRE  1883. 
Présidence  de  M.  le  D""  Dufresne,  vice-président. 

Au  début  de  la  séance,  M.  Dufresne  exprime  le  regret 
qu'une  indisposition  empêche  M.  le  président  de  Beaumont 
d'assister  à  la  séance. 

Le  bureau  s'est  occupé  du  cours  de  géographie.  Après  le 
succès  de  l'année  dernière,  il  a  été  heureux  d'obtenir  de 
M.  Rosier  qu'il  donnât,  cette  année-ci,  un  nouveau  cours  en 


8  lîULLETIX. 

deux  séries,  l'une  sur  rindo-Cliiiie  et  la  Chine,  à  parlir  du 
20  novembre,  l'autre  sur  rEuro[»e  septentrionale,  à  parlir  du 
8  janvier. 

Le  secrétaii'e  général,  M.  L.  de  Sloulz,  donne  lecture  de  la 
traduclion  du  procès-verbal  des  séances  de  la  Session  de 
l'Association  des  Sociétés  suisses  de  géograpfiie,qm  a  eu  lieu  à 
Zurich. 

Dès  lors  la  Société  en  a  reçu,  du  nouveau  Voiort^  la  tra- 
duction oflirit'lle  (|ue  nous  puljlions  in  extenso. 

Assemblée  générale  de  r Association  des  Sociétés  suisses  de 
Géographie,  l'es  o,6  et  7  août  1883. 

En  considération  des  affaires  nombreuses,  et  quelques- 
unes  même  assez  compliquées,  dont  notre  Société  a  été  char- 
gée, en  sa  qualité  de  Société  dirigeante,  soit  «  Vorort,  »  de 
V Association  pour  la  période  1883-84,  par  la  dernière  assem- 
blée générale  de  l'Association  suisse  de  géographie,  à  Zurich, 
notre  comité,  dans  sa  séance  du  18  octobre  1883,  a  ciu 
devoir  décider  de  publiei'  un  rapport  succinct  sur  la  marche 
des  délibérations  de  cette  assemblée,  et  de  communiquer  ce 
rapport  à  tous  les  membres  de  notre  Société,  en  y  joignant 
un  tableau  des  objets  dont  l'exécution  ultérieure  nous  a  été 
confiée. 

Les  sociétés  suivantes  étaient  représentées  à  h  réunion  des 
délégués,  du  5  août,  à  l'Hôtel  National  à  Zui'ich:  1"  la  Société 
de  géograpliie  commerciale  de  la  Suisse  orientale  à  Saint- 
Gall  (Vorort,  président  iM.  Scherrer-Eugter);  —  2°  la  Société 
de  géographie  de  Genève  ;  —  3"  la  Société  de  géographie  de 
Berne;  —  4°  la  Société  cartographique  de  Zurich  (comme 
future  section  éventuelle  de  l'Association). 

N'étaient  pas  représentés:  l"La  Société  suisse  de  topogra- 
phie, à  Genève  ;  —  2"  le  Département  fédéral  du  commerce 
et  de  l'agriculture;  —  3"  la  Société  d'histoire  naturelle  et  de 
géographie  d'Hérisau. 

La  discussion  est  ouvei-te  par  le  rapport  de  M.  le  profes- 
seur Amrein,  sur  les  travaux  du  Vorort  pendant  Tannée  de 
sa  gestion,  et  notamment  sur  les  décisions  prises  par  lui,  en 
ce  qui  concerne  les  résolutions  de  l'assemblée  générale  de 
Genève,  en  1882. 


PROCES- VERBAUX. 


9 


Notons  à  cel  égard  les  objets  suivants  :  i"  liiilialive  des 
négociations  à  entamer  pour  l'adoption  d'un  méridien  inilial 
unique;  cette  (lueslion  disparaît  des  tractanda  par  le  fait  que 
le  gouvernement  des  États-Unis  d'Amérit]ue  a  déclaré,  il  v  a 
quelques  mois,  êlre  disposé  à  repi-endre  lui-même  ces  négo- 
ciations pour  son  compte. 

2°  Reproduction  de  la  vieille  carte  suisse  d'Aegidius 
Tschudi,  dont  il  n'existe  plus  que  deux  exemplaii-es.  Celle 
reproduction  a  été  faite  d'une  manière  soignée. 

3"  Pi-oposiiion  Liardet,  tendant  à  la  confection  de  caries 
administratives  de  la  Suisse  par  l'Administration  fédéiale. 
Celle  proposition  a  été  reconnue  inexéculahle;  on  a  donc  été 
obligé  de  passer  outre. 

4°  Subventions  à  accorder  aux  explorateurs  suisses  et  aux 
expéditions  commerciales.  Celle  question,  importante  aussi 
bien  pour  la  science  que  pour  le  commerce  et  l'induslrie  de 
noire  pays,  a  donné  lieu  à  une  discussion  approfondie,  qui  a 
abouti  à  cbarger  le  nouveau  Vororl  d'étudier  les  voies  el 
moyens  de  soutenir,  à  l'occasion,  les  entreprises  de  ce  genre, 
et  h  lui  imposer,  en  particulier,  pour  lâche  d'examiner 
comment  on  pourrait  engager  la  caisse  fédérale  à  concourir 
à  ce  but  par  des  subventions. 

5°  M.  le  prof.  Amrein  fait,  sur  Vémigration  et  son  organi- 
sation, une  longue  conférence,  dans  laquelle  il  part  du  point 
de  vue  que  Ton  ne  pourra  jamais  arriver  à  rien  de  bien,  si 
l'on  ne  considère  el  ne  traite  cet  objet  comme  une  question 
nationale.  La  décision  est  réservée  à  une  réunion  ultéiieure 
des  délégués,  jusqu'au  moment  où  l'on  aura  pu  prendre, 
auprès  de  M.  Tschudi,  membre  de  la  commission  nommée 
par  le  Consed  national  pour  étudier  la  question,  des  rensei- 
gnements sur  les  données  recueillies  par  cette  commission. 
6"  Proposition  de  la  Société  de  géographie  de  Lyon,  ten- 
dant à  ce  que  les  légendes  des  sceaux  apposés  sur  les  lelti-es, 
etc.,  par  les  bureaux  de  poste  suisses,  porlenl,  outre  le  nom 
du  lieu,  le  nom  du  canton;  renvoyé  pour  démarches  ullé- 
i-ieures  au  nouveau  Vororl. 

Dans  la  seconde  réunion  des  délégués,  du  7  août  à  7  heures 
el  demie  du  soir  : 

1°  On  annonce  que  la  commission  du   Conseil  national 


10  P.ULLIOTIN. 

chai'gée  de  la  question  île  rémigralioii,  a  i-enconlré  un  accueil 
1res  froid,  entre  antres  auprès  de  la  Société  du  (liùlii;  qu'en 
(•onsé(iuence  il  convient  de  surseoii'  à  toute  démarclie  et 
décision;  néanmoins  M.  le  prof.  Amrein  est  invité  cà  commu- 
niquer son  travail  et  ses  notes  au  nouveau  Vorort,  pour  que 
celui-ci  puisse  en  faire  usage  plus  tard,  si  l'occasion  s'en  pré- 
sente. 

2»  A  la  séance  du  o  août,  M.  le  prof.  Amrein,  dans  son 
rapport  sur  les  travaux  du  Vorort  soilanf,  avait  exprimé  le 
viRu  que  le  Vorort  suivant  fût  obligé  de  présenter  un  rappoit 
(lu  même  genre.  Sur  l'observation  qu'une  obligation  de  cette 
nature  ne  saurait  être  imposée  que  par  le  règlement,  cà  con- 
dition que  celui-ci  fût  complété  dans  ce  sens  et  que  l'obliga- 
tion fût  imposée  également  cà  tous  les  Vororts  futurs,  la  pré- 
sentation et  la  publication  de  ce  rapport  ont  été  laissées  à 
l'appréciation  du  Vorort  en  charge. 

30  La  proposition  faite  par  M.  le  colonel  fédéral  Meister, 
conseiller  national,  el  agréée  par  l'assemblée  génércile  du 
7  août  (malin),  tendant  cà  ce  que,  dans  son  rapport  annuel 
de  gestion,  le  Vorort  aitcà  présenter  aussi  à  l'assemblée  géné- 
rale une  liste  des  ouvrages  les  plus  importants  concernant  la 
cartographie  el  la  géographie  publiés  dans  le  courant  de 
l'année  écoulée,  donne  lieu  à  une  assez  longue  discussion, 
dont  le  résultai  est  de  laisser  au  Voroi't  le  soin  d'examiner  si, 
dans  ce  travail,  il  ne  sei'a  pas  nécessaire  d'adoplei-  une  sub- 
division, pai-  exemple,  par  langues  ou  par  pays. 

A  la  première  séance  publique,  qui  eut  lieu  dans  la  matinée 
du  iS  août  dans  la  belle  Aiila  de  l'école  Escher-Linth,  on  eut 
l'occasion  d'entendre  les  conférences  suivantes,  annoncées 
par  le  programme,  savoir  la  conférence  : 

a)  du  D""  Hermann  Brunnhofer,  bibliothécaire  cantonal  à 
A;ii-au,  sur  la  patrie  primitive  des  Germains; 

b)  de  iM.  le  D''  Edouard  Pétri,  professeui-  agrégé  à  l'uni- 
versité de  Berne,  sur  l'organisation  communale  el  le  paysan 
russes; 

c)  de  1\!.  Ch.  Faure,  secrétaire  de  la  Société  de  géographie 
de  Genève,  sur  la  pari  des  Suisses  dans  l'exploration  et  la 
civilisation  de  l'Afrique  : 

d)  de  M.  le  prof.  K.  Keller,  à  Zurich,  sur  les  conditions 


PROCÈS- VERBAUX. 


11 


géo;ïrapliiques  de  la  faune  de  l'Afrique  orientale,  nolammeiil 
sur  le  liUoral  de  la  Mer  Rouge. 

Ces  conférences  ne  donnèrent  pas  lieu  à  discussion. 

Dans  la  seconde  séance  publique,  le  6  août,  après  midi,  on 

entendit  : 

a)  M.  F.  Milllhaupt-de  Steiger  traiter  la  question  des 
moyens  de  rendre  les  travaux  des  congrès  internationaux 
plus  fi-uctueux;  l'orateur  constate  que  les  décisions  et  postu- 
lats adoptés  par  les  congrès,  sont,  à  peu  d'exceptions  près, 
des  enfants  mort-nés,  par  la  raison  qii\aucun  organe  ne 
prend  à  cœur  de  les  exécuter,  ou  ne  possède  les  i-essources 
nécessaires  à  cet  effet.  Il  est  de  la  compétence  et  du  devoir 
des  Sociétés  de  géographie  de  veiller  à  ce  que  les  décisions 
des  congrès  soient  portées  à  la  connaissance  du  public,  et 
d'attirer  sur  elles  l'attention  des  intéressés.  Pour  cela,  \\ 
conviendrait  de  créer  une  Association  générale  desSociétés  de 
géographie,  à  la  tête  de  laquelle  serait  placé  un  organe  central. 
L'assemblée  se  déclare  en  piincipe  d'accord  avec  Toi-ateur, 
et  charge  le  Vorort  d'étudier  ultérieurement  la  question. 

h)  On  entend  ensuite  la  conférence  de  M.  le  D^  Hotz,  pro- 
f^'sseur  au  Gymnase  de  Bàle,  sur  la  culture,  le  travail  et  la 
mise  en  valeur  de  la  soie. 

Notre  Société  s'étant  prononcée  en  principe  contre  les 
séances  de  l'apiès-midi,  atln  de  permettre  aux  membres  de 
visiter  l'exposition  de  Zurich,  l'un  des  principaux  motifs  qui 
ont  engagé  à  convoquer  l'assemblée  générale  à  Zurich,  les 
conférences  de  MM.  Reymond  et  Hoch,  qui  avaient  été  fixées 
au  6  août  pour  l'après-midi,  sont  retirées. 

A  la  troisième  séance  publique,  dans  la  matinée  du  7  aoùl, 
furent  données  les  conféiences  : 

a)  de  M.  Fruh,  instituteur  à  Saint-Gall.  sur  le  développe- 
ment de  l'enseignement  géographique  dans  les  écoles  pri 

maires,  et 

b)  de  M.  Eni.  Luthy,  instituteur  au  gymnase  de  Berne,  sur 
l'étal  de  l'enseignement  de  la  géographie  dans  les  écoles  pri- 
maires et  moyennes  du  canton  de  Berne. 

Le  débat  auquel  ces  deux  conférences  donnèrent  lieu, 
aboutit  à  la  décision  suivante  : 
L'Association  se  fait  un  devoir  : 


12  lU'LLETIN. 

a)  (reiu'OiH';i;;t'r  I.i  luihlicaiion  (riiii  iniimiol  scohiii'e  el 
familier  de  géographie,  praliqiie  el  hien  rédigé  et,  à  cetelTel, 
elle  cherchera  à  s'cnleinh-e  avec  des  personnes  compétentes; 

b)  d'examiner  les  moyens  de  permellre  à  tout  élève  de  se 
prociirei",  pour  ses  éludes,  une  carie  de  la  Suisse  Itonneel  à 
bas  prix,  el  de  rendre  renseigaeinenl  plus  piolllahle  |)ar  la 
création  el  l'emploi  de  reliefs. 

c)  M.  le  colonel  fédéral  Meister,  conseiller  national,  parle 
d'une  nouvelle  mélhoile  de  cartogra[)lne,  ayant  |)our  oltjet 
d'unir  à  l'exaclilude  malhémalique  des  caries  militaires  luoder- 
nes,  les  condiiions  d'une  bonne  exécution  artistirpie,  satisfai- 
sant Treil,  tout  en  tenant  compte  du  caractère  de  la  contrée. 
Dans  le  cours  de  son  exposé,  le  colonel  fédéral  Meister  pro- 
pose que,  dans  son  rapport  de  gestion,  le  Vorort  présente 
une  nomenclature  des  publications  cartograpiiii]ues  et  litté- 
raires les  plus  importantes. 

d)  Comme  suite  à  cet  exposé,  M.  l'ingénieur  Rob.  Lauter- 
biirg,  de  Berne,  donne  quelques  explications  sur  le  principe 
de  Venseignement  de  la  cartographie  dans  les  hautes  études, 
el,  en  ce  qui  concerne  la  représentation  carlograpiiique, 
aboutit,  d'une  manière  générale,  aux  mêmes  conclusions  que 
M.  le  colonel  fédéral  Meister. 

e)  Les  conférences  de  M.  de  Beaumoiit,  président  de  la 
Société  de  géographie  de  Genève,  sur  ^influence  hydrologi- 
que des  forêts,  et  de  M,  le  pasteur  Ftirrer,  de  Zuiich,  sur 
Vétat  actuel  de  la  civilisation  eu  Palestine,  ne  donnent  lieu 
qu'à  quelques  observations  et  questions,  auxquelles  MM.  les 
conférenciers  répondent  directement. 

La  série  des  conférences  fut  close,  le  7  août  après  midi,  par 
les  explications  fournies  par  MM.  le  prof.  Amrein  et  F.  Milll- 
haupt,  cartographe,  dans  la  section  cartographique  de  l'expo- 
sition de  Zurich,  sur  l'histoire  de  la  cartographie  en  Suisse 
et  l'état  actuel  de  celte  branche  importante  dans  notre  pays. 

Nous  terminons  ce  résumé  succinct  des  principaux  travaux 
de  V Association  des  Sociétés  suisses  de  géographie  en  1883,  en 
faisant  observer  que  les  communications  ultérieures  sur 
celle  assemblée  concernent  le  Yorort  de  Saint-Gall,  sortant  de 
charge. 

Rappelons  seulement  en  quelques  mots  quels  sont  les 


PROCES- VERBAUX .  1  o 

objets  à  liqiiulei-,  dont  cette  assemblée  générale  a  nanti  notre 
Société  comme  Vorort  : 

1"  Iiivitei'  la  Société  d'histoire  natirrelle  et  de  géographie 
d'Eérisau  et  la  Société  de  cartographie  de  Zurich  a  se  faire 
recevoir  comme  sections  île  noire  Association  ; 

2°  Hédii-ei-  un  rappoil  sur  les  travaux  du  Vorort  peudani 
sa  geslion  d'une  année,  et  donner,  en  même  temps,  une  liste 
des  ouvrages  cartographiques  iittéraiies  qui  ont  paru  dans  le 
coui-ant  de  cette  année; 

:>°  Faire  des  démarches  en  vue  d'obtenir  nue  subvention 
fédérale  pour  des  voyages  d'explorations  scientifiques  et  des 
expédil ions  commerciales; 

4"  Étudier  le  travail  de  M.  le  prof.  Amrein  sur  l'émigra- 
tion ; 

ri"  Demander  à  TAdministralion  des  postes  suisses  de  faire 
compléter  la  légende  des  sceaux  des  bureaux  de  poste 
(motion  de  la  Société  de  géographie  de  Lyon); 

(?  Étudier  la  (piesiitui  de  la  création  d'un  organe  central 
pour  toutes  les  Sociétés  de  géographie,  proposition  Mûllhaupt  ; 

7"  Préparer  la  publication  d'un  ouvrage  populaire  d'ensei- 
gnement et  de  lecture  familière  sur  la  géographie; 

8"  Chercher  à  obtenir  la  confection  de  reliefs  et  d'une 
bonne  carte  à  bas  prix  pour  les  écoles. 


M.  Fanre  ajoute  que  le  procès-verbal  n'a  pas  pu  parler  de 
l'amabilité  parfaite  avec  laquelle  nos'  Confédérés  de  Saint- 
Gall  et  de  Zurich  ont  reçu  ceux  des  membres  des  Sociétés  de 
Berne  et  de  Genève  qui  ont  pu  assister  à  cette  réunion,  ni  de 
Pespoir  donné  pai'  M.  le  D"'  en  droit,  Conrad  Escher,  piési- 
deid  de  la  Société  cartographique  de  Zurich,  de  voir  pro- 
chainement une  Société  de  géographie  se  fondei-  dans  cette 
vdle;  la  petite  conféiléralion  s'augmenterait  d'un  quatrième 
menihre,  peut-être  même  d'un  cinquième,  M.  le  D-'  Hotz, 
ayant  promis  de  travailler  à  créer  une  Société  de  géographie 
à  Eàle.  —  Quant  aux  séances  de  travaux,  le  programme 
étant  trop  chargé,  deux  des  membres  de  la  Société  tie  Berne 
ont  dû  renoncer  à  communiquer  leurs  mémoires,  ajournés  à 
l'année  prochaine,  pour    laquelle    Berne    a   été  nommée 


14  iu:lm<:tin. 

Yorurt.  —  Parmi  les  travaux  lus  dans  la  séance  du  malin  du 
second  jour,  ceux  de  MM.  Friili,  de  Saint-Gall,  et  Lùlhy,  de 
Berne,  sur  renseignement  de  la  géograpliie  dans  ces  deux 
caidons,  viennent  s'ajouter  heureusement  à  ceux  de  MM.  Tliu- 
(litlium,  D""  Hotz  et  Baiid.  sur  le  même  enseignement  dans 
les  cantons  de  Zurich  et  de  Tliurgovie,  de  Bâle,  de  Neuchà- 
tel  et  de  Genève.  —  Le  procès-ver l»al  n'a  pas  pu  parler  non 
plus  de  la  séance  qui  a  eu  lieu  à  l'exposition  cartographique 
où  M.  le  professeur  Amrein  a,  pendant  plus  de  deux  heures, 
tenu  sous  le  charme  de  sa  parole  ses  nomhreux  auditeurs, 
heureux  de  faire,  sous  la  conduite  de  ce  guide  autorisé,  l'un 
des  organisateurs  de  celte  partie  de  l'exposition,  et  le  rédac- 
teur du  catalogue  de  la  partie  cartographique,  la  revue  des 
cartes  qui  permettait  de  suivre  toute  l'histoire  de  la  carto- 
graphie suisse,  depuis  la  carte  de  Peutinger  jusqu'à  celle  du 
général  Dufour,  ainsi  que  celle  des  plans  de  cadastre  et  des 
reliefs,  une  des  gloires  de  l'exposition. 

Passant  à  la  mention  des  principaux  faits  géographiques  de 
r année,  M.  le  président  Dufresne  relève  surtout  :  1°  le  con- 
grès géodésique  tenu  à  Rome,  dans  lequel  les  savants  qui  y 
étaient  réunis  ont  émis  le  vœu  qu'un  méridien  universel 
unique,  celui  de  Greenwich,  fût  adopté,  et  en  même  temps 
que  l'heure  universelle  fût  élahlie  sur  ce  méridien.  —  La 
solution  de  la  question  est  réservée  à  la  réunion  à  laquelle  le 
gouvernement  des  Étals-Unis  a  invité  les  États  civilisés  à 
envoyer  des  délégués.  —  2°  L'expédition  de  Nordenskiold 
iiu  Gi'oenland,pays  dont  le  changement  de  climat  présente  un 
si  grand  intérêt.  Au  moyen  âge  celte  contrée  était  une  terre 
verte, peuplée,  ayant  des  évêchés  chrétiens;  aujourd'iiui  c'est 
une  terre  arctique,  ne  produisant  que  de  maigres  récolles, 
<lans  des  parties  très  restreintes,  avec  très  peu  d'hahitants. 
Un  [)hénomène  analogue  s'est  produit  dans  la  partie  septen- 
trionale de  l'Islande,  d'où  la  population  a  émigré  au  Brésil; 
l'empereur  a  donné  à  ces  arrivants  des  teri-es  inhabitées  de 
son  vaste  empire;  mais  la  dilTérence  des  conditions  climato- 
logiques  les  a  obligés  à  renoncer  à  celte  région  tropicale;  ils 
se  sont  dirigés  vers  le  Manitoha.  La  question  du  change- 
ment de  climat  du  Groenland  est  assez  importante,  pour  que 
le  rapport  de  l'expédition  Nordenskiold  soit  attendu  avec 


PROCÈS-VERBAUX.  15 

impatience,  par  les  Américains  surtout,  qui  ont  hâte  de  pou- 
voir en  comparer  les  résultats  avec  ceux  des  découvertes  rela- 
tives au  Gulfstream. 

M.  Dufresne  rapporte  encore  avoir  eu  un  échange  très 
aimable  de  lettres  avec  M.  Mallet,  attaché  au  ministère  des 
Étals-Unis  à  Washington,  à  l'occasion  de  la  communication 
lue  Tannée  dei'nière,  sur  les  populations  de  langue  française 
aux  Étals-Unis  et  au  Canada. 

M.  Fmire  passe  en  revue  les  progrès  de  l'exploration  en 
Afrique  pendant  les  deiTiiers  mois.  Il  regreile  que  la  Société 
soit  privée  du  plaisir  d'entendre  :  1°  M.  Demairey,ingénieur 
des  mines,  sur  son  voyage  au  Niger,  à  la  suite  de  l'expédition 
du  colonel  Borgnis-Deshordes,  et  sur  les  caries  prêtées  par 
M.  Moynier  et  exposées  dans  la  salle,  des  itinéraii-es  et  des 
territoires  entre  le  Sénégal  et  le  Niger  et  au  delà,  relevés  par 
les  ingénieurs  Vallière,  Pietri  et  Derrien;  2"  M.  le  mission- 
naire Jacques,  longtemps  établi  en  Sénégambie^  à  Sehdiou, 
et  qui  va  repartir  pour  Saint-Louis  du  Sénégal,  où  il  est 
appelé  à  aider  à  M.  Taylor,  dans  l'oeuvre  que  celui-ci  a  enlre- 
pi'ise  en  faveur  des  esclaves  libérés,  sous  les  auspices  de  la 
Société  des  missions  protestantes  de  Paris;  3°  le  rapport 
annoncé  de  M.  le  D*"  C.  Passavant,  de  Bàle,  sur  son  voyage  à 
la  baie  de  Cameroon. 

Parmi  les  derniers  faits  relatifs  à  Texploration,  il  signale  le 
départ  de  l'expédition  polonaise  Rogozinski,  pour  la  région 
des  lacs  à  l'est  du  golfe  de  Guinée;  sur  l'Ogôoné,  la  fonda- 
lion  des  stations  de  Savorgnan  de  Brazza,  et  au  Quillou,  celle 
des  établissements  du  Comité  d'études  du  Haut  Congo;  puis 
le  long  du  grand  fleuve,  au  delà  de  Stanley-Pool,  les  décou- 
vertes de  Stanley  qui  rectifient  des  erreurs  géographiques  et 
ethnographiques  de  son  récit  :^  travers  le  Continent  mijs- 
térieux:  le  lac  Léopold  II  n'a  pas  la  direction  S.-E.-N.-O. 
indiquée  primitivement,  il  s'étend  du  N.-E.  au  S.-O.,  du 
1°,  40'  au  2",  20'  environ  et,  par  un  émissaire,  en  certains 
endroits,  aussi  large  que  notre  petit  lac,  la  Wabouma,  envoie 
ses  eaux  au  Qaango  qui  les  appelle  au  Congo;  au  nord  de  ce 
lac  s'en  trouve  un  autre,  le  Mantoumha,  dont  les  rives  sont 
extrêmement  peuplées,  comme  certaines  parties  du  centre 
africain,  traversées  par  Pogge  et  Wissmann.  Ce  dernier  est 


10  lU'l.LETlX. 

eiitié  an  service  de  S.  iM.  le  toi  des  Hel.yes,  qui  lui  fournit 
(les  ressources  sudi-^aules  poui*  une  e\|iédilion  de  plusieurs 
années,  dans  Lnjuelle  il  éliuliera  riivdtom'apliie  du  hassiii 
niéiidicuial  du  Conuo. 

Les  Allemands,  jusi|u'iri  exploralein's  seulement,  voni  deve- 
nir cohuiisnteurs  en  Afrique,  par  le  fait  de  l'acquisition  d'un 
vasie  territoire,  à  Angra  Pequena,  pour  le  compte  d'une 
maison  de  Brème,  dont  les  agents  importeront,  dans  ces  ter- 
ritoires où  travaillent  les  missionnaires  de  la  Société  rhénane, 
les  produits  européens,  en  mémo  temps  qu'ils  y  établiront 
certaines  industries  des  pays  civilisés. 

-M.  K.  mentionne  encH)re  le  voyage,  de  Natal  au  Zambèze 
supérieui-,  d'un  jeune  Écossais,  M.  Arnot,  précurseur  de 
MM  Coillard  et  Jeanmairet  qui  vont  s'y  rendre  très  prochai- 
neinenl;  — Celui  de  MM.  Edmond  Gautier,  de  Genève,  et 
11.  Bei-lhoud,  de  Morges,  des  stations  mi-ssionnaires  des  Spe- 
lonken,  au  noi'd  du  Transvaal,  dans  la  direction  du  Lim- 
po|)o.  La  Société  peut  espérer  entendre  M.  Gautier,  qui 
reviendra  !)ientôl, raconter  lui-même  son  voyage; —  Au  nord 
de  Zanzibar,  les  expéditions  du  D*"  Fischer  et  de  J.  Thompson, 
par  le  Kilimanjaro,  dans  la  direction  des  lacs  Victoria  et 
Baringo;  — Sur  le  Djouba,  celle  de  G.  Revoit  qui,  parvenu  à 
Ganuneb,  se  propo.se  de  traverser,  par  Harrar  ou  le  Choa, 
toute  la  partie  qui  le  sépare  du  golfe  d'Aden;  —  au  sud  et  à 
l'est  de  l'Abyssinie,  celle  du  D^'Stecker,  et  à  l'ouest  du  même 
pa\s,  celle  de  J.  M.  Schuver,  actuellement  sur  le  Bahr-el- 
Ghazal,  d'où  l'on  espère  voir  revenir  Gottfried  Roth  dont  les 
amis  et  la  famille  sont  sans  nouvelles  depuis  deux  ans. —  Deux 
cai-tes  de  M.  le  profe.sseur  Rosier,  faites  \^im\'VAfriqîtc  explo- 
rée et  civilisée,  permettaient  de  se  rendre  compte  des  pro- 
giès  et  des  explorations  dans  la  région  du  Sénégal  au  Niger, 
ainsi  que  dans  celle  à  l'est  de  l'Abyssinie  et  au  sud  du  détroit 
de  Bal)-el-Mandeb.  —  Les  progrès  marcheront  très  rapide- 
ment partout,  maintenant  que  des  bateaux  à  vapeur  circulent 
SU!"  le  Haut  Niger,  sur  le  cours  moyen  du  Congo,  et  bientôt 
sur  le  Zambèze,  le  Tanganyika  et  le  lac  Bangouéolo.  Nos  com- 
patriotes y  prennent  part  au  Niger,  au  Cameroon,  au  Vieux- 
Cala!)ir,  où  un  ancien  élève  du  Polytechnicum  de  Zurich  va 
élre  chargé  de  la  direction  d'un  steamer,  le  David  William- 


PROCÈS- VERBAUX.  17 

sort,  pour  la  mission  de  la  UniledpreshylerianChurcb  ofScot- 
land,  à  Angra  Pequena,  an  Zamhèze,  au  Linipopo,  au  Choa, 
au  Soudan;  c'est  une  raison  pour  que  nous  nous  inléressions 
toujours  plus  à  l'œuvre  scientifique  et  humanitaire  africaine. 

M.  Moynier  présente  à  la  Société  une  collection  de  pho- 
tographies, à  lui  envoyées,  par  M.  J.  Prost,  un  de  ses  corres- 
pondants, explorateur  de  la  Guinée. 

M.  de  Seyff  attire  l'attenlion  de  la  Société  sur  une  carte, 
dans  laquelle  sont  déjà  inscrits  les  premiers  travaux  de  recon- 
naissance et  de  sondages  faits  dans  le  déti'oilde  la  Sonde,  depuis 
le  cataclysme  de  Krakatao,  et  sur  d'anciennes  caries  de  l'ar- 
chipel indien,  en  particulier  sur  une  carte  de  1529,  dans 
laquelle  n'apparaît  pas  l'île  de  Bornéo;  il  présente  aussi  une 
carie  de  la  Nouvelle  Guinée,  dressée  par  la  marine  hollan- 
daise, à  partir  du  141°  à  l'est  du  méiidien  de  Green\vich,  jus- 
qu'à la  côle^  qui  n'avait  pas  été  visitée  depuis  le  voyage  de 
Cook.  Il  veut  bien  faire  hommage  de  la  carte  du  détroit  de 
la  Sonde  à  la  Société,  au  nom  de  laquelle  le  président  le 
remercie. 


SÉANCE  DU  23  NOVEMBRE  1883. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthu.lier  de  Beaumont. 

Le  président  exprime  le  regret  qu'un  deuil  de  famille  ne 
lui  ait  pas  permis  de  terminer  le  travail  qu'il  préparait  sur 
les  grands  faits  géographiques  de  l'année.  Il  lient  aujourd'hui 
à  reprendre  la  question  du  méridien  initial,  et  donne  lec- 
ture des  résolutions  adoptées  à  Rome,  avec  recommandation 
aux  gouvernements  de  prendre  comme  méridien  initial  celui 
de  Greenwich. 

Le  rapporteur,  M,  le  professeur  Hirsch,  de  Neuchàtel,  n'a 
pas  fait,  du  projet  de  M.  de  Humboldt  de  faire  passerle  méri- 
dien initial  par  \e  pic  de  Ténériffe,  ni  de  celui  de  M.  H.  B.  de 
Beaumont  de  le  faire  passer  parle  détroit  de  Behring,  un 
examen  aussi  sérieux  et  complet  qu'on  était  en  droit  de  Tes- 
pérer.  M.  le  pi'ofesseur  Thury  avait  envoyé  à  la  commission 
un  mémoire  qui  n'a  pas  été  mentionné  dans  les  séances. 

M.  de  Beaumont  refait  l'historique  de  la  question  auxcon- 

LE    GLOBE,    T.    XXIIl,    1884.  2 


18  BULLETIN. 

grès  fie  187o,  1878,  1880,  1881,  jusqu'à  la  session  des  Socié- 
tés suisses  de  géof>i-apliie,  à  Genève,  en  1882.  Il  a  rempli,  au- 
près du  Conseil  fédéral  le  mandai  dont  elles  l'avaient  chargé, 
et  a  été  très  surpris  d'apprendie  que  celui-ci  avait  donné 
comme  instructions  à  son  délégué  au  congrès  géodésique  de 
Rome,  M.  Ilirscli,  de  se  prononcer  en  faveur  du  méridien  de 
Greenwich.  Les  considérations  que  l'on  fait  valoii"  en  faveur 
de  ce  méridien  sont  d'une  grande  valeur,  mais  elles  ne  sont 
pas  délerminantes.  La  navigation  n'a  plus,  au  point  de  vue 
scientifique,  qu'une  valeur  relative.  Le  chiffre  de  la  marine 
ne  doit  pas  non  plus  l'emporter  dans  les  discussions  entre 
savanis.  M.  de  Beaumont  exprime  son  opinion  sur  la  mission 
actuelle  de  la  géographie,  de  la  cartographie,  de  la  géodésie, 
et  sa  surprise  du  choix  proposé  d'un  ohservaloire  insulaire, 
et  de  Fahandon  des  travaux  français  de  triangulation  sur 
lesquels  ont  été  raccordés  ceux  qui  ont  servi  de  base  à  l'éta- 
blissement de  la  carte  de  la  Suisse.  A  son  avis,  le  méridien 
initial  doit  être  basé  sur  les  travaux  d'un  observatoire  conti- 
nental, neutre  et  central,  comme  le  serait  celui  de  Venise, 
par  exemple,  à  10  degrés  juste  de  celui  de  Paris. 

M.  de  Beaumont  publiera  son  travail  à  part,  avec  des  déve- 
loppements que  ne  comportait  pas  sa  lecture  dans  une  séance 
de  la  Société. 

M.  le  professeur  Tlmrij  e\\}\\q\ie  qri'W  a  rédigé  son  mémoire 
à  l'occasion  de  la  réception  de  deux  travaux,  proposant 
conmie  méridien  initial  le  sommet  de  la  gi-ande  pyi'amide  de 
Gizeh,  point  stable,  moins  facile  à  déplacer  ou  a  faire  sauter 
par  la  dynamite  qu'un  observatoire.  Il  a  examiné  la  question, 
à  un  point  de  vue  exclusivement  scientifique,  et  a  exposé  les 
résultats  de  son  examen,  dans  les  Archives  de  la  Société  des 
sciences  naturelles.  Des  exemplaires  de  son  mémoire  ont  été 
envoyés  à  la  Commission  réunie  à  Rome,  qui  en  a  pris  con- 
naissance. 

Sur  l'ensemble,  M.  Thury  était  d'accord  avec  M.  Hirsch. 
Après  avoir  étudié  sept  méridiens,  il  en  avait  éliminé  quatre, 
et  n'en  gardait  que  trois  :  Greenwich,  Venise  et  Gizeh,  entre 
lesquels  il  ne  se  prononçait  pas. Celui  de  Venise  avait  l'avan- 
tage du  partage  des  continents  en  deux  grandes  masses,  du 
grand  nombre  d'observations  sur  ce  méridien,  d'une  position 


PROCÈS-VERBAUX .  1 9 

centrale  et  continenlale.  L'anliiiiérulien  de  Behring  sépaie 
rOcéan  en  deux  parties  à  l'endroit  où  les  navigateurs  chan- 
gent de  date.  Venise  coïncide  avec  Paris  à  10°  près,  ce  qui 
pei-mellrait  de  conserver  les  cartes  dressées  sur  ce  dernier 
méridien.  —  M.  Thury  iiidiipie  encoi'e  la  nécessité  de  distin- 
guer deux  sortes  de  méridien,  le  méridien  d'oljservalion  et 
le  méridien  de  compte.  I.e  méridien  d'observation  peut  1res 
luen  être  placé  à  Venise,  tandis  que  le  0  serait  à  l'antiméri- 
dien  de  Behring. 

Le  président  exprime  les  remerciements  de  la  Société  à 
M.  le  professeur  Thury. 

M.  F.  de  Morsier  fait  ensuite  une  communication  sur  le 
dernier  voyage  de  Prjevalsky  au  Tfnbel,  d'après  les  Mitthei- 
lungeii  de  Gotha.  L'objectif  de  l'explorateur  était  Lhassa; 
mais  il  fut  arrêté  dans  son  voyage  par  la  jalousie  du  Grantl 
Lama;  il  décrit  la  région  au  nord  du  mont  Bounza,  d'une  alti- 
tude de  17,000  pieds,  les  tiibus  qui  l'habitent,  leurs  mœurs, 
leurs  vêtements,  leur  industrie,  leur  lentes,  et  entre  dans  des 
détails  spéciaux  sur  le  yack,  les  rites  religieux,  la  polyandrie, 
l'usage  des  femmes  de  se  noircir  le  visage,  la  langue  thibé- 
taine,  les  funérailles,  etc. 

Le  président  remercie  M.  de  Morsier  et  le  prie  de  tenir  la 
Sociélé  au  courant  des  explorations  actuelles  de  Prjevalsky, 

11  présente  encore  M.  Alfred  Bertrand  qui  revient  del'lnde 
et  de  l'Himalaya,  et  que  la  Société  aura  le  plaisir  d'entendre, 
dans  la  prochaine  séance,  raconter  son  voyage  à  la  vallée  de 
Cichemire. 

M.  Faure  annonce  enfin  que  M.  Prost,  correspondant  de 
RL  G.  Moynier  pour  V Afrique  explorée  et  civilisée,  explorateur 
de  la  Guinée,  actuellement  à  Territet  pour  sa  santé,  viendra 
faire  cà  la  Société  une  communication  sur  le  pays  des  Achantis. 

La  séance  est  levée. 


SEANCE  DU  14  DÉCEMBRE  1883. 

Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Api'ès  la  lecture  du  procès- verbal,  le  président,   vu  l'af- 
Iluence  des  assistants  venus  pour  entendre  M.  A.  Bertrand, 


20  Bl'LLKTIX, 

;ijoiiriic  à  une  aulro  séance  le  rapport  du  lnireaii,  mais  avant 
(le  lui  donner  la  parole,  il  présente  comme  membres  élec- 
tifs :  MM.  Alphonse  Gantier.  .1.  Pi-ost,  Alfred  Berirand, 
J.  Heyeler  et  Ed^iH'  Saiilter,  (jui  sont  admis  à  riinanimilé. 

y].  A.  Bertrand  ÏM\  ensuite  la  couimunication  suivante  sur 
son  : 

Voijncie  a  la  vallée  de  Cachemire. 

Messieurs, on  m'a  demandé  de  vous  dire  ipielques  mots  sur 
mon  récent  voyage  au  Cachemire,  .le  n'ai  que  des  notes, 
écrites  le  plus  souvent  sous  la  tenle,  et  pour  lesquelles  je 
réclamerai  votre  indulgence;  mais  auparavant,  veuillez  me 
permettre  de  vous  lii'e  (juelques  pages  exti-aites  d'un  ouvrage 
anglais  sur  ce  pays,  écrit  par  le  major  Ince  et  pultlié  à 
CaliUtta  en  1876,  ouvrage  (jui  me  paraît  digne  de  confiance. 

"  Le  Cachemiie  a  été  souvent  comparé  à  un  «  joyau  » 
ayant,  pour  écrin, les  chaînes  grandioses  de  l'Himalaya  qui  le 
séparent  de  l'indoustan  et  du  Thihet.  Sa  superficie  est  d'envi- 
ron 25,000  milles  cari-és,  et  l'on  estime  que  sa  population 
s'élève  à  42o,000  haîiilanis. 

Suivant  le  traité  de  1846,  le  marajah  du  Cachemire  recon- 
naît la  suprématie  de  la  reine  d'Angleterre  et  doit  lui  pi-é- 
senler,  comme  tiihut  annuel,  un  cheval,  douze  chèvres  et  six 
châles. 

Le  Cachemire  se  compose  principalement  d'une  belle  et 
grande  vallée,  entourée  de  hautes  monlagnes  aux  sommets 
neigeux;  traversée  dans  toute  sa  lontiueur  par  la  l'ivière 
Jhelaiii,el  frangée,pour  ainsi  dire,  pai-  de  nombreux  vallons. 
Qui  n'a  entendu  parler  de  ses  roses,  les  plus  brillanles  que 
la  lerreporle, ses  temples, ses  grottes, ses  fonlainessi  cl. lires? 
N'est-elle  pas  célèbre  dans  le  monde  entier,  pour  la  beauté 
de  ses  paysages,  son  climat  délicieux  et  son  sol  fertile?  C'est 
une  oasis  au  milieu  des  i-ochers,  des  neiges,  des  glaciers.Elle 
est  regardée  comme  un  paradis  également  par  les  Indous  et 
les  Mahomélans;  elle  a  été  la  retraite  favorite  des  empereurs 
mongols,  qui  y  consiruisirent  des  palais  somptueux  et  y  éta- 
blirent des  jardins  qui  font  encore  l'admiration  des  voyageurs. 

Celle  vallée  a  une  forme  irrégulièrement  oblongue  : 
100  milles  de  longueur  sur  25  de  largeur;  son  altitude  est 


PROCÈS-VERBAL'X.  21 

lie  3200  pieJs  au-dessus  de  la  mer:  les  montagnes  qui 
l'entourent  varient  entée  8000  et  13,000  pieds;  celles  qui  sont 
au  sud  font  partie  du  Pir  Panjal;  leur  formation  est  princi- 
palement basaltique  et  >chisleuse,  leurs  vei'sants  son!  cou- 
verts d'épaisses  forêts.  Les  chaînes  du  nord  sont  plutôt  cal- 
caires, leurs  plus  iiauts  pics,  tels  que  le  Haramsok,  sont 
couverts  de  neiges  éternelles. 

La  rivière  principale  est  la  Jhelam,  l'Hydaspe  des  Grecs. 
De  Kanbal  à  Baramoula,  distance  d'environ  60  milles,  elle 
est  large,  tranquille  et  navigable  presque  toute  l'année  ; 
ses  rives  sont  généralement  plates,  et  lors  de  la  fonte 
iieii  neiges  des  montagnes  environnantes,  en  juillet  et  en 
août,  l'eau  monte  à  environ  12  pieds  au-dessus  de  son 
niveau,  alors  toute  la  contrée  voisine  ressemble  à  un  lac; 
il  y  a  eu  en  18'j6  et  187J  des  inondations  assez  consiilé- 
rables. 

Le  climat  du  Cachemire,  vu  sa  grande  élévation,  est  beau- 
coup moins  chaud  que  celui  de  l'Inde;  dans  la  partie  infé- 
rieure de  la  vallée  il  ressemble  à  celui  du  sud  de  l'Europe, 
tandis  que  près  des  montagnes,  il  se  rapproche  i)lutùt  de 
celui  de  la  Norwège  ou  de  la  Laponie. 

Les  tremblements  de  terre  y  sont  assez  fréquents,  et  c'est 
pour  cette  raison,  parait-il,  que  les  Cacherairiens  construi- 
sent leurs  maisons  en  bois.  Vigne  dit  que  le  2o  juin  1828, 
1200  maisons  furent  renversées  et  1000  personnes  périi-ent. 

Parmi  les  animaux  domestiques,  le  cheval,  la  vache  et 
le  bœuf  sont  plutôt  de  petite  taille;  la  vache  est  pour  les 
Indous  un  animal  sacré,  et  il  faut  éviter  avec  soin  de  froisser 
ce  préjugé  religieux:  les  moutons  dont  la  chair  est  excel- 
lente ne  coûtent  guère  plus  de  deux  à  dix  francs;  les  canards 
et  les  poules  sont  abondants;  quant  aux  mouches  de  toute 
espèce,  surtout  les  moustiques,  c'est  un  vrai  tléau. 

Les  Cachemiriens  s'adonnent  à  l'apicultui-e  et  récoltent  un 
miel  excellent;  on  élève  aussi  le  ver  à  soie,  et  cet  élevage  a 
été  entreplis  ces  dernières  années  par  le  gouvernement.  Le 
héron  est  l'objet  d'un  soin  spécial,  car  ses  plumes  ont  le  pii- 
vilège  d'orner  les  turbans  des  hauts  dignitaires.  Les  animaux 
sauvages  les  plus  nombreux  sont  les  singes,  le  renard,  le 
chacal, le  cerf,  le  daim  musqué,  le  léopard,  l'our:,  brun,  Tours 
noir,  et  dans  les  régions  élevées  le  bouquetin. 


22  lUILLETIN. 

Le  sol  de  la  vallée  est  une  i-iclie  el  feilile  alluvion;  grâce 
à  l'almosphère  humide  el  à  une  lempéraluie  fort  douce,  elle 
produit  d'abondantes  rt''cr)Ucs  de  céréales  ;  aussi  le  blé  se 
vend-il  très  bon  marché;  les  endroits  du  sol  non  cultivés 
sont  couverts  d'arl)res  qui  croissent  à  l'état  s;iuvage:  noyers, 
mûriers, pêchers,  cerisiers,  abricotiers,  grenadiers,  noisetiers, 
pomniiei's,  poiriers,  [)eupliers,  platanes,  saules,  etc.;  on  y 
compte  aussi  dix-huit  espèces  diflerentes  de  raisins;  le  coton 
y  est  cultivé  mais  en  petite  quantité. 

Parmi  les  nombreuses  plantes  médicimdes  (pie  l'on  trouve 
à  l'état  sauvage,  on  peut  citer:  l'altsinthe,  l'aloès,  h  rhubarbe, 
la  colo(|uinte,  le  chanvre  et  bien  d'autres  enc.ore;  l'écorce 
intéi'ieui'e  du  platane  ressemble  un  peu  à  du  liège,  et  une 
l'ésine  semblable  à  de  la  gulta-percha  est  tirée  d'une  plante 
appelée  dhup  ;  l'utilité  de  ces  deux  derniers  produits  n'a  pas 
encore  été  complètement  déterminée. 

Les  versants  sud  des  montagnes  environnantes  sont  cou- 
verts de  gras  pâturages,  tandis  que  les  vers.ints  nord  le  sont 
de  forêts  épaisses  de  pins,  cèdres  déodoras,  etc.,  mais  mal- 
gré la  fertilité  du  sol,  des  famines  éclatent  souvent  dans  ce 
pays,  vu  le  mauvais  état  des  routes  et  la  dinicullé  (\e:^  trans- 
ports; les  conséquences  en  sont  d'autant  plus  terribles, 
qu'elles  sont  bien  souvent  suivies  du  choléra. 

Les  i-essources  minéi-ales  du  Cachemire  ne  sont  jusqu'à 
maintenant  que  peu  connues;  on  y  travaille  pouitant  le  fer; 
le  plomb,  le  cuivre,  le  soufre  y  existent  pro!)ablement  dans 
diverses  parties,  ainsi  que  l'argent  et  l'or,  mais  on  ne 
trouve  pas  de  sel  dans  le  Cacliemire,  et  cet  assaisonnement 
indispensable  doit  être  importé  du  Pinijab. 

Les  habitants  du  Cachemii'e  sont  en  majeui-e  partie  maho- 
métans  et  de  la  secte  sunite;  il  y  a  pourtant  un  cei'tain 
nombre  d'Indous,  à  peu  près  un  septième  de  la  population  ; 
ils  demeurent  pour  la  plupart  à  Srinagar  et  dans  les  grands 
centres;  quoique  peu  nombreux,  ils  forment  la  classe  privi- 
légiée, ce  qui  s'explique  par  le  fait  que  la  dynastie  régnante 
appartient  à  la  caste  indoue  des  Dogras, 

La  race  cachemirienne  est  fort  belle;  les  hommes  sont 
grands,  forts  el  bien  bâtis;  leur  teint  est  généralement  bruni, 
mais  souvent,  et  spécialement  parmi  les  Indous,  on  trouve  un 


PROCÈS-VERBAUX.  23 

leinl  clair;  leurs  trnits  sont  réguliei-s  et  bien  (.lécoiipés;  les 
mahométans  rappellent  , décidément  le  type  juif  et  res- 
seral)le  en  cela  aux  Palhans.  Les  Cacliemiriens  sont  gais, 
intelligents  et  aiment  à  s'amuser;  ils  ont  généralement  une 
belle  voix  et  cbantent  volontieis.  La  beauté  des  Cachemi- 
riennes  est  proverbiale.  Le  Gacbemirien  n'est  en  général  pas 
courageux,  et  Ton  ne  peut  pas  se  fier  toujours  à  sa  loyauté. 

Le  langage  de  ce  pays  a  un  cai-aclère  particulier  et  difïère 
complètement  des  dialecles  parlés  dans  l'Indostan;  c'est  un 
prakrit  du  sanscrit  comme  l'italien  Test  du  lalin;  Vigne 
affirme  que,  dans  cent  mots  cachemiriens,  quarante  sont 
persans,  vingt-cinq  sanscrits,  quinze  indostani,  dix  arabes  et 
le  reste  Ibibétains, 

Lors  de  la  conquête  du  Cacbemire  par  l'empereur  mongol 
Akbar,  vers  l'an  1388,  le  costume  des  Cacbemiriens  fut 
cliangé,  celui  des  hommes  se  compose  maintenant  de  panta- 
lons bouffants  et  d'une  longue  cbemise  très  large;  leur  coif- 
fure est  une  sorte  de  turban  en  laine  appelé  pagri;  le 
vêlement  des  femmes  consiste  aussi  en  une  longue  cbemise 
rouge,  bleue,  verte  ou  blancbe.  avec  de  larges  manches 
comme  celles  des  hommes  ;  elles  portent  sur  la  tète  une 
calotte  entourée  de  drap  rouge;  elles  s'ornent  aussi  de 
bijoux  nombreux  :  boucles  d'oreilles,  bagues,  bracelets,  etc.; 
leur  manière  de  se  coiffer  est  très  particulière  :  leurs  cbe 
veux  sont  rejetés  sur  le  derrière  de  la  tête  en  une  infinité  de 
petites  tresses  (|ui  s(mt  rassemblées,  mélangées  avec  delà  laine, 
pour  former  une  longue  torsade  qui  descend  jusque  sur  les 
chevilles;  cela  rappelle,  en  plus  élégant,  la  queue  chinoise. 
Les  vêtements  d'été  sont  en  colon  et  ceux  d'bivei-  sont 
d'une  étoffe  de  laine  assez  épaisse.  Dans  la  saison  froide 
chaque  Gacbemirien,  homme  et  femme,  porte  avec  soi  un 
kangri  (]ui  rappelle  un  peu  les  braseros  italiens. 

Dame  Nature  se  monti-e  généreuse  dans  le  Gachemire.  la 
nourrritnre  y  est  abondante  et  à  bas  prix.  Le  revenu  moyen 
d'un  Gacbemirien  peut  être  évalué  à  2  roupies  par  mois,  soit 
5  francs,  ce  qui  leur  paraît  amplement  suffisant  pour  leur 
procurer  nouiriture  et  habillement,  et  les  maintenir  dans 
une  robuste  santé,  en  un  mol,  pour  suffire  à  lous  leurs 
besoins. 


24  BULLETIN. 

L'article  foiulaïueiilal  de  la  nuiirrilure  est  le  liz,  mais  le 
blé,  l'orgo  el  le  maïs  suiil  aussi  cultivés;  en  fait  de  légumes, 
les  choux,  les  navets,  les  concumtfhes,  les  laitues  et  beaucoup 
d'autres  variétés,  entrent  pour  une  large  part  dans  la  cuisine 
cacliemirienne;  ils  font  aussi  de  la  soupe  avec  les  feuilles  de 
dent-de-lion  et  de  plantain;  ils  mangent  la  tige  du  lotus  ; 
la  noix  d'eau  appelée  singliara,  réduite  en  farine  pour  en 
faii'e  du  pain,  est  la  principale  noiiiTiliiie  de  ceux  (pii  vivent 
sur  les  bords  des  grands  lacs. 

La  chair  du  mouton  el  de  la  chèvre  est  mangée  par  les 
malK)métans,  mais  il  n'est  pas  possible  de  se  procurer  du 
bœuf, car  tuer  l'un  de  ces  animaux  est  regardé  par  les  ludous 
comme  un  sacrilège,  crime  qui,  il  n'y  a  pas  longtemps,  était 
encore  puni  de  mort. 

Quant  à  leur  industi'ie,  les  Cachemiriens  sont  suilout 
renommés  pour  le  tissage,  la  broderie  el  la  gravui'e  sur  mé- 
taux. Les  fameux  châles  soiit  faits  avec  la  pai-lie  de  la  toison 
de  la  chèvre  qui  se  trouve  le  plus  près  du  corps;  d'immenses 
troupeaux  de  ces  animaux  pais.sent  sur  les  montagnes  du 
Thibet  occidental;  la  manufacture  des  châles  est  sous  le  con- 
trôle du  gouvei'nement  qui  en  tire  un  impôt,  et  la  pureté  des 
matières  premières  est  garantie  par  les  fortes  pénalités  qui 
tomberaient  sur  ceux  qui  essayeraient  de  les  falsifier,  de  là 
leur  grande  valeur  sur  les  marchés  européens.  Les  châles 
tissés  sont  les  plus  duraliles  et  les  plus  chers,  bien  que  ceux 
qui  sont  faits  à  la  main  attirent  plus  l'attention  au  premier 
abord. 

Comme  orfèvres  les  Cachemiriens  .sont  1res  habiles  ;  leurs 
ouvrages  en  vermeil  et  en  argent  massif  sont  particulière- 
ment remarquables  par  Télégance  du  dessin  et  la  beauté  de 
la  ciselure. 

Avec  le  cuivre  et  l'étain  mélangés,  ils  font  des  pièces 
d'orfèvrerie  qui  fei'aient  croire  que  l'on  a  sous  les  yeux  de 
l'argent  antique  ciselé  qui  aurait  été  enfoui  dans  le  sein  de  la 
terre  pendant  des  années;  je  ne  parlerai  pas  d'autres  chefs- 
d'œuvie  comme  les  cuivres  émaillés,  etc. 

Les  Cachemiriens  savent  aussi  très  bien  travailler  le  cuir; 
leur  manière  de  le  tanner  fait  qu'il  est  d'excellente  qualité; 
leui's  ai-mes  blanches  et  armes  à  feu,  ont  une  grande  réputa- 


PROCÈS- VERBAUX.  25 

tion.  Le  papier  (qui  est  doux,  fort,  et  semblable  au  parche- 
min) est  fait  avec  du  chanvre  indou  à  Naoshera,  près  Siiii;i- 
gar;  celte  fabrication  du  papier  est  un  monopole  du  gouver- 
nement. 

Il  se  fait  un  commerce  considérable  entre  le  Punjal)  et  le 
Turkestan  oriental,  comraei-ce  dans  lequel  le  Cachemire 
a  sa  lai-ge  part,  mais  comme  le  marajab  n'est  guère  par- 
tisan du  libre-échange,  ses  coffres  se  remplissent  plutôt  au 
moyen  du  monopole.  11  n'y  a  pas  de  budget  publié  par  le 
gouvernement,  c'est  pour  cela  que  les  receltes  et  les  dépen- 
ses ne  sont  pas  exactement  connues,  on  croit  pourtant  (pje 
les  revenus  s'élèvent  à  envii-on  10,000,000  francs  (forly  lakhs 
of  rupees),  revenu  qui  découle  de  diverses  sources,  soit  en 
pailie  des  patentes  et  des  di'oits  d'importation  et  d'exporta- 
tion et  en  partie  : 

a)  Des  droits  sur  les  manufactures  en  généi'al  et  celles  des 
châles  en  particulier; 

b)DG  la  part  que  le  gouvernement  prélève  sur  la  vente  des 
produits  du  sol,  car  le  sol  est  considéré  comme  la  «  pro- 
priété »  du  souverain  qui,  conséquemment,  réclame  les  deux 
tiers  de  la  lécolle;  le  produit  des  lacs  et  rivières  est  aussi 
considéré  comme  [)ropriélé  i-oyale  et  constitue  un  revenu 
important. 

Les  principales  dépenses  sont  l'entretien  de  l'armée,  celui 
des  routes  et  des  monuments  publics  et  les  charges  qui  se 
rapportent  à  la  magistrature  et  à  la  religion. 

On  prétend  que  l'histoire  du  Cachemire  remonte  à  une 
haute  antiquité;  la  notion  du  déluge  n'y  est  pas  inconnue. 

On  dit  aussi  que  Salomon  l'a  visité  et  y  a  introduit  le  culte 
du  vrai  Dieu,  qui  s'y  serait  maintenu  pendant  longtemps  ;  ce 
pays  tomba  au  pouvoir  desTartares  100  ans  avanl  l'ère  chi-é- 
tienne;  plus  tard  les  empereurs  mongols  s'en  emparèrent  et 
le  tinrent  sous  leur  domination  jusqu'au  milieu  du  siècle 
dernier  où  il  tomba  au  pouvoir  d'un  souverain  indou  dont 
la  dynastie  règne  encore  maintenant  et  est  représentée  par 
Rambeer  Singh,  marajab  de  Jamoo  et  du  Cachemire.  » 

Maintenant,  Messieurs,  j'arrive  au  commencement  de  notre 
voyage;  mais  permettez  d'abord  que  je  vous  indique  notre 
itinéraire  de  Bombay  où   nous  avons  débarqué  en  jan- 


20  BULLETIN. 

vier  1883,  jusqu'au  momenl  où  nous  sommes  entrés  dans  le 
Cachemire. 

En  quittant  Bombay,  nous  avons  passé  par  Alimedabad 
renommée  pour  son  arrhitecluremaliomélane,  qui  se  distin- 
gue en  particulier  par  la  beauté  de  ses  bois  sculptés;  puis 
Jeypoor,  capitale  de  Tun  des  États  indépendants  du  Rajpoo- 
tana  où  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de  pouvoir  visiter 
une  fort  l)elle  exposition  des  produits  artistiques  de  l'Inde, 
cuivres  repoussés  de  Bénarès,  ivoires  de  Delhi,  mosaïques 
d'Agra,  incrustations  d'argent  de  Lahore  étofTes  du  Cache- 
mire, tapis,  bijoux  splendides,  dont  quelques-uns  envoyés  par 
les  rajahs  des  envii-ons,  entre  autres  l'un  des  plus  gros  di;i- 
manls  qui  existent,  en  un  mot  une  collection  de  ces  richesses 
de  l'Inde  qu'il  est  difficile  de  décrire. 

Nous  fûmes  aussi  témoins  d'une  fête  populaire,  à  laquelle 
assistait  le  marajah  de  Jeypoor.  Quel  spectacle  original  et 
intéressant  de  voir  ce  prince  entouré  de  ses  hauts  dignitaires 
et  de  ces  milliers  d'Indous  aux  costumes  de  fête,  aux  couleurs 
éilatanles  et  pourtant  harmoniques  ;  mais  aussi  (piel  con- 
traste frappant  !  à  sa  gauche  est  assis  le  résident  diplomati- 
que anglais,  sans  lequel  ce  puissant  potentat  n'a  pas  même  le 
droit  de  lever  un  soldat. 

Agra,  la  cité  d'Al<:bar,  avec  ses  palais  et  ses  mosquées  en 
marbre  blanc,  entre  autres  une  des  merveilles  des  Indes,  le 
Taj,  de  style  sarcenic,  de  forme  octogone,  surmonté  de 
<iuatre  coupoles  et  de  seize  minarets:  le  Taj  a  été  construit 
par  Shah  Jehan,  pour  servir  de  tombeau  à  sa  femme 
favorite,  la  belle  Begam  Mumtaz  xMahal;  Tavernier  dit 
que  20,000  ouvriers  ont  été  employés  à  sa  construction 
pendant  22  ans.  Suivant  l'état  de  l'atmosphère,  ce  colossal 
ensemble  de  marbre  blanc  se  colore  de  teintes  diverses, 
mais  rien  ne  peut  se  comparer  à  l'aspect  de  cette  mosquée 
éclairée  aux  feux  de  Bengale  par  une  belle  nuit  d'Orient. 

C'est  à  Agra  que  se  trouve  )e  D""  Valenlin,  médecin-mis- 
sionnaire établi  depuis  vingt  ans  aux  Indes;  d'après  lui,  une 
partie  de  la  société  indoue  se  sent  remuée  par  le  christia- 
nisme qui  y  ferait  des  progrès,  et  nombre  d"Indous  instruits 
.sentent  et  comprennent  que  le  boudhisme  et.  ses  nombreuses 
castes  ne  peuvent  pas  marcher  de  pair  avec  la  civilisation,  si 
bien  représentée  dans  ce  pays  par  les  Anglais. 


PROCÈS- VERBAUX.  27 

A  Agra,  nous  achetons  des  chevaux  el  des  tentes  et  nous 
engageons  à  notre  service  un  certain  nombre  de  natifs  pour 
une  excursion  de  chasse  projetée  au  nord  de  cette  ville; 
après  quoi  nous  nous  retrouvons  dans  la  vie  civilisée,  à 
Delhi. 

Delhi!  que  de  souvenirs  ce  nom  réveille,  et  combien  de 
drames  sanglants,  combien  de  traits  de  bravoure  pourraient 
raconter  ces  murailles  éventrées  par  les  boulets  des  cipaye^; 
les  Anglais  s'y  trouvaient  dans  la  proportion  de  1  h  6. 

Mais  laissons  là  ces  tristes  souvenii's  et  pénétrons  dans 
l'intérieur  de  la  ville;  nous  voici  près  du  Bazar  où  se  con- 
centre surtout  ractivité,  et  où  bien  des  scènes  de  mœurs 
peuvent  être  prises  sur  le  vif;  voilà  justement  une  noce  qui 
s'avance:  le  cortège  est  ouvert  par  des  chameaux  montés  par 
des  cavaliers,  porteurs  de  drapeaux,  puis  vient  la  longue  file 
des  voitures  vides  et  des  chevaux  de  selle  capai'açonnés 
envoyés  par  les  parents  et  amis  pour  faire  figure;  en  dei- 
nier  lieu  voici  le  jeune  marié  lui-même,  à  cheval  aussi,  et  la 
figure  couverte  de  franges  d'or;  mais  quelle  musique  dis- 
cordante! 

Nous  allons,  comme  invités,  assister  dans  la  soirée  à  la 
cérémonie  de  famille;  nous  entrons  sous  une  grande  véranda  h 
éclairée  par  des  globes  verts  el  blancs;  le  jeune  marié  est 
assis  au  milieu  de  ses  parents  et  amis,  tous  revêtus  de  riches 
costumes  aux  couleurs  gaies,  mais  point  de  femmes,  pas 
même  la  jeune  mai-iée,  car  aux  Indes,  les  femmes  des  castes 
supérieures  ne  se  montrent  jamais  en  public  et  sont  toujours 
confinées  dans  leurs  appartements;  l'intérêt  de  la  soirée  se 
concentre  surtout  sur  une  Nautch,  danseuse  indoue,  dont  la 
tianse  se  compose  de  mouvements  gracieux  arythmiques  du 
haut  du  corps,  des  bras  et  des  mains  ;  elle  chante  aussi  et 
déclame  accompagnée  par  qualie  musiciens;  par  ses  panto- 
mines expressives  de  filer,  faii-e  de  la  dentelle,  etc.,  elle 
décrit  probablemeul  ce  que  sera  dans  la  suite  la  vie  des 
futurs  nouveaux  époux;  on  nous  passe,  selon  l'usage,  des 
graines  de  carimon  et  des  préparations  de  bétel;  le  jeune 
marié  vient  saluer  en  nous  faisant  un  gracieux  salam;  il 
peut  avoir  une  douzaine  d'années.  Voici  comment  se  prati- 
que le  mariage  aux  Indes  :  lorsqu'un  garçon  atteint  l'âge  de 


28  miLl.KTIN. 

10  ou  l'a  ans,  ses  parenls  s'occupent  à  lui  cliercher  nue 
femme  dans  la  caste con-espontlante  à  la  sienne;  son  épouse 
aura  (5,  7,  Sou  1)  ans!  ils  sont  alors  indissoluhlemenl  promis 
et  liés  l'un  à  l'aiiti'e,  jusqu'à  un  âge  plus  avancé,  époque  à 
laquelle  une  nouvelle  cérémonie  a  lieu.  Si,  après  les  fiançailles, 
son  futui'  époux  vient  à  mourir,  la  pauvre  enfant  ne  peut  se 
remarier,  et  elle  est  condamnée  à  i-ester  veuve  toute  sa  vie. 

Parlerai-je  encore  du  vieux  Delhi  surnommé  la  Rome 
de  l'Asie  à  cause  du  numhi-e  de  ses  ruines  et  édifices  si 
remar(|ual>ies,  dont  le  principal  peut-èli'e  est  le  Kutub-iMinar, 
tour  élevée  en  l'an  liOO  par  le  sultan  Sliamo-ood-deen  et 
consli'uile  en  grès  louge;  elle  se  compose  de  12  colonnes, 
alternant  avec  12  angles  saillants;  elle  est  divisée  en  cinq 
étages  avec  galeries  circulaires;  sa  base  à  150  pieds  de  circon- 
férence; sa  hauteur  est  de  249  pieds. 

Après  une  nouvelle  excursion  de  chasse  à  l'ouest  de  Delhi, 
entre  Gurgoon  etSounali,  nous  nous  dirigeons  vers  le  nord 
jusqu'à  Saharanpoor,  d'où  nous  franchissons  à  cheval,  en 
trois  semaines  les  Sowalik  Hills,  la  Dehra  Dun,  le  teri'itoire 
indépendant  de  Nahan  pour  arriver  à  Umballa  ;  mais  com- 
ment décrire  cette  vie  de  camp,  de  chasse,  ces  scènes  de 
mœurs  prises  sur  le  vif  el  la  beauté  de  la  nature  qui  nous 
entoure?  Je  n'ose  l'entreprendre,  et  je  me  bornerai  à  lacon- 
terdeiix  incidents  que  je  lire  textuellement  de  mon  journal  : 

Un  beau  malin,  nous  gravissions  les  Sowalik  Hills  pour 
aller  à  l'aflut  du  cerf;  après  avoir  pas  mal  grimpé  dans  les 
rochers,  nous  étions  immobiles,  aux  écoutes,  nous  avions  des 
traces  de  cerfs  sous  les  yeux,  lorsque,  tout  à  coup,  nous 
entendons,  à  une  centaine  de  mètres  au-dessous  de  nous,  un 
teri'ible  rugissement  :  au  premier  moment,  je  crus  que  c'était 
un  roulement  de  pierres,  tant  le  bruit  était  fort,  mais  notre 
chasseur  indou  nous  fit  comprendi-e  que  c'était  un  tigre  ; 
impossible  de  rien  voir  tant  le  fourré  est  épais;  nous  restons 
en  garde  pendant  quelques  minutes,  mais  le  fauve  ne  paraît 
pas,  et  nous  continuons  notre  chasse. 

Quelques  jours  après,  nous  arrivions  à  un  village  important 
qui  sert  de  frontière  entre  le  teriitoire  indépendant  de 
Nahan  el  le  Punjab;  nous  fûmes  surpris  de  l'activité  qui 
y  régnait;  on  ne  voyait  que  chameaux  d'un  côté,  et  de 


PROCÈS-VERBAUX.  29 

l'antre  de  nombreux  serviteurs  dressant  des  tentes.  Nous 
questionnons  el  Ton  nous  apprend  que  le  Rajah  de  Nalian, 
au  retour  des  noces  de  son  fils,  doit  camper  ici  ce  soir;  nous 
nous  mettons  en  marche  el  nous  ne  lardons  pas  à  rencontrer 
l'avatil-garde  de  la  procession,  des  cipayes  à  cheval,  des 
mules,  des  chameaux  chargés  de  bagages,  des  éléphants 
majestueusement  montés  chacun  par  4  ou  5  cavaliers,  puis 
un  bataillon,  musique  en  tête,  des  palanquins  couverts  ou 
non  couverts,  renfermant  des  femmes  au  service  de  la  prin- 
cesse. Nous  devenons  un  point  de  mire  pour  la  population 
qui  nous  entoure;  M""*  R.  surtout  est  très  examinée.  Quelle 
révolution  doit  s'opérer  dans  la  tête  el  les  idées  de  ces  pau- 
vres femmes  indoues,  qui  sont  à  un  niveau  si  inférieur  <à  celui 
de  leur  mari,  à  la  vue  d'une  dame  anglaise  cheminant  en 
liberté  avec  ceux  qui  l'accompagnent  et  qui  l'entourent 
d'égards. 

Mais,  le  défdé  continue  :  voici  une  batterie  de  montagne 
chargée  à  dos  de  mules,  puis,  non  loin  de  nous,  un  palan- 
quin s'arrête  et  il  en  descend  un  homme  d'âge  moyen,  vêtu 
de  noir,  el  la  lêle  couverte  d'im  bonnet  brodé  d'or;  il 
s'avance  vers  nous  et  nous  adresse  la  parole  en  bon  anglais, 
c'est  le  seci'étaire  du  rajah  qui  nous  donne  divers  i-enseigne- 
menls;  le  cortège,  nous  dit-il,  se  compose  de  trois  mille  per- 
sonnes, quarante  éléphants,  etc.;  le  jeune  marié  a  19  ans,  la 
princesse,  son  épouse  quelques  années  de  moins.  Puis,  après 
quelques  minutes,  M.  le  secrétaire  prend  congé. 

Mais  les  heures  s'écoulent  et  voici  enfin  le  cortège  de  la 
nouvelle  mariée  :  un  musicien,  porteur  d'une  immense  corne 
d'argent  dont  il  tire  des  sons  aigus  précède  un  palanquin 
rouge  richement  orné,  dans  le(|uel  se  trouve  la  jeune  prin- 
cesse, soigneusement  garantie  conlie  tous  les  regards; 
puis  un  certain  nombre  de  palanquins  renfermant  des  sui- 
vantes, et  entourés  de  porte-étendards  ;  enfin,  cette  brillante 
vision  se  peid  aussi  dans  le  lointain.  Le  rajah  et  son  fils, 
suivant  l'étiquette,  n'apparaîtront  (ju'en  tout  dernier  lieu,  et 
moulés  sur  le  plus  haut  des  éléphants.  Bien  lard  dans  l'après- 
midi,  Tagitation  et  le  remous  de  la  foule  qui  nous  entoure 
nous  apprennent  que  le  prince  n'est  pas  loin; en  elïet,  voici  un 
héraut  d'armes  qui  nous  annonce  la  venue  de  son  maître  en 


30  BULLETIN. 

joiianl  sur  un  double  lamliour  placé  devant  lui;  à  une  quin- 
zaine (le  pas  en  arrière,  el  enlouré  de  cipayes  à  cheval,  la 
lance  au  poing,  s'avance  calmement  et  lentement  un  superhe 
dépliant  monté  par  le  rajali  qui  est  assis  tout  près  de  la  léle 
de  ranimai,  s(ui  lils  en  arrière. 

Le  lendemain,  nous  fournissons  noti"e  dernière  étape  et 
nous  arrivons  à  Umballa,nos  chevaux  à  moitié  fourbus;  nos 
cliarriots  attelés  de  buffles,  renfermant  nos  tentes  et  nos  baga- 
ges, n'arrivent  que  bien  tard  dans  la  nuit;  que  nous  importe, 
nous  sommes  de  nouveau  dans  la  vie  civilisée.  Nous  restons 
([iielques  jours  à  Umballa,  ville  de  garnison,  et  commençons 
nos  pi-éparatifs  pour  noire  future  expédition  dans  le  Cache- 
mire; de  là  nous  allons  à  Meerut,  autre  ville  de  garnison, 
réputée  l'une  des  plus  agréables  des  Indes,  et  faisant  un  parfait 
coniraste  avec  la  contiée  aride  qui  l'entoure  :  beaucoup  de 
verdure,  beaux  palmiers,  jolis  bungalows.  C'est  à  Meerut 
(|u'a  éclaté  la  révolte  des  cipayes  en  1837. 

Notre  prochaine  visite  est  pourUmritsur  (Amritsa),la  ville 
sainte  des  fiers  Sikhs  et  qui  lenferme  l'une  des  merveilles 
des  Indes,  le  Temple  doré;  ce  temple  est  situé  au  milieu 
d'une  nappe  d'eau  appelée  le  lac  de  l'Immortalité;  il  se 
relie  à  la  terre  ferme  par  un  pont  en  niai-bre  blanc.  Nous 
pénétrons  dans  l'intérieur;  le  grand  prêtre  vêtu  de  jaune 
et  entouré  d'autres  prêtres  est  accroupi  devant  les  livres 
sacrés  recouverts  aussi  d'un  voile  jaune;  sur  la  gauche,  qua- 
ti'e  musiciens  jouent  en  chantant  d'une  voix  lente  et  nasil- 
larde; au  milieu  du  temple  est  tendue  une  pièce  d'éloffe  sur 
laquelle  de  nombreux  fidèles  jettent  leurs  offrandes  :  fleurs, 
fruits,  pièces  de  monnaie;  nous  remarquons  aussi  dans  l'un 
des  angles  une  lampe  d'argent  qui  représente  la  somme  de 
vingt  mille  francs.  La  réflexion  dans  le  lac  de  ce  temple  aux 
coupoles  dorées  est  d'un  effet  saisissant. 

A  Umiitsur  nous  visitons  des  manufactures  de  tapis;  les 
métiers  sont  des  plus  primitifs  et  presque  tout  le  travail  se 
fait  à  la  main;  nous  voyons  sortir  des  dessins  et  des  assorti- 
ments de  couleurs  magnifiques,  des  mains  de  ces  pauvres 
ouvriers  qui  ne  gagnent  guère  plus  de  25  centimes  par  jour. 

Nous  continuons  notre  route  vers  le  nord,  et  traversons 
Lahore,  Jhelium,  en  suivant  la  grande  ligne  du  Northei'n 


PROCÈS-VERBAUX.  31 

Piinjab  State  Railway  qui  nous  conduit  à  Rawl  Pindi. 
Nous  n'avons  pas  une  minute  à  perdre,  il  faut  nous  procurer 
une  partie  des  provisions  doni  nous  allons  avoir  hesoin  dans 
le  Cachemire,  puis  il  nous  faut  faire  le  triage  de  nos  efïels 
particuliers,  en  prendre  aussi  peu  que  possible  et  les  empa- 
queter dans  ces  cui'ieux  paniers  recouverts  de  cuir  appelés 
kUters,  lesquels  remplis,  ne  doivent  guère  excéder  cinquante 
livres  et  qui  sont  portés  à  dos  par  les  coolies. 

Nous  entrons  donc  dans  la  seconde  partie  de  notre  beau  et 
intéressant  voyage;  nous  allons  coucher  ce  soir  à  Murree 
bien  haut  dans  rHimalaya;  nous  prenons  pour  nous  y  rendre 
l'une  de  ces  voilures  de  poste  à  deux  roues  et  où  l'on  est 
assis  dos  à  dos;  nous  allons  très  vile  et  les  chevaux  sont 
changés  fréquemment.  Tout  change  aussi  autour  de  nous  à 
mesure  que  nous  avançons  dans  la  montagne  :  les  palmiei's 
font  place  aux  pins  de  l'Himalaya  aux  longues  aiguilles  d'un 
si  beau  vert;  la  température  aussi  varie  considérablement,  et 
voici  même  de  larges  plaques  de  neige;  c'est  le  cas  de  dire  : 
les  jours  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  pas,  car  il  y  a  à 
peine  24  heures,  hier  au  soir,  à  Lahore,  la  sueur  ruisselait  de 
nos  fronts.  Nous  arrivons  à  Mui'ree  dans  la  soirée;  en  nous 
réveillant  le  lendemain  matin,  la  sensation  de  froid  que  nous 
avons  eue  pendant  la  nuit  nous  fait  souvenir  que  nous  som- 
mes à  une  altitude  de  7000  pieds. 

En  sortant  de  ma  chambre  j'admire  une  vue  magnifique 
sur  les  chaînes  parallèles  de  l'Himalaya  et  les  cimes  neigeuses 
qui  s'étendent  au  loin;  du  côté  sud  Murree  s'élage  piltores- 
quemenl  sui*  les  flancs  de  la  montagne,  tout  autour  se  trou- 
vent plusieurs  bungalows  anglais  bien  construits.  Les  maisons 
des  natifs  ont  toutes  un  toit  plat;  ici  et  Là  dans  les  expositions 
nord,  de  forts  amoncellemenis  de  neige;  Ton  nous  dit  que  cet 
hiver  il  est  tombé  22  pieds  de  neige,  et  que  le  thermomètre 
esl  descendu  à  plus  de  20  degrés  au-dessous  de  0. 

Murree  est  un  sanitorium  pour  les  troupes  et  beaucoup 
d'Anglais  établis  dans  la  plaine  viennent  y  passer  la  saison 
chaude. 

Nous  faisons  nos  préparatifs  pour  pai'tir  le  lendemain;  nous 
pesons  et  réparlissons  aussi  exactement  que  possible  nos 
bagages,  provisions,  tentes,  matériel  de  campement  en  lots 


32  BULLETIN. 

(le  cinquante  livi"es  —  la  charge  ordinaire  et  réglementaire 
(l'un  homme  clans  ce  pa\s-ci;  —  nous  avons  engagé  de  vingt 
à  trente  coolies. 

Le  lendemain,  de  honne  heure,  les  environs  de  notre 
hahitalion  oiïient  un  aspect  pittorescjue;  nos  coolies  arrivent 
les  uns  après  les  antres  et  se  groupent  autour  de  la  maison; 
le  plus  grand  nomhre  sont  des  Cachemiriens;  ce  sont  en 
général  des  hommes  rohusles,  la  figure  et  les  membres  bru- 
nis, larges  d'épaules  et  foris  de  jarrets;  ils  poi-tent  des  panta- 
lons bouiïanls  et  une  ample  chemise  de  laine  grise,  plusieurs 
s'enroulent  encore  dans  des  châles  de  même  étoffe;  les  jar- 
rets et  le  bas  de  la  jambe  sont  comprimés  par  des  bandages; 
ils  ont  poui-  chaussures  des  sandales  en  paille  de  riz;  dans 
les  fortes  marches  ils  en  usent  une  ou  deux  paires  par  jour- 

Nous  ne  tardons  pas,  en  passant  la  rivière  Jhelam,  de  fran- 
chii-  la  frontière  du  Cachemire,  nous  remontons  le  cours 
de  cette  rivière,  jusqu'à  Baramoula,  après  avoir  parcouru 
environ  130  milles  (soit  52  lieues)  en  6  journées  de  marche; 
nous  tiaversons  des  vallons  sauvages  au  fond  desquels 
mugissent  la  rivière  elle-même  ou  les  torrents  qui  vont  s'y 
jeter;  ici  et  là,  dans  les  expositions  abritées,  de  grandes  éten- 
dues plantées  d'abricotiers  sauvages,  maintenant  en  fleurs,  con- 
trastent avec  les  cimes  que  nous  voyons  dans  le  lointain 
couvertes  de  neige.  Pendant  ce  trajet  nous  n'avons  pas 
besoin  de  dérouler  nos  tentes  et  pouvons  passer  les  nuits  à 
l'abri  dans  les  Rest  Houses,  bungalows  primitifs  établis  aux 
frais  du  marajaii  du  Cachemire. 

Nous  avons  rencontré  en  route  une  caravane  de  ma?-- 
chands  thil)élains  qui  revenaient  de  Bombay  à  Yarcunde, 
leurs  solides  montures  cliargées  de  ballots  d'étofTe;  ils  calcu- 
laient que,  aller  et  retour,  leur  voyage  fait  à  pied  et  à  cheval, 
aurait  duré,  à  leur  ari'ivée  chez  eux,  près  de  deux  ans;  mais 
il  faut  ajouter,  si  je  ne  me  trompe,  qu'ils  avaient  profité  de 
l'occasion  pour  faire  le  pèlerinage  de  la  Mecque. 

De  Baramoula,  centre  important  de  800  âmes,  où  la  rivière 
Jhelam  perd  ses  allui-es  bruyantes  et  devient  paisible,  nous 
continuons  notre  route  en  doonga  (bateau  cachemirien); 
c'est  une  embarcation  de  50  à  60  pieds  de  longueur,  cons- 
truite en  bois  de  pin;  sa  plus  grande  largeur  ne  dépasse  guère 


PROCÈS-VEEBAUX.  33 

6  OU  7  pieds;  la  proue  et  la  poupe  sont  presque  également 
relevées,  fond  plat;  le  milieu  du  bateau  est  occupé  par  un 
léger  échaffaudage  en  forme  de  toit,  recouvert  de  nalles  qui 
retombent  sur  les  deux  côtés  ;  cette  partie  ainsi  que  la  proue 
est  réservée  au  voyageur  tandis  que  le  batelier  et  sa  famille, 
habitent  la  poupe,  c'est  leur  unique  demeure;  dans  notre 
doonga,  mari,  femme,  enfants,  grand'mère,  tous  passent 
leur  vie;  dans  ce  home  bizarre,  la  principale  pièce  de  leur 
ameublement  consiste  en  un  fourneau  de  terre  sur  lequel  ils 
préparent  leurs  tchipaUes  (galettes  en  farine  de  maïs),  qui 
constituent  le  fond  de  leur  nourriture. 

Tant  bien  que  mal  nous  passons  la  nuit  dans  notre 
doonga  et  nous  nous  réveillons  le  lendemain  matin,  navi- 
gant lentement,  mais  enfin  navigant,  sur  les  ondes  du 
Woolar  Lake  (altitude  4  à  5000  pieds),  le  plus  grand  lac 
du  Cacbemire,  pittoresquement  entouré  de  montagnes,  puis 
nous  rentrons  dans  le  cours  de  la  rivière  Jhelam  (qui  traverse 
le  Woolar  Lake  comme  le  Rhône  le  lac  Léman)  ;  de  beaux 
groupes  de  platanes  s'échelonnent  çà  et  là  sur  ses  rives; 
dans  Taprés-midi,  nous  passons  sous  le  pont  de  Sambul, 
et  quel  pont!  Les  piles  rétrécies  à  leur  base  sont  composées 
de  pièces  de  bois  à  peine  équarries,  placées  les  unes  sur  les 
autres  avec  des  pierres  et  de  la  terre  dans  les  interstices;  le 
tablier,  tout  en  bois  aussi,  est  gi'ossièrement  travaillé;  ces 
ponts,  parait-il,  offrent  beaucoup  de  résistance  lors  des  gran- 
des eaux. 

Le  matin,  nous  nous  réveillons  sur  le  grand  canal  qui  tra- 
verse Srinagar,  l'une  des  capitales  du  Cachemire.  Qiiel  spec- 
tac'e  pittoresque  et  caractéristique  s'ofTre  à  nos  regards  :  des 
deux  côtés  du  canal  s'élèvent  des  maisons  en  bois  brun,  en 
partie  construites  sur  pilotis;  les  carreaux  des  fenêtres  sont 
remplacés  par  du  papier;  beaucoup  de  ces  constructions  sont 
misérables,  mais  sont  écbafaudées  pittoresquement;  ici  et  là 
une  mosquée  au  dôme  éclatant;  nous  passons  aussi  sous  les 
arches  de  plusieurs  ponts,  construits  exactement  comme  celui 
de  Sambul;  comme  l'heure  est  matinale,  c'est  celle  où  l'on 
va  chercher  de  l'eau  à  la  rivière  et  faire  ses  ablutions;  voici 
des  Cachemiriens  accroupis  au  bord  de  l'eau  et  se  lavant 
gravement  les  dents  pendant  que  d'autres  procèdent  plus 

LE    GLOBE,    T.    XXIII,    1884.  3 


34  BULLETIN. 

haut  à  d'autres  lavages.  Les  femmes  ont  un  costume  par- 
ticulier :  c'est  une  sorte  de  longue  et  large  chemise  en 
étoffe  épaisse,  rouge,  verte,  hleue,  etc. ;  pieds  nus,  elles  se 
parent  de  bracelets  et  de  nombi-eux  ornements  d'argent; 
beaucoup  portent  sur  la  tête  une  petite  calotte  rouge;  elles 
ont  les  cheveux  divisés  en  une  infinité  de  petites  tresses 
pendant  que  d'aulies  ont  une  abondante  chevelure  qui 
tombe  sur  leurs  épaules;  les  Cachemiriennes  ont  une  grande 
réputation  de  beauté  :  leurs  cheveux  noirs  et  leurs  traits 
réguliers  me  rappellent  le  type  romain;  elles  ont  en  général 
une  certaine  noblesse  et  même  de  la  fierté  dans  toute  leur 
prestance. 

Nous  sommes  suivis  par  des  bateaux  de  marchands  qui 
nous  flairent  comme  un  renard  flaire  sa  proie.  Nous  pas- 
sons devant  le  palais  du  marajah;  il  s'y  trouve  une  mosquée 
adjacente  dont  la  coupole  est,  dit-on,  couverte  de  feuilles 
d'or  pur;  et  que  dire  de  la  quantité  de  doongas,  avec  leur 
population  flottante,  qui  naviguent  le  long  des  rives;  puis,  la 
rivière  fait  un  coude,  et  voici  parsemés  les  bungalows 
réservés  aux  familles  anglaises  qui  viennent  séjourner  ici 
pendant  la  saison  chaude.  Nous  nous  rendons  chez  un  grand 
commerçant  de  Srinagar  nommé  Summud-Shah  où  l'on 
nous  off're  dés  l'entrée,  suivant  la  coutume,  thé  et  sucreries; 
toutes  les  merveilles  de  son  bazar  sont  bientôt  étalées  sous 
nos  yeux  :  tapis  cachemiriens,  châles,  lapis  de  Yarcounde, 
etc.;  nous  ne  nous  laissons  pas  prendre  d'emblée  à  ses  paroles 
mielleuses,  mais  nous  acceptons  cependant  un  déjeuner  qu'il 
nous  offre  pour  le  lendemain;  eh  bien,  il  a  été  excellent  ce 
déjeuner  cachemirien  (Summud  Shah  avait  en  secret  demandé 
à  notre  cuisinier  de  se  rendre  chez  lui  pour  aider  ses  gens  à  la 
confection  de  ce  repas  et  pour  apporter  en  même  temps  nos 
couverts);  le  mets  principal  fut  le  fameux  pillau  dont  la 
base  est  le  riz,  le  plus  beau  riz  que  j'aie  jamais  vu  de  ma  vie, 
dans  lequel  on  met,  suivant  son  goùl,  une  infinité  de  petits 
plats  posés  devant  chaque  convive  et  contenant  viandes  et 
légumes,  préparés  de  diverses  manières;je  note  entre  autres, 
comme  dessert ,  des  fraises  rouges  et  blanches  en  sagou  ; 
pas  de  boissons  fermentées,mais  du  thé  en  abondance.  Après 
avoir  fait  des  emplettes  nous  retournons  faire  nos  derniers 


PROCÈS-VERBAUX.  35 

préparatifs  pour  une  excursion  de  chasse  projetée  clans  Test; 
nous  reviendrons  plus  lard  à  Srinagar  sur  laquelle  j'aurai 
encore  à  dire  quelques  mois.  Nous  nous  embarquons  dans 
noire  doonga  et  bienlôl  dans  les  courbes  gracieuses  de  la 
rivière  Jhelam  que  nous  remontons,  la  curieuse  el  pittores- 
que Srinagar  disparaît  à  nos  regards;  nous  traversons  la  plus 
belle  partie  de  la  vallée  du  Cachemire  qui  s'appelle 
tiappy  Valley  (vallée  heureuse),  vu  sa  feililité;  elle  est 
paisemée  de  riants  villages  où  croissent  des  abi-icoliers  énor- 
mes qui  sont  maintenant  en  (leurs;  Thorizon  est  fermé  par 
des  chaînes  de  hautes  montagnes  couvertes  de  neige;  malgré 
cet  aspect  riant  et  celte  grande  fertilité,  le  Cachemire  en 
général,  et  la  vallée  heureuse  en  particulier,  ont  été  rava- 
gés, il  y  a  deux  ans,  par  une  terrible  famine  et  faute  de 
routes  et  de  moyens  de  traiisporl,  pour  faire  arriver  des  Indes 
le  grain  à  temps  et  en  quantilé  suffisante,  plus  de  cent  mille 
personnes  sont  mortes  de  faim; une  livre  de  riz  coûtait  alors 
deux  roupies,  soit  cinq  francs,  et  aujourd'hui  le  riz 
est  tellement  abondant  que  l'on  peut  avoir  deux  cent  cin- 
quante livres  de  riz,  de  qualité  inféiieure  il  est  vrai,  pour 
une  roupie,  soit  deux  francs  cinquante;  ces  chiffres  n'ont 
pas  besoin  de  commentaire. 

Nous  débarquons  k  Kanbal.  près  Islamabad,  dans  l'après- 
midi;  là  nous  attendent  nos  chasseurs  cachemiriens  qui  doivent 
nous  servir  de  guides  dans  l'Himalaya,  el  qui  ne  nous  quit- 
teront plus  jusqu'à  la  fin  de  nos  chasses;  ce  sont  de  robustes 
montagnards,  dans  la  force  de  l'âge,  au  teint  hàlé;  ils  ont  le 
couteau  de  chasse  passé  fièrement  à  la  ceinlure,  ils  sont 
chaussés  du  grassdjouti  (sandales  en  paille),  et,  suivant  la 
coutume  du  pays,  ils  ont  chacun  sous  leurs  ordres  deux 
aides;  ils  sont  en  oulre  responsables  des  hommes  qu'ils  ont 
choisis  pour  porter  à  dos  nos  provisions,  munitions,  tentes, 
matériel  de  camp,  etc.,  les  voilà  déjà  rôdant,  ces  coolies, 
autour  des  charges,  tâchant  de  s'emparer  de  celles  qu'ils 
supposent  être  les  moins  pesantes  et  ils  s'éloignent  à  grands 
pas  dans  la  direction  que  nous  devons  suivre. 

Pour  nous,  les  grandes  marches  à  pied  et  la  vie  de  tente 
vont  recommencer  ;  nous  nous  engageons  dans  la  haute  val- 
lée de  Nowboogh,  et  en  deux  jours  et  demi  franchissons  les 


3fi  BULLETIN. 

35  milles  qui  nous  séparent  du  col  de  la  Mar^^an  Pass 
(IJ, 600  pieds);  adieu  les  belles  forêts  de  cèdres  deodoras 
(|ue  nous  avons  tr-aversées;  nous  sommes  mainlenaiit  dans  la 
région  des  pins  et  des  liouleaux, et  c'est  sur  un  épais  tapis  de 
neif,'e  que  nous  dressons  nos  tentes  ce  soir-là;  nous  sommes 
à  environ  9000  pieds  d'altitude.  Les  ^rroupes  sombres  de 
beaux  arbres  (|ui  se  détacbeiil  sur  la  neipe,  et  sous  lestpiels 
nos  coolies  ont  allumé  leurs  feux  pour  cuire  leurs  Icbipaties 
donnent  à  notre  campement  l'aspect  le  plus  pittoresque. 

Il  faut  que  j'explique  maintenant  pourquoi  nous  faisons 
tant  de  bâte  pour  traverser  la  Marsan  Pass,  que,  malgré 
la  saison  peu  avancée  et  le  temps  défavorable,  nous  voulons 
francbir  demain;  c'est  l'usage  et  l'étiquette  pour  les  Anglais 
qui  viennent  chasser  dans  le  Cachemire,  que  les  premiers 
arrivés  peuvent  s'établir  dans  les  NuUabs  (vallées)  qui  leur 
conviennent  et  où  ils  croient  trouver  le  plus  de  gibier; 
une  fyis  un  chasseur  arrivé  le  premier  dans  une  nidlab, 
il  en  prend  en  quelque  sorte  possession  et  aucun  autre  n'a 
le  droit  d"y  chasser;  or  nous  avons  deux  Anglais  à  quelques 
milles  seulement  en  arrière  de  nous,  el.  //  faut  (we  must 
arrive  first)  arriver  les  pi'emiers. 

Le  jour  suivant,  de  bonne  heure,  nous  nous  mettons  en 
marche,  et  nous  voilà  bientôt  brassant  la  neige,  en  en  ayant 
plus  souvent  au-dessus  qu'au-dessous  du  genou;  nous  admi- 
rons l'eiïet  fanlastiiiue  de  la  lune  sur  les  pics  qui  nous  entou- 
rent et  se  détachent  sur  le  bleu  intense  du  ciel;  à  mesure  que 
nous  grimpons,  un  vent  froid  nous  cingle  le  visage,  nos  bar- 
bes se  couvrent  bientôt  de  glaçons,  mais  nous  gi-impons 
grimpons  toujours;  magnifique  lever  de  soleil  sur  les  blan- 
ches cimes  de  l'Himalaya.  Dans  la  matinée  nous  sommes  au 
sommet  de  la  Margan  Pass  (ll.HOO  pieds),  mais  quel  long 
sillon  nous  avons  à  tracer  sur  la  neige  avant  d'arriver  à 
l'autre  versant;  nous  voyons,  dans  le  lointain,  le  pic  Koon 
Noon  ou  Ser  and  Mer  (23,4i7  pieds),  l'une  des  plus 
hantes  sommités  de  cette  partie  de  l'Himalaya;  mon  ami 
M""  \\.  souffre  beaucoup  de  l'un  de  ses  pieds  qu'il  croit 
avoir  à  moitié  gelé;  heureusement  (pje,  grâce  à  une  bonne 
friction  de  neige,  la  circulation  se  l'élaljlit  el  il  peut  continuel' 
sa  marche;  sur  l'autre  versant  nous  enfonçons  quelipies  fois 


PROCÈS-VERBAUX.  37 

jusqu'à  la  ceiiilure.  Nous  voyons  sur  les  escarpements  de 
roclieis  un  troupeau  de  bouquetins;  un  peu  plus  loin,  nous 
avons  la  bonne  chance  de  voii-  défdernon  loin  de  nous,  mais 
sans  que  nous  puissions  cependant  les  arrêter  avec  nos  rides, 
une  oui-se  et  ses  deux  petits. 

Après  avoir  tirasse  la  neige  pendant  environ  20  milles, 
nous  débouclions  dans  la  vallée  de  Wardwan;  c'est  là  que 
poui-  quelques  semaines  je  me  sépare  de  mon  ami  afin  de 
tenter,  chacun  de  notre  côté,  les  hasards  de  la  chasse  dans 
nos  nullahs  respectives  ;  en  effet,  un  coup  de  fusil  tiré  mai 
à  propos  pourrait  gravement  déranger  la  chasse  de  l'autre; 
pour  moi,  je  me  dirige  vers  l'esl,  mais  je  suis  arrêté  [lar 
le  mauvais  temps  pendant  envii-on  douze  jours  dans  le 
petit  hameau  de  Moongul,  à  l'entrée  de  la  vallée  de  ce  nom. 
Use  compose  d'une  dizaine  de  chalets,  et  quels  chalets!  les 
cloisons  sont  formées  de  pièces  de  bois  et  de  troncs  disjoints 
rehés  par  de  la  teri-e;  le  toit  bien  primitif  est  fait  en  planclies 
simplement  posées  les  unes  sui-  les  autres  ;  ici  et  là  se  trouvent 
des  enclos  pour  le  bétail  :  moulons,  chèvres,  vaches,  chevaux, 
lorsqu'ils  ne  broutent  pas  sur  les  flancs  de  la  montagne.  .Mais 
comme  ce  hameau  est  bien  encadré  par  les  montagnes  cou- 
vertes de  sapins  qui  l'entourent,  et  le  torrent  qui  mugit  au 
fond  de  la  vallée. 

On  se  demande  quels  doivent  être  la  vie,  les  pensées,  le 
raisonnement  des  habitants  d'un  hameau  tel  que  celui-là;  ils 
n'ont  pourtant  pas  l'air  malheureux;  la  culture  de  leurs  mai- 
gres champs  et  leurs  ti'oupeaux  suffisent  à  leurs  besoins;  ils 
tissent  leur  vêtements  eux-mêmes;  je  vois  des  jeunes  gens 
qui  causent  et  rient  entre  eux,  une  navette  à  la  main;  malgré 
la  saleté,  les  ornements  ne  manquent  jamais,  surtout  aux 
femmes;  les  petits  enfants  sont  à  peine  vêtus. 

Quant  à  l'intérieur  des  habitations,  il  est  aussi  primitif  que 
le  reste;  le  principal  habitant  du  village  m'avait  cédé  sa 
demeure,  je  dois  premièrement  bien  faire  attention  de  ne 
pas  me  casser  le  cou  en  montant  l'escalier  qui,  comme  dans 
toutes  les  autres  maisons,  se  compose  d'un  ironc  de  pin  dans 
lequel  sont  creusées  d'informes  et  gi-ossières  marches;  puis 
j'arrive  à  un  palier  situé  à  une  douzaine  de  pieds  au-dessus 
du  sol.  Il  est  composé  de  planches  disjointes  et  forme  une 


88  BULLETIN. 

galerie;  le  dit  palier  tlonne  accès  sui-  deux  pièces,  je 
ne  veux  pas  dire  des  chambres,  le  leime  serait  trop  loin 
du  sens  de  ce  mol;  celle  de  droite  sera  la  cuisine,  celle  de 
lïauclie  ma  chambre  à  coucher;  j'entre  dans  celle-ci;  une 
seule  petite  fenéli-e  à  ras  du  i)lancher  y  laisse  passer  un  jour 
plus  que  douteux,  car  comme  les  vitres  sont  inconnues  dans 
ce  pays-ci,  elles  sont  remi)lacées  sur  la  dite  fenêtre  par  une 
peau  tendue  sur  laquelle  je  pourrais  jouer  du  tamiiour;  le 
plancher,  puisque  j'ai  parlé  du  plancher,  est  remplacé  par 
de  la  terre  battue;  les  minces  cloisons  qui  divisent  le  chalet 
disparaissent  sous  un  mortier  café-au-lait;  la  poi'te  est  un 
chef-d'œuvre,  elle  n'a  pas  plus  de  quatre  pieds  de  hauteur 
et  se  compose  de  deux  planches  disloquées  qui  laissent 
passer  l'air  et  font  un  cimranl  avec  le  trou  percé  dans  la 
peau  à  tambour  qui  se  trouve  vis-à-vis;  le  plafond  est  repré- 
senté par  des  poutres  enfumées  qui  soutiennent  le  grenier 
au-dessous  du  toit;  cette  chambre  peut  avoir  environ 
15  pieds  de  longueur  sur  9  de  large  et  7  de  hauteur;  la 
meilleure  pai-tie  en  est  la  large  cheminée-fourneau  qui  peut 
bien  contenir  un  bon  feu  mais  qui  i-emplit  aussi  la  maison 
de  fumée;  en  plein  jour,  pour  lire  ou  écrire,  il  faut  avoir  sa 
bougie. 

Un  dimanche  que  j'étais  resté  au  logis,  je  me  vois  subite- 
ment transformé  en  médecin;  on  m'amène  des  petits  enfants 
malades,  et  ces  braves  gens  ne  mettent  point  en  doute  que  je 
ne  puissse  les  guérir,  mais  comme  je  ne  veux  pas  engager 
ma  l'esponsabilité,  ma  principale  piescriplion  est  un  bon 
lavage  à  Teau  chaude  qui  me  semble  très  nécessaire  et  qui, 
dans  tous  les  cas,  ne  peut  pas  leur  faire  de  mal. 

Enfin  un  jour,  Gurkan,  mon  chasseur,  vient  me  réveiller 
de  grand  malin  et  m'annonce  que  le  temps  est  beau,  donc,  à 
bas  (lu  lit  et  il  s'agit  de  plier  bagage;  les  coolies  sont  en 
bas  qui  nous  attendent;  je  vais  passer  une  inspection,  j'en  ai 
seize  (outre  les  imit  ou  dix  qui  sont  attachés  à  mon  service), 
et  voyant  mon  étonnemenl,  Gurkan  me  fait  comprendre  qu'il 
lui  en  faut  un  aussi  grand  noml)re  paice  que  nous  trouverons 
probablement  beaucoup  de  neige;  voici  en  efï'et  des  coolies 
qui  n'ont  aucune  charge  si  ce  n'est  leurs  pelles  cachemirien- 
iies,  c'esl-à-dii'e  des  pelles  en  bois. 


PROCÈS-VERBAUX.  39 

Un  dernier  regard  au  loil  rustique  qui  m'a  abrité  pendant 
reî>  deux  dernières  semaines,  et,  en  roule  avec  mon  état-ma- 
jor, c'est-à-dire  Gurkan,  Bazkan  et  Mira  qui  ne  me  quittent 
jamais;  les  coolies  chargés  suivent  plus  lentement. 

Le  lendemain,  nous  pénétrons  sur  ces  pentes  de  neige 
interminables  qui  forment  la  Moongul  NuUah  et  la  sépa- 
rent de  la  Zainai  Nullah  ;  en  outre,  comme  le  soleil  luit 
dans  toute  sa  force,  la  révei'bération  de  la  neige  est  ardente, 
ceux  de  nos  gens  qui  n'ont  pas  de  lunettes  <à  neige  souffrent 
beaucoup  des  yeux;  enfin,  après  bien  des  effoils,  nous  arri- 
vons au  sommet  de  la  passe  qui  se  nomme,  je  crois, 
Stiow  Bridge,  nous  sommes  à  une  altilude  d'au  moins 
■13,000  pieds;  nous  descendons  l'autre  versant  et  arrivons  dans 
l'après-midi  à  l'endroit  où  nous  devons  passer  la  nuit;  ma 
tente  est  dressée  sur  la  neige  tandis  que  les  coolies  vont  cher- 
cherun  abri  bien  illusoire  dans  les  anfractuosités  des  rochers, 
et,  comme  il  n'y  a  point  ou  presque  point  de  bois  dans  les 
efivirons,ils  ne  peuvent  pas  cuire  leurs  galettes  ni  se  chauffer; 
c'est  dur  après  une  joiu'née  comme  celle  qu'ils  ont  fournie 
aujoui'd'hui. 

Les  étoiles  pâlissent  encore  a  l'horizon  lorsque  nous  nous 
remettons  en  marche;  le  lendemain,  le  hoid  est  intense,  et  la 
neige  durcie  nous  permet  d'avancer  rapidement;  aussi  arri- 
vons-nous de  bonne  heure  à  Sangum,  qui  doit  devenir  mon 
([uartier  général;  c'est  de  ce  point  que  rayonnent  les  trois 
Zainai  Nullabs,  j'y  suis  arrivé  le  premier,  et  par  conséquent 
nul  autre,  selon  l'usage,  n'a  le  droit  d'y  chasser. 

Mais  il  nous  faut  installer  le  campement  où  nous  allons 
vivre  pendant  bien  des  semaines  :  les  uns  piétinent  la  neige 
qui  a  plusieurs  pieds  d'épaisseur,  pour  y  dresser  les  tentes;  les 
autres  vont  couper  des  brindilles  de  bouleaux  blancs  rabou- 
gris, afin  de  nous  préserver  du  contact  immédiat  de  la  neige; 
un  immense  rocher  excavé  et  formant  un  abri  convenable 
est  aussitôt  habité  par  les  coolies. 

Ce  vallon  couvert  de  neige  et  entouré  de  hautes  monta- 
gnes offi-e  un  aspect  bien  sauvage;  au  moment  du  dégel, c'est- 
à-dire  de  10  à  3  heures,  les  avalanches  grondent  de  tous  les 
côtés;  la  vie  de  chasse  que  nous  avons  menée  là,  pendant 
trois  ou  quatre  semaines,  a  été  particulièrement  rude; il  tom- 


40  BKLI.ETIX. 

hait  de  la  neige  presque  chaque  jour,  et  pendanl  la  nuil  il 
gelait  à  pierre  fendre.  Je  nie  souviens  en  particiiliei-,  qu'un 
jour  le  froid  était  si  inlense  que,  ne  pouvant  me  l'échaulTer 
malgré  une  forte  gymnastique,  je  pris  le  seul  paili  qui  nie 
restât,  savoir  de  me  coucliei-  à  2  heures  de  l'après-midi; 
quanta  la  nourriture.l'endroil  le  plus  proche  d'où  nous  pou- 
vions tirer  poules,  œufs,  moulons,  etc.,  était  Moongul;  un 
homme  marcliant  hien,  mettait  trois  jours  pour  aller  et 
revenir;  quant  au  riz  qui  formait  la  base  de  la  nourriture  de 
mes  gens,  il  fallait  aller  le  chercher  à  Changus,  et  c'était  une 
course  aller  et  retour  de  plus  de  vingt-cinq  lieues  dans  les 
montagnes;  nous  avons  même  été  obligés  de  faire  venir  des 
provisions  de  Srinagar,  à  quarante  lieues  de  distance;  tous 
ces  transports  se  font  à  dos  d'hommes. 

Les  principaux  animaux  de  ces  hautes  régions  sont  le 
bouquetin,  l'ours  brun  et  le  léopard  gris;  celui-ci  est  le  plus 
terrible  ennemi  du  premier;  nous  apercevons  presque  jour- 
nellement sur  la  neige  les  traces  de  ces  divers  animaux;  on 
voit  aussi  planer  dans  les  airs  le  grand  aigle  de  l'Himalaya, 
qui  atteintjusqu'à  huit  pieds  d'envergure. 

La  chasse  au  bouquetin  est  l'une  des  plus  fatigantes  qui 
existent,  nous  en  avons  fait  plus  d'une  fois  l'expérience. 

Permettez,  Messieurs,  que,  à  l'appui  de  ce  que  je  viens  de 
vous  dire,  je  vous  décrive  deux  de  ces  journées  de  chasse 
prises  au  hasard  dans  mon  journal. 

Un  malin,  nous  quittons  le  campement  et  nous  nous  éle- 
vons sur  les  pentes  rapides  couvertes  soit  de  neige,  soit  de 
gazon  glissant,  en  ayant  au-dessous  de  nous  le  torrent  qui 
bouillonne;  il  faut  faire  attention  où  l'on  pose  les  pieds,  et, 
aux  plus  mauvais  endroits,  tailler  des  marches  avec  la 
hachette;  magnifiques  elTets  de  neige,  dômes,  crevasses; 
après  une  bonne  giimpée,  nous  nous  dérobons  derrière  un 
mouvement  de  terrain  pour  scruter  les  pics  environnants; 
Gurkan  qui  a  une  vue  d'aigle  et  un  jarret  d'acier,  n'a  pas 
une  minute  de  repos,  il  finit  par  découvrir  un  troupeau  de 
bouquetins;  avec  la  lunette  nous  les  voyons  brouter  dans  les 
anfi'actuosités  d'une  arête  de  rochers,  pendant  que  leurs  com- 
pagnons sont  aux  aguets;  mais  il  faut  les  tourner, nous  avons 
des  marches  et  contre-marches  à  faire,  monter  puis  redes- 


PROCÈS- VERBAUX.  41 

cendie.  Nous  sommes  en  face  d'une  pente  de  rochers  per- 
pendiculaires et  humides,  avec  un  torrent  au  pied,  recouvert 
seulement  d'une  mince  couche  de  neige  qui  se  briserait  sous 
le  poids  de  nos  corps  ;  il  faut  donc  revenir  sur  nos  pas  et 
prendre  un  chemin  moins  dangereux;  le  passage  que  nous 
prenons  n'est  pourtant  l'ien  moins  que  facile;  ce  ne  sont 
que  rochers  où  il  faut  s'aider  aussi  bien  des  genoux  et  des 
mains  que  des  pieds  ;  nous  passons  au  travers  de  débris  d'ava- 
lanches vieilles  de  quelques  jours  ou  peut-être  de  iiuelipies 
heures  ;  nous  trouvons  sur  l'une  d'elles  les  bois  et  le  crâne 
d'un  jeune  bouquetin  qui  aura  probablement  péri  victime  de 
son  imprudence;  nous  ne  sommes  pas  très  éloignés  du  som- 
met et,  nous  l'espérons,  pas  loin  non  plus  des  bouquetins. 
Effectivement  en  levant  les  yeux,  nous  en  voyons  deux  à  une 
assez  grande  hauteur,  sûrement  les  sentinelles  qui  surveil- 
lent le  reste  de  la  bande,  car  ils  nous  regardent  allen- 
tivement  et  ne  tardent  pas  à  détaler.  Comme  il  se  fait  tard, 
nous  devons  renoncer  à  les  poursuivre,  nous  sommes  donc 
joués  encoi'e  une  fois,  ce  n'est  ni  la  première,  ni  la  dernière, 
et  nous  rentrons  au  campement  à  la  nuit  tombante. 

Un  autre  matin,  à  3  heures,  nous  partons  pour  la  chasse; 
au  lever  du  soleil,  toujours  magnifique  dans  ces  l'égions, 
noussommes  déjà  à  une  certaine  hauteur;  mes  hommes  vont 
en  reconnaissance,  et  reviennent  au  bout  d'une  heure,  en 
disant  qu'ils  ont  en  vue  un  troupeau  de  bouquetins;  il  faut 
recommencer  à  grimper  en  prenant  toutes  les  précautions 
possibles,  afin  de  ne  pas  éveiller  l'attention  de  ces  animaux, 
qui  ont  l'ouïe  fine  et  la  vue  perçante;  nous  sommes  presque 
courbés  en  deux,  et,  à  certains  moments,  il  nous  faut,  pour 
ainsi  dii-e,  ramper;  nous  arrivons  enfin  à  l'endroit  d'où,  épié 
avec  la  lunette,  nous  pensons  que  le  troupeau  doit  se  trouver. 
Nous  avançons  si  possible,  encore  avec  plus  de  précautions, 
mais  rien,  ils  ont  disparu;  seulement  sur  la  neige  nous  discer- 
nons leurs  traces  et  nous  les  suivons;  tout  à  coup, et  à  moitié 
caché  par  une  éminence,  nous  voyons  le  troupeau;  entre 
Gurkan  et  moi  nous  tirons  deux  beaux  m<àles  —  bonne  addi- 
tion pour  notre  cuisine,  —  mais  bientôt  le  l'este  de  la 
bande  s'enfuit  à  toute  vitesse.  Quelle  majesté  lorsqu'ils  galop- 
pent,  la  tête  relevée  et  leur  longue  barbiche  pendante  I  Un 


42  BULLETIN. 

beau  hoiiquetin  mâle  appioclie  de  la  taille  d'un  poney;  les 
Itois  (le  ceux  que  nous  avons  tués  ont  près  de  tiente-cinq 
pouces  de  longueur,  leur  chaud  pelage  est  d'un  brun  gri- 
sâtre, plus  clair  sur  le  dos,  leurs  yeux  bruns  sont  grands  et 
beaux. 

Je  fus  heureux  de  penser  que  mes  gens  pourraient  profi- 
ler de  cette  bonne  addition  à  leur  nourriture,  car  ils  ne  se  le 
permettent  pas  toujours;  en  effet,  un  jour,  un  bouquetin 
al  teint  d'une  balle  s'élant  dévalé  d'une  paroi  de  rocher  où 
il  se  tua,  ils  n'en  voulurent  pas  toucher,  quoiqu'ils  fussent 
privés  de  viande  depuis  longtemps,  leur  religion  ne  leur  per- 
mettant pas  de  manger  de  la  chair  d'un  animal  qui  n'a  pas 
été  égorgé.  J'ai  déjà  parlé  de  ces  hommes  si  forts  et  aptes  à 
supporter  de  grandes  fatigues  ;  ils  sont  d'une  sobriété  exces- 
sive;le  fond  de  leur  nourriture  se  compose  de  riz  et  de  leurs 
galettes  de  maïs  ;  ils  n'usent  pas  de  boissons  fermenlées,  ne 
fument  qu'exceptionnellement,  mais  en  i-evanche  tous  ceux 
qui  peuvent  s'accorder  un  superflu  quelconque  prisent  du 
tabac;  une  tasse  de  thé  fait  leur  bonheur,  et  pour  l'obtenir, 
i!s  se  faisaient  souvent  passer  pour  malades. 

L'aspect  de  ces  hommes  à  la  figure  martiale,  et  presque 
toujours  encadrée  d'une  barbe  noire,  était  des  plus  pittores- 
ques, sous  le  grand  rocher  qui  leur  servait  de  demeui-e;  je 
me  souviens  aussi  d'une  soirée  où  soudain  le  calme  de  la 
iiuil  fut  interrompu  par  leurs  chants  expressifs. 

Mais  le  mois  de  mai  s'avance;  çà  et  là  se  montrent  des  pla- 
(lues  de  gazon,  et  des  branches  de  quelques  bouleaux  nains 
rabougris,  sur  le  sommet  desquels  nous  avons  marché  en 
arrivant  presque  sans  nous  en  douter,  apparaissent  au- 
dessus  de  la  neige.  Nous  quittons  Sangum  et  nous  nous  diri- 
geons vers  l'est  afin  de  camper  pour  quelques  jours  dans 
un  endroit  encore  plus  élevé,  Jabbal.  J'estime  que  là  nous 
sommes  environ  à  une  altitude  de  14,000  pieds  — enchâsse 
nous  devons  avoir  atteint  une  élévation  bien  supérieure.—  De 
ce  campement,  nous  ne  sommes  éloignés  de  la  frontière  du 
lidltlstan  ou  Petit  Thibet  que  de  peu  de  journées  de  marche. 
J'y  trouve  mes  gens  qui  nous  avaient  précédés  assez  agités, 
car  une  ourse  et  son  petit  qui,  du  reste,  s'étaient  empressés  de 
déguerpir,  venaient  de  passer  près  d'eux;  c'est  le  moment  où 
le  retour  du  printemps  fait  sortir  ces  animaux  de  leurs  tanières. 


PROCES-VERBAUX.  4'^ 

C'est  (le  nouveau  sur  la  neige  que  je  dresse  mes  lentes;  j';ii 
sous  les  yeux  un  splendide  amphilhéàtre  de  montagnes. 
Qu'elles  sont  majestueuses  ces  hautes  cimes  de  l'Himalaya  ; 
ici  elles  sont  découpées  comme  une  pièce  de  dentelle;  là,  un 
pic  solitaire  s'élance  dans  les  nues,  faisant  contraste  avec 
un  dôme  arrondi,  et  tout  cela  se  détachant  sur  un  ciel  de  ce 
hleu  si  intense  que  l'on  ne  trouve  que  dans  les  toutes  hautes 
régions!  Nous  avons  été  assaillis  là  par  un  coup  de  vent, 
accompagné  de  neige  et  de  grêle  qui,  pour  ne  durer  que 
quelques  minutes,  n'en  a  pas  été  moins  violent;  aussi  avons- 
nous  eu  juste  le  temps  de  consolider  la  lente  avec  des  blocs 
de  neige  et  les  bâtons  de  montagne  que  nous  avions  sous  la 
main. 

Enfin  le  moment  vient  de  rejoindre  mes  amis.  Adieu  cette 
vie  si  rude,  adieu  la  tente  dressée  sur  la  neige,  el  ma  bai- 
gnoii'e  qui  y  était  creusée  tout  près,  adieu  les  bouqueliiis 
et  les  autres  habitants  de  ces  hautes  montagnes  qui  me  lais- 
sent un  si  bon  souvenir! 

Nous  nous  dirigeons  vers  le  sud-ouest.  A  mesure  que 
nous  descendons  dans  la  vallée,  la  neige  disparaît  de  plus  en 
plus  et  la  chaleur  se  fait  peu  à  peu  sentir;  voici  de  beaux 
groupes  de  sapins  et  même  des  fleurs;  dans  l'herbe  déjà 
épaisse  sur  laquelle  nous  marchons,  nous  distinguons  de  la 
rhul»arbe  el  des  asperges  sauvages  qui  ne  sont  pas  à  dédai- 
gner. 

Nous  suivons  le  fond  de  cette  vallée  sinueuse,soit  en  nous 
frayant  une  route  à  travers  les  broussailles,  soit  en  longeant 
le  cours  du  torrent  lui-même;  je  retrouve^M.  et  M""*  R.  près 
de  Furiabad  à  l'entrée  de  la  vallée  de  Maroo,  et  ensem- 
ble nous  continuons  notre  route  pour  retournera  Srinagar; 
nous  sommes  dans  la  région  des  pins  et  des  cèdres;  voici 
môme  dans  les  buissons  des  fraisiers  et  framboisiers  en 
rieurs;  à  Metwan  nous  revoyons  avec  plaisir  des  habitations, 
des  cultures,  des  bestiaux;  puis  [nous  campons  à  Garum- 
Pani  dont  la  traduction  liltéi'ale  veut  dire  «  eau  chaude,  » 
à  cause  d'une  source  sulfureuse  où  les  habitants  des  environs 
vont  chercher  un  remède  à  tous  leurs  maux. 

Depuis  que  nous  sommes  réunis  nos  marches  et  campe- 
ments oITrent  un  aspect  très  animé,  car  nous  sommes  environ 


44  BULLETIN. 

une  (luarantaitie  de  personnes.  El  le  soir,  quand  nos  cinq 
lentes  sonl  dressées  el  (jue  les  feux  formés  de  troncs  d'arhres 
sont  allumés  et  entourés  de  nos  gens  qui  se  raconlenl  les 
incidenls  de  la  journée,  el  qu'à  ces  bruils  divers  se  mêlent 
les  bêlements  de  nos  clièvi-es  el  de  nos  moulons,  tout  esl 
vie  el  mouvement  autour  de  nous.  Je  me  souviens  aussi  de 
Pagam,  à  l'entrée  de  la  vallée  de  Wardwan  où  nous  avons 
campé  dans  un  emplacement  planté  de  beaux  noyers,  sous 
lesquels  se  trouvait  le  Cliokri,  plate-forme  en  bois  où  les 
principaux  el  anciens  de  l'endroit  viennent  s'entretenir  des 
affaires  du  village,  el  où  ont  lieu  les  jugements,  etc;  le 
chokri  esl  maintenant  très  animé,  car  les  collecteurs  de 
taxes  y  sont  assemblés,  et,  par  les  scènes  que  nous  avons 
sous  les  yeux,  nous  pouvons  juger  que  ces  fonctionnaii-es  ne 
sont  pas  mieux  vus  dans  le  Cachemire  que  dans  les  autres 
parties  du  monde 

Nous  arrivons  bientôt  à  Wardwan,  notre  point  de  départ, 
puis  nous  passons  le  col  Soornag  Margan  Pass  (envnon 
12,000  pieds);  grâce  à  la  saison,  ce  passage  s'exécute  bien  plus 
facilement  qu'il  y  a  deux  mois;  du  sommet  de  ce  cot,  la 
vue  esl  imposante,  c'est  l'une  des  plus  belles  dont  j'aie  joui 
pendant  le  cours  de  ce  voyage.  A  nos  pieds  s'étend  Happy 
Valley,  la  i-iche  et  fertile  vallée  du  Cachemire,  sillon- 
née par  les  courbes  gracieuses  de  la  rivière  Jeblam;  cette 
vallée  est  entourée,  comme  d'une  ceinture,  par  les  hautes  et 
majestueuses  montagnes  de  l'Himalaya.  En  route,  nous  chas- 
sons l'ours. 

Quelques  jours  après,  nous  sommes  de  nouveau  à  Srina- 
gar,  la  Venise  de  l'Orient,  car,  comme  sa  sœur  de  l'Occi- 
dent, elle  est  traversée  par-  un  grand  nombre  de  canaux, 
mais  la  plupart  sont  bordés  d'arbres,  en  particulier,  de  pla- 
tanes de  toute  beauté. 

Nous  sommes  en  été  maintenant;  les  moissons  viennent  de 
se  terminer;  nous  descendons  en  doonga  la  rivière  Jhe- 
lam  qui  traverse  la  ville;  tout  est  très  animé;  de  nombreu- 
ses embarcations  vont  el  viennent  dans  tous  les  sens;  un 
grand  nombre  de  baigneurs  se  livrent  à  de  joyeux  ébats; 
mais  il  ne  faut  pas  être  trop  délicat, car  à  ces  eaux  aboutis- 
sent plusieurs  égoùls;   il  ne  faut  pas  non  plus,  comme  nous 


PROCÈS- VEEBAUK.  45 

l';ivons  fait  aujoniil'hui,  pénétrer  à  pied  dans  Tinlérieur  de 
la  ville,  car  alors  la  poésie  disparaît  pour  faire  place  à  la 
réalité  que  la  meilleure  volonté  ne  peut  méconnaître  :  une 
saleté  repoussante  qui  affecte  autant  la  vue  que  l'odorat. 

Nous  passons  devant  l'une  des  pins  célèbres  mosquées, 
Shah-Hamadan-Masjid;  comme  toutes  les  mos(|uées  du 
Cachemire  elle  est  construite  en  hois  de  cèdre,  avec  doubles 
toits  superposés,  couverts  de  terre,  et  qui,  au  printemps,  sont 
èmaillés  de  fleurs,  beaucoup  de  maisons  cachemiriennes  ont 
le  même  genre  de  toits  qui  servent  ainsi  de  jardins. 

Nous  allons  visiter  une  fabrique  de  châles  ;  nous  y  trou- 
vons, dans  une  petite  chambre  resserrée^  une  douzaine  d'in- 
dividus, chacun  devant  son  primitif  métier,  avec  ses  innom- 
brables bobines  de  ditïérentes  couleui-s,  qu'il  enchevêtre 
suivant  le  modèle  qu'il  veut  reproduire;  puis  nous  entrons 
dans  le  bazar  d'un  oifèvre  où  nous  voyons  travailler  l'une 
de  ces  pièces  or  et  ai'gent  si  finement  ciselées. 

Nous  ne  voulons  pas  quitter  Srinagar  sans  visiter  le  Dal 
ou  City  Lake  qui  se  liouve  au  nord-est  de  cette  ville,  et, 
nous  voici  naviguant  sur  le  canal  Sunt-I-Kul  (jui  relie  le 
lac  avec  la  rivière  Jehlam;  nous  traversons  le  joli  village  de 
Drogun,  puis  nous  passons  sous  le  vieux  pont  en  pierre 
de  Naiwidyar  qui  se  compose  de  trois  arches  élégantes  ; 
sur  l'arche  du  milieu  se  trouve  une  vieille  inscription  per- 
sane encore  lisible.  Puis  voici  Hassanabad  avec  .sa  mosquée 
en  ruines;  ce  village  a  été  en  1874  le  théâtre  de  scènes  san- 
glantes entre  les  deux  sectes  musulmanes  rivales,  les  sunites 
et  les  scias. 

Nous  passons  aussi  sur  le  bord  des  fameux  jardins  flottants 
cachemiriens  où  sont  surtout  cultivés  les  concombres  et  les 
melons  ;  voici  la  manière  dont  on  les  établit  :  les  tiges  des 
plantes  aquatiques  qui  croissent  où  les  eaux  sont  basses, sont 
divisées,  à  envii'on  deux  pieds  au-dessous  de  l'eau,  de  sorte 
(ju'elles  cessent  d'être  en  contact  avec  le  fond  du  lac,  mais 
elles  conservent  leur  position  respective.  Quand  elles 
sont  ainsi  détachées  du  sol,  elles  s(mt  serrées  les  unes 
contre  les  autres,  de  manière  à  en  former  des  cou- 
ches d'environ  deux  mètres  de  largeur  et  d'une  longueur 
indéfinie;  le  haut  des  tiges  des  l'oseaux,  des  joncs  et  des 


40  BULLETIN. 

autres  piaules  d'eau  qui  composent  ces  couches,  sont  cou- 
pées, étendues  sur  leurs  surfaces  et  couvertes  d'une  légère 
épaisseur  de  boue  qui,  peu  à  peu,  pénètre  d.iiis  l'intérieur 
des  liges.  Ces  jai'diiis  lluttaiits  sont  tenus  en  place  par  des 
pieux  en  saule  fixés  à  chaque  bout. 

Nous  ne  naviguons  plus  maintenant  dans  les  canaux,  mais 
sur  le  lac  même.  Quelle  scène  pittores(|ue!  de  tous  les 
côtés  de  légères  embarcations  chargées  de  fidèles  se  rendent 
au  village  d'Hatzralbal,  car  aujourd'hui  est  le  jour  de  l'une 
des  grandes  fêtes  qui  y  sont  célébrées  annuellement,  et 
où  l'un  des  poils  de  la  barbe  de  Mahomet,  renfermé  dans  une 
i)OÎle  d'aigent,  est  exposé  à  la  vénération  des  Cachemiriens 
musulmans  qui  aQluent  de  toutes  les  parties  du  pays  ;  une 
multitude  couvre  le  rivage,  et  ce  qui  m'étonne  parmi  ces 
milliers  de  pei'sonnes,  c'est  le  grand  calme  qui  y  règne.  Quel 
contraste  avec  nos  bruyantes  foules  européennes! 

Ce  lac,  en  partie  entouré  de  montagnes,  est  parsemé  d'îles 
jtlantées  d'arbres  de  magnifique  veime;  voici  en  particulier 
Silver  Island,  Tile  d'argent,  où  une  insciiption  rappelle  que 
IfS  voyageurs  Hugel,  Henderson  et  Vigne  se  renconlrèi-ent 
;j  Srinagar. 

C'est  sur  les  bords  de  ce  lac  que  les  empereurs  mongols 
établirent  ces  jardins  de  plaisance  demeurés  célèbres,  et  où  se 
tiouvaient  leurs  palais  d'été,  Shalimar  Bagh,  en  particulier, 
qui  fut  leur  ïrianon  ;  l'empereur  Jehangir  avec  sa  femme, 
la  belle  Mumtaz  Mahal,  ensevelie  dans  le  Taj  à  Agra,  y  fit  plu- 
sieurs séjours. 

Ce  jardin  renferme  plus  de  140  jets  d'eau;  le  non  moins 
fameux  jardin  de  Nishat  Bagh  est  aussi  dans  le  voisinage. 

Nous  sommes  de  nouveau  à  Srinagar,  et,  pour  en  pren- 
dre congé,  nous  montons  au  sommet  du  Ïakht-I-Suliman 
(traduction  littérale  :  trône  de  Salomon),  qui  domine  la  ville, 
et  d'où  nous  admirons  encore  une  fois,  au  lever  du  soleil, 
cette  vue  mcompai-able. 

L'on  nous  dit  que  Srinagar  a  environ  150,000  habitants,la 
plupart  mahométans,  on  y  compte  seulement  20,000  Indous. 
Par  une  faveur  toute  spéciale,  accordée  à  mes  amis,  nous 
avons  l'autorisation  d'effectuer  notre  retour  aux  Indes  par- 
la route  impériale  (sud), réservée  à  l'usage  du  marajah;  nous 


PBOCÈS-^rERBAUX.  47 

visiterons  donc  en  route  Jamoo  où  le  marajali  se  trouve 
maintenant  avec  sa  cour. 

Nous  retournons  donc  à  Islamabad  par  eau;  nous  passons 
près  d'Avantipoore,  ancienne  capitale  du  Cachemire,  qui 
n'est  plus  que  ruines  maintenant,  mais  qui  a  possédé,  dit-on, 
jusqu'à  3,000,000  d'lial)ilants. 

Entre  Islamabad  et  Yernag,  nous  avons  notre  dernier  jour 
de  grande  chasse,  et  j'ai  le  bonheur  de  tuer  un  ours  brun. 

C'est  dans  les  environs  de  Yernag  que  la  rivière  Jhelam 
prend  sa  source;  près  de  là  se  trouve  un  bel  étang  habité 
par  des  poissons  sacrés;  le  soir,  avant  de  leur  jeter  leur 
nourriture,  le  gardien  a  bien  soin  de  s'incliner  profondément 
devant  eux.  De  Yernag  nous  entrons  dans  la  route  privée  du 
marajah,  laquelle  doit  nous  conduire  à  Jamoo;  c'est  là  aussi 
que  no\i<  nous  sépai-ons  des  fidèles  Cachemiriens,  qui  nous 
ont  accompagnés  jusqu'ici  et  qui  sont  remplacés  par  des  coo- 
lies de  l'endroit. 

Peu  apiès  nous  traversons  la  Banihal  Pass  (9200  pieds); 
après  six  jours  de  marche  où  tout  nous  est  facilité  par  les 
oi-dres  qui  ont  été  donnés,  mais  où  la  chaleur  devient  si 
forte  (pie  nous  sommes  obligés  de  faire  nos  dernières  étapes 
de  nuit,  nous  atteignons  la  ville  de  Jamoo;  là,  nous  logeons 
dans  le  bungalow  mis  à  la  disposition  des  étrangers  par 
le  marajah;  ce  bungalow  offre  tous  les  conforts  désirables, y 
compris  une  excellente  table,  ce  qui  fait  un  grand  contraste 
avec  noti'e  vie  passée. 

Jamoo  est  situé  sur  un  plateau;  c'est  une  ville  qui  a  un 
cachet  complètement  dilïerent  de  celui  de  Srinagar;  plus  de 
canaux,  mais  des  rues  pavées  qui  sont  d'une  extrême  pro- 
preté; plus  de  maisons  en  bois,  mais  des  maisons  en  pierre 
ou  en  terre,  et  d(uit  la  plupart  sont  soutenues  par  des  colon- 
nes qui  forment  ainsi  un  passage  couvert  le  long  de  la  rue; 
beaucoup  de  ces  colonnes  sont  peintes  en  rouge,  bleu,  etc.  ; 
Jamoo  renferme  un  grand  nombre  de  mosquées  et  de 
monuments  pubhcs;la  plupart  de  ces  édifices  sont  remarqua- 
blement travaillés. 

Quelle  dilîérence  aussi  dans  la  population;  ce  n'est  plus 
cette  race  forte  et  énergique  du  Cachemire,  mais  bien  un 
mélange  où  la  race  indoue  prédomine  et  où  les  types  n'ont 
plus  la  même  pureté. 


48  BULLETIN. 

Ce  inaliii  nous  devons  avoir  une  audience  du  niarajali,  et 
un  di^niitaire,  le  surinlendanl  des  écoles  qui  a  un  nom 
démesurément  long,  et  (|ui  parle  anglais,  vient  nous  chei'- 
cher  avec  une  escoite  de  cipayes;  lui-même  est  à  cheval, 
Un  bel  éléphant  caparaçonné  de  rouge  et  jaune  et  surmonté 
d'un  palan(iuin  est  amené  pour  notre  usage  et  nous  traver- 
sons ainsi  la  ville  de  Jamoo;  nous  arrivons  près  du  palais, les 
cipayes  en  faction  pr'ésenleni  les  armes,  et  nous  pénétrons 
ilans  les  cours  intérieures.  Quel  assemblage  pittoresque  de 
personnages,  courtisans,  soldats  dans  tous  les  costumes  pos- 
sibles; nous  atteignons  bientôt  l'entrée  du  Palais  proprement 
dit  et  nous  descendons  de  l'éléphant  pour  pénétrer  dans  un 
passage  couvert  non  moins  encombré  de  monde,  et  où  le 
premier  ministre  vient  nous  recevoir;  puis  on  nous  fait 
entrer  dans  une  grande  salle  où  nous  sommes  présenié>  aux 
trois  jeunes  princes,  les  fils  du  marajah.  Après  quelques 
minutes  le  marajah  lui-même  apparaît  accompagné  de  digni- 
taires; l'introduction  a  lieu,  puis  nous  passons  dans  une  autre 
salle  au  milieu  de  laquelle  se  trouve  une  rangée  de  fau- 
teuils; le  marajah  prend  place  sur  celui  du  milieu,  les  trois 
princes,  par  rang  d'âge, se  placent  à  sa  gauche  et  il  nous  indi- 
(jue  des  sièges  à  sa  droite.  Pendant  que  nous  sommes  éven- 
tés par  deux  vigoureux  gaillards,  la  conversation  s'engage  au 
moyen  d'un  interprète  ;  nous  commençons  par  remercier  de 
l'aulorisation  qui  nous  a  été  donnée  de  voyager  par  la 
route  de  Jamoo,  et  de  toutes  les  attentions  que  nous 
avons  trouvées  sur  notre  chemin,  puis  nous  sommes  ques- 
tionnés sur  notre  voyage. 

i.e  marajah  paraît  être  âgé  d'une  cinquantaine  d'années, 
il  a,  dans  toute  sa  manière  d'être,  beaucoup  de  noblesse  et  de 
dignité;  il  est  habillé  de  mousseline  blanche,  et  les  pointes  effi- 
lées de  sa  longue  moustache  noire  sont  passées  sous  les  plis 
de  son  turban. 

A  notre  retour  dans  le  bungalow,  nous  apprenons  que  nos 
dépenses  dans  cet  endroit  ont  été  défrayées  par  le  marajah. 
Depuis  Jamoo,  la  route  devenant  carrossable,  il  met  une 
confortable  calèche  à  notre  disposition;  nos  l)agages  ne  sont 
plus  portés  à  dos  d'hommes,  mais  suivent  dans  des  voitures 
traînées  par  dos  chameaux;  nous  franchissons  ainsi  la  fron- 


PBOCÈS-VERBAUX.  49 

tièredes  Indes  anglaises  el,  à  Syalkof,  nous  tombons  dans  la 
fournaise  du  Punjab,  dès  lors,  le  grand  éventail  appelé  pwn- 
kah  est  de  rigueur  nuit  et  jour,  et  nous  ne  retrouvons  une 
fraîcheur  relative  que  quelques  semaines  après,  lorsque  nous 
prenons  de  nouveau  la  mer. 

Les  applaudissements  des  nombreux  assistants  témoignent 
du  vif  intérêt  avec  lequel  a  été  écoutée  la  communication  de 
M.  Bertrand,  auquel  le  président  adresse,  sur  Srinagar,  quel- 
ques questions  qui  fournissent  au  voyageur  l'occasion  de  com- 
pléter son  récit.  Puis  le  président  lui  exprime  les  remercie- 
ments de  la  Société  et  le  prie  de  bien  vouloir  donner  aux 
personnes  présentes  des  explications  sur  les  cartes  et  les 
albums  de  photographies  exposés  sur  les  tables. 


SÉANCE  DU  21  DÉCEMBRE  1883. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Après  la  lecture  du  procès-verbal,  le  président  communi- 
que une  invitation  de  M.  Bertrand  aux  membres  delà  Société, 
à  visiter  ses  collections  lundi  prochain  après  midi.  —  Puis  il 
exprime  ses  regrets  de  la  démission  de  M.  de  Stoutz  de  ses 
fonctions  de  secrétaire  général,  que  l'état  de  sa  santé  et  son 
éloignement  de  la  ville  ne  lui  permettent  pas  de  continuer. 
M.  Adolphe  de  Morsier  veut  bien  s'en  charger  provisoire- 
ment. —  M.  H.  Auriol,  présenté  comme  membre  effectif,  est 
admis  à  l'unanimité 

Le  président  annonce  que  les  hoirs  de  M"^  de  Budé- 
Kunkler  ont  fait  à  la  Société  un  don  de  200  francs.  La  Société 
vote  des  remerciements. 

La  Société  de  Lyon  a  remercié  du  volume  envoyé  pour  la 
fête  de  la  10"""  année  de  cette  Société. 

La  Société  de  Sidney  annonce  sa  fondation  et  demande 
l'échange  des  publications. 

M.  Gamel,  armateur  du  navire  la  Dymphna  envoie  le  rap- 
port du  lieutenant  Hovgaai'd  sur  son  dernier  voyage. 

La  Société  de  géographie  de  Berne  communique  un  pro- 

LE    GLOBE,   T.    XXIII,    1884.  4 


50  BULLETIN. 

jet  de  lettre  au  Département  fédéral  du  commerce  et  de 
l'agriculture,  au  sujet  de  la  motion  de  M.  le  conseiller  natio- 
nal Geigv,  sur  les  moyens  de  compléter  la  représentation  à 
l'étranger  des  intérêts  économiques  et  commerciaux  de  la 
Suisse,molion  sur  laquelle  le  Département  fédéral  a  demandé 
à  la  Société  de  Berne,  comme  Voroi-t  de  l'Association  des 
Sociétés  suisses  de  géographie,  de  lui  faire  part  de  ses  idées. 
La  Société  de  Berne  envoie  deux  exemplaires  de  ce  projet, 
avec  prière  de  lui  en  retourner  un  avant  la  fin  de  l'année, 
avec  les  observations  de  la  Société  de  Genève. 

jyime  veuve  J.-M.  Ziegler  a  envoyé  le  portrait  de  son  mari, 
notre  regretté  membre  honoraire. 

M.  J.  Prost  prend  ensuite  la  parole  pour  sa  communication 
annoncée  sur  : 

La  Côte  d'Or  et  l'Aclianti. 

Il  n'a  pu,  dit-il.  rester  indifférent  devant  le  mouvement 
colonial  qui  se  produisait  en  France  il  y  a  quelques  années 
au  profit  de  l'Afrique,  et  à  celte  époque  sa  résolution  fut 
bientôt  prise  de  visiter  la  Côte  d'Or,  l'Achanti  surtout,  dans 
le  but  d'y  créer  des  établissements  agricoles  et,  en  outre,  par 
ces  établissements  de  relier  la  côte  avec  l'intérieur. 

Empêché,  dit  M.  Prost,  de  parcourir  l'Achanti  comme  je 
me  le  proposais,  en  raison  de  la  guerre  civile  qui  vient  de  se 
terminer  récemment  par  le  triomphe  du  prince  Quacoe  Duah 
sur  l'ancien  roi  Coffee  Kalcalli  et  sur  son  prédécesseur  Men- 
sah,  j'ai  dû  séjourner  longtemps  à  la  Côte  d'Or,  et  ce  n'est 
qu'au  moment  même  où  les  fièvres  m'obligeaient  à  revenir 
pour  quelque  temps  en  Europe  que  j'aurais  pu,  sans  trop  de 
difficultés,  commencer  une  véritable  installation. 

Mon  intention  n'est  pas  aujourd'hui  de  vous  faire  une  rela- 
tion de  voyage,  mais  simplement  de  vous  faire  part  de  quel- 
ques notes  sur  la  politique,  l'histoire,  la  géographie  de  la 
Côte  d'Or  et  de  l'Achanti,  et  de  vous  esquisser  à  grands  traits 
les  mœurs  de  leurs  habitants.  Je  ferai  mon  possible  pour  être 
bref  et  ne  pas  abuser  de  votre  bienveillante  indulgence. 

La  Côte  d'Or  forme  une  des  parties  des  Côtes  de  Guinée, 
où  nous  trouvons,  de  Touesl  à  l'est  :  la  Côte  du  Poivre  ou 


PROCÈS- VERBAUX.  51 

États  de  Libéria,  l;i  Côte  d'Ivoire,  la  Côte  d'Or,  la  Côte  des 
Esclaves,  la  Côte  de  Bénin  el  enfin  la  Baie  de  Biafra. 

La  Côte  d'Or  était,. j(i>qiiVn  187o,  placée  sous  le  proleclorat 
du  gouvernement  brilannique,  mais  depuis  l'expédition  an- 
glaise contre  les  Achanlis  elle  a  été  élevée  au  rang  de  Colonie. 
L'origine  des  rapports  entre  la  Côte  d'Or  et  l'Europe 
remonte  assez  loin. 

Le  prince  Henry  de  Portugal,  dit  le  Navigateur,  fut  le  pre- 
mier à  diriger  l'attention  du  côté  de  l'Afrique  occidentale,  et 
sous  ses  auspices,  des  explorateurs  parcoururent  la  côte  jus- 
qu'à Sierra  Leone,  en  1441.  Ce  prince  obtint  du  pape  Martin  V 
la  propriété  de  tous  les  pays  situés  depuis  le  Cap  Mogador  ou 
Souèrà  jusqu'aux  Indes  orientîdes,  mais  à  sa  mort,  en  1463, 
on  ne  voit  pas  que  les  explorateurs  se  soient  avancés  plus 
loin  que  Sierra  Leone. 

Le  roi  Jean  de  Portugal  envoya  en  1481  Don  Diego  d'Asam- 
liuya  avec  la  mission  d'explorer  les  pays  plus  au  sud.  Il 
emmenait  avec  lui  700  hommes;  abordant  à  Elmina,  il  y  bâtit 
le  fort  Saint-Georges,  en  dépit  de  la  violente  opposition  des 
indigènes  et,  malgré  les  lièvres  et  les  maladies  nombreuses 
qui  décimaient  ses  équipages,  il  resta  jusqu'à  l'achèvement 
complet  de  son  entreprise. 

La  découverte  de  l'Amérique  par  C.  Colomb  et  le  commen- 
cement de  la  traite  des  esclaves  sur  la  côte  occidentale  d'Afri- 
que attirèrent  d'autres  nations  sur  les  côtes  de  Guinée.  Les 
Hollandais  formèrent  des  établissements  sur  divers  points, 
notamment  à  Monrœ,  puis  en  1037,  ils  chassèrent  les  Portu- 
gais d'Elmina  et  conservèrent  cette  possession  jusqu'en  1872. 

Puisque  nous  parlons  d'Elmina,  permettez-moi  de  vous 
dire  que  M.  Moynier,  dans  son  journal  l'Afrique  explorée  et 
civilisée,  a  bien  voulu  otïrir  riiospilalité  de  ses  colonnes  à  une 
petite  e.squisse  que  je  lui  adressais  sur  cette  ville. 

Le  Pays  des  Achantis,  qui  est  sans  contredit  le  plus  grand 
et  le  plus  riche  royaume  de  l'Afrique  occidentale,  s'étend  au 
nord  de  la  Côte  d'Or,  entre  le  pays  d'Assinie  à  l'ouest,  le 
Volta  à  l'est,  et  le  Prah  qui  le  sépare  au  sud  du  Protectorat. 
Les  montagnes  de  Kong  forment  sa  limite  N.  Les  Acliantis, 
en  parlant  de  leur  pays  distinguent  entre  l'Achanti-Pa  ou  le 
Pays  d'Achanli  proprement  dit,  les  provinces  et  les  États 
tributaires. 


52  BULLETIN. 

L'AcImiUi-Pa  ou  le  Pays  des  Aclianlis  proprement  dit,  se 
divise  à  son  tour  eu  petits  arrondissements  ou  départements 
dont  les  principaux  sont  ceux  de  :  Atchoma,  au  centre,  avec 
('oiim-issie,  capitale  du  l'oyaume.  Le  pays  est  ainsi  nommé  de 
la  terre  rouge  qui  foriue  le  sol  et  qui,  dans  la  langue  du  pays, 
a  nom  atchoma. 

Adanse,  au  sud.  capitale  Fammanali,  ville  oii  fut  signé,  le 
l;i  février  1874,1e  traité  de  paix  entre  l'Angleterre  et  l'Aclianti, 
liailé  i-édigé  par  sir  G'  Wolseley. 

Amanse,  capitale  Bekwae,  au  sud-ouest. 

Kwabini,  capitale  Mampouten,  à  l'ouest. 

Nsùtà,  au  nord,  avec  une  capitale  du  même  nom. 

Séhjwé,  capitale  Dwaben,  à  l'est,  et  enfin  Kokofii  au  sud-est, 
avec  un  chef-lieu  du  même  nom. 

11  me  semble  utile  de  vous  dire  ici  quelle  est  l'origine  des 
deux  mots  Achauti  et  Fauti,  telle  que  la  tradition  s'en  con- 
serve aussi  bien  à  Coumassie  que  dans  les  pays  du  Protectorat 
anglais,  et  qui  remonte  à  une  époque  très  reculée. 

Étant  en  guerre  et  à  court  de  vivres,  les  uns  mangeaient 
une  f  acine  nommée  chan  et  les  autres  une  racine  nom- 
mée fan.  De  là  les  noms  d'Achanti  et  Fanti,  mangeurs  de 
chaii'  et  mangeurs  de  fan.  La  lettre  A  du  mot  Achanli  n'est 
qu'une  lettre  préfixe. 

L'origine  proprement  dite  de  l'Aclianti  n'a  jamais  été  net- 
tement définie,  mais  la  version  qui  me  paraîtrait  la  meilleure 
serait  celle-ci  :  Quand  les  mahométans  furent  chassés  de 
l'Europe  occidentale  et  que  les  chrétiens  affirmèrent  leur 
supériorité  en  Europe,  les  Maures  tournèrent  le  (lot  envahis- 
.sant  de  leurs  armées  vers  l'Afrique  centrale  et  sur  les  bords 
de  ce  Qiiorra  ou  Niger,  si  longtemps  mystérieux,  ils  établi- 
rent le  siège  de  leur  puissant  empire  à  Tombouclou. 

Ils  avancèrent,  étapes  par  étapes,  jusqu'aux  montagnes  de 
Kong,  chassant  devant  eux  la  race  aborigène  de  l'Afrique 
centrale,  et  quand  ils  l'eurent  refoulée  dans  les  pays  bas 
situés  entre  celte  chaîne  de  montagnes  et  la  mer,  ils  allèrent 
fonder  le  royaume  de  Gaman. 

Le  Gaman,  dont  la  capitale  est  Buntùkù,  est  à  10  journées 
de  marche  environ  au  nord-ouest  de  Coumassie,  sur  les 
bords  de  la  rivière. 


PKOCÈS-VERBAUX.  53 

Ce  dislricl  est  situé  au  pied  des  monts  de  Kong  et  est  pres- 
que entièrement  peuplé  de  nialiométans.  Il  est  très  liche  en 
mines  d'or. 

Tracer  l'histoire  de  l'Achanti  dans  le  principe  serait  une 
tâche  difficile,  sinon  impossible,  car  les  Achantis  s'imaginent 
que  c'est  mettre  en  danger  la  vie  du  roi  que  de  parler  de  son 
prédécesseur  ou  de  demander  quel  sera  son  successeur;  la 
superstition  et  la  pohlique  donnent  une  nouvelle  force  à  ce 
préjugé  et  c'est,  d'après  la  loi,  un  crime  capital  de  s'entrete- 
nir de  ces  deux  points.  Si  l'on  réfléchit  que  les  habitants  du 
pays  n'ont  point  la  coutume  de  calculer  le  temps,  on  ne  doit 
pas  être  surpris  de  manquer  de  renseignements  positifs  et 
complets  sur  l'histoire  de  ce  peuple. 

Les  premiers  blancs  qui  cherchèrent  des  renseignements 
sur  la  géographie  et  l'histoire  des  différents  peuples  de  l'inié- 
rieur  de  l'Afrique  eurent  tous  à  réprimer  leur  curiosité,  de 
crainte  de  donner  du  poids  aux  insinuations  calomnieuses 
dont  ils  étaient  l'objet  de  la  pai't  des  nègres. 

Bowdich,  dans  sa  relation  d'ambassade  au  royaume  achanli, 
va  jusqu'à  dire  que  les  mahométans  qui  viennent  dans  les 
marchés  mettent  tout  en  œuvi-e  pour  confirmer  les  habi- 
tants d'Achanti  dans  l'idée  qu'ils  étaient  venus  dans  leui-  pays 
comme  espions. 

Du  reste,  les  alarmes  et  la  jalousie  que  ces  voyageurs  inspi- 
raient, dictaient  celte  conduite  aux  Achantis,  et  ce  n'est 
qu'après  un  long  commerce  avec  les  Européens  que  leur 
confiance  revint. 

jMais  toujours  l'incapacité  des  nègres  plutôt  que  leur  mau- 
vaise volonté,  empêcha  d'obtenir  des  informations  complètes 
et  les  renseignements  font  presqueabsolument  défaut  jusqu'au 
XYi[[rae  siècle.  Ce  n'est  qu'à  l'année  1700  qu'on  peut  réelle- 
ment faire  commencer  la  période  connue. 

A  celte  époque  la  capitale  de  l'Achanti  était  Béka  ou  Bek- 
wae,  ville  située  à  60  milles  sud  de  Coumassie,  mais  le 
monanjue  régnant  à  celte  époque,  Osai  Tutu  transféra  à 
Coumassie  la  capitale  de  son  royaume. 

Je  vous  tracerai  à  grands  li-aits  Thistoire  de  ce  souverain, 
car  c'est  sous  son  règne  que  le  royaume  achanli  se  forma,  si 
je  puis  m'exprimer  ainsi. 


54  lU'LLETIN. 

Dès  son  arrivée  ;iii  Irùne,  Osai  Tiilii  coiniuit  ou  rendit  lii- 
Itutaires  les  pays  (rAJviin-Assiii-Qualioii,  Akeya,  et  étendit  ses 
conquêtes  jusqu'au  delà  du  Meuve  Tando,  puis  tournant  ses 
armes  victorieuses  contre  le  royaume  de  Gaman,  s'empara 
de  Buntuku  et  rendit  également  ce  pays  tributaire  de  son 
royaume.  Il  conquit  ensuite  Banna  et  une  partie  des  monta- 
gnes de  Kong,  puis  bientôt  après  Tuffel,  Wassaw  et  Fanti 
furent  ses  vassaux.  Denkera  seul  restait  indépendant  et  son 
jeune  roi  Bosiante  était  considéré  comme  l'égal  du  puissant 
Osai  Tutu. 

Mais,  c'est  ici  le  cas  de  dire  avec  le  i)on  La  Fontaine  : 

Deux  coqs  vivaient  en  paix,  une  poule  survint 
Et  voilà  la  guerre  allumée. 

Suivant  une  vieille  coutume^  le  roi  de  Denkera  envoya  en 
1719  une  ambassade  à  la  cour  de  Coumassie;  elle  se  compo- 
sait des  plus  belles  femmes  de  son  barem,  car,  dans  ces  pays, 
le  beau  sexe  est  souvent  employé  dans  les  relations  diploma- 
tiques. L'ambassade  fut  accueillie  avec  la  plus  grande  cour- 
toisie par  Osai  ïulu  qui,  ne  voulant  pas  être  en  retard  de 
politesse,  s'empressa  d'envoyer  à  Denkera  une  ambassade 
également  féminine. 

Parmi  ces  noires  beautés  se  trouvait  une  jeune  parente  du 
roi,  dont  Bosiante  fut  bientôt  amoureux  et  qui  rentra  à  Cou- 
massie avec  des  preuves  apparentes  de  ses  relations  avec  le 
jeune  roi. 

Osai  Tutu  jura  de  laver  son  désbonneur  dans  le  sang,  et  la 
gueri'e  fut  déclarée.  Elle  dura  deux  ans.  En  1720.  au  plus 
fort  des  hostilités,  Bosiante  mourut.  Son  successeur,  Intun 
Daban,  fit  alliance  avec  les  Hollandais  ([ui  lui  fournirent  des 
armes  et  des  munitions,  et  il  persuada  Akim  qui  jusqu'alors 
avait  été  jaloux  de  la  prospérité  de  Denkera  de  se  joindre  à 
lui  contre  l'ennemi  commun. 

Osai  Tutu  battit  les  alliés  dans  deux  grandes  batailles  où 
Denkera  perdit  100,000  hommes  et  Akim  30,000.  On  ouvrit 
alors  la  tombe  du  coupable  Bosiante,  on  exbuma  son  cadavre 
pour  le  donner  en  pâture  aux  serpents  fétiches  et  aujourd'liui 
encore,  le  tamboui"  de  guerre  du  roi  des  Acbanlis  porte  sus- 
pendus comme  trophées  le  ciàne  et  le  fémur  du  roi  trop 
amoureux. 


PROCÈS- VERBAUX.  55 

Vers  Tannée  1730,  à  son  retour  d'une  expédition  contre 
les  gens  d'Akim,  Osai  Tutu  tomba  dans  une  embuscade  tan- 
dis qu'il  passait  le  Prali,  en  rentrant  dans  sa  capitale.  L'endroit 
où  il  mourut  a  nom  Gormantee.  Il  laissait  un  empire  qui 
s'étendait  depuis  Assinie  jusqu'au  Volta.  et  des  montagnes  de 
Kong  jusqu'au  rivage  de  la  mer.  Son  successeur  vengea  bra- 
vement sa  mort  et  la  mémoire  d'Osai  Tutu  se  conserve  dans 
le  serment  le  plus  terrible  de  l'Achanti  :  «  Memenda  Gor- 
mantee! ■>  (Par  Samedi  et  Gormantee!) 

Nous  voyons  alors  venir  quelques  rois  qui  complètent 
et  consolident  les  conquêtes  de  leur  prédécesseur  Osai  Tutu, 
mais  dont  l'bistoire  reste  sans  faits  saillants. 

A  l'arrivée  au  trône  d'Osai  Tutu  Quaminah  en  1799  com- 
mencent les  relations  politiques  entre  l'Acbanti  et  l'Angle- 
terre et  cà  partir  du  XIX"^  siècle,  ces  relations  deviennent 
trop  étroites  pour  qu'on  puisse  les  séparer.  Il  ne  m'est  plus 
possible  de  vous  en  faire  l'historique,  et  si  j'ai  attiré  quelques 
moments  votre  attention  sur  ce  dernier  sujet,  c'est  surtout 
pour  vous  montrer  que,  quoique  barbare,  l'Achanti  a  son 
histoire  et  sa  politique. 

Je  me  propose  maintenant  de  vous  dire  quelques  mots  sur 
les  Achantis,  les  productions  de  leur  pays  et  la  langue  qu'ils 
parlent. 

Les  Achantis  s'adonnent  au  commerce  et  le  font  avec  intel- 
ligence; ils  sont  petits,  généralement  maigres  et  osseux;  fins, 
actifs,  sobres,  guerriers,  mais  ignorants,  ils  sont  très  supei"- 
stiiieux  et  on  peut  leur  reprocher  une  assez  grande  malpro- 
preté. Le  roi  et  les  grands  chefs  étalent  dans  les  grandes 
occasions  un  luxe  à  demi  barbare,  mais  magnifique;  on  les 
voit  revêtus  de  vêtements  de  soie  et  portant  au  côté  un  glaive 
à  poignée  d'or  massif. 

Leurs  principales  industries  sont  la  fabrication  d'objets  en 
or,  en  fer,  la  poterie  et  le  tissage  de  la  soie. 

Leur  position  géogi-aphique  qui  les  exclut  des  bords  de 
l'Océan  ne  leur  permet  pas  d'écouler  les  produits  de  leurs 
manufactures  quand  le  territoire  protégé  par  l'Angleterre 
leur  est  fermé,  mais  ils  négocient  néanmoins  avec  les  cara- 
vanes qui  se  rendent  à  Tombouctou  à  travers  le  désert,  et  de 
cette  façon  quelques-uns  de  leurs  produits  arrivent  jusqu'aux 
rivages  lointains  de  la  Méditerranée. 


56  lU'LLlCTIN. 

L;i  nature  s'est  [ilii  à  enrichir  le  sol  de  rAclianti,  non  seu- 
lement d'nne  ni,tgni(i(iue  végétation  et  d'une  merveilleuse 
fertilité,  mais  elle  y  a  placé  de  nombreux  et  précieux  miné- 
raux. Les  luisseaux  et  les  rivières  qui  sillonnent  cette  vaste 
contrée  ne  sont  pas  seulement  la  cause  de  ses  richesses 
végétales,  ils  sont  encore  appelés  à  faciliter  toute  espèce 
d'industrie,  l'industrie  minière  surtout,  lorsque  la  civilisation 
européenne  se  sei-a  substituée  à  l'étal  primitif  où  ce  pays  est 
encoi-e  plongé. 

En  outre  de  l'or  et  du  fer  que  l'on  trouve  en  abondance 
sur  toute  l'étendue  du  tei-ritoire,  l'Achanti  contient  un  grand 
nombre  d'autres  minéraux.  Parmi  les  sources  qui  y  abondent, 
un  grand  nombre  sont  minérales,  et  mériteraient  une  étude 
particulière.  Les  eaux  qui  entourent  Coumassie,  par  exemple, 
ont  la  singulière  pi'opriélé  de  rendre  noir  comme  de  l'ébène 
tout  bois  qu'on  y  fait  séjourner  quelque  temps,  surtout  quand 
il  s'agit  de  bois  tendre. 

Voilà  un  sujet  d'études  qui  amènerait  certainement  à  d'in- 
téressantes découvertes. 

Tous  ceux  qui  connaissent  la  richesse  de  ces  contrées  peu- 
vent à  bon  droit  s'étonner  de  voir  la  masse  des  émigrants 
eui'opéens  se  presser  pour  aller  chercher  de  Por  en  Amérique 
et  en  Australie,  tandis  qu'aucun  d'eux  ne  se  dirige  vers  les 
riches  mines  que  renferme  le  pays  qui  en  somme  a  mérité 
le  surnom  de  Côte  d'Or. 

La  cause  de  cette  désertion,  m'a-t-on  objecté,  viendrait  de 
ce  que  Tor  en  arrive  en  poudre  au  lieu  d'y  venir  en  pépites 
et  en  lingots. 

Erreur  capitale!  Dans  l'Aclianti  on  trouve  Tor  en  pépites 
et  en  lingots  comme  partout  ailleurs. 

Les  forêts  renferment  en  grande  quantité  des  bois  de  tein- 
ture, de  construction  et  d'ébénisterie  des  plus  belles  essences 
et  des  plus  variées;  parmi  les  plus  importantes,  je  pourrais 
vous  citer  le  cèdre,  l'ébène,  l'acajou,  l'odum,  le  teck,  le  cous- 
siawa.  Ce  dernier  est  un  bois  de  couleur  jaune  safran. 

On  y  rencontre  en  outre  un  grand  nombre  de  variétés  de 
bois  produisant  la  gomme  (gommes  blancbes  et  gommes 
jaunes  magnifiques).  La  gomme  copal  s'y  trouve  ainsi  que  la 
gulta-percha. 


PROCÈS- VERBAUX.  57 

Il  me  reste  à  vous  parler  d'un  arbre  assez  comparable  à 
notre  cbêne  d'Europe,  pour  l'aspect  du  moins,  car  sa  taille 
reste  toujours  assez  petite.  C'est  l'arbre  qui  donne  ce  curieux 
produit:  le  beurre  végétal  ;  ses  fruits  ressemblent  assez  à  de 
petits  marrons  dépouillés  de  leur  coque  épineuse  et  sont  for- 
més comme  eux  d'une  amande  et  de  leur  enveloppe.  Les 
indigènes  les  récoltent,  puis  ils  broient  toutes  les  amandes  de 
façon  à  former  une  sorte  de  pâte  qui  est  ensuite  jetée  dans 
une  marmite  pleine  d'eau;  le  beurre  vient  nager  à  la  surface; 
on  le  recueille  alors  et,  le  laissant  refroidir^  on  le  dispose  en 
pains  qu'on  entoure  de  feuilles  mainteimes  à  l'aide  de  liens 
quelconques.  Ce  beurre  se  conserve  indéfiniment  et  ne  s'al- 
tère ni  au  contact  de  l'air  ni  à  celui  de  l'bumidité.  C'est  une 
production  précieuse  qui  ne  réclame  pas  de  grands  frais  de 
préparation,  une  simple  marmite  suffit. 

Je  n'ai  nullement  l'intention  de  proclamer  la  supériorité 
du  beurre  végétal  sur  les  beurres  de  la  Suisse  ou  ceux  de  la 
Normandie,  mais  dans  un  pays  comme  l'Acbanti,  où  nous 
vivons  assurément  beaucoup  plus  de  privations  que  de  tout 
autre  chose,  je  dois  dire  qu'il  est  souvent  très  agréable  d'avoir 
ce  produit  pouraccommoder  les  mets  exotiques  qui  font  la  base 
de  la  nourriture,  tels  que  les  patates,  l'igname,  etc.,  etc. 

Le  gibier  de  toute  sorte  abonde  partout  et  le  naturaliste 
engagé  dans  ce  pays  ne  trouverait  pas  seulement  sa  satisfac- 
tion dans  la  poursuite  des  mammifères,  il  y  rencontreiait 
aussi  les  plus  belles  espèces  d'oiseaux  aux  couleurs  les  plus 
riches  et  les  plus  variées.  Je  ne  parle  pas  des  reptiles,  qui 
sont  représentés  par  une  variété  plus  nombreuse  qu'agréable. 
L'Acbanti  possède  un  petit  lac  de  25  à  28  milles  de  circon- 
férence, qui  a  nom  Bossomtc/iué.  Il  est  situé  à  environ  50  kilo- 
mètres au  sud  de  Coumassie  et  est  un  des  plus  grands  fétiches 
du  pays.  On  en  retire  une  grande  quantité  de  poissons  (jui 
sont  fumés  sur  ses  bords,  enveloppés  dans  des  feuilles  sèches 
de  plantain,  puis  expédiés  dans  toutes  les  parties  de  l'Acbanti. 
C'est  donc  l'objet  d'un  grand  commerce,  même  avec  certaines 
provinces  du  Dahomey  voisines  de  TAchanti. 

Je  dois  aussi  vous  parler  de  deux  sources  d'immenses 
richesses  pour  l'Acbanti  :  la  noix  de  Calla  et  le  plantanier. 
La  noix  de  Calla  (en  achanli  Bessé),  est  un  fruit  rouge  qui, 


58  BULLETIN. 

ainsi  ([uc  le  fruil  de  l'arhre  à  beurre,  ressemble  à  une  cbà- 
laigne.  On  le  recueille  par  huit  ou  dix  dans  une  capsule  de  la 
grosseur  d'un  concombre,  sur  un  arbre  que  l'on  trouve  en 
grande  quantité  dans  les  endroits  bien  arrosés  ou  maréca- 
geux. 

Les  Achantis  font  un  immense  commerce  de  ce  fruit  avec 
l'intérieur.  Après  l'avoir  cueilli  et  séparé  de  ses  enveloppes, 
on  remballe  dans  de  larges  feuilles  qui  le  conservent  aussi 
frais  que  possible  et  on  l'expédie  à  Salaga,  où  il  est  acheté 
par  les  caravanes  qui  se  dirigent  de  là  sur  tous  les  points  de 
l'Afrique. 

Le  Bessé  a  la  propriété,  comme  le  Coca  du  Pérou,  de  don- 
ner des  forces  à  ceux  qui  le  mâchent  et  de  leur  permettre  de 
faire  de  longues  routes  et  de  supporter  de  grandes  fatigues 
sans  boire  ni  manger. 

Le  plantanier  qui  ne  demande,  comme  l'arbre  à  noix  de 
Calla,  aucune  cultui'e,  fournit  en  tout  temps  aux  Achantis 
une  nourriture  saine,  abondante  et  délicieuse.  Son  fruil  res- 
semble à  une  grosse  banane  et  on  le  mange  soit  bouilli,  soit 
rôti.  Les  feuilles  de  l'arbuste  ont  la  singulière  propriété  de 
mettre  absolument  à  l'abri  des  rats  tout  objet  ou  toute  pro- 
vision dont  on  les  entoure;  de  la  pelure  brûlée  du  fruit,  on 
recueille  une  sorte  de  potasse  dont  les  indigènes  font  un  savon 
assez  estimé. 

Je  ne  veux  pas  entier  dans  le  long  détail  de  toutes  les  pro- 
ductions du  pays,  mais  je  dois  vous  faire  une  courte  descrip- 
tion des  produits  principaux  qui  se  trouvent  sur  tous  les 
marchés  de  l'intérieur. 

Les  objets  en  vente  sont  du  bœuf  et  du  mouton  coupés 
par  petites  tranches  pour  faire  la  soupe,  du  sanglier,  du  daim, 
des  poulets,  de  la  chair  de  singe,  de  l'igname,  des  bananes, 
des  cannes  à  sucre,  du  riz  ;  de  Vencrouma,  plante  potagère, 
mucilagineuse,  semblable  à  l'asperge;  du  poivre,  du  beurre 
végétal,  des  oranges,  des  ananas,  mangots,  goyaves,  papayes, 
i\e>  citrons,  etc.,  etc.  Enfin  du  poisson  sec  et  du  poisson  salé, 
de  gros  escargots  sèches  à  la  fumée  et  collés  symétriquement 
sur  de  petits  bâtons,  du  vin  de  palmier,  des  pipes,  des  san- 
dales, des  calebasses,  puis  quelques  menus  objets  de  prove- 
nance européenne. 


PROCÈS-VERBAUX.  59 

Les  Achanlis  ne  font  cPautre  culture  que  celle  des  ignames. 
Ils  les  plantent  invariablement  fin  décembre  et  les  recueillent 
les  premiers  jours  de  septembre  :  c'est  la  seule  culture  faite 
avec  régularilé  et  symétrie;  tout  autour  de  la  plantation  règne 
une  large  allée,  et  dans  une  cabane  demeure  un  esclave  avec 
sa  famille,  pour  empêcber  toute  déprédation. 

Tous  les  fruits  qui  se  vendent  au  marcbé  sont  naturels  au 
pays  et  croissent  en  abondance.  Les  oranges  sont  fort  grosses 
et  d'un  goût  absolument  exquis.  L'ananas  et  mille  autres 
fruits  délicieux  se  donnent  à  des  prix  qui  feraient  rêver  tou- 
les  les  ménagères  qui  se  complaisent  à  la  fabrication  des 
confitures. 

Je  n'ai  jamais  vu  de  cocos  dans  les  marchés  de  l'intérieur; 
sur  la  côte  ils  sont  estimés. 

Vous  menlionnerai-je  les  différents  dialectes  parlés,  soit 
dans  l'Achanti,  soit  sur  la  Côte  d'Or?  Ce  serait  une  étude 
trop  longue  et  je  me  bornerai  à  vous  dire  quelques  mots  de 
la  langue  mère,  c'est-à-dire  du  Tchij  parlé  communément 
dans  les  pays  de  la  Côte  d'Or,  entre  les  rivières  Assinie  et 
Tanno  à  l'ouest  et  le  Volta  à  l'est,  et  depuis  le  rivage  de  la 
mer  jusqu'au  cours  supérieur  du  Voila  vers  les  montagnes 
de  Kong  au  nord. 

Les  dialectes  du  langage  ne  présentent  pas  une  grande 
différence  entre  eux  et  peuvent  être  ainsi  énumérés  : 

1°  VAkân,  le  plus  pur  des  différents  dialectes. 

2°  Le  Brôn  ou  Kâmanâ,  parlé  au  nord  et  à  l'est;  et 

3°  Le  Fanii,  qui  se  parle  dans  les  différentes  tribus  du  lit- 
toral. 

Les  Achantis  font  beaucoup  de  gestes  en  parlant.  Leurs 
indexions  de  voix  font  de  leurs  discours  une  sorte  de  récita- 
tif. En  prononçant  le  même  mot,  ils  varient  fort  souvent  de 
ton,  parce  qu'ayant  plusieurs  significations,  ils  le  prononcent 
suivant  le  sens  qu'ils  veulent  lui  donner. 

L'art  oratoire  est  plus  cultivé  dans  l'Achanti  que  dans  les 
contrées  qui  l'avoisinent,  aussi  la  langue  de  ce  pays  peut-elle 
être  considérée  co[nme  le  dialecte  allique  l'était  en  Grèce. 
L'oreille  est  frappée  de  son  euphonie,  comparativement  aux 
antres  idiomes,  ce  qui  doit  être  attribué  au  fiéquent  emploi 
des  voyelles  et  à  la  rareté  des  aspirations. 


00  BULLETIN. 

On  ne  trouve  diiis  la  lini^iK'  Tclii  que  peu  de  con.joncliniis, 
encore  moins  d'adverbes  el  les  prépositions  manciuenf  ;  elles 
sont  remplacées  par  des  noms  ou  des  verbes.  Pour  dii-e  par 
exemple  :  «  Il  a  coupé  une  brancbe  avec  une  bâche  »  les 
Acbantis  diront  :  «  Odé  adnre  twa  dubâ,  »  ce  qui,  traduit  mot 
à  mot,  signifie  :  «  Il  tient  une  liaclie,  coupe  la  branche.  » 

Je  pourrais  vous  citer  bien  d'autres  exemples,  mais  ne 
voidant  pas  abuser  de  votre  attention,  je  me  hâterai  de  citer 
quelques  proverbes  locaux  parmi  ceux  très  nombreux  qui 
sont  fort  en  usage  dans  l'Achanti;  il  en  est  qui  ont  absolu- 
ment le  même  sens  que  nos  proverbes,  ainsi  : 

Le  paresseux  dit:  demain  je  ferai  cela.  «  Onihafo  se  :  oky- 
éna  meye.  » 

Un  mot  est  comme  un  oiseau,  il  s'envole.  «  As'emtè  se 
anoma  enkyé-lù.  » 

Un  homme  a  deux  oreilles,  mais  il  n'entend  qu'un  mot. 
«  Asô  si  abien'  na  enté  nsém  abien.  » 
Et  tant  d'autres: 

Un  enfant  brise  un  escargot,  mais  ne  brise  pas  une  tortue. 
Celui  qu'un  serpent  a  mordu  a  peur  d'un  ver. 
Etc.,  etc. 

De  même  que  les  langues  de  l'Amérique,  la  langue  Tchi 
abonde  en  figures  hyperboliques  et  pittoresques.  Un  roi  de 
l'intérieur,  dans  les  Étals  duquel  les  Achantis  menaçaient 
depuis  longtemps  de  faire  invasion,  envoya  à  Coumassie 
quarante  vases  d'huile  de  palmier  en  leur  faisant  dire  qu'il 
craignait  qu'ils  n'en  trouvassent  pas  le  chemin  et  qu'il  leur 
envoyait  de  l'huile  pour  les  éclairer. 

Sur  divers  points  de  la  côte,  notamment  à  Accra,  au  lieu 
de  vous  souhaiter  une  bonne  nuit,  on  vous  dit  :  «  Que  le 
soleil  te  trouve  bien  après  ton  repos.» 

La  poésie  des  indigènes  consiste  en  chants  très  courts, 
différant  suivant  l'impression  qui  les  leur  dicte.  Tous  ces 
chants  sont,  ou  furent,  dans  l'origine  des  improvisations  ;  ce 
qu'ils  veulent  dii-e  est  plutôt  indiqué  qu'exprimé. 

Je  puis  vous  en  citer  un  entre  autres  qui  avertit  les  filles 
qui  vont  se  marier  loin  de  leur  pays  de  ne  pas  oublier  leur 
famille  : 

Adwô'è!  Woko  aware  anima  n'tem!  ô! 
Wo  abusùa  awie  sa  ô  !  Adwô'è  ! 


PROCÈS-VERBAUX.  61 

Ce  qui  veut  dire  :  0  Adyowa  !  Tu  es  partie  pour  te  marier 
et  lu  n'es  pas  revenue  de  longtemps;  la  famille  a  disparu  par 
la  mort!  0  Adyowa! 

Le  chant  n'est  en  somme  qu'une  espèce  de  récitatif. 

C'est  la  seule  partie  de  la  musique  à  laquelle  les  femmes 
prennent  part. 

Elles  forment  les  chœurs  et  aux  funérailles  d'une  femme 
elles  entonnent  elles-mêmes  le  ciiant  funèbie. 

Je  vous  citerai  une  autre  chanson  achantie  assez  longue  et 
remarquable. 

Les  hommes  sont  assis  d'un  côté  sur  une  rangée  avec  leurs 
instruments  de  musique  ;  les  femmes  sont  placées  en  face,  et 
un  homme  et  une  femme  chantent  alternativement  : 

Une  fkmme. 
Mon  mari  m'aime  trop,  il  est  bon  pour  moi  ;  mais  je  ne 
puis  l'aimer.  Il  faut  que  j'écoute  mon  amant. 

Un  homme. 
Ma  femme  ne  me  plaît  point;  je  suis  las  d'elle;  j'en  choisi- 
rai une  autre  qui  est  fort  jolie. 

La  femme. 
Mon  amant  me  tente  par  de  douces  paroles;  mais  mon 
mari  me  traite  toujours  bien  :  ainsi  donc  je  dois  l'aimer  et  lui 
rester  fidèle. 

L'homme. 
Jeune  fille,  vous  êtes  plus  johe  que  ma  femme;  mais  je 
ne  puis  vous  donner  ce  nom  :  une  femme  ne  veut  plaire  qu'à 
son  mari  ;  quand  je  vous  quitte,  vous  cherchez  à  plaire  à 
d'autres. 

Il  est  impossible  de  lire  cette  chanson  sans  se  souvenir  de 
la  charmante  ode  d'Horace  :  Donec  gratus  eram  tibi  (livre  3, 
ode  ix). 

La  musique  sauvage  de  ces  peuples  ne  peut  se  juger 
d'après  les  règles  ordinaires  de  l'harmonie  ;  cependant  leurs 
airs  sont  doux  et  animés.  Leurs  instruments,  pris  séparément, 
ne  rendent  pas  des  sons  très  mélodieux,  mais  plusieurs,  com- 
binés ensemble,  produisent  quelquefois  un  elTet  surprenant. 
Leui-  flûte  est  faite  avec  un  long  roseau  creux,  percé  en  trois 
endroits.  Les  tons  en  sont  toujours  bas,  mais  quand  plusieurs 


62 


BULLETIN. 


musiciens  jouent  en  môme  temps,  ils  savent  en  graduer  les 
sons  d'une  manière  agréable.  Inutile  de  dire  que  la  plupart 
(lu  temps  c'est  le  hasard  seul  qui  préside  à  l'accord. 

Essayer  (le  convainci'e  un  noirfjii'il  ne  joue  pas  un  tel  jour 
le  même  air  qu'il  a  joué  la  veille  est  peine  perdue,  et  il  répon- 
dra invariablement:  «Je  touche  la  même  corde,  je  dois  pro- 
duire le  même  son.  » 

Le  sanko  est  leur  instrument  favori;  le  corps  en  est  étroil. 
il  est  en  bois  creux^  couvert  par-dessus  d'une  peau  d'alligator. 
Un  chevalet  s'élève  cà  l'un  des  bouts  et  il  en  par-t  huit  cordes, 
faites  des  jets  d'un  arbre  nommé  enta,  qui  vont  joindre  un 
long  manche  garni  d'entailles  profondes  dans  lesquelles  ils 
les  font  entrer  pour  en  baisser  ou  en  hausser  le  ton,  suivant 
l'occasion. 

La  corne  est  celui  de  leurs  instruments  qui  produit  les  sons 
les  plus  forts.  Il  est  en  général  fort  grand  et  fait  d'une  défense 
d'éléphant;  les  cors  de  chaque  chef  ont  un  air  parliculier  et 
que  tous  les  soldats  reconnaissent  de  très  loin. 

V oumpoukoua  est  un  instrument  sur  lequel  on  frappe  for- 
tement avec  le  pouce  et  qui  leur  l'emplace  le  tambour  de 
basque. 

Leurs  auti'es  instruments  de  musique  méritent  à  peine  ce 
nom.  Ce  sont  des  tambours,  des  gonggongs,  des  castagnettes 
et  même  de  vieilles  casseroles. 

Les  gonggongs  sont  en  fer  creux,  on  les  frappe  avec  des 
baguettes  de  même  métal  ;  les  castagnettes  sont  également 
en  fer. 

Je  prononçais  il  y  a  quelques  instants,  en  vous  citant  une 
chanson,  un  nom  de  jeune  fdle,  «  Adyowa,  »  et  il  me  paraît 
bon  de  vous  dire  quel  est  le  système  en  usage  pour  nommer 
les  enfants.  Il  est  très  simple,  car  en  règle  générale,  il  se 
l'appoi'le  au  nom  du  jour  où  l'enfant  est  né. 
Masculin  Féminin 


Kwasi 

Akosua 

Kwàsi(ia 

Dimanche. 

Kwadwo 

Adwowa 

Dsvoda 

Lundi. 

Kwabena 

A  béna 

Bênàda 

Mardi. 

Kwàlfii 

Aloia 

Wùkùda 

Mercredi. 

Yaw 

Yà 

Yaw'da 

Jeudi. 

Kofi 

Aùia 

Fida 

Vendredi. 

Kwamé 

Am'ma 

Memmemda 

Samedi. 

PROCES-VERBAUX. 


63 


Viennent 

ensuite  les  noms 

donnés  suivant  le  nombre 

d'enfants. 

Masculin.                    Fémiain. 

Mensà 

Mânsà 

le  S"»  enfant. 

Anam 

Mânan 

le  4"«     < 

Ason 

Ason 

le  7™«     « 

Botwè 

Boswè 

le  8-=     « 

Akron 

Nkrômma 

le  e™"     « 

Bâdù 

Baduwa 

le  10™°    « 

Ata 

Atawa 

jumeaux. 

Tawia 

Tawiâ 

né  après  deux  jumeaux. 

Vous  voyez  que  la  méthode  est  simple  et  n'a  pas  demandé 
beaucoup  de  frais  d'imagination  à  ses  auteurs  ;  je  la  recom- 
mande aux  parrains  qui,  désireux  d'abdiquer  leurs  fonctions, 
chercheraient  un  nouveau  système  de  patronimie. 

Les  anciens  Égyptiens,  Babyloniens,  Indiens,  donnaient 
aux  sept  jours  de  la  semaine  le  nom  d'un  dieu  ;  les  Achantis 
leur  ont  donné  le  nom  d'un  génie  ou  d'un  fétiche,  ce  qui 
revient  absolument  au  même.  Les  plus  honorés  étaient 
Ayisi,  Adwô,  Bènà,  Wukù,  Yaw',  Afi,  Amén,  ils  ont  été  choisis. 

Vous  dire  les  noms  de  tous  leurs  dieux,  fétiches,  amulettes, 
talismans,  serait  vous  faire  une  longue  énumération  de  mots 
plus  ou  moins  barbares,  car  j'en  connais  pour  ma  part  plus 
de  deux  ou  trois  cents, 

La  plupart  des  fétiches  sont  conservés  dans  les  maisons 
pour  la  guérison  des  maladies,  l'éloignement  des  serpents  et 
surtout  la  crainte  du  poison;  pour  cette  dernière  cause,  je 
pourrais  vous  citer  au  moins  quinze  ou  vingt  fétiches  qui 
sont  l'objet  d'une  vénération  égale  à  la  peur  qu'ils  ont  d'être 
empoisonnés. 

Je  dois  dire  comment  les  Achantis  expliquent  l'origine  du 
monde  et  reconnaissent  qu'ils  sont  inférieurs  aux  Européens. 
Au  commencement  du  monde,  Dieu  créa  trois  hommes  blancs, 
trois  hommes  noirs  et  autant  de  femmes.  Pour  qu'ils  ne  pus- 
sent se  plaindre  dans  la  suite,  il  leur  donna  le  choix  du  bien 
et  du  mal  et  mit  sur  la  terre  une  grande  calebasse  et  un 
morceau  de  papier  cacheté  d'un  C(Mé.  Dieu  dit  aux  noirs  de 
choisir  les  premiers.  Ils  prirent  la  calebasse,  croyant  qu'elle 
contenait  toutes  choses;  mais  en  l'ouvrant  ils  n'y  virent  qu'un 


64  BULLETIN. 

iiiucceau  d'or,  un  morceau  de  fer  et  plusieurs  autres  métaux 
dont  ils  ne  connaissaient  pas  l'usage.  Les  blancs  ouvrirent  le 
papier  cpii  leur  appi'it  toutes  choses  au  monde.  Dieu  laissa 
les  noirs  dans  les  t)ois,  mais  conduisit  les  blancs  sur  le  bord 
de  la  mer  (car  ceci  se  passait  en  Afrique)  et  leur  apprit  à 
construire  un  petit  vaisseau  qui  les  transporta  dans  un  autre 
pays,  d'où  ils  revinrent  longtemps  après  avec  dilTérentes 
maicbandises  pour  trafiquer  avec  les  noirs,  qui  auraient  pu 
être  le  peuple  supérieur  si  au  lieu  de  choisir  la  calebasse  ils 
eussent  pris  le  papier. 

Avant  de  terminer  ce  court  exposé,  je  dois  vous  parler  un 
peu  du  gouvernement  despotique  auquel  l'Achanti  est  soumis 
et  d'où  provient  le  sacrifice  d'un  grand  nombre  d'hommes  à 
des  moments  déterminés. 

Un  voyageur  pris  d'affection  et  de  bonne  tendresse,  enfin 
pris  d'une  belle  amitié  pour  un  monarque  noir,  me  disait  : 
«  Mais  les  exécutions  ne  s'appliquent  qu'à  des  gens  bien  et 
dûment  condamnés  à  moi't.  » 

Il  n'en  est  malheureusement  rien  et  la  cruauté  froide  qu'on 
reproche  au  peuple  achanti  comme  aux  habitants  du  Daho- 
mey est  parfaitement  vraie. 

Mon  contradicteur  ne  savait  probablement  pas  pour  quels 
motifs  futiles  on  coupe  la  tête  à  un  homme.  Je  vais  vous  en 
donner  un  exemple  : 

Pour  avoir  laissé  tomber  une  goutte  d'huile  dans  la  rue,  la 
tête  doit  tomber  à  la  même  place;  de  même  si  on  brise  un 
œuf. 

On  ne  doit  fumer  avec  aucune  pipe  européenne  dans  la 
rue  et  on  ne  doit  en  porter  aucune  dans  un  paquet. 

On  doit  se  sauver  et  se  cacher  à  tous  les  veux  lorsque  les 
femmes  du  roi  allant  à  la  promenade,  les  eunuques  font 
entendre  le  cri  de  Fué,  annonçant  leur  approche. 

Il  est  défendu  de  siffler  avec  la  bouche. 

On  ne  doit  porter  aucune  charge  enveloppée  dans  des 
branches  vertes  de  palmier,  etc.,  etc. 

Bref,  une  quantité  de  lois  semblables  sont  édictées  et  leur 
transgression  est  punie  de  mort. 

Autre  exemple  : 

Comme  dans  tous  les  pays,  il  arrive  dans  l'Achanti  que  la 


PROCÈS- VERBAUX.  65 

justice  est  embarrassée  et  ne  peut  se  prononcer,  faute  de 
preuves.  On  a  recours  alors  aux  sortilèges  et  l'accusé  est 
invité  à. jurer  par  le  grand  serment  qu'il  est  innocent;  l'accu- 
sateur remplit  les  formalités  contraires. 

Ils  doivent  alors  le  prouver  par  VOduni.  Pour  cela  on  prend 
un  morceau  de  l'écorce  de  l'arbre  ainsi  appelé  et  on  le  pré- 
sente à  l'accusé  qui  le  màcbe  pendant  un  certain  temps,  puis 
on  lui  donne  une  grande  quantité  d'eau  à  boire.  S'il  ne 
rejette  pas  cette  eau  il  est  déclaré  innocent. 

L'accusateur  est  aussitôt  reconnu  pour  un  imposteur,  un 
calomniateur,  et  aussitôt  mis  aux  fers,  il  ne  tarde  pas  à  être 
décapité.  Et  comment  ces  exécutions  se  font-elles?  Quelques 
exécuteurs  sont  très  adroits  et  la  tête  tombe  souvent  au  pre- 
mier coup  de  couteau,  mais  aussi  l'exécution  est  souvent 
codfiée  à  de  jeunes  bourreaux  qui,  armés  de  couteaux  ordi- 
naires, charcutent  le  cou  de  la  victime  et  mettent  plusieurs 
minutes  à  cette  lugubre  opération. 

Je  ne  vous  parlerai  pas  des  condamnés  à  mort  pour  meur- 
tre; ils  sont  torturés  pendant  une  journée  entière  avant  d'être 
décapités.  Leur  supplice  dépasse  en  atrocité  tout  ce  que  l'on 
peut  imaginer. 

Viennent  alors  les  sacrifices  faits  à  l'occasion  des  grandes 
fêtes  ou  Coutumes  et  pendant  lesquelles  on  immole  un  nom- 
bre plus  ou  moins  grand  de  victimes  humaines.  Elles  sont 
choisies  parmi  les  prisonniers  de  guerre,  mais  à  leur  défaut 
les  premiers  venus  sont  bons. 

A  ce  propos,  je  dois  vous  citer  les  paroles  du  roi  Osai  Tutu 
Quannuhah  à  M.  Dupuis,  envoyé  anglais  à  Coumassie,  qui  lui 
faisait  des  remontrances  pour  avoir,  de  sang-froid,  fait  mettre 
à  movl  10,000  prisonniers.  Le  monarque  africain  lui  répondit: 

«  J'ai  combattu  avec  Denkera,  j'ai  pris  son  or  et  j'ai  amené 
plus  de  20,000  esclaves  à  Coumassie.  Qudlques-uns  ne  valaient 
rien,  j'ai  lavé  mon  trône  dans  leur  sang;  quelques-uns  étaient 
forts,  je  les  ai  vendus  ou  donnés  à  mes  capitaines.  Que  pou- 
vais-je  faire?  Si  je  ne  les  tue  pas,  ils  deviendront  puissants 
dans  mon  royaume  et  tueront  mon  peuple.  « 

Vous  voyez  par  là  à  quoi  tient  la  vie  d'un  homme!  Espé- 
rons (|ue  ces  exécutions  deviendront  de  plus  en  plus  rares  à 
mesure  que  les  mœurs  s'adouciront  et  que  tous,  missionnaires 

LE    GLOBE,    T.    XXIII,    1884.  5 


66  BULLETIN. 

religieux,  scienlifKiues  ou  autres,  nous  aucons  pu  répandre 
les  semences  de  la  civilisation  dans  ce  sol  si  souvent  arrosé 
de  sang  humain. 

Vous  aurez  pu  vous  étonner,  Messieurs,  que  jusqu'ici  je  ne 
vous  aie  parlé  d'aucune  des  aventures  qui  généralement  vien- 
nent placer  une  note  gaie,  mais  triste  quelquefois,  dans  la  vie  de 
l'explorateur  et  dans  le  récit  de  ses  voyages,  mais  je  suis  peu 
partisan  de  ces  narrations.  En  effet,  la  vie  en  Afrique  comme 
je  dirai  partout  ailleurs,  otïre  ce  que  les  uns  appellent  des 
difficultés  et  que  d'autres  appellent  dangers;  j'estime  à  l)on 
droit,  je  le  crois,  que  ces  difficultés  ou  ces  dangers  existent 
partout  ou  nulle  part,  et  pour  me  servir  de  l'expression  de 
M.  Cil.  Wiener,  notre  explorateur  de  l'Amérique  équatoriale: 
on  meurt  ou  l'on  ne  meurt  pas,  voiLà  tout! 

Eh  bien!  partant  de  ce  principe  et  me  laissant  guider  par 
lui,  j'ai  simplement  fait  mon  possible  pour  ne  pas  me  laisser 
arrêter  par  les  difficultés  qui  pouvaient  s'élever  sur  ma  route 
el,  avec  un  peu  d'énergie,  ce  résultat  est  facile  à  obtenir. 

Mon  but,  vous  le  connaissez,  il  est,  tout  en  faisant  de  l'ex- 
ploration proprement  dite,  de  faire  du  commerce  avec  les 
indigènes,  car  j'ai  toujours  cru  el  je  croirai  toujours  que  le 
commerce  est  le  plus  grand  agent  de  civilisation. 

Permettez-moi,  Messieurs,  devons  remercier  de  la  bienveil- 
lante attention  que  vous  m'avez  accordée  et,  en  terminant, 
laissez-moi  vous  rappeler,  sans  tristesse,  le  souvenir  de  tous 
ceux  qui  ont  été  mes  prédécesseurs  sur  la  Côte  de  Guinée,  les 
Bonnat,  les  Muzy,  les  Brun  et  en  dernier  lieu  un  de  vos  com- 
patriotes, Ch.-A.  Veuve,  mon  compagnon  de  voyage. 

Le  président  remercie  M.  Prost  de  sa  communication. 

M.  de  Seyff  demande  si  les  soldats  achanlis  de  l'armée  des 
Indes  hollandaises,  dont  plusieurs  ont  servi  avec  distinction, 
ne  pourraient  pas  être  employés  à  l'exploration  de  l'intérieur. 
Aux  Indes  ils  étaient  très  disciplinés,  fournissaient  des  senti- 
nelles précieuses;  ceux  qui  y  sont  reslés  ont  épousé  des  fem- 
mes malaies;  leurs  descendants  placés  dans  des  écoles  de 
bataillon  ont  donné  de  bons  sous-officiers.  En  général  ils 
s'acclimataient  facilement,  même  dans  les  endroits  les  moins 
salubres. 


PROCÈS-VERBAUX.  fil 

M.  Prosl  connaît  très  hien  ces  solrhits  arlianlis  liollindai-, 
retraités  à  Elmina,  où  ils  habiteiit  uu  (iiiai'tier  spécial,  le  quar- 
tier (lit  de  Java.  Ils  y  forment  une  véritable  aggloméi'ation, 
ayant  son  chef,  qui  prévient  le  consul  de  tout  ce  qui  parait 
louche,  l'informe  des  décès,  des  disputes,  des  vols,  etc.,  bref, 
celte  petite  cité  consei-ve  une  certaine  disciphne  militaire.  En 
l'absence  du  consul,  M.  Pi-ost  a  été  chargé  de  leur  payer  leur 
pension.  Plusieurs  d'entre  eux  poun-aient  être  avantageuse- 
ment employés  pour  explorer  l'intérieur. 

M.  Hornung  demande  si  les  Anglais  n'oni  pas  pu  obtenir  la 
suppression  de  la  grande  Coutume,  et  quelle  est  la  condition 
civile  des  femmes? 

M.  Prosl  répond  que,  loi's  de  la  conclusion  du  traité  de 
Fomanah,  du  13  février  1874,  il  fut  question  de  la  suppres- 
sion des  sacrifices  humains,  dans  les  limites  du  possible,  mais 
l'interprète  employé  dans  les  négociations  —  plus  tard  inter- 
prète de  M.  Prost,  —  leçut  100  livres  sterling  pour  ne  pas 
lire  devant  le  roi  l'article  où  il  était  (juestion  de  cette  sup- 
pression, et  les  cruautés  ont  continué.  —  Quant  à  la  condi- 
tion des  femmes,  les  Achantis  en  emploient  pour  les  mis- 
sions délicates,  parce  qu'ils  les  considèrent  comme  plus 
rusées  que  les  hommes.  Jusqu'à  l'âge  de  huit  ans  les  enfants 
restent  auprès  de  leur  mère,  (]ui  les  soigne  très  tendrement. 

Sur  la  demande  de  M.  Moynier,  M.  Prost  présente  quel- 
ques spécimens,  bagues,  boutons  de  chemises,  fabriqués  à  la 
Côte  d'Or  et  chez  les  Achantis,  et  entre  dans  quelques  détails 
sur  les  procédés  de  fabrication  de  cette  branche  de  l'indus- 
trie achantie. 

M.  Aloïs  Humbert  s'informe  de  la  manièi-e  de  voyager  et 
de  la  position  des  Européens  dans  l'Achanti. 

M.  Prost  répond  (]ue  l'on  voyage  en  hamac,  porté  par  qua- 
tre hommes  qui  peuvent  faire  70  kilomètres,  sans  fatigue.  Le 
climat  est  malsain  à  la  côte, mais  on  pourrait  établir  un  sani- 
tarium  du  côté  du  Volta, navigable  en  bateau  à  hélicejusqu'à 
Aguana  ;  au  delà  on  le  remonte  avec  des  pirogues.  Le  Pr-ah 
est  difficile  à  remonter,  d'ailleurs  ce  fleuve  est  fétiche  et  rem- 
pli d'alligators.  M.  Prost  donne  encore  quelques  renseigne- 
ments sur  l'exploitation  des  mines,  rendue  difficile  par  les  obs- 
tacles que  rencontre  le  transport  des  machines,  de  la  côte  à 


G8  lU'LLKTIN. 

riiitôricur.  Le  clieiniti  de  fer  projeté  le  long  de  la  rivière 
Aiii  (tliia  la  facilitera  beaucoup. 

M.  le  président  remercie  encore  M.  Prost  de  Tohlii^eance 
avec  laquelle  il  a  répondu  aux  questions  (jui  lui  ont  été  posées, 
jiuis  il  lève  la  séance. 


SÉANCE  DU  11  JANVIER  1884. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  et  adopté. 

Le  président  rapporte  que  le  bureau  s'est  occupé  de  la 
question  du  recrutement  de  la  Société,  et  propose  à  cet  effet: 
«  que  la  cotisation  des  membres  soit  réduite  à  10  fr.  pour  les 
hommes  voués  à  l'enseignement  primaire  et  secondaire,  et 
pour  les  jeunes  gens  au-dessous  de  2o  ans;  les  dames  qui 
souscriront  pour  10  fr.  pourront  recevoir  des  livres  de  la  bi- 
bliothèque ».  Adopté.  —  M.  Rocbette,  trésorier,  communique 
que,  pour  diverses  raisons,  le  rapport  financier  a  dû  être 
ajourné,  et  demande  que  la  (jueslion  des  comptes  soit  ren- 
voyée à  une  commission,  pour  laquelle  il  propose  MM,  Massip 
et  Adolphe  de  Morsier.  Adopté.  —  M.  Massip  est  nommé  véri- 
ficateur des  comptes  pour  cette  année. 

On  procède  aux  élections  et  le  bureau  est  constitué  comme 
.su il  : 

MM.  H.  Bouthillier  de  Beaumoni,  Président. 

D'"  Dufresne  et  Marc  Micbeli,  Vice-Présidents. 

Adolpbe  de  IVlorsier,  Secrétaire  général. 

Raoul  Gautier,  Vice-secrétaire. 

G.  Rochette,  Trésorier. 

G.  Moynier,  Conservateur  de  la  Bibliothèque. 

CI).  Faure,  Secrétaire-bibliothécaire. 

Les  commissions  restent  les  mêmes. 

Le  président  rend  compte  des  travaux  géographiques  de 
l'année.  Il  signale  la  satisfaction  des  Sociétés  de  Berne  et  de 
Sainl-Gall,  en  apprenant  de  lui,  que  celle  de  Genève  a  institué 
une  section  de  géograpliie  commerciale,  et  attire  sur  cette 


PROCÈS-VERBAUX.  69 

section,  pour  lui  rendre  vie,  l'altention  des  memltres  df  In 
Société  qui  ne  s'y  sont  pas  rattachés. 

M.  (le  Beaumont  relève  ensuite  l'importance  de  l'expédition 
de  Nordenskiold  pour  l'ésoudre  la  question  du  climat  de  l'inté- 
rieur du  Groenland.  L'explorateur  suédois  pensait  que  les 
glaces  ne  recouvrent  pas  toute  la  surface  de  celte  grande  terre; 
des  obstacles  ne  lui  ont  pas  permis  d'accomplir  la  mission  dont 
il  avait  été  chai-gé  pours'assurer  de  la  réalilé  des  faits.  L'hvpo- 
llièse  des  naturalistes  liasée  surtout  sur  les  migrations  d'oi- 
seaux et  d'animaux  à  l'intérieur  subsiste  donc,  appelant  une 
nouvelle  expédition. 

Le  président  rappelle  la  déception  de  la  Société  privée  de 
la  communication  de  M.  Demafley  sur  son  voyage  au  Niger, 
et  recommande  auxgéologuesde  la  Société  un  cei'tain  nombre 
de  spécimens  de  roches  du  Sénégal  moyen  et  de  la  Palé:)ié, 
donnés  par  M.  Demaffey  à  son  départ  de  Genève.  Il  relève 
les  communications  de  M.  F.  de  Morsier  sur  les  voyages  de 
Prjevalski  au  Thibet,  de  M.Bertrand  sur  le  Cachemii'e,  et  de 
M.  Prosl  sur  l'Achanti  ;  il  s'arrête  à  celle  de  M.  de  SeytT,  du 
26  octobre,  sur  la  catastrophe  du  détroit  de  la  Sonde,  sur  l'ex- 
posé historique  et  géologique  de  M.  de  SeyCf,  sur  la  description 
du  phénomène  du  26  août,  et  sur  l'explication  que  le  conféreu- 
cier  en  a  donnée  ^  M.  de  Beaumont  diffère  d'avis  d'avec  M. 
de  Seyff  en  ce  sens  que  tandis  que  ce  dernier  explique  le  raz 
de  marée  de  la  côte  occidentale  du  Pacifique  et  surtout  celui 
de  l'Atlantique,  par  un  ébranlement  de  la  masse  terrestre, 
transmis  à  travers  notre  globe  tout  entier,  M.  de  Beaumont 
pense  que,  à  l'est  de  Krakatao,  après  les  l)as-fonds  de  l'ar- 
chipel sur  le  bord  desquels  le  raz  de  marée  s'est  fait  sentir, 
la  secousse  est  descendue  dans  les  profondeurs  de  la  mer,  et 
.s'est  transmise  ainsi  à  travers  l'Océan  Pacifique  sur  la  côle 
ouest  de  l'Amérique  du  Suri. 

M.  Dufresne  lemercie  le  Président  de  son  compte  remhi. 
en  particulier  de  l'attention  qu'il  a  vouée  à  la  question  du 
Groenland,  à  l'ordre  du  jour  depuis  les  observations  récentes 
des  naturalistes  américains  sur  le  Gulfstream.  Il  rappelle  le 
changement  de  climat  du  Groenland  et  de  l'Islande,  l'émigia- 

'  Voir  page  o  et  suivantes. 


70  BULLETIN. 

tion  (les  Islandais  au  Bré-^il  d'altonl,  puis  au  Mamioba.  Il  allii-o 
ensuite  rallenlion  tle  la  Société  sur  les  opinions  nouvelles 
relatives  à  la  forme  de  la  terre,  dont  un  des  pôles  serait  plus 
aplati  que  l'autre,  ce  qui  ouvre  des  horizons  nouveaux  pour 
les  éludes  de  la  flore  et  de  la  faune  des  régions  polaires.  Les 
découvertes  géologiques  ont  permis  de  constater  que,  tandis 
que  le  singe  ne  vit  que  dans  des  régions  chaudes,  l'homme 
vit  sous  tous  les  climats,  et  a  même  vécu  à  l'époque  gla- 
ciaire La  théorie  de  Saporta  infirme  celle  de  Cari  Vogt  sur 
la  parenté  du  singe  et  de  l'homme. 

M.  Humbert  demande  en  quoi  les  observations  récentes 
faites  sur  le  Gulfstream  modifient  les  résultats  fournis  par 
Maury,  sur  lesquels  reposent  encore  les  travaux  de  nos  com- 
palrioles,  Pourtalès  et  Alexandre  Agassiz,  et  ceux  du  Coast 
Survey.  Il  ne  pense  pas  que  la  théorie  de  Saporta,  qui  place 
le  lieu  d'origine  de  l'homme  au  pôle,  ait  beaucoup  de  succès. 
Quant  à  l'habitat  du  singe,  l'acclimatation  en  Sibérie  du  tigre 
que  l'on  croyait  ne  pouvoii-  vivre  que  dans  les  pays  chauds, 
montre  que  l'on  ne  peut  pas  affirmei-  d'une  manière  absolue 
que  les  quadrumanes  ne  peuvent  vivre  que  dans  les  régions 
chaudes.  Le  question  de  l'origine  de  l'homme  est  encore 
entourée  de  trop  d'obscurité  pour  que  la  science  puisse  se 
prononcer  entre  les  partisans  de  l'unité  et  ceux  de  la  multi- 
plicité des  espèces.  Les  changements  survenus  dans  la  flore 
et  la  faune  des  régions  polaires,  appartiennent  à  la  géologie, 
et  non  à  la  géographie  qui  doit  s'occuper  surtout  delà  surface 
du  globe  terrestre.  En  terminant.  M.  Humbeit  relève  les  ser- 
vices rendus  à  la  géologie  et  à  l'élude  des  l'égions  polaires 
par  Oswald  Heer  récemment  décédé. 

M.  le  professeur  Thury  rectifie  Topinion  qui  attribue  à  Cari 
Vogt  l'idée  de  Torigine  simienne  de  l'homme.  D'après  ce 
naturaliste  le  singe  et  l'homme  ont  une  origine  commune, 
mais  le  dernier  ne  dérive  pas  du  singe. 

M.  de  Beaumont  croit  devoir  relever  l'opinion  émise  par 
AL  Humbert  et  rattache  intimement  l'étude  de  la  géographie  à 
celle  de  la  géologie,  qui  lui  est  d'un  grand  secours  pour  l'in- 
telligence des  foi-mes  de  la  surface  tenestre,  de  la  formation 
des  continents,  de  leur  flore  et  de  leui-  faune  actuelles. 

M.  Dufresne  est  du  même  avis,  et  d'après  Oswald  Heer,  il 


PROCÈS- VERBAUX.  71 

fait  rentrer  l'Iiisloire  de  la  migration  des  plantes  dans  l'étude 
de  la  géographie. 

M.  de  Seytî complète  sa  communication  du  26  octobre  par 
les  renseignements  nouveaux  reçus  depuis  qu'il  en  a  fait 
lecture.  M.  de  Lesseps  a  rapporté  à  l'Académie  des  sciences, 
que  des  ingénieurs  ont  i-essenti  à  Colon  et  à  Suez  un  raz  de 
marée  analogue  à  celui  de  Krakatao.  Il  rappelle  que  le  raz  de 
marée  du  détroit  de  la  Sonde  n'ayant  pas  dépassé  à  l'est 
l'archipel  néei'landais,  mais  s'élant  fait  sentir  à  Colon,  la 
vague  du  Pacifique  et  à  bien  plus  forte  raison  celle  de  l'At- 
lantique, n'ont  pu  à  son  avis  être  causées  que  par  l'ébranle- 
ment vertical  agissant  au  travers  de  la  masse  teiTestre.  En 
réponse  à  une  demande  de  M.  de  Beaumont:  comment  il 
explique  le  passage  de  la  foi'ce  par  le  centre  de  la  terre,  M. 
de  SeylT  entre  dans  des  détails  sur  l'action  des  forces  hori- 
zontale et  verticale,  d'où  il  déduit  que  celte  dernière  doit 
avoir  produit  une  vibration  qui  a  ébianlé  la  masse  liquide 
des  antipodes  de  Java,  et  causé  aussi  la  vague  du  Pacifique. 
Il  ajoute  que  deux  grandes  baies  ont  été  remplies  de  pierres 
ponces  au  point  qu'un  navire  de  secours  a  été  pris  comme 
dans  des  glaces.  Il  attire  encore  l'attention  de  la  Société  sur 
la  carte  publiée  dans  le  dernier  numéro  des  Verhandlungen 
de  Berlin,  meilleure  que  celles  qui  ont  paru  précédemment. 
D'après  cette  carte,  k  l'endroit  où  était  naguère  le  cratère  de 
Krakatao,  existe  aujourd'hui  une  profondeur  insondable  et 
les  îles  nouvelles  ont  une  forme  analogue  à  celle  de  Banda 
dans  l'archipel  des  Molluques. 

M.  Thury  explique  (jue  les  raz  de  marée  peuvent  être  dus 
à  des  causes  très  diverses:  à  un  déplacement  d'eau,  aune 
pression  barométrique,  à  un  ébranlement  de  l'écorce  terres- 
tre. Il  faut  distinguer  la  force  de  pression  d'avec  les  forces 
dynamiques.  Les  raz  de  marée  du  Pacifique  et  de  fAtlnn- 
lique  peuvent  avoir  été  causés  par  une  vibration  de  Técorce 
terrestre. 

M.  de  Seyff  admet  que  cette  vibration  s'est  produite  à  tra- 
vers la  terre. 

M.  de  Beaumont  ne  saurait  admettre  une  secousse  donnée 
sur  un  point  de  la  terre  se  répercutant  seulement  aux  anti- 
podes contre  le  sol  du  fond  de  la  mei"  et  ne  produisant  pas 


72  lU'LI.ETIN. 

un   effet  circulaire    sur   l'Océan  comme  effet    liydcodyna- 
mique. 
La  séance  est  levée. 


SEANCE  DU  2o  JANVIER  1884. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthiluer  de  Beaumont. 

Le  procès- verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  et  adopté. 

Le  président  présente  comme  membre  effectif  M.  Henri 
Vaucher  qui  est  admis  à  l'unanimité.  Il  rappelle  la  souscrip- 
tion ouverte  pour  acquérir  certains  ouvrages,  cartes, 
plans,  etc.,  de  feu  M.  Albert  Petitpierre.  Puis  il  dépose  sur  la 
table  une  carte  du  Congo  jusqu'à  l'Equateur,  dressée  à  la 
boussole  par  les  agents  de  l'Association  inlernat^onale  du 
Congo,  et  qu'il  a  reçue  de  Bruxelles,  ainsi  qu'une  lettre  de 
M.  Strauch,  secrétaire  général  de  l'Association,  il  rapporte 
encore  avoir  reçu  de  M,  F.  Berton,  de  San-Francisco,  une 
coupure  de  journal  relative  à  un  tremblement  de  terre 
accompagné  d'un  raz  de  marée  dans  l'Alaska.  L'article  étant 
en  anglais,  M.  Ad.  de  Morsiei-,  secrétaire  général,  le  traduii'a 
pour  la  procliaine  séance  (voir  p.  81). 

M.  Massip  communique  le  l'ésultat  auquel  est  arrivée  la 
Commission  nommée  dans  la  précédente  séance  poui-  exami- 
ner la  question  des  finances.  Elle  a  ti-ouvé  les  écriluies  par- 
faitement en  règle.  La  balance  au  31  décembre  solde  par  un 
déficit'de  i24  francs  35  cent.,  mais  comme  plusieurs  articles 
concernant  les  années  1882  et  1884  ont  dû  être  passés 
en  1883,  la  Commission  propose  d'ajournei'  le  règlement  au 
30  septembre  procliain,  et  d'arrêter  dorénavent  le  bilan  à 
cette  date.  A  ce  moment  toutes  les  cotisations  de  l'année 
courante  étant  rentrées,  et  toutes  les  notes  payées,  il  n'y 
aura  plus  d'écritures  clievaucbant  d'une  année  sur  l'autre,  et 
l'on  pourra  facilement  établir  une  position  claire  et  vraie,  ce 
qui  n'est  pas  le  cas  au  31  décembre.  Adopté,  avec  remercie- 
ments à  la  Commission. 

Avant  la  communication  de  M.  Ad.  Gautier,  M.  Faure 
demande  à  ajouter  quelques  mots  sur  la  carte  déposée  par 


PROCÈS-VERBAUX.  73 

M.  le  président,  et  dont  l'envoi,  après  le  long  silence  de 
l'Association  internationale  africaine,  lui  paraît  un  signe  de 
vie  d'un  heureux  augure.  Alors  même  qu'elle  n'est  accompa- 
gnée d'aucun  rapport  sur  les  travaux  des  agents  de  rAssf»cia- 
tion,  elle  témoigne  d'une  activité  considérable  de  leur  part. 
En  effet,  elle  révèle  la  création  d'une  douzaine  de  stations  au 
moins,  le  long  du  Congo:  la  plus  en  amont,  sous  l'Équaleur, 
deux  nouvelles  à  Stanley-Pool,  outi-e  l'ancienne  de  Léopold- 
ville,  et,  chose  assez  digne  d'attention,  deux  en  aval  de  Yivi, 
naguère  encore  la  première  à  partir  de  l'embouchure  du 
Congo;  ces  deux  dernières  sont  situées  juste  vis-à-vis  l'une 
de  l'autre,  sur  les  deux  rives  du  fleuve,  comme  pour  en  g;ir- 
der  l'entrée.  Un  nombre  à  peu  près  égal  de  stations  ont  été 
fondées  dans  la  vallée  du  Niari,  découverte  par  S.  de  Brazza, 
comme  la  voie  la  plus  courte  pour  parvenir  de  l'Atlantiipie  à 
Stanley-Pool.  Ici  encore  deux  de  ces  stations  sont  établies  à 
l'embouchure  de  la  rivière,  d'autres  le  long  de  son  cours  infé- 
rieur, en  aval  et  en  amont  des  chutes  de  Ngoton  et  de 
Mayombé,  puis  sur  le  cours  moyen  Jusqu'au  point  où  cesse  la 
navigation,  le  plus  près  possible  de  Stanley-Pool. Sur  les  deux 
flancs  de  cette  série  de  stations,  dont  les  noms  rappellent 
ceux  des  membres  de  la  maison  royale  de  Belgique  et  celui 
de  Stanley,  se  trouve  une  ligne  de  postes,  vraisemblablement 
destinés  à  en  assui-erla  possession  à  l'Association.  Quant  aux 
noms  des  explorateurs  envoyés  [)our  reconnaître  celte 
région  et  pour  y  fonder  les  stations,  à  leurs  découvertes  et  à 
leurs  travaux,  jusqu'ici  le  pul»lic  les  ignore.  Tout  ce  que  l'on 
sait,  c'est  que  Vivi,  Isanghila,  Baynerville  et  Stanley-Pool 
occupent  sur  la  carte  une  position  déterminée  par  des  obser- 
vations astronomiques;  la  situation  des  autres  n'est  que  pro- 
visoire, la  détermination  n'ayant  pu  en  être  faite  qu'à  la 
boussole. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  Adolphe  Gautier,  pour 
une  communication  sur 

U  Exposition  cartographique  de  Zurich. 

Cette  exposition,  intéressante  pour  tous  les  géographes, 
était  remarquable   par  une  granjile  abondance  de  cartes; 


74  BULLETIN. 

M  Gautier  a  pu  s'en  procurer  un  certain  nombre  qui  ornent 
la  salle,  et  permettent  (.le  parcourir  toule  l'histoire  de  la  car- 
t(),u^ra[iliie  suisse,  depuis  la  carte  la  plus  ancienne  jusqu'aux 
plus  modernes,  de  Dufour  et  de  Siegfried. 

La  science  cartographique  est  relativement  moderne;  les 
anciens,  dans  leur  indiflérence  pour  celte  élude,  n'avanl  guère 
produit  que  des  dessins  assez  infoi-mes,  témoin  la  cai'le  de 
Peulinger  ri95  à  211  ans  ap.  J.-C.j. 

Le  moyen  âge  ne  fournit  rien.  Jusqu'à  la  Renaissance,  où 
la  Suisse  fut  un  des  premiers  pays  à  s'occuper  de  cartogra- 
phie. On  peut  même  dire  que  c'est  un  art  suisse,  et  qu'il  a 
é'é  cultivé  dans  notre  pairie  plus  qu'ailleurs,  ce  qui  s'expli- 
(jue  par  le  fait  que  notre  pays  est  petit,  montagneux,  et  que 
l'homme  est  porté  à  dessiner  ce  qu'il  a  devant  lui. 

Conrad  Tûrst,  savant  médecin  zuricois,  fut  le  premier  à 
dessiner  une  carte,  dite  le  Tableau  chorographique,  destiné  à 
accompagner  sa  Descriptio  de  situ  Confœderatorum,  et  que  la 
Société  helvétique  d'histoire  va  faire  publier.  Il  est  vrai  de 
dire  que  c'est  encore  l'enfance  de  l'art  et  que  la  carte  n'est 
pas  complète. 

La  première  carte  complète  de  la  Suisse  fui  celle  que 
dressa  le  savant  chroniqueur  glaronnais  Egidius  Tschudi 
(I.iOo-lST^).  et  que  publia  en  1338,  à  l'insu  de  l'auteur, 
Sébastien  Munster.  Aujourd'hui  on  n'en  connaît  pas  un  seul 
exemplaire.  Deux  ans  plus  tard,  une  seconde  édition,  sembla- 
ble à  la  première,  sauf  un  cadre  de  plus,  en  fut  faite,  et  iM.le 
D""  Sieber,  bibliothécaire  de  l'Université  de  Bàle,  en  a  trouvé 
un  exemplaire,  dit  l'Unicum,  dont  il  a  bien  voulu  autorisei- 
en  1882  la  reproduction  photographique  réduite  en  quatre 
feuilles,  pai'  M.  Rod.WoltT.pour  la  session  des  Sociétés  suisses 
de  géographie,  à  Genève,  et  en  1883,  la  reproduction  de  la 
même  grandeur  que  l'original,  parle  procédé  phololithogra- 
phique,  pour  l'Exposition  nationale  de  Zurich.  M.  Gautier  en 
présente  la  feuille  qui  contient  les  cantons  de  Zurich  el  de 
Thurgovie.  il  en  fait  ressortir  la  position  exacte  des  lieux,  la 
forme  défectueuse  des  lacs,  l'exagération  dans  la  largeur  des 
rivières,  le  de.ssin  des  montagnes  qui  rappelle  les  foui-mi- 
lière^. 

Après  la  carte  de  Tschudi,  parurent  les  travaux  de  Sébas- 


PROCÈS-VERBAUX.  75 

lien  Munster  (1489-15S2),  entre  autres  un  allas  complet,  dont 
les  cartes  rappellent  le  geni-e  de  Tschudi,  mais  les  propor- 
tions n'en  sont  pas  exactes.  En  revanche,  son  plan  de  Bâle  a 
une  échelle  plus  grande,  et  l'exactitude  des  dimensions 
montre  que  les  travaux  pour  le  dresser  ont  été  faits  avec 
intelligence. 

Dans  la  carte  de  la  Rhétie  de  Guler  (1S62-I637),  les  mon- 
tagnes et  les  lacs  sont  défectueux. 

Dans  l'ouvrage  de  Stumpf  (1350-1566),  les  cartes  ont 
encore  le  nord  en  bas;  la  forme  des  lacs  est  très  fantaisiste; 
mais  le  grand  nombre  des  cartes  de  détail  et  d'ensemble  lui 
donne  du  prix,  et  pour  l'élude  de  l'histoire,  sa  division  des 
Gauen  (Aargau,  Zurichgau,  Thurgau,  etc.)  et  la  délimitation 
précise  de  leurs  limites,  lui  assignent  une  certaine  valeur. 

Merian  (1654),  graveur  de  mérite,  se  distingua  par  ses 
plans  remarquables,  dont  la  carte  de  Muos  (1698)  donna  une 
i-éduction.  Sa  carie  indique  un  progrès  dans  le  bassin  des 
montagnes  et  des  lacs,  plus  exact  que  celui  de  ses  prédéces- 
seurs. 

Léopold  Cysat,  secrétaire  d'État  de  la  république  de 
Lucerne,  pril,  pour  sa  carte,  le  milieu  entre  la  carie  et  le 
panorama,  aussi  l'exactitude  topographique  laisse-t-elle  à 
désirer. 

La  fin  du  XVh^siècle  vil  naîlre  Conrad  Gyger  (1599),  Zuri- 
cois,peintre  sur  verre,  qui  devança  de  beaucoup  son  temps  par 
sa  carte  de  Suisse,  dont  celle  de  Muos  est  une  î-eproduction. 
Toutefois  son  chef-d'œuvre  est  la  carte  du  canton  de  Zurich, 
qui  révèle  un  talent  exti-aordinaire;  elle  a  loul  l'attrait  d'un 
véritable  tableau.  L'exactitude  en  est  remarquable,  le  relief 
frappant;  les  cultures,  les  forêts,  les  vignes  y  sont  indiquées. 
Dans  la  session  de  l'Association  des  Sociétés  suisses  de  géo- 
graphie, à  Zurich,  le  colonel  Meister  a  exprimé  le  regret  que 
les  cartes  actuelles  soient  dressées  trop  exclusivement  au 
point  de  vue  mathématique,  et  que  le  côté  pittoresque,  tel 
qu'il  existe  dans  la  carte  de  Gyger,  soit  fort  négligé.  Henri 
Kellei-,  cependant,  avait  commencé  par  en  dresser  d'après 
nature;  on  pouvait  y  reconnaître  les  églises,  les  châteaux, 
les  villages,  etr. 

J.-J.  Scbeuchzer  (1712),  savant  zuricois  de  premier  ordre, 


7G  BULLETIN. 

dressa  avec  son  frère  une  carte  en  quatre  feuilles,  à  beau- 
coup plus  grande  échelle,  mais  moins  exacte,  il  reconnaît 
que  les  inexacliludes  proviennent  du  manque  d'ime  bonne 
triangidalion.  Aussi  fut-ce  à  son  instigation  que  l'on  com- 
mença à  mesurer  des  triangles,  d'abord  très  approximatifs, 
c'est  vi-ai,  mais  les  panoramas  et  les  reliefs  vinrent  au 
secours  de  la  cartogra[thie. 

Un  des  premiers  panoramas  fut  celui  que  J.-B.  Miciieli 
dressa  pendant  sa  captivité  dans  la  citadelle  d'Aarbourg;  il 
servit  de  point  de  départ  pour  les  opérations  ultérieures  de 
triangulation. 

Quant  aux  reliefs,  l'idée  n'en  pouvait  venir  que  dans  un 
pays  de  montagnes,  lin  des  plus  fameux  est  celui  du  lac  des 
Quatie-Cantons,  exécuté  par  le  général  PfvfTer,  et  exposé 
dans  le  Jardin  des  glaciers,  à  Lucerne.  Malgré  son  grand  âge, 
Pfyffer  courut  les  montagnes  jusqu'à  plus  de  quatre-vingts 
ans,  dessinant  et  prenant  des  croquis  pour  modeler  ensuite 
son  reliefen  cire,surdes  carrés  de  bois  assemblés  plus  tard, et 
dont  quelques-uns  sont  restés  inachevés.  Parmi  ses  imitateurs, 
M.  Séné,  l'auteur  du  l'elief  du  Mont-Blanc,  a  produit,  presque 
sans  instruments  et  sans  opérations  mathématiques,  une  œu- 
vi-e  remarquable  au  point  de  vue  de  l'arl. 

Les  premiers  travaux  de  triangulation  furent  faits  pour  la 
Suisse  romande  et  les  environs  de  Genève,  par  les  Fatio, 
père  et  tîls,dont  la  carte  accompagne  l'histoire  de  Genève  de 
Spon  (1730)  et  par  de  Roverea;  mais  la  cartographie  suisse 
subit  un  temps  d'arrêt  après  la  publication  de  l'Histoire 
d'Appenzell,  par  le  pasteur  Walser,  de  Wolfhalden,  qui 
l'accompagna  d'une  carte  très  mal  faite  (1740),  dans  laquelle 
il  donna  un  panorama  des  Alpes  de  son  canton,  négligeant 
tout  le  reste.  Le  succès  de  cet  ouvrage  fut  si  grand,  que  deux 
éditeurs  allemands  s'adressèrent  à  Walser  pour  avoir  des 
cartes;  il  fit  les  autres  cantons  suisses  et  la  science  recula. 

Les  cartes  des  environs  de  Genève  et  celle  de  la  Suisse 
romande  de  Henri  Mallet  (17SI),  forment  un  contraste  frap- 
pant avec  celles  de  Walser.  Mallet  fit  sa  triangulation  avec  le 
plus  grand  soin,  et  put  donner  un  levé  tellement  exact  que, 
en  1839,  la  carte  du  canton  de  Vaud  n'était  encore  qu'une 
réduction  de  celle  de  Mallet.  La  correction  dans  la  forme  du 


PEOCÈS- VERBAUX.  77 

lac,  clans  le  tracé  des  ruisseaux  et  des  roules,  dans  le  relief 
du  terrain,  en  font  une  carie  de  premier  ordre. 

Déjà  alors,  se  faisaient,  dans  l'Oberland  bernois,  de  séi'ieux 
travaux  de  triangulation. 

Les  gouvernements  cantonaux  intelligents,  et  parmi  eux 
ceux  de  Berne,  de  Soleure  et  de  Zurich,  décidèrent  d'en  faite 
pour  se  relier  avec  ceux  que  des  pailiculiers  exécutaient  en 
Valais  et  à  Fribourg.  Le  professeur  Traites  fut  chargé  des 
mensurations  sur  territoire  bei-nois,  el  Hasler,  de  la  triangu- 
lation zuricoise.  Malheui-eusemenl  l'invasion  de  la  Suisse  par 
les  troupes  de  la  République  française  arrêta  ces  travaux. 
Lorsque  l'orage  révolutionnaire  fut  passé,  on  profila  de  ce 
qui  avait  été  fait  dans  le  genre  des  panoramas  et  des  reliefs, 
ainsi  que  des  idées  nouvelles  el  des  systèmes  perfectionnés 
d'ombres  et  de  hachures. 

Weiss  et  Meyer  (178(1-1802),  produisirent  une  carte  à  plus 
grande  échelle,  dans  laquelle  le  terrain  était  représenté  sous 
une  forme  beaucoup  plus  exacte,  comme  il  est  facile  de  s'en 
convaincre  par  la  place  respective  assignée  aux  lacs  de 
Thoune  et  de  Brienz.  S'd  y  a  dans  les  hautes  Alpes  des 
lacunes, elles  s'expliquent  par  l'impossibilité  où  se  sont  trou- 
vés les  deux  auteurs  de  tout  faire;  néanmoins  le  progrès  est 
très  marqué. 

Beaucoup  de  cartographes  suivirent  les  traces  de  Weiss  et 
de  Meyer.  Oslerwald  (1773-1830)  fil  avec  grand  soin  la  trian- 
gulation de  la  principauté  de  Neuchàlel,  en  prenant  quantité 
de  hauteurs  au  moyen  de  triangles  el  d'observations  baro- 
métriques; plus  tard  sa  carte  fut  gravée,  et  dans  le  dessin  du 
relief,  on  peut  constater  une  exactitude  plus  grande  que  dans 
les  travaux  antérieui-s.  Il  en  est  de  même  pour  la  carie  du 
Jura  bernois  de  Buchwalder  (1792-1883);  aussi, quand  Dufour 
dut  faire  la  carte  de  la  Suisse,  désirant  hâter  son  travail,  il 
.s'abstint  de  faire  le  levé  de  Neuchàlel  et  du  Jura  bernois. 
Il  e.i  résulte  (jue  dans  ces  deux  parties  de  la  carte  Dufour,  il 
y  a,  au  point  de  vue  actuel,  des  inexactitudes  qui  ne  per- 
mettent pas  de  se  servir  de  ces  feuilles  pour  des  travaux 
réclamant  une  grande  précision. 

La  première  carte  de  Henri  Keller  (1778-1862),  si  utile  aux 
toui  isles,  pour  la  facilité  avec  laquelle  .s'en  lisent  tous  les 


78  BULLETIN. 

détails,  fut  nii  événement.  La  deuxième  édition  est  supérieure 
par  un  beaucoup  plus  grand  nombre  de  noms,  et  tous  les 
voyageurs  en  ont  fait  usage. 

Le  besoin  éprouvé  par  les  militaires  d'avoir  de  bonnes 
cartes,  engagea  les  autorités  fédérales  à  en  faire  une,  doni 
fuient  cbar-gés  successivement  MM.  Finsler,  quarlier-maîti e 
général  de  la  Confédération,  puis  ses  successeurs  Wurstem- 
berger  et  Dufour.  Celui-ci.  né  en   178(5,  avant  de  reprendre 
la  mesure  de  la  base  d'Aarberg,  di'essa   aux  frais  de  l'État 
de  Genève,  et.  en  qualité  d'ingénieur  cantonal,  la  carte  du 
canton  au  'Asouo  pour  laquelle  il  adopta  le  système  des 
courbes  de  niveau  à  4"^  d'é(juidislance.  Ces  courbes  existent 
dans  les  minutes  de  la  carte  au  Vizsnoî  ^^^^^  '^  gravure  elles 
furent  remplacées  par  des  bàcliures,  fait  regrettable  au  point 
de  vue  de  l'utilité.  Ce  fut  à  l'occasion  de  la  feuille  17  de  la 
carte  de  la  Suisse,  contenant  la  partie  du  Valais  où  est  Mar- 
tigny,  que  se  posa  le  problème  de  l'éclairage  par  la  lumiéi-e 
veiticale  ou  parla  lumière  oblique,  M.  Wolfsberger  eut  l'idée 
de  l'éclairage  oblique  et  le  proposa  au  général  Dufour  qui 
approuva  ce  système  et  le  fit  adopter  par  la  Commission;  il 
donnait  à  la  carte  plus  de  relief  et  plus  de  clarté.  On  peut 
s'en  convaincre  en  comparant  la  carte  Dufour  avec  celle  de 
l'État-major  français  qui  est  noiie  et  très  peu  lisible.  Toute- 
fois dans  certaines  parties,  les  levés  ont  été  faits  à  vue,  et  les 
courbes  de  niveau  n'ont  pas  été  tracées,  ce  qui  est  regret- 
table, ces  dernières  étant  beaucoup  plus  utiles.  Aussi,  le 
système  des  hachures  est-il  de  plus  en  plus  abandonné.  Dans 
l'atlas  Siegfried  en  546  feuilles,  les  unes  au  V500005  les  autres 
au  725000»  l6s  courbes  sont  à   10"°  en  pays  de  plaine  et  de 
collines,  el  à  30""  dans  les  liantes  montagnes.  Malheureuse- 
ment l'éqiiidistance  n'est  pas  la  même  dans  tous  les  cantons. 
Dans  la  carte  du  canton  de  Genève,  les  courbes  sont  à  4™.  dans 
celles  du  canton  de  Vaud  à  8",  ailleurs  à  lO"",  dans  certains 
cantons  elles  font  défaut.  Ce  manque  d'uniformité  est  une 
complication  pour  la  publication  de  la  carte  Siegfried. 

Aujourd'hui,  pour  les  caries  les  plus  ordinaires,  on  se  sert 
de  courlies  de  niveau,  en  y  ajoutant  des  teintes.  Comme  l'a 
fait  Leuzinger,  cartographe  très  habile,  dans  une  petite  carte 
où  les  montagnes  et  le  relief  sont  admirablement  représen- 
tés, les  courbes  en  sont  à  âoO""  d'équidistance. 


PROCÈS-VKRBAUX.  79 

Avec  les  caiies  Dufour  et  Sie.f^-fried,  dit  M.  Gautier,  la 
Suisse  est  arrivée  à  la  perfection.  Il  fait  ressortir  encore  la 
valeur  qu'a,  pour  la  Société  de  géop:raphie  de  Genève, 
l'exemplaire  de  la  carte  Dufour,  don  du  .i^énéral  qui  en  a 
complété  le  relief  des  quatre  angles,  de  sa  propre  main. 

A  Zurich,  les  plans  n'étaient  pas  rangés  avec  soin  comme 
les  caries,  on  les  trouvait  disséminés  partout;  il  y  en  avait 
d'anciens  et  de  modernes.  M.  Gautier  en  présente  plusieurs, 
entre  autres  tr-ois  :  l'un  de  Zurich  (1576),  l'autre  de 
Lucerne  (1597),  le  troisième  de  Frihourg  (lOOG),  de  Martin 
Martini,  d'un  travail  de  gravure  remarquable.  Un  autre  plan 
de  Lucerne,  en  quatre  feuilles,  est  ti'ès  pittoresque,  il  repose 
sur  un  lever  mathématique.  Henri  Keller,  outre  ses  cartes  et 
ses  panoramas,  a  aussi  fait  de  foi't  jolis  plans  de  Zurich  et  de 
Bâle;  ce  sont  de  petits  chefs-d'œuvre.  Ils  sont  très  utiles 
aujourd'hui  pour  permettre  de  se  rendre  compte  du  déve- 
loppement qu'ont  pris  ces  villes. 

Quant  aux  panoramas,  M.  Gautier  cite  d'abord  les  travaux 
des  Uelkeskampf  (1824),  représentés  par  une  carte  perspec- 
tive de  la  Suisse  en  neuf  feuilles,  destinée  aux  touristes.  C'est 
un  terme  moyen  entre  le  panorama  et  la  carte.  Vinrent 
ensuite  les  vrais  panoramas,  exposés  partout  aujourd'hui,  et 
qui  accompagnent  tous  les  guides  des  touristes. 

La  Société  exprime  par  ses  applaudissements  l'intérêt  avec 
lequel  elle  a  suivi  la  communication  de  M.  Gautier.  Le  prési- 
dent l'en  remercie  et  donne  la  parole  à  M.  le  professeur 
Chaix,  qui  loue  M.  Gautier  d'avoir  si  hien  fait  ressortir  le 
mérite  et  le  grand  nombre  des  travaux  topographiques  qui 
assignent  à  la  Suisse  un  rang  très  honorable.  Elle  a  dû  ses 
travaux  à  l'initiative  des  particuliers.  Jusqu'à  Mallet,  on  peu! 
dire  que  ce  sont  des  travaux  d'intuition,  faits  sans  triangula- 
tion, ce  qui  leur  donne  un  mérite  de  plus.  La  représentation 
attrayante  et  exacte  provient  du  génie  des  cartographes.  En 
dehors  des  travaux  faits  en  Suisse,  M.  Chaix  relève  le  mérite 
des  cartes  hollandaises,  et  celui  de  la  carte  du  général  Bour- 
set,  d'une  partie  du  Dauphiné  et  des  Alpes,  citée  encore 
aujourd'hui  avantageusement. 

Quant  h  la  triangulation,  c'est  aux  Hollandais  que  nous  en 
sommes  redevables.  Ils  ont  donné  beaucoup  de  cartes  d'une 
exactitude  surprenante. 


80  BULLETIN. 

Loi-s  du  Congrès  géographique  de  Venise,  M.  Cliaix  a 
étudié  avec  soin  les  ai'cliives  de  cette  ville,  très  riches  au 
point  de  vue  cartographique,  quoique  les  travaux  des  ingé- 
nieurs vénitiens  ne  reposassent  pas  encore  sur  la  triangula- 
tion; peut-être  étaient-ils  faits  à  la  houssole. 

Comme  carte  contemporaine  de  celle  deïschudi,  M.Chaix 
rappelle  celle  d'Erltenslein,  de  la  Russie,  dans  laquelle,  à 
propos  de  la  faune  russe,  l'auteur  met  dans  la  houche  d'un 
bison  ces  mots  :  Ich  hin  ein  Bison.  La  foi'me  de  la  carte  n'est 
pas  exacte,  mais  M.  Chaix  a  été  frappé  par  certains  détails 
hydrographiques,  entre  autres  par  un  lac  à  deux  émissaires 
dans  le  gouvernement  de  Toula.  On  peut  aussi  y  découvrir 
l'origine  de  certains  noms  russes  :  ainsi  la  Neva  y  sort  d'un 
lac  qui  s'appelait  Neva  et  non  Ladoga. 

.M.  Chaix  relève  le  mérite  des  anciens  cartographes.  La 
caite  de  Peutinger  était  un  tableau  des  routes  de  l'empire.  La 
feuille  de  la  Numidie  et  de  l'Afrique,  entre  autres,  indiquant, 
en  Géiulie,  des  routes  qui  peut-être  étaient  des  chemins  de 
caravanes.  Strabon  s'attacha,  surtout  pour  la  Grèce,  à  donner 
les  dimensions  des  provinces,  sur  des  bases  qui  ne  sont  point 
trop  mauvaises.  Ptolémée  reproduisit  Marin  de  Tyr,  et  l'on 
peut  construire  une  carte  assez  bonne  d'une  partie  de  l'Afri- 
que, en  suivant  les  indications  des  longitudes  et  des  latitudes 
de  tous  les  lieux  qu'il  place  le  long  de  la  côte  de  la  mer 
Rouge  ;  les  dislances  en  sont  relativement  exactes. 

Le  Président  remercie  M.  Chaix  de  ces  détails  intéressants. 

M,  Walter  signale  à  M.  Gautier  une  carte  entière  de  la 
Suisse,  d'Osterwald,  gravée  à  Paris,  et  publiée  en  1851  par 
les  soins  de  quelques  Neuchàtelois,  amis  de  la  géographie. 

M.  Hornung  rappelle  la  valeur  des  travaux  des  Romains  en 
fait  de  cadastre  et  de  castramétalion,  et  recommande 
l'ouvrage  de  Bureau  de  la  Malle,  sur  l'Économie  politique 
des  Romains. 

M.  Faure  appuie  les  opinions  de  MM.  Chaix  et  Hornung 
sur  le  mérite  des  travaux  cartographiques  des  Romains  qui, 
pour  le  transport  de  leurs  légions,  du  centre  de  l'empire  aux 
extrémités,  avaient  besoin  avant  tout  d'itinéraires  indiquant 
les  distances  des  stations  échelonnées  sur  toutes  les  routes 
qui  partaient  de  Rome  dans  toutes  les  directions.  L'itiné- 
raire d'Antonin  en  est  la  preuve. 


NOUVELLES   GÉOGRAPHIQUES.  81 

Le  Président  r-appelle  que  l'exemplaire  de  la  carie,  donné 
par  le  général  Dufoui'  est  un  des  cinq  qu'il  fil  tirer  ensemlile 
delà  même  œuvre,  l'un  pour  l'empereur  Napoléon  III,  le 
second  pour  le  Conseil  des  Étals,  le  troisième  pour  l'Exposi- 
tion de  Paris,  le  quatrième  pour  la  Société  de  géographie  de 
Genève.  Il  n'avait  pas  de  système  exclusif,  mais  combinait  l'art 
et  les  mathématiques,  la  lumière  oblique  et  la  lumière  verti- 
cale selon  les  parties  de  la  carte.  Personnellement  M.  de  Beau- 
mont  n'est  pas  très  partisan  des  courbes  de  niveau  qui,  quel- 
qu'utiles  qu'elles  puissent  être,  ne  donnent  aucune  jouis- 
sance h  la  vue;  elle  se  lient  avec  une  infinité  de  détails,  et, 
s'il  n'y  a  pas  de  couleurs,  elles  se  confondent  avec  les  rivières. 

M.  Gautier  cite  encore,  comme  chef-d'œuvre  de  cartogra- 
phie, la  carte  du  canton  de  Zurich,  par  Wild,  professeur  au 
Polylechnicum.  Lorsqu'on  s'occupa  des  avant-projets  des 
chemins  de  fer,  Wild  fut  chargé  des  travaux  à  exécuter  dans 
le  canton  de  Zurich,  et  put  faire,  d'après  sa  carte,  tous  ses 
avant-projets,  sauf  ceux  de  la  partie  de  la  vallée  de  la  Thur. 

Le  Président  réitère  à  M.  Gautier  les  remerciements  de  la 
Société,  et  lève  la  séance,  Theure  étant  trop  avancée  pour  la 
communication  de  M.  Faure  sur  le  Soudan  égyptien,  qui  est 
ajournée  au  8  février. 


NOUVELLES   GÉOGRAPHIQUES 


Éruptions  volcanique*^  clans  l'Alaska. 

Extrait  d'un  article  du  journal  Daily  Evening  Bulletin  de 
San  Francisco  du  28  décembre  dernier,  qui  nous  a  été  adressé 
par  M.  le  consul  Berton,  notre  membre  correspondant. 

Il  paraît  que  déjà  dans  le  courant  du  mois  d'août,  on  avait 
aperçu  de  la  fumée  sortant  du  mont  Augustin.  Cette  monta- 
gne est  un  pic  élevé,  situé  au  nord-est  de  l'île  Cherna- 
boura  dans  la  baie  de  Kamischak,  sous  39°  24'  de  latitude 
et  153°  30'  longitude  ouest.  L'île  Cliernaboura,  d'une  largeur 
de  7  à  8  milles,  se  trouve  à  49  milles  à  l'ouest  de  l'élablis- 

LE    OLOBE.    T.    XX  lit.    IP^'^-i .  H 


82  NOUVELLES   GÉOGRAPHIQUES. 

semenl  du  Han-e  anglais,  silué  à  l'entrée  du  brns  de  mer  de 
Cook,  Cook's  Inlet,  côté  est.  Le  0  oclobre,  vers  huit  lieures 
du  matin,  les  pêcheurs  et  colons  de  cet  établissement  enten- 
dirent une  forte  détonation.  Le  temps  était  parfaitement  calme, 
la  brise  légère  du  sud-ouest,  la  marée  à  son  plus  bas;  on 
apercevait  la  côte  opposée,  soit  la  rive  ouest  de  l'entrée  de 
Cook,  distante  de  60  milles.  Au  même  moment  on  vit  une 
épaisse  fumée  s'échapper  du  sommet  du  mont  Augustin  et 
se  dirigiger  au  nord-est  poussée  par  la  brise,  puis,  s'élevant 
peu  cà  peu  et  rencontrant  probablement  un  courant  contraire, 
elle  se  répandit  dans  tout  le  ciel  qu'elle  obscurcit  bientôt  com- 
plètement, et  il  fallut  allumer  les  lampes.  Il  tomba  pendant 
le  jour  environ  4  à  o  pouces  de  cendres  ponceuses. 

Une  demi-heure  après  l'éruption  on  vit  arriver  une  grande 
lame  haute  de  2.t  à  30  pieds,  et  apparaissant  du  rivage  comme 
un  muraille  d'eau.  Elle  emporta  les  bateaux  de  pêche  et 
inonda  les  maisons  ;  si  la  marée  n'eût  pas  été  basse  l'établis- 
sement auiait  certainement  été  détruit,  et  les  habitants  noyés. 
Cette  première  vague  fut  suivie  à  environ  cinq  minutes  d'in- 
tervalle de  deux  autres  hautes  de  lo  cà  18  pieds  et,  pendant 
la  journée,  d'autres  fortes  lames  arrivèrent  dans  le  Havre 
anglais.  Ces  lames  furent  aussi  ressenties  à  Saint-Paul  dans 
l'île  Kodiac. 

La  nuit  on  voit  les  flammes  sortir  du  mont  Augustin,  et  le 
jour  d'épaisses  colonnes  de  fumée;  la  distance,  nous  l'avons 
dit,  est  de  49  milles  (environ  79  kilomètres).  Ordinairement 
le  pic  est  couvert  de  neige,  mais  en  ce  moment  il  en  est  com- 
plètement dépourvu. 

Le  capitaine  Gullie^vec  le  schooner  Kodiac,  de  l'Ile  du  môme 
nom,  s'est  approché  de  Tîle  Chernaboura  le  10  novembre. 
Il  rapporte  que  le  mont  Augustin  a  été  partagé  de  l'est  à 
l'ouest,  que  la  partie  nord  s'est  affaissée  au  niveau  des  ancien- 
nes falaises,  et  que  la  fumée  sort  du  pic  un  peu  au  sud  de 
celte  grande  fracture.  Il  a  fait  la  découverte  extraordinaire 
qu'un  nouvel  ilôt,  haut  de  7o  pieds  environ,  et  d'une  super- 
ficie de  1  Vî  mille,  a  surgi  au  nord-ouest  de  Chernaboura, 
dans  la  passe  profonde  entre  l'île  et  le  continent.  Celte  passe 
d'une  largeur  de  (j  à  8  milles  a  été  visitée  et  décrite  par  Van- 
couver. 

Dans  la  presrju'île  de  l'Alaska    deux    volrans   éleinls^  à 


OUVEAGES   REÇUS.  83 

l'ouest  du  volcan  en  activité  de  Iliamna  haut  de  12,000  pieds, 
se  sont  rallumés,  on  y  voit  des  nuages  de  fumée  pendant  le 
jour,  et  des  jets  de  flammes  la  nuit. 

Un  parti  de  7  à  8  Aleutes  s'était  établi  sur  l'île  Clierna- 
boura  pour  y  chasser,  mais  deux  ou  trois  de  leurs  femmes, 
effrayées  des  bruits  souterrains  du  mont  Augustin,  ne  vou- 
lurent pas  y  rester,  et  furent  transportées  à  Saint-Paul,  dans 
l'île  Kodiac.  Depuis  l'éruption  on  n'a  plus  eu  de  nouvelles  de 
ces  Aleutes,  et  on  ci-aint  qu'ils  n'aient  péii.  A.  de  M, 


-^'\r\.r\J\'\j^j^- 


OUVRAGES  REÇUS 

De  juin  à  décembre  1883. 

PÉRIODIQUES    ET   PUBLICATIONS   DE    SOCIÉTÉS 

Petermann's  3Iittheilungen,  1883,  N<"  6  à  12.  Ergânzungs. 
hefte  N-  72,  73. 

Société  royale  de  géographie  de  Londres.  —  Pi'oceedings 
and  monthly  Record  of  Geography,  1883,  N°'  6  à  12. 

Société  de  géographie  de  Paris.  Compte  rendu  des  séances, 
1883,  N''^  10  à  18.  —  Bulletin  1883,  N°^  1  à  4. 

Société  de  géographie  de  Berlin.  Zeilschrift,  t.  XVIIl, 
1883,  N"^  1  à  S.  —  Verhandlungen,  1883,  t.  X,  N°^  3  à  8. 

Société  de  géograpliie  de  Vienne.  Mittheilungen,  1883, 
t.  XVI,  N°^  o  cà  10. 

Société  impériale  de  géographie  de  Russie.  Bulletin,  1883, 
t.  XIX,  N»^  1  à  3.  —  Compte  rendu,  1882. 

Société  italienn,e  de  géograpliie.  Rome.  Bulletin,  1883, 
t.  XVII,  N"^  6  à  12.—  Indice  générale  délia  Série  I  Anni  1867- 
1875.  Volumi  I  à  XII.  (Don  de  M.  G.  Moynier.) 

Société  de  géographie  de  iMadrid.  Bulletin,  1879,  N»  6, 1883, 
l.  XIV,  N- 3,  5,  G,  LXV,N-1,  2,  3. 

Société  de  géographie  de  Lisbonne.  Bulletin,  1883,3"*  série, 
N"'  10,  11,  12;  4°'^série.  N°  1. —  La  (luestion  du  Zaïre.  Lettre 
à  M.  Behaghel,  par  M.  Luciano  Cordeiio,  Lisbonne,  1883, 
in-8%  9  p.  —  Stanley  flrst  Opinions.  Portugal  and  ihe  slave 
Irade.  Lisbonne,  1883,  in-8°,  9  p.  —  Augusto  Cai-los   da 


84  OUVRAGES    REÇUS. 

Silva.  Expediçao  scientifica  a  Serra  de  Eslralla,  en  1881, 
Lisbonne,  1883,  in-4'',  77  p.  et  carte. 

Société  néerlandaise  de  géographie. Amsterdam,  Tijdsclirift, 
Deel  VII,  N-  3  et  4. 

Société  royale  belge  de  géographie.  Bulletin,  1883,  t.  VII, 
N"^  2  à  S. 

Société  de  géographie  de  Lyon.  Bulletin,  N»  23. —  Procès- 
verbaux  des  séances,  N°^9  et  10. 

Société  géographique  roumaine.  Bucharest,  Bulletin,  1883, 
l"  semestre. 

American  geographical  Society.  Journal,  1881,  t.  XIII,  Bul- 
letin, 1882,  N°  5,  1883,  N»  2, 

Société  de  géographie  commerciale  de  Paris.  Bulletin,  1883, 
l.  V,  N«  3,  t.  VI,  N-  1,  2. 

Société  de  géographie  commerciale  de  Bordeaux.  Bulletin, 
1883,  N"'  11  à  24,  Congrès  national  des  sociétés  fi'ançaises  de 
géographie,  S""  session,  Bordeaux,  1882.  Compte  rendu  des 
travaux  du  Congrès. 

Société  de  géographie  de  Marseille,  Bulletin,  1883,  N°'  4 
à  12. 

Société  languedocienne  de  géographie.  Montpellier,  1882, 
t.V,  N«4.  1883,  t.  IV,N°'^1,2. 

Société  de  géographie  de  Metz,  Jahresi3ericht,  1882. 

Société  de  géographie  du  Nord.  Douai.  Bulletin,  1883, 
N°^  34  à  37. 

Société  de  géographie  de  Lille.  Bulletin,  1883,  N°^  7  à  9. 

Société  de  géographie  de  l'Est.  Nancy.  Bulletin,  1882,  4"* 
trimestre,  1883,  tiimestres  1  et  2. 

Société  normande  de  géographie.  Rouen.  Bulletin,  1882, 
septembre  à  décembre,  1883,  jauvier  à  août. 

Société  de  géographie  de  l'Ain.  Bullelin,  1883,  N»^  2  et  3. 

—  Géogi-aphie  de  l'Ain,  1"  fascicule,  Bourg,  1883,  in-8"j 
192  p. 

Société  de  géographie  de  Rochefort.  Bulletin,  1883,  t.  IV, 
Nos  i  ^  4 — Annuaire  de  la  Société  pour  1883. —  Règlement 
de  la  bibliothèque. 

Société  de  géographie  de  la  province  d'Oran.  Bulletin, 
N-  15,  16,  17. 

Société  de  géogi-aphie  de  la  province  de  Constantine.  Bul- 
letin, N-  1,  2,  5. 


OUVRAGES    REÇUS. 


85 


Société  de  géographie  de  Toulouse.  Bulletin,  1883,  N"''  7 
à  13.  —  Supplément  au  N"  G.  Les  gorges  du  Tarn  entre  les 
grands  Causses,  par  Louis  de  Malafosse. 

Société  de  géographie  d'Anvers.  Bulletin,  1883,  I.  VIII, 
N"'  1,2.  —  Mémoires  t.  II. 

Société  de  géographie  de  Francfort  sur  Mein.  Jahresbe- 
richte,  t.  XLVI-XLVII,  1881-1883.  —  Beitrage  zur  Statistik, 
t.  IV,  N°  2. 

Société  de  géographie  de  Dresde.  XVIII,  XIX,  XX.  Jahres- 

berichte. 

Société  de  géographie  de  Karlsruhe.  Verhandlungen 
1880-1882. 

Société  de  géographie  de  Leipzig.  Mittheilungen,  1882. 

Société  de  géographie  de  Hambourg,  Mittheilungen,  1880, 
NO  2. —  Hambui'gischer  Correspondent  N°  153. 

Société  de  géographie  de  Brème.  Deutsche  geographische 
Blâiter,  1880,'t.  III,  N»"  2,  3,  1883,  t.  VI,  N-  3,  4. 

Société  de  géographie  de  Berne.  Jahresbericht,  1882-1883, 
Mittheilungen,  octobre  1883. 

Société  de  géographie  commerciale  de  la  Suisse  orientale, 
à  Saint-Gall.  Mittheilungen,  1883,  N°^  2  et  3. 

Observatoire  impérial  de  Rio-de-Janeiro.  Bulletin,  1883, 
N"^  3  à  10.— Emm.  Liais.  Annales  de  l'observatoire  impérial 
de  Rio  de  Janeiro,  1. 1,  Rio  de  Janeiro,  1882,  in-4«,  204  p.  illust. 

Société  khédiviale  de  géographie.  Le  Caire.  Bulletin, 
2"^  série,  N»  4. 

L'Echo  des  Alpes.  Publication  des  sections  romandes  du 
Club  alpin  suisse,  1883,  N»«  2,  et  3. 

Meteorological  Society.  Quarterly  Journal,  avril,  juillet, 
octobre.  —  Note  on  the  Report  on  the  meteorology  of  Ker- 
guelen  Island,  in-4°,  4  p. 

Bureau  topographique  de  Saint-Pétersbourg.  Mémoires, 
t.  XXXVIII. 

Revue  maritime  et  coloniale,  1883,  N»"  3,  5  à  12. 
Société  d'anthropologie  de  Paris.  Bulletin,  1881,  N°4. 1882, 
N-S.  1883,  t.  VI,N«2. 

Société  d'anthropologie  de  Vienne.   Mittheilungen,  1883, 
No"  1  et  2. 
Smithsonian  Institution.  First  annual  Report  of  the  Bureau 


86  OUVRAGES    REÇUS. 

of  Etimology,  by  J.  W.  Powell.  Washington,  1881,  in-4", 
()03  p.  illusl. 

Cosmos  (le  Giiido  Cora,  1883,  l.  VII,  iV^  7  et  8. 

Esploratore.  Milan.  1883,  t.  VII,  N»^  6  à  12. 

Exploration,  N*"*  332-362. 

Revue  internationale  de  géographie,  Paris,  N°'  91-98. 

Revue  de  géographie  de  L.  Drapeyron,  VI"*  année,  N"^  12, 
VII""'  année,  N»'  1-6. 

Société  physico-économique  de  Konigsberg.  Schriften, 
23'°'  année,  1882,  1"  et  2""^  parties. 

Journal  asiatique,  Paris,  t.  XVII,  N»  3,  t.XXI,No  3,  t.  XXil, 

Institut  Lombard  des  sciences  et  Lettres,  Mémoires,  t.  XIV, 
Compte-rendu,  t.  XIV. 

Institut  vénitien  des  sciences,  lettres  et  arts,  Atti,5'°''  série, 
t.  VII,  Liv.  10,  t.  VIII,  Liv.  1-10.  e-^^  série,  t.  I,  Liv.  1  à  3.  — 
Relazione  critica  sulla  varie  determinazioni  dell'  équivalente 
meccanico  délia  caloria,  di  Enrico  A.  Rowland.  App.  al  t.  VII, 
S""^  série,  degli  Atti  de  l'Istituto. 

Société  archéologique  de  l'Orléanais.  Bulletin  N»'  114-116. 
Mémoires,  t.  XIX. 

Revue  savoisienne,  1883,  N°^  S-11. 

Académie  royale  de  Belgique.  Annuaire,  1882-1883.  — 
Bulletins,  50"^  année,  3""'  série,  t.  I  et  II  (1881),  III  et  IV 
(1882),  V  (1883). 

Afrique  explorée  et  civilisée,  1883,  t.  IV,  N'''6  à  12. 

Institut  géographique  de  la  République  Argentine. Buenos- 
Ayres,  Bulletin,  1883,  t.  IV,  N""  4-10.  —  Estadistica  del  com- 
mercio  y  de  la  Navegacion  de  la  Republica  argentina,  1882. 
Buenos-Ayres,  1883,  in-8°,  28op. 

Zeitschrift  fur  wissenschaflliche  Géographie.  1883,  t.  IV, 
No«  1,  2. 

Oesterreichische  Monatschrift  fur  den  Orient,  1883, 
N"^  8-12. 

Société  académique  hispano-portugaise  de  Toulouse.  Bul- 
letin, 1883.  N"'  2,  3,  4. 

Section  de  Provence  du  Club  alpin  français.  Bulletin,  1883, 
N»»  2,  3. 

Moniteur  des  consulats,  N""  199-229. 

Science.  Boston.  N°  15. 


OUVRAGES    REÇUS.  87 

Société  française  et  africaine  d'encouragemenl.  Statuts 
et  Rapport  annuel,  1882-1883.  Paris,  1883,  in-8,  12  p. 

Société  d'anthropologie  de  Lyon.  Bulletin,  1883,  N"  2. 

Ungarische  Revue,  1883,  juin,  Buda-Pesth,  1883,  p.  405- 
516,  in-8-^ 

Baltische  Studien,  t.  XXIII,  Liv.  1  à  4. 

Société  de  géographie  de  Greifswald.  Jahresbericht,  1882- 
1883. 

DONS   d'auteurs   ET   AUTRES 

Elisée  Reclus.  Nouvelle  géographie  universelle,  Liv.  477  à 
500,  (Don  de  l'auteur,  M.  E.) 

Vivien  de  Saint-Martin.  Nouveau  dictionnaire  de  géogra- 
phie universelle.  Liv.  22.  (Don  de  l'auteur,  M.  H.) 

J.  M.  Ziegler.  Geographischer  Text  zur  geologischen  Karte 
der  Erde,  mil  einem  Atlas.  Basel,  1883,  in-8o,  313  p.  (Don 
de  M""  veuve  Ziegler.) 

Maurice  Vernes.  Revue  de  l'histoire  des  religions.  S""*  an- 
née, t.  VI,  N»^  4,  5. 

Jacob  M.  Clarck.  G  E.  The  english  mile,  its  relation  to  the 
size  of  the  earth  and  to  ancient  melrics.  In-4o,  4  p.  (Don  de 
l'auteur.) 

Van  Noslrand's  Engineering  Magazine.  May,  1883,  New- 
York,  1883,  in-4o,  p.  356-440. 

Archibald,  R.  Colquhoun.  Across  Chrysé.  Journey  of  explo- 
ration through  the  south  China  Borderlands  from  Canton  to 
Mandalay.  London,  1883,  2°'«  édit.  2  vol.  in-8o,  420  et  408  p. 
ill.  et  caries.  (Don  de  l'auteur.) 

Geo.  M.  Wheeler.  Report  upon  U.-S.  geographical  Survey 
west  of  the  110'^  Meridiail.  Vol.  III,  supplément  geology- 
Washington,  1881,  in-4''.  (Don  de  l'auteur,  M.  H.) 

Edmond  Cotteau.  De  Paris  au  Japon  en  90  jours,  Paris, 
1883,  in-8°,  15  p. 

J.  A.  Henriquez,  Expediçao  scientifica  en  serra  da  Estrella 
en  1881,  Lisbonne,  1883,  in-4o,  133  p. 

Jos.  Erben.Statistisches  Handbuch  der  Kôniglichen  Haupl- 
sladt  Prag  fur  1881.  2*'"-  Theil,  Prag,  1883,  in-8°,  183  p.  et 
carte. 

François  Latzina.La  République  Argentine,  relativement  à 
l'émigration  européenne.  Buenos-Ayres,  1883. 


00  OUVRAGES   REÇUS. 

Cil.  Faiire.  Notice  sur  la  part  des  Suisses  dans  l'exploration 
et  la  civilisation  de  TAfrique.  Genève,  1883,  in-8,  20  p.  (Don 
de  l'auteu?-.) 

G.  Moyniei'.  La  question  du  Congo  devant  l'Institut  de  droit 
international.  Genève,  1883,  in-8",  27  p.  (Don  de  l'auteur.) 

Léon  de  Rosny.  Compte  rendu  d'une  mission  scientifique 
en  Espagne  et  en  Portugal.  Paris,  1882,  in-4'',  100  p.,  avec  pi. 
et  carte.  (Don  de  l'auteur,  M.  C.) 

Costa  Godolphin.  Les  institutions  de  prévoyance  en  Portu- 
gal. Lisbonne,  1883^  in-8,  15  p.  et  tableau. 

D""  Richard  Lehmann.Bericbt  ûber  die  Thàtigkeit  der  Zen- 
Iral-Commission  fur  wissenschaftliche  Landeskunde  von 
Deutschland.  Mûnchen,  1883,  in-8",  34  p.   (Don  de  l'auteur.) 

M.  Dragomanov.  Chansons  politiques  du  peuple  ukrainien, 
XVIII"^  et  XIX"""  siècles.  Première  partie,  section  I.  Genève, 
1883,  in-8°,  LV  et  137  p.  (Don  de  l'auteur,  M.  E.) 

Henri  Mager.  De  la  lecture  des  cartes  étrangères.  Paris, 
1883,  in-12,  100  p.  (Don  de  Tauteur.) 

Angel  Anguieno.  Anuario  del  Observatorio  astronomical 
oacional  de  Tambaya  para  el  anno  de  1884.  Anno  IV,  Mexico, 
1883,  in-12,  337  p.^ 

A.  Meulemans.  La  république  du  Paraguay.  Paris,  1884, 
in-8,  33  p. 

(Dons  de  M.  Yenukof.  M.  C.) 

Notices  sur  la  ville  de  Rouen.  Rouen,  1883^  in-8,  680  p.  et 
plan. 

Notices  sur  La  Rochelle  et  la  région  maritime.  La  Rochelle, 
1882,  in-12,  180  p.  et  carte. 

Annuaire  du  Sénégal  et  dépendances  pour  l'année  1881. 
Saint-Louis,  1881,  in-12,  264  p. 

CARTES 

E.  Gaebler.  Atlas.  Liv.  6.  (Don  de  l'auteur.) 

M.  Venukof.  Carte  de  la  partie  méridionale  de  la  province 
littorale  de  la  Sibérie,  1883.  (Don  de  l'auteur,  iM.  C.) 

Kaart  von  bat  Gedeelte  Java  en  Sumatra  Vsooooo-  Krakatau 
en  Omslreken.  (Don  de  M.  de  Seyfif.  M.  E.) 

-tiiéAtate*" 


LISTE   DES   MEMBRES 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  DE  GENÈVE 


MEMBRES  EFFECTIFS 


MM. 

Audéoud,  Alfred. 
Auriol,  Henri. 

Baud,  J. 

Bouthillier  de  Beaumont,  Aloïs 

BouthillierdeBeaumont,Aug*« 

Bouthillier  de  Beaumont,  Frank. 

Bouthillier  de  Beaumont,  Gust. 

Bouthillier  de  Beaumont,  Henri, 

Président. 
Bertrand,  Alfred. 
Beyeler,  J. 
Binet,  docteur. 
Boissier,  Agénor. 
Boissier,  Edmond. 
Bonna,  Paul. 
Bornand,  E. 
Budé  (de),  Eugène. 

Candolle  (de),  Alphonse,  prof. 
GandoUe  (de),  Gasimir. 
Candolle  (de),  Lucien. 
Ghaix,  Paul,  professeur. 
Choisy,  Louis,  pasteur. 
Claparède,  Théodore,  pasteur. 

De  Lor,  avocat. 

Dominicé,  Adolphe. 

Dragomanof. 

Dufresne,  Edouard,  docteur, 

Vice- Président. 
Dunant,  Ernest. 
Dunant,  Pierre,  docteur. 
Dunant,  Victor. 
Du  Pan,  Amédée. 

Eynard,  Edmond. 


MM. 

Féesch,  Henri. 

Faure,    Charles,    Secrétaire - 

Bibliothécaire. 
Favre,  Camille. 
Ferrière,  docteur. 
Freundler,  pasteur. 

Gaberel,  pasteur. 

Galland,  Charles. 

Galopin,  Charles,  professeur. 

Gampert,  Gh.,  architecte. 

Gautier,  Adolphe. 

Gautier,  Alphonse. 

Gautier,  Raoul,  Vice-Secrétaire. 

Giraud-Teulon,  professeur. 

Gosse,  H.,  docteur. 

Hentsch,  Henri. 

Hornung,  Joseph,  professeur. 

Hurahert,  Aloïs. 

Ivernois  (d'),  A. 

Le  Fort-Naville,  Alfred. 
Lenoir,  David. 
Lesseré-Bordier,  docteur. 
Lombard,  Alexandre. 
Lombard,  Henri-Cl'.,  docteur 

(senior). 
Lombard,  Henri-Charles,  doct. 

(junior). 
Lombard,  Victor. 

Mandrillon  de  Savignac. 
Marcel,  William,  docteur. 
Martin,  Charles,  pasteur. 
Massip,  Edmond. 


90 


LISTE   DES   MEMBRES. 


MM. 

Messerly,  Oscar. 

Micheli,  Louis. 

Micheli,  Marc,   V ice-Président. 

Morin-Cayln,  Théodore. 

Morsier  (de),  Adolphe,  Secré- 
taire-général. 

Morsier  (de),  Fi'ank. 

Moynier,  Gustave,  Conserva- 
teur de  la  Bibliothèque. 

Naville,  Emile. 

Odier,  Ernest. 
Odier,  James. 

Perron,  Charles. 
Pictet,  Alfred. 
Piclet,  Eugène. 
Pictet-de  Candolle,  Louis. 
Prevost-Le  Fort,  Georges. 
Prost,  J. 

Kapin,  docleur. 
Reclus,  Elisée. 


MM. 

Rochelle,  Gustave,  Trésorier. 
Rosier,  William,  professeur. 
Roughton,  G. 

Sarasin,  Edouard. 

Sarasin,  Georges. 

Saussure  (de),  Henri. 

Sautter,  Edgar. 

Schieck  (de),  Adolphe,  consul. 

Scholten-Lenoir. 

Seyff  (de),R.-F. 

Stoutz  (de),  Louis. 

Thudichum,  Charles,  prof. 
Traz  (de),  Ernest. 
Tronchin,  Henry. 
Turretlini,  François. 

Vaucher,  Henri. 

Wartmann,  professeur. 
Weller,  Henri. 
Wyltenbach  (de). 


MEMBRES  HONORAIRES 


MM. 

Daniel  CoUadon,  professeur  à  Genève. 

Cellérier,  professeur  à  Genève. 

Scherrer-Engler,  président  de  la  Société  de  géographie  com- 
merciale de  la  Suisse  orientale,  à  Sainl-Gall. 

D'"  Théophile  Studer,  professeur,  président  de  la  Société  de 
géographie  de  Berne. 

D""  Behra,  à  Gotha. 

D'  Nachtigal,  consul  général  de  l'empire  allemand,  à  Tunis. 

Baron  de  Richthofen,  professeur  à  Leipzig. 

D'"  de  Hochstetten,  à  Vienne. 


LISTE   DES   MEMBEES.  91 

D""  Unfalvy,  président  de  la  Sociélé  de  géographie  de  Buda- 
Pesth. 

de  Sémenoff,  président  de  la  Société  impériale  de  géographie 
de  Russie. 

D*"  Nordenskiold,  professeur  à  Stockholm. 

P.-J.  Veth,  professeur,  pi'ésident  de  la  Sociélé  néerlandaise 
de  géographie. 

Julius  de  Payei*,  explorateur,  à  Francfort  s/M. 

Charles  Maunoir,  secrétaire-général  de  la  Société  de  géogra- 
phie de  Paris. 

Malle-Brun,  secrétaire-général  honoraii'e  de  la  Société  de 
géographie  de  Paris. 

Vivien  de  Saint-Marlin,  ancien  président  de  la  Sociélé  de 
géographie  de  Paiis. 

de  Quatrefages,  professeur,  ancien  président  de  la  Commis- 
sion centrale  de  la  Sociélé  de  géographie  de  Paris. 

Baron  Reille,  à  Paris. 

Général  Beaufort  d'Haulpoul,  à  Paris. 

Van  der  Maëlen,  à  Bi'uxelles. 

Commandeur  Christoforo  Negri,  à  Turin. 

Commandeur  Correnti,  à  Rome. 

Sir  H.  Rawlinson,  à  Londres. 

Ch.  Rieu,  à  Londres. 

D""  Schweinfurth,  au  Caire. 

F.-V.  Hayden,  à  Washington. 

Geo.  M.  Wheeler,  à  Washington. 

H.  Stanley,  à  Vivi. 

Savorgnan  de  Brazza,  à  Brazzaville. 

Van  de  Velde,  à  Bruxelles. 


MEMBRES  CORRESPONDANTS 

MM. 

Aimé  Hiimhert,  professeur  à  Neuchâlel. 
Ayer,  professeur  à  Neuchâtcl. 
Sylvius  Chavannes,  à  Lausanne. 
Mulhaupt  de  Sleiger,  à  Berne. 


92  LISTE   DES   MEMBRES. 

Amrein,  professeur  à  Sainl-Gall. 
Hellwald,  à  Stutlgardl. 
D'"  Lenz,  professeur  à  Vienne. 
H.  Duveyrier,  à  Paris. 
Venukoff,  à  Paris. 
William  Huber,  à  Paris. 
Léon  de  Rosny,  à  Paris. 
André  de  Bellecombe,  à  Paris. 
A.  Meulemans,  ta  Paris. 
Coillard,  missionnaire  au  Zambèze. 
A.  de  Smidt,  gênerai  surveyor  à  Capelown. 
F.  Berton,  consul  suisse  à  San  Francisco. 
Luciano  Gordeiro,  secrétaire-général  de  la  Société  de  géo- 
graphie de  Lisbonne. 
P.  Berlhoud,  missionnaire  au  Transvaal. 
Frank  Vincent,  explorateur,  à  New- York. 


]Vo    S«. 


BULLETIN 


EXTRAIT 

DES  PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Session  1883-1884. 


SÉANCE  DU  8  FÉVRIER  1884. 
Présidence  de  M.  le  D''  Dufresne,  vice-président. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  et  adopté. 

M.  Welter  présente  la  carte  d'Osterwald  dont  il  a  parlé 
dans  la  précédente  séance  ;  elle  a  été  publiée  après  la  mort 
de  l'auteur,  à  Paris,  sans  date,  ni  nom  d'éditeur,  et  n'a  pas 
figuré  dans  l'exposition  de  Zurich.  Les  Mittheilungen  de 
Gotha  de  1877  renferment  à  son  sujet  un  jugement  très  favo- 
rable de  Sydow. 

M.  Ad.  Gautier  signale  un  document  qui  s'y  rapporte  :  c'est 
le  Recueil  des  hauteurs  des  pays  compris  dans  le  cadre  de  la 
carte  générale  de  la  Suisse,  en  tête  duquel  se  trouve  un  aver- 
tissement d'Osterwald,  du  6  mai  1847,  expliquant  le  retard 
survenu  dans  la  publication  de  la  carte  par  un  accident  de  la 
pierre  sur  laquelle  elle  était  gravée,  ce  qui  l'engagea  à  la  faire 
graver  sur  cuivre. 

M.  Welter  ajoute  que  le  Bureau  de  la  guerre  à  Paris,  ayant 
eu  sous  les  yeux  le  travail  d'Osterwald,  déclara  que  cette 
carte  était  ce  qu'on  avait  fait  de  mieux  en  ce  genre.  L'auteur 
avait  indiqué  au  graveur  un  procédé  de  son  invention,  des 

LE    GLOBE,    T.    XXIII,    1884.  7 


94  BULLETIN, 

courbes  de  hauteur  eu  lignes  horizontales,  au  lieu  de  lignes 
verticales,  pour  indicjuer  le  relief  des  montagnes.  Peu  de 
jouis  avant  sa  mort  arriva  à  son  adresse  une  lettre  de  ce  gra- 
veur, lui  disant  qu'il  ferait  précieusement  usage  de  sa  décou- 
verte. Osterwald  n'était  plus  dans  un  état  de  santé  qui  permît 
de  la  lui  communiquer.  Il  mourut  en  janvier  I80O. 

Le  Président  présente  une  collection  de  photographies  de 
Kalmouks,  envoyée  à  la  Société  par  le  prince  Roland  Bona- 
parte. 

M.  G.  Faure  fait  une  communication  sur 

Le  Soudan  égyptien. 

Laissant  de  côté  le  point  de  vue  des  découvertes  faites 
dans  ce  pays,  et  du  développement  de  la  civilisation  depuis  la 
conquête  de  Méhemel-Ali,  sujet  traité  dans  V Afrique  explo- 
rée et  civilisée,  ainsi  que  le  côté  politique  qu'il  ne  lui  appar- 
tient pas  d'aborder  dans  la  Société  de  géographie,  il  se  borne 
à  un  tableau  géographique  de  cet  immense  territoire.  Il  décrit 
le  désert  de  Korosko  que  vient  de  traverser  Gordon-pacha, 
celui  de  Nubie  déjà  herbeux,  et  même  boisé  dans  certaines 
parties,  la  vasie  plaine  du  Sennaar,  du  Kordofan  et  du  Dar- 
four,  jusqu'à  Lado,  où  se  termine  la  première  terrasse  au  sud 
du  delta,  inclinée  seulement  de  O",!  en  moyenne  par  kilo- 
mètre. A  mesure  que  l'on  avance  vers  le  sud  la  quantité 
d'eau  de  pluie  augmente,  et,  grâce  à  la  position  des  deux  ter- 
rasses où  se  trouvent  les  lacs  Victoria  et  Albert-Nyanza,  les 
vapeurs  de  l'océan  Indien,  apportées  par  les  vents  alizés  des 
deux  hémisphères,  et  condensées  sur  les  sommets  du  Kilimand- 
jaro et  du  Kénia,  alimentent  ces  deux  réservoirs  d'où  descen- 
dent abondantes,  mais  non  destructrices,  les  eaux  auxquelles 
la  basse  Egypte  doit  son  extrême  fécondité.  Sans  que  la  main 
de  l'homme  soit  intervenue,  ces  réservoirs  présentent  des 
rapports  aussi  admirables  que  ceux  que  peuvent  offrir  les 
procédés  les  plus  ingénieux  de  l'industrie  humaine,  soil  pour 
le  service  des  eaux,  soit  pour  préserver  de  la  destruction  des 
vallées  entières. 

Au-dessous  des  deux  terrasses  supérieures,  la  troisième  se 
présente  aussi  comme  un  vaste  réservoir  dans  lequel  les 
eaux  du  Bahr-el-Abiad,  augmentées  de  celles  de  tous  les 


PEOCÈS- VERBAUX.  95 

affluents  du  Bahr-el-Ghazal,  sont  retenues  pendant  un  certain 
temps  de  l'année  par  la  végétation  aquatique,  qui  forme  une 
barre,  au  travers  de  laquelle  il  est  impossible  de  passer,  et 
dont  Baker,  Marno  et  Gessi  ont  travaillé  à  débarrasser  le  Nil. 
Les  alluvions  déposées  sur  cette  plaine,  qui  s'étend  tout  le 
long  du  pied  des  terrasses  de  l'Abyssinie,  à  travers  le  Sen- 
naar  et  le  Taka,  jusqu'à  la  chaîne  dominant  la  mer  Rouge 
lui  procurent  une  fécondité  pai-eille  à  celle  du  delta.  Les  pro- 
cédés de  culture  des  indigènes,  tout  primitifs  qu'ils  sont,  suf- 
fisent pour  faire  produire  à  ce  sol  tout  ce  qui  est  nécessaire 
à  la  vie.  Le  manque  de  sécurité  ne  lui  permet  pas  de  lui  faire 
produire  davantage.  Les  exaclions  des  administrateurs  égyp- 
tiens expliquent  l'empressement  avec  lequel  les  indigènes  du 
Sennaar  et  du  Kordofan  ont  répondu  aux  appels  du  Mahdi. 

Depuis  la  guerre  dans  laquelle  l'Egypte  a  enlevé  à  l'Abys- 
sinie les  territoires  au  nord  de  ce  dernier  Étal,  le  négous 
n'a  pas  cessé  de  les  réclamer  ;  il  a  profité  de  la  venue  de 
Rohlfs,  à  sa  cour,  il  y  a  deux  ans,  pour  le  charger  de  négociei' 
la  paix  avec  l'Egypte,  moyennant  la  rétrocession  des  territoi- 
res susmentionnés,  en  particulier  du  port  de  Massaoua.  Mais 
l'Angleterre  qui  aurait  dû  appuyer  cette  demande  auprès  de 
l'Egypte  a,  jusqu'à  la  révolte  du  Soudan,  refusé  d'intervenir. 

Les  progrès  faits  au  Soudan  et  surtout  dans  les  provinces 
de  l'Equateur,  administrées  par  Emin-bey  et  Lupton-bey, 
auxquels  la  géographie  est  redevable  de  travaux  cartografi- 
ques  très  précieux,  sont  gravement  compromis.  Si  la  civili- 
sation se  voit  fermer  la  porte  du  nord  de  l'Afrique  par  la 
vallée  du  Nil,  celle  du  sud  lui  reste  ouverte  par  le  Congo, 
dont  la  navigation,  il  faut  l'espérer,  demeurera  libre  pour 
toutes  les  nations.  Si  un  jour,  une  nouvelle  rencontre  ent?-e 
la  barbarie  musulmane  et  la  civilisation  chrétienne  a  lieu  sur 
les  bords  du  Congo,  celle-ci,  nous  n'en  doutons  pas,  triom- 
phera comme  autrefois  à  Poitiers.  Sans  doute  le  sang  coulera 
à  flots;  mais  nous  avons  la  certitude  que  les  blessés  des  deux 
camps  recevront  les  soins  les  plus  empressés;  dans  cette 
œuvre  de  secours,  Genève  aura  sa  large  part,  mai^^  après 
avoir  été  à  la  peine,  elle  sera  aussi  à  l'honneur! 

Le  Président  donne  la  parole  à  M.  le  professeur  Cliaix  qui, 
ayant  suivi  depuis  cinquante  ans  l'œuvre  de  civilisation  com- 
mencée par  Méhémet-Ali,  et  vu  l'Egypte  de  ses  yeux,  veut 


96  BULLETIN. 

bien  faire  appel  à  ses  souvenics  et  aux  trésors  de  son  érudi- 
tion pour  compléter  l'exposé  de  M,  Faure. 

Le  Soudan  n'a  pas  de  limites,  et  l'on  comprend  sous  ce 
nom  des  régions  très  distinctes.  Le  nom  en  apparaît  pour  la 
première  fois  un  demi-siècle  avant  la  première  croisade,  sous 
la  plume  d'un  écrivain  arabe,  très  distingué,  de  Cordoue, 
qui  tu  un  voyage  de  simple  curiosité  à  travers  le  Sahara  jus- 
qu'au Niger.  Alors  Tombouclou  n'existait  pas  encore;  la 
région  du  Soudan  égyptien  s'appelait  Ethiopia  supra  Egyp- 
tura;  elle  a  toujours  entretenu  des  relations  avec  l'Egypte; 
les  traces  de  l'ancienne  domination  des  Pharaons  et  des  Pto- 
léraées  se  retrouvent  tout  le  long  de  la  vallée  du  Nil  jusqu'à 
la  quatrième  cataracte. 

Au  XVIII"''  siècle  Bruce,  après  son  exploration  de  l'Abys- 
sinie,  revint  par  le  Bahr-el-Azrek  et  l'élat  de  Sennaar  dont 
le  roi,  non  vêtu,  était  oint  tous  les  jours  de  graisse  d'hippo- 
potame. Aujourd'hui  Sennaar  est  bien  déchue  de  son  ancienne 
réputation. 

Sous  Méhémet-Ali  la  Nubie  fut  conquise  pour  recruter 
l'armée  égyptienne  de  la  population  de  ce  pays.  Ismaïl-pacha 
ayant  commis  des  exactions  sans  nombre,  périt  dans  les  flam- 
mes d'un  incendie  allumé  par  la  vengeance  d'un  cheik  vic- 
time de  ses  mauvais  traitements.  Méhémet-Ali  courroucé, 
envoya  son  gendre,  Mohammed-Defterdar,  pour  châtier  les 
habitants  de  Schendy  et  raser  cette  ville. 

Le  Kazogl  avait  des  dépôts  aurifères  que  les  indigènes 
exploitaient  par  le  lavage,  serrant  le  produit  de  leurs  tra- 
vaux dans  des  tuyaux  de  plume.  Les  officiers  égyptiens  calcu- 
laient l'époque  à  laquelle  la  récolte  de  l'or  devait  être  termi- 
née, pour  se  présenter  au  Fazogl  et  se  faire  livrer  ce 
qu'avaient  recueilli  les  indigènes.  Méhémet-Ali  fit  lui-même 
une  expédition  jusqu'au  Fazogl,  après  avoir  fait  étudier  par 
des  ingénieurs  les  procédés  d'exploitation  des  sables  aurifè- 
res de  l'Oural.  M.  Chaix  ayant  été  présenté  au  vice-roi,  diri- 
gea la  conversation  sur  la  région  aurifère  de  la  Nubie,  Méhé- 
met-Ali répondit  que  les  ingénieurs  venaient  d'arriver  des 
monts  Ourals.  L'expérience  qu'ils  avaient  acquise  dans  les 
exploitations  russes  ne  fut  pas  appliquée  au  Fazogl. 

Quant  aux  peuplades  du  Soudan  égyptien,  M.  Chaix  rap- 
pelle le  jugement  porté  par  le  général  américain  Colston, 


PROCÈS-VERBAUX.  97 

sur  les  Bécharins  du  S.-E.  d'Edfou,  population  tranquille  et 
douce.  Les  armes  n'ont  pas  changé;  c'est  encore  aujourd'hui 
la  lance  qui  est  l'arme  offensive;  M.  Chaix  en  présente  deux 
qu'il  a  rapportées  de  son  voyage. 

La  pente  du  Nil  est  régulière  et  modérée.  M.  Chaix  a  pris 
le  niveau  du  fleuve  en  30  ou  40  endroits  différents,  avec  le 
baromètre  à  mercure.  Il  a  trouvé  pour  Assouan  une  altitude 
de  93°;  à  deux  lieues  en  amont  la  cote  était  de  113°.  AKhar- 
loum  les  observations  sont  rendues  très  difTiciles  par  l'absence 
de  toute  colline  aux  alentours;  les  points  de  comparaison 
font  complètement  défaut.  Le  volume  médiocre  du  Nil  s'ex- 
pHque  par  le  fait  que  pendant  la  seconde  moitié  de  son 
cours,  il  ne  reçoit  point  d'affluents;  en  outre  l'évaporation 
est  considérable,  et  la  culture  absorbe  et  retient  une  forte 
quantité  d'eau.  Le  lit  du  fleuve,  d'une  largeur  assez  uniforme, 
est  plus  encaissé  en  Egypte  qu'en  Nubie;  il  n'est  pas  comblé 
par  les  apports  du  Nil.  Autrefois  il  y  avait  sept  embouchu- 
res, tandis  qu'aujourd'hui  il  n'y  en  a  que  deux,  et  cependant 
la  quantilé  et  la  hauteur  de  l'eau  n'ont  pas  diminué.  Le  fleuve 
creuse  ses  deux  branches  actuelles  plus  qu'aul refois,  et  lors 
de  l'inondation  ses  eaux  entrent  dans  des  voies  qui  peuvent 
être  d'anciennes  embouchures.  Le  fond  du  lit  n'est  pas  vaseux. 
M. Chaix  a  retiré  del'estomacd'un  crocodile  disséqué  du  gra- 
vier pur,  des  quariz,  des  silex,  etc.,  qu'il  présente  à  la  Société. 

M.  Humbert  signale  dans  le  dernier  numéro  du  journal 
anglais,  iVafî/re,  un  article  sur  le  Soudan,  où  l'auteur,  M.  Kean, 
donne  un  tableau  des  races  de  cette  région  et  rectifie  des 
erreurs  courantes, 

M.  Lenoir  ne  croit  pas  que  la  civilisation  du  Soudan  puisse 
venir  du  sud;  c'est  de  l'Egypte  qu'elle  remontera  la  vallée  du 
Nil;  mais  pour  cela,  il  faut  que  l'Egypte  devienne  chrétienne, 
car,  sous  l'islamisme,  il  n'y  a  pas  de  progrès  à  attendre,  vu 
l'absence  de  la  famille  au  sens  propre  du  mot.  M.  Lenoir  a 
eu  l'occasion  de  visiter-^  à  Louqsor,  une  école  de  60  jeunes 
gens,  tenue  par  un  maître  anglais,  duquel  il  apprit  l'existence 
à  Siout  d'une  école  destinée  à  former  des  régents  et  des  pas- 
leurs.  La  proportion  de  l'élément  musulman  n'était  que  de 
6  sur  60;  tous  les  autres  élèves  étaient  des  cophtes.  Au  Caire 
il  y  a  deux  écoles  améiùcaines.  Dans  l'Egypte  proprement 
dite,  il  existe  un  reste  de  chrétiens  accessibles,  qui  seront 


98  BULLETIN. 

peut-être  le  levain  destiné  à  faire  lever  toute  la  pâte.  Quoi- 
que la  mosquée  d'El-Ayar  ait  8000  élèves,  M.  Lenoir  croit 
néanmoins  le  mahométisme  sur  son  déclin.  L'ancien  pays  de 
Goscen,  si  fertile  autrefois,  est  un  désert  aujourd'hui, et  cepen- 
dant le  petit  canal  d'eau  douce  rend  tout  fertile  sur  son  pas- 
sage. 11  suffirait  de  créer  des  réservoirs  pour  faire  refleurir 
le  pays,  en  emmagasinant  l'eau  au  moment  des  crues  poui* 
irriguer  les  campagnes  entre  les  deux  inondations.  Le  khé- 
dive actuel  est  un  homme  supérieur  et  donne  l'exemple  de 
rhonnêleté,  il  est  monogame  et  voudrait  relever  le  fellah. 


SEAxNCE  DU  22  FÉVRIER  1884. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  et  adopté. 

}.e  Président  rapporte  que  M.  A.  de  Morsier,  secrétaire- 
général,  a  extrait  d'un  article  de  journal  envoyé  par  M.  F. 
Berton,  M.  C.  une  nouvelle,  d'après  laquelle  l'explorateui- 
Schwatka,  chargé  de  faire  le  relevé  du  bassin  du  Yukon  dans 
l'Alaska,  a  donné  à  un  glacier  de  ce  pays  le  nom  Je  Saussure 
en  souvenir  de  notre  illustre  compatriote.  Il  présente  ensuite 
deux  cartes,  l'une  du  Transvaal,  donnée  par  M.  Gros,  de  Pre- 
toria, l'autre,  du  canal  de  Panama,  offerte  à  la  Société  par 
M.  E.  Massip. 

M.  Scholten-Lenoir  est  admis  comme  membre  effectif  à 
l'unanimité. 

Lik  parole  est  donnée  à  M.  le  professeur  J.  Brun  pour  une 
communication  sur 

La  Péninsule  Scandinave. 

M.  Brun  a  rappoi-té  de  son  voyage  de  nombreuses  photo- 
graphies qui  décorent  la  salle. 

Il  signale  d'aboi-d  dans  le  Sund,  passage  redouté  des  navi- 
gateurs, une  circulation  considérable,  semblable  à  celle  du 
Bosphore.  La  mer  est  peu  profonde;  le  fond  en  est  uni,  mais 
le  double  courant  de  surface  et  de  fond,  de  la  Baltique  à 


PROCÈS- VERBAUX.  99 

l'Océan  et  vice-versa,  la  rend  dangereuse.  Entre  Gothenbourg 
et  Copenhague,  le  changement  de  ton  du  bruit  des  roues 
indique  des  alternances  et  de  fortes  luttes  entre  les  différents 
courants,  soit  de  sortie  de  la  Baltique  soit  de  remous. 

Du  Sund  on  aperçoit  à  peine  la  côte  de  Suède;  quant  à 
celle  du  Danemark,  elle  est  couverte  d'une  végétation  luxu- 
riante; l'aubépine  entre  autres  devient  un  arbre  dont  le  tronc 
a  la  grosseur  du  corps  d'un  homme. 

Dans  la  plaine  du  midi  de  la  Suède,  Tœil  s'attache  au  plus 
petit  relief;  le  terrain  d'alluvion  en  est  riche  et  fertile.  Au 
delà  le  roc  est  à  nu;  non  pas  du  calcaire,  mais  des  gneiss, 
des  micachistes,  des  granits  de  toutes  les  variétés,  roches 
moutonnées  comme  les  glaciers  les  ont  laissées;  ou  bien  l'on 
rencontre  des  tourbières;  en  général  il  y  a  peu  de  terre  ara- 
ble. En  Norwège,  c'est  la  côte,  avec  la  pêche  et  les  richesses 
qu'elle  procure,  qui  fait  la  vie  du  pays;  en  Suède  ce  sont  les 
forêts,  la  pêche  et  quelque  peu  de  cultures. 

Le  canal  de  Gothenbourg,  pour  lequel  on  a  utilisé  les  lacs 
Wener  et  Wetter,  fonctionne  encore  aujourd'hui.  Quoique 
situés  dans  un  pays  plat,  ces  lacs  onl  une  profondeur  de 
1200™,  qui  dépasse  de  beaucoup  celle  du  lac  de  Genève.  Les 
bateaux  qui  font  le  service  sur  le  canal  sont  très  confortables, 
et  peuvent  passer  sous  les  ponts  sans  avoir  plus  de  O^jSO  à 
0'°,30  de  libre  de  chaque  côté.  Le  canal  passe  entre  des  mon- 
tagnes, ou  bien  se  trouve  plus  élevé  que  la  plaine  qu'il  tra- 
verse; mais  grâce  aux  écluses  on  peut  avoir  des  changements 
de  niveau  de  200"  à  300". 

Stockholm,  la  Venise  du  nord,  gracieuseetjolie,  est  entiè- 
rement bâtie  sur  le  granit;  il  n'y  avait  autrefois  pas  de  terre 
végétale;  il  a  fallu  apporter  celle  qui  s'y  trouve  maintenant. 
Quoique  la  ville  ait  beaucoup  de  ponts,  la  circulation  se  fait 
surtout  en  bateau.  En  été,  celte  circulation  est  telle,  que  M. 
Brun  l'estime  trois  fois  plus  forte  que  celle  du  midi;  et  elle 
dure  jour  et  nuit. 

De  Stockholm  à  Throndjem  on  a  étabU  un  chemin  de  fer  à 
voie  étroite,  avec  des  wagons  et  des  locomotives  plus  petites 
que  pour  les  trains  ordinaires.  Les  tourbières  qui  alternent  avec 
le  roc  ont  opposé  de  grandes  difficultés  à  la  construction.  On 
remarque  dans  la  végétation  de  grandes  différences  avec  celle 
des  contrées  moins  septentrionales;  pour  les  mômes  espèces 


100  BULLETIN. 

végétales,  les  feuilles  du  nord  sont  plus  vertes,  plus  grandes; 
les  fruits  sont  plus  savoureux.  C'est  dans  cette  partie  de  la 
Suède,  dit  M.  Brun,  que  l'on  rencontre  les  meilleures  fraises 
et  les  meilleures  cerises.  A  mesure  que  l'on  s'éloigne  du  golfe 
de  Bothnie  pour  se  rapprocher  de  la  Norwège,  la  contrée 
prend  un  nouvel  aspect;  le  retrait  des  glaciers  y  est  marqué 
par  une  quantité  de  blocs  erratiques.  La  végétation  des  pins, 
des  sapins,  des  bouleaux  y  est  magnifique  ;  ces  derniers,  au 
tronc  robuste  et  brillant,  font  un  effet  atlmirable  au  milieu 
des  autres  essences.  Dans  les  mois  de  juin,  juillet  et  août, 
cette  contrée  est  plus  inondée  de  lumière  que  ne  le  sont  le 
sud  et  le  Sahara  lui-même.  iM.  Brun  y  a  vu  un  effet  de 
mirage. 

Le  pays  qui  environne  OEstersund  paraît  être  plat;  l'absence 
de  chaînes  de  montagnes  proprement  dites,  et  la  succession 
des  plateaux  donnent  l'impression  que  l'on  est  en  plaine.  A 
Oere,  au  pied  de  l'Oreskutan  (1640°"),  les  voyageurs  station- 
nent pour  étudier  les  moeurs  des  habitants.  Gomme  il  ne  peut 
y  avoir  de  culte  que  toutes  les  six  semaines,  on  y  arrive  de 
toutes  les  localités  du  voisinage,  en  stuhlkarren  et  carrioles, 
petites  voilures  à  deux  roues,  très  légères,  attelées  de  petits 
chevaux  faciles  à  conduire.  La  population  est  de  race  belle  et 
forte;  les  groupes  que  l'on  rencontre  sont  sérieux,  causent 
peu,  ce  qui  n'empêche  pas  qu'ils  ne  soient  heureux.  Il  existe 
dans  le  pays  beaucoup  d'inscriptions  runiques,  quoiqu'il  soit 
difficile  de  les  découvrir,  enfermées  qu'elles  sont  dans  les 
tumuli.  Celles  que  l'on  a  trouvées  ont  été  déposées  dans  les 
musées  de  Stockholm,  de  Copenhague  et  de  Christiania  qui 
sont  d'une  richesse  inouïe  pour  leurs  collections  de  pierres 
taillées  et  de  bijoux  préhistoriques. 

Le  jour  du  solstice  d'été  étant  le  plus  long  est  aussi  celui 
de  la  plus  grande  fête  de  l'année.  A  Œslersund  le  soleil  l'oule 
à  l'horizon  sans  se  coucher  pour  ainsi  dire.  Au  reste^  malgré 
la  disparition  du  soleil,  on  est  enveloppé  d'une  lumière  diffuse 
qui,  ne  produisant  point  d'ombre,  fait  un  effet  singulier. 

Les  montagnes  ne  rappellent  en  aucune  manière  les 
nôtres;  il  n'y  a  pas  de  sentiers,  pas  d'arbres,  pas  de  chalets, 
et  il  n'y  a  que  peu  d'habitants.  Du  sommet  de  l'Oreskutan, 
la  désagrégation  des  roches  produit  l'impression  d'un  effon- 
drement général.  Pour  garantir  contre  les  coups  de  vent  et 


PROCÈS-VERBAUX.  101 

la  neige,  le  chemin  de  fer  qui  court  sur  les  plateaux,  on  a  dû 
élever  une  triple  barrière  de  planches. 

A  Storlien  on  franchit  la  frontière  des  deux  pays,  et  l'on 
trouve  une  race  différente  de  celle  que  l'on  vient  de  quitter. 
De  la  côte  ouest  au  sommet  du  plateau  se  rencontrent  des 
vallées  magnifiques,  couvertes  de  forêts,  d'alpages  et  de  trou- 
peaux, grâce  à  l'influence  du  Golfstrom.  Tandis  que  sur  le 
versant  du  golfe  de  Bothnie,  la  température  descend  à  26° 
de  froid,  sur  le  versant  opposé  elle  ne  descend  qu'à  — 6°  ou 
—  8°. 

On  atteint  bientôt  la  région  des  fiords.  Cette  formation 
existe  sur  la  côte  américaine,  au  sud  du  Chili;  mais  la  beauté 
n'en  est  pas  comparable  à  celle  des  fiords  de  la  Norwége.  M. 
Brun  y  voit  les  fissures  du  soulèvement  de  la  région  qui, 
d'Edimbourg  à  Copenhague,  h  Saint-Pétersbourg  et  à  Arkan- 
gel,  a  été  une  des  premières  émergées,  et  s'élève  encore 
aujourd'hui  de  l""  en  mille  ans  environ.  Dans  certains  endroits 
on  aperçoit  encore  le  polissage  du  glacier,  mais  en  général  le 
rocher  plonge  droit  dans  la  mer,  et  Ton  ne  trouve  ni  plage, 
ni  sables,  ni  dunes.  Dans  quelques  fissures  on  a  rencontré 
des  farines  fossiles  formées  d'espèces  végétales  à  carapace 
siliceuse,  qui  ne  vivent  plus  dans  les  mers  européennes 
actuelles,  mais  que  Nordenskiold,  dans  ses  sondages  au  nord 
de  l'Asie,  a  retrouvées  à  près  de  6000""  de  profondeur. 

Au  delà  du  cercle  polaire,  les  végétaux  n'ont  plus  que  six 
semaines  pour  croître,  fleurir  et  fructifier;  les  arbres  dimi- 
nuent. Les  touristes  abondent  et  trouvent,  pendant  ces  quel- 
ques semaines,  des  vapeurs  spéciaux  pour  les  excursions.  Au 
bord  des  fiords,  quelques  huttes  en  bois  rappellent  la  vie, 
dans  une  région  d'un  aspect  désert,  vraie  région  glaciaire» 
où  le  glacier  du  Swartisen  (glace  noire),  en  Norwège,  a  une 
dimension  de  1800  kilom.  carrés.  De  ce  plateau  immense  des- 
cendent des  fleuves  de  glace;  de  rouge  qu'elle  est  quelque- 
fois en  été,  la  neige  noircit  légèrement  chaque  hiver.  C'est 
une  algue,  qui  en  perdant  la  vie,  produit  cet  elïet  noircissant, 
La  beauté  des  fiords,  la  grandeur  et  la  durée  des  effets  de 
lumière,  l'intensité  des  teintes  pourpre,  violacée,  verte,  fon- 
dues ensemble,  dépassent  toute  description.  Les  rochers  de 
porphyre  et  de  granit,  rendus  presque  toujours  humides  par 
la  présence  d'algues  de  nuances  diverses,  vert  tendre,  brun 


102  BULLETIN. 

chocolat,  hrun  pourpre,  etc.,  revétenl  les  couleurs  les  plus 
variées. 

Les  trois  choses  les  plus  remarquables  de  la  région  au  delà 
du  cercle  polaire,  sont  les  glaciers  du  Swartisen,  les  îles  Lofo- 
den  et  le  Cap  nord. 

On  n'a  pas  encore  pu  établir,  d'une  manière  exacte,  si  les 
îles  Lofoden  sont  ou  ne  sont  pas  volcaniques;  l'abord  n'en 
est  pas  facile,  et  cependant  elles  reçoivent  ;1e  février  en 
avril,  pour  la  pêche  de  la  morue  et  de  la  sardine,  30,000  per- 
sonnes vouées  à  cette  industrie,  malgré  les  dangers  auxquels 
les  exposent  les  tempêtes  et  les  sti'oms.  M.  Brun  en  décrit 
une  dans  laquelle  périrent  800  personnes  :  les  fiords  remplis 
d'eau  à  la  marée  haute  déversaient  leur  Irop-plein  à  la  marée 
basse,  lorsqu'arriva  du  nord  un  coup  de  vent  tel  que  la  mer 
se  mit  à  bouillonner  ;  en  un  instant  elle  devint  phosphores- 
cente et  flamboyante;  les  pêcheurs,  ne  pouvant  songera 
chercher  un  refuge  à  la  côte,  furent  obligés  de  gagner  la 
haute  mer  et  furent  engloutis  dans  les  (lots,  puis  balayés  par 
le  Golfstrora. 

A  mesure  qu'on  avance  vers  le  nord,  le  brouillard  devient 
de  plus  en  plus  fréquent.  Quelquefois  il  est  d'une  densité 
telle  que  d'un  bord  du  navire  on  n'aperçoit  rien  à  l'autre 
bord,  tandis  que  la  vigie  peut  se  trouver  au  soleil.  Ce  brouil- 
lard est  produit  par  l'évaporation  du  courant  d'eau  chaude. 
Mais  dans  les  mois  d'été  il  n'y  a  pas  à  craindre  qu'il  dure,  ni 
que  l'on  soit  privé  du  spectacle  solennel  du  soleil  de  minuit. 
La  clarté  en  est  telle,  qu'il  n'est  pas  possible  de  le  fixer, 
mais,  vu  les  conditions  d'humidité  de  l'air,  la  lumière  n'en 
est  pas  chaude.  En  approchant  de  la  Laponie,  l'aspect  du 
pays  change:  aux  rochers  verticaux  de  loOO"  des  îles  Lofo- 
den, succède  un  plateau  de  600"',  d'un  aspect  gris,  et  couvert 
surtout  de  lichens  ;  à  Hammerfest  on  a  encore  des  arbustes 
rabougris,  mais  l'homme  y  est  déjà  plus  grand  que  la  forêt. 
Plus  au  nord  la  végétation  arborescente  cesse  tout  à  fait. 

Quant  aux  Lapons,  on  en  distingue  trois  classes,  les 
pêcheurs,  les  forestiers  et  les  nomades;  leurs  pommettes 
saillantes  les  font  ranger  parmi  les  races  asiatiques;  ils  diflfè- 
rent  des  Norwégiens,  pour  le  genre  de  vie  et  pour  la  langue 
au  point  qu'entre  les  deux  peuples  il  est  nécessaire  d'avoir 
des  interprètes. 


PROCÈS- VERBAUX.  103 

Le  rocher  du  Cap  nord  est  d'une  grande  beauté;  il  s'élève 
fièrement  au  milieu  d'une  mer  toujours  agitée,  et  l'on  n'y 
parvient  qu'après  une  rude  ascension.  Le  saisissement  du 
spectateur  est  tellement  grand  et  profond,  qu'il  s'y  sent 
comme  enveloppé  par  ses  propres  impressions,  et  ne  se  rap- 
proche pas  de  ses  semblables.  La  limpidité  de  l'atmosphère 
permet  de  voir  à  des  distances  inouïes.  Les  Norwégiens 
appellent  cette  région  triste,  inhospitalière  et  inhabitée,  le 
Finmark,  pour  la  distinguer  delà  Norvège  proprement  dite, 
qui  est  riante,  hospitalière  et  habitée.  A  Bodoe  le  Salten- 
strom  est  un  mauvais  courant  qui  vide  un  fiord  à  chaque 
marée,  puis  le  remplit  chaque  fois  de  6  à  8  milliards  de 
mètres  cubes  d'eau.  Du  rocher  qui  domine  la  passe  on  peut 
voir  les  jeunes  baleines  jouer  entre  elles  comme  des  enfants. 
Des  myriades  d'oiseaux,  canards,  pingouins,  plongeons, 
mouettes,  faucons  parasites  habitent  ces  parages  et  y  font 
curée  de  poissons  à  chaque  marée. 

Les  tiords  de  la  Noi-wège  proprement  dite  sont  riants;  ils 
ont  des  alpages,  des  forêts,  un  peu  de  vie;  les  habitants 
vivent  de  la  pêche  du  hareng,  de  la  morue,  du  saumon,  et 
du  transport  du  bois.  Aux  environs  de  Bergen,  on  navigue 
toujours  entre  des  îles,  mais  les  pilotes  courent  avec  rapi- 
dité dans  les  passes  les  plus  difTiciles,  grâce  à  la  sûreté  de 
coup  d'ceil  qu'ils  acquièrent  par  un  apprentissage  qui  dure 
une  vingtaine  d'années.  Les  matelots  norwégiens  sont  les  pre- 
miers du  monde. 

M.  Brun  décrit  encore  le  Jotunheim  (la  demeure  des  sor- 
ciers), puis  un  bateau  à  16  paires  de  rames  retrouvé  dans 
une  tourbière,  où  il  était  enseveli  depuis  800  ans,  la  neige 
noire,  etc.,  etc..  et  donne  des  explications  des  spécimens 
placés  sous  le  microscope,  et  des  photographies  qu'il  a  rap- 
portées de  son  voyage. 

Des  applaudissements  témoignent  à  M.  le  piofesseui-  Brun 
l'intérêt  avec  lequel  ses  nombreux  auditeurs  ont  suivi  sa  com- 
munication dont  le  Président  le  remercie. 

M.  Humbert  demande  à  M.  Brun  si  c'est  le  fait  d'avoir 
retrouvé  les  farines  de  diatomées  fossiles  en  Norwège,  tan- 
dis qu'on  trouve  les  diatomées  vivantes  aujourd'hui  à  6000"" 
de  profondeur,  qui  lui  fait  dire  que  cette  partie  du  continent 
européen  a  été  émergée  à  une  date  très  ancienne. 


104  BULLETIN. 

M.  Brun  répond  qu'on  a  retrouvé  en  Norwège,  dans  leJul- 
land  el  sur  la  côte  de  Richmond  des  espèces  appartenant  aux 
premières  végétations  qui  aient  apparu,  et  ne  vivant  actuelle- 
ment qu'à  oOOO'"  ou  (JOOO"".  Il  faut  (jue  le  soulèvement  ait  été 
très  ancien. 

M.  Humbert  rappelle  que  les  terrains  siluriens  sont  identi- 
ques en  Europe  et  dans  l'Amérique  du  Nord;  ils  appartien- 
nent à  l'époque  la  plus  reculée.  Le  fait  cité  par  M.  Brun  n'en 
est  pas  moins  intéressant.  On  doit  aux  naturalistes  Scandina- 
ves la  description  de  crustacés  vivant  à  de  grandes  profon- 
deurs dans  les  lacs  Wener  et  Wetler.  A  une  certaine  époque 
ces  lacs  étaient  en  communication  directe  avec  la  mer  ;  alors 
l'eau  en  était  salée.  Après  le  soulèvement  l'eau  de  la  surface 
est  devenue  douce,  et  peu  à  peu  Teau  des  couches  profondes 
l'est  devenue  aussi,  et  certaines  espèces  se  sont  acclimatées 
dans  l'eau  douce;  le  même  fait  s'est  produit  au  lac  Baïkal 
pour  le  phoque,  et  au  Tanganyika  pour  une  méduse.  M.  Hum- 
bert rend  hommage  aux  travaux  des  savants  Scandinaves? 
Linné,  Fr'ies,  Millier,  Berzélius,  etc.,  qui,  avec  peu  de  res- 
sources, ont  néanmoins  créé  des  musées  admirables  au  point 
de  vue  de  l'archéologie  et  de  l'histoire  naturelle. 

Le  Président  attire  l'attention  sur  la  collection  de  cartes  de 
la  Scandinavie  que  possède  la  Société,  et  remercie  M.  Brun 
de  lui  avoir  ôté  l'illusion  de  la  chaîne  de  montagnes  pour  y 
substituer  le  tableau  des  plateaux  gradués.  Il  prie  M.  Brun 
d'exposer  son  idée  sur  la  foi'mation  des  tlords. 

M.  Brun  fait  remarquer  que  le  bord  dufiord  étant  cà  angles 
vifs,  et  que  la  profondeur  du  fiord  étant  considérable,  il  n'est 
pas  possible  d'attribuer  la  formation  de  celui-ci  à  l'érosion 
glaciaire,  que  l'on  distingue  ailleurs  parfaitement  en  Norwège. 
L'opinion  des  savants  suédois  est  aussi  que  les  fiords  sont  les 
fissures  du  soulèvement  de  celte  partie  du  continent. 


SÉANCE  DU  14  MARS  1884. 

Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Bëaumont. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  et  adopté. 
Le  Président  rapporte  que,  désireux  de  voir  se  développer 


PROCES- VERBAUX.  105 

à  Genève  Tintérêt  pour  les  études  de  géographie  commer- 
ciale proprement  dite,  le  Bureau  a  décidé  d'offrir  le  concours 
de  la  Société  aux  personnes  qui  voudraient  se  grouper  en 
association.  A  cet  effet  un  appel  a  été  rédigé  et  envoyé  aux 
journaux  quotidiens,  invitant  les  personnes  directement  inté- 
ressées à  l'étude  des  divers  pays  envisagés  comme  lieux  de 
production  et  comme  débouchés  pour  le  commerce,  et  dis- 
posées à  participer  à  la  fondation  d'une  Société  de  géogra- 
phie commerciale,  a  se  réunir,  au  local  de  la  Société,  le  jeudi 
20  mars  à  8  heures  du  soir,  afin  d'en  discuter  la  création,  et 
au  besoin  d'en  poser  les  bases.  La  Société  mettrait  à  la  dispo- 
sition de  la  nouvelle  association  son  local,  sa  bibliothèque  et 
ses  relations  étendues.  Cette  réunion  est  recommandée  à 
l'attention  des  membres  de  la  Société  de  géographie. 

Le  Bureau  a  été  saisi,  par  M.  Moynier,  président  de  la  com- 
mission du  cours,  d'une  proposition  en  vue  de  s'assurer  l'en- 
seignement de  M.  le  professeur  Rosier  pour  Thiver  prochain. 
Il  y  a  lieu  d'espérer  que  M.  Rosier  pourra  répondre  affirma- 
tivement à  la  demande  qui  lui  a  été  faite,  et  que  la  Société 
pourra  enregistrer  un  nouveau  succès  aussi  complet  que  celui 
des  deux  années  précédentes. 

L'office  de  renseignements  pour  les  émigrants,  créé  sous  les 
auspices  de  la  Société  d'utilité  publique  et  de  la  Société  de 
géographie,  sollicite  la  sympathie  effective  de  cette  dernière, 
et  de  toutes  les  personnes  qui  s'intéressent  au  vrai  bien  de  la 
Suisse  et  de  ceux  qui  la  quittent. 

La  commission  de  la  bibliothèque  a  remis  à  M.  le  secré- 
taire général  de  la  part  de  MM.  Alphonse  Gautier  et  Frank 
de  Beaumoni,  des  articles  bibliographiques  que  nos  lecteurs 
trouveront  à  la  fin  de  cette  livraison. 

Le  secrétaire-général  annonce  avoir  reçu  en  outre  un  arti- 
cle d'un  journal  américain  sur  M.  VincenI,  M.  G.  et  son  voyage 
au  pays  de  l'éléphant  blanc,  voyage  dont  M.  le  professeur 
Ghaix  nous  a  entretenus  l'année  dernière.  M.  le  Président 
présente  un  nouvel  album  de  photographies  de  Peaux- 
Rouges,  don  fait  à  la  Société  par  le  prince  Roland  Bonaparte. 

Le  bibliothécaire  présente  plusieurs  documents  reçus  du 
service  hydrographique  des  É^tats-Unis,  les  cartes  pilotes  de 
janvier  et  février  indiquant  les  points  où  ont  eu  lieu  les  nau- 
frages survenus  dans  l'Atlantique  pendant  ces  deux  mois,  et 


106  BULLETIN. 

le  texte  qui  accompagne  ces  cartes;  une  série  de  données 
destinées  essentiellement  aux  marins,  et  deux  cartes  des  côtes 
du  Brésil. 

Le  Président  donne  la  parole  à  M.  H.  F.  Gros  poui'  une 
communication  sur 

Les  Boers  et  l'Ouverture  de  l'Afrique. 

Messieurs, 

Je  voudrais  vous  entretenir  de  celte  partie  de  la  popula- 
tion du  sud  de  l'Afrique  qui  représente  la  gi'ande  majorité 
de  la  population  blanche,  laquelle  est  une  combinaison  de 
races  eui'opéennes,  parlant,  m'a-t-on  assuré,  un  patois  encore 
usité  il  y  a  deux  siècles  dans  certaine  province  des  Pays-Bas. 
Ce  patois  esl  à  peine  compris  des  Hollandais  qui  débarquent 
au  Cap  aujourd'hui,  tandis  que  les  Boers  comprennent  suffi- 
samment la  langue  des  Pays-Bas  sans  pouvoir  la  pai'ler.  Les 
Anglais  nomment  ces  colons-là  Diitch,  mot  qui  correspond  à 
Hollandais;  eux-mêmes  se  font  appeler  Afrikander  ou  bur- 
gher;  nous,  nous  l'appellerons  Boer,  quoique  aucun  de  ces 
termes,  traduit  littéralement,  ne  soit  juste. 

Celui  de  Boer  est  pourtant  préférable,  parce  qu'il  corres- 
pond à  notre  mot  de  fermier  et  qu'il  rappelle  la  pi'ofession 
de  celui  qui  le  porte  ;  mais  quand  on  veut  s'en  servir,  il  faut 
le  faire  avec  ménagement,  car  il  contient  une  épithète 
que  les  Anglais  ont  rendue  méprisante,  ce  dont  le  Boer  est 
informé. 

L'histoire  nous  raconte  assez  brièvement  que,  de  1685  à 
1689,  des  réfugiés,  français  pour  la  plupart,  flamands,  mora- 
ves  et  piémontais,  victimes  des  persécutions  religieuses  de 
cette  époque,  et  envoyés  par  les  Pays-Bas,  auxquels  ils  avaient 
été  demander  un  asile,  furent  expédiés  au  Cap  avec  leurs 
familles,  pour  renforcer  le  petit  nombre  des  colons  hollandais 
qui,  depuis  peu  d'années,  s'y  étaient  établis.  En  1795  l'Angle- 
terre prenait  possession  de  celte  colonie  restée  hollandaise 
jusque-là,  pour  l'abandonner  de  nouveau  sept  ans  plus  tard 
jusqu'en  1806,  où,  reconnaissant  tout  le  parti  qu'elle  pouvait 
tirer  de  cette  excellente  position  maritime  sur  la  route  des 
Indes,  elle  se  l'appropria  définitivement. 

Voilà  en  deux  mots.  Messieurs,  l'origine  de  la  race,  dont 


procès-\'t:rbaux.  107 

l'influence  s'étendra  un  jour  sur  toute  la  partie  méridionale 
du  continent  africain,  car  j'ai  la  ferme  conviction,  les  circon- 
stances l'estant  les  mêmes, qu'il  n'existe  pas, sur  tous  les  abords 
de  ce  vaste  continent,  de  peuple  plus  uni,  plus  courageux  et 
plus  endurant,  pour  résoudre,  dans  des  conditions  suffisam- 
ment humanitair-es,  le  grand  problème  de  l'ouverture  de 
l'Afrique.  Gomment  le  Boer  y  arrivera-t-il?  Je  ne  saurais  le 
dire,  mais  je  m'attacherai  à  en  montrer  la  possibilité. 

Dans  le  sud  de  l'Afrique,  trois  éléments  sont  en  présence  : 
le  Boer  qui,  pour  conserver  ses  traditions,  préfère  se  sou- 
mettre à  une  émigration  systématique  ;  l'indigène  qui,  pour 
s'y  opposer,  posséderait  la  force  numérique,  mais  chez  qui 
l'union  et  les  expédients  manquent  totalement,  et  l'Euro- 
péen qui  va  rampant  partout  où  le  passage  a  été  frayé.  C'est 
au  contact  de  ces  trois  forces  opposées  que  l'on  doit  de  voir 
continuellement  le  Boer  s'avancei-,  tandis  que  l'indigène  recule 
ou  s'écarte,  et  que  l'Européen  vient  les  serrer  de  près. 

Au  nombre  des  causes  qui  stimulent  le  Boer  à  se  porter  en 
avant,  je  n'en  connais  pas  de  plus  fortes  que  l'aversion  qu'il 
nourrit  en  son  cœur  pour  les  institutions  européennes  qu'on 
veut  lui  imposer,  avec  leurs  armées  de  fonctionnaires  publics 
et  d'impôts,  leurs  complications  d'emprunts,  de  municipali- 
tés, de  postes,  de  télégraphes  et  d'entretiens  de  routes,  que 
le  Boer  met  au  rang  d'autant  d'engins  inutiles  à  l'existence 
de  patriarche  qu'il  s'est  choisie.  Ce  qu'il  demande  avec  in- 
stance, c'est  de  pouvoir  vivre  en  paix,  à  sa  manière,  et  pour 
obtenir  ce  résultat,  dès  l'année  1833,  une  partie  des  Boers 
que  l'on  est  convenu  d'appeler  les  Treks-Boers  ou  Boers 
nomades  se  sont  séparés  en  masse  de  leurs  frères  pour  porter 
leurs  pas  là  où  ils  supposaient  que  le  gouvernement  anglais 
ne  saurait  les  atleindre;  mais  celui-ci  les  suivit  constamment 
en  Natalie,  dans  le  Griqualand  occidental,  dans  l'État  libre 
d'Orange  et  finalement  au  Transvaal.  D'ailleurs  et  sans  être 
toujours  suivi  par  les  Anglais,  tant  que  le  Boer  persistera 
dans  son  idéal  de  liberté,  il  n'en  continuera  pas  moins  à 
émigrer  vers  le  nord,  l'est  et  l'ouest,  car,  avec  les  années  et 
Taugmentation  de  la  population  dans  les  proportions  actuel- 
les, celle-ci  se  créera  des  besoins  nouveaux,  ainsi  qu'une 
civilisation  et  un  gouvernement  qui  posséderont  toutes  les 
ressources  énumérées  plus  haut. 


108  BULLETIN. 

En  se  portant  en  avant,  le  Boei-  obéit  à  d'autres  exigences 
non  moins  impérieuses,  .^ui  ne  lui  laissent  aucun  repos,  et 
que  je  dois  également  passer  en  revue. 

Quand  il  plante  sa  tente  sur  une  terre  étrangère,  le  Boer 
ne  le  fait  pas  par  la  force  des  armes,  comme  on  l'a  souvent 
prétendu  ;  il  cherche  au  contraire  à  se  faire  l'allié  du  pos- 
sesseur du  sol  par  des  moyens  honorables;  un  prix  en  bes- 
tiaux est  débattu  entre  les  parties,  et  accepté  en  échange 
d'une  pièce  de  terre.  Plus  tard  surviendra  une  trahison  ou 
un  vol  de  bétail,  et  vengeances  et  massacres  en  seront  les 
conséquences. 

L'histoire  est  là  pour  nous  dire  lequel  du  blanc  ou  de  l'in- 
digène est  le  plus  scrupuleux  en  pareille  matière  ;  toujours 
est-il  que  ces  conflits  se  terminent  généralement  par  la  sou- 
mission de  l'indigène. 

On  a  reproché  au  Boer  d'employer  des  moyens  brutaux 
dans  ses  guerres  contre  les  naturels  ;  à  cela  je  répondrai  que 
durant  un  espace  de  18  années,  je  l'ai  vu  maintes  fois  aux 
prises  avec  son  ennemi  nalurel,employant,pour  châtier  quel- 
que peuplade  qui  l'avait  outragé,  tantôt  la  ruse, tantôt  la  force, 
toujours  la  patience,  et  malgré  des  cas  trop  nombreux  d'une 
barbarie  des  plus  révoltantes  exercée  par  les  naturels  envers 
leurs  prisonniers  blancs,  je  n'ai  jamais  vu  que  les  Boers  aient 
usé,  dans  leurs  représailles,  d'autres  procédés  que  de  ceux 
dont  se  sert  la  nation  qui  se  pique  d'être  la  plus  humaine  et 
la  plus  civilisée  du  monde.  Je  dirai  même  que  la  politique 
vacillante  et  détestable  du  cabinet  anglais  dans  ses  posses- 
sions du  sud  de  l'Afrique,  pendant  ces  dernières  années,  n'a 
trouvé  d'admirateurs  ni  parmi  les  Boers,  ni  parmi  les  Anglais, 
ni  parmi  les  indigènes.  N'a-t-on  pas  vu  peu  de  temps  après  la 
découverte  des  mines  de  diamants,  le  gouvernement  du  Cap, 
par  une  imprudence  impardonnable,  permettre  la  livraison 
de  centaines  de  milliers  de  fusils  aux  indigènes,  qui  accou- 
raient de  toutes  parts  pour  les  acheter  —  il  est  vrai  que  ces 
fusils  payaient  un  droit  d'entrée  d'une  livre  sterling  par 
canon  à  leur  débarquement, — et  les  arsenaux  anglais  se  pur- 
geaient par  ce  canal  de  toute  leur  vieille  ferraille,  aussi  la 
spéculation  promettait-elle  d'être  belle.  Mais  qu'en  résulta- 
t-il?  Hélas!  ce  que  l'on  avait  prévu.  Toutes  ces  bouches  à 
feu  se  dirigèrent  contre  les  Anglais  qui  les  avaient  vendues; 


PROCES-VERBAUX.  109 

les  guerres  du  Lessouto,  du  Zoulouland  et  du  Transvaal,  plus 
quinze  millions  de  livres  sterling  qu'elles  avaient  coûté,  vin- 
rent enrichir  l'histoire  et  les  mécréants  qui  avaient  combiné 
celte  spéculation. 

Pour  réparer  une  partie  du  mal,  ou  pour  en  profiter,  on 
voulut  faire  passer  une  loi  de  désarmement;  on  offrit  aux 
Bassoutos  de  racheter  leurs  armes  ;  comme  ils  refusèrent 
de  s'y  prêter,  on  chercha  à  les  leur  reprendre  par  la  force, 
et  l'on  échoua. 

En  ce  qui  concerne  le  Zoulouland,  peut-on  expliquer  autre- 
ment que  par  une  légèreté  incroyable  tous  les  désastres  dont 
ce  pays  a  été  et  continuera  à  être  affligé.  Les  Zoulous  sont  en 
armes,  le  répit  accordé  par  l'ultimatum  de  sir  Bartle  Frère 
est  écoulé  et  le  duel  se  poursuit  furieux  et  sanglant.  On  voit  à 
l'issue  un  roi  vaincu,  traîné  en  captivité,  un  peuple  privé 
de  son  chef  et  plongé  dans  h  guerre  civile;  pour  y  mettre 
un  terme,  on  écoule  quelques  meneurs,  et  l'on  rétablit  le 
monarque  déchu,  qui,  à  son  retour  dans  ses  États —  on  devait 
s'y  attendre, — n'y  retrouve  qu'un  petit  nombre  d'adhérents; 
alors  on  l'abandonne  à  son  misérable  sort,  et  la  guerre  civile 
n'est  point  encore  terminée. 

Si  l'on  considère  la  position  du  Transvaal  et  ses  rapports 
avec  l'Angleterre,  de  1876  à  aujourd'hui,  on  remarquera 
dans  son  administration  toujours  la  même  inconstance  et  la 
même  légèreté. 

En  1876  les  Boers  de  cette  république  soutiennent  une 
guerre  contre  Secocoeni,  le  chef  souverain  des  Bapédis,  qui 
avait,  comme  le  reste  des  indigènes,  fait  provision  de  fusils 
anglais.  Cette  guerre  ne  se  termina  pas  à  l'honneur  des 
blancs;  les  ressources  du  pays  furent  épuisées  et  ses  habi- 
tants démoralisés.  Mais  voici  que  sir  Théophile  Shepstone, 
accompagné  de  son  état-major  et  de  vingt-cinq  gendarmes, 
apparaît  sur  la  scène,  porteur  d'un  message  de  paix  et  d'a- 
mour; une  députation  de  sept  délégués  choisis  par  les  habi- 
tants de  Pretoria  —  j'ai  eu  l'honneur  d'en  faire  partie  — 
l'accueille,  on  s'empresse  autour  de  lui,  on  l'accable  de  félici- 
tations; attelée  à  son  équipage,  la  populace  le  mène  en  triom- 
phe dans  les  rues  de  Pretoria;  des  (lots  de  Champagne  cou- 
lent àl'ambassade  anglaise;  la  confiance  renaît  dans  les  cœurs, 

LE    GLOBE,    T.    XXIII,    1884.  8 


110  BULLETIN. 

car  rAngleterre,  par  la  bouche  de  son  représentant,  vient 
étudier  les  griefs  du  Tiansvaal.  Trois  mois  plus  tard  il  pro- 
clame l'annexion,  et  de  ses  poches  sortent  des  rivières  de 
souverains;  la  dette  publique  est  garantie  et  les  salaires  arrié- 
rés des  fonctionnaires  sont  payés.  Ensuite  sir  Gai-nel  Wolse- 
ley  accourut  du  Zoulouland  pour  se  saisir  de  Secocoeni  qui  fut 
amené  prisonnier  à  Pretoria;  c'est  là  que  j'entendis  l'éminent 
généi'al  prononcer  ces  paroles  historiques  :  «  L'Angleterre 
ferait  remonter  les  eaux  d'un  fleuve  à  sa  source,  plutôt  que 
d'abandonner  un  pays  sur  lequel  le  drapeau  anglais  a  été 
planté.  »  Il  faut  croire,  qu'en  s'exprimant  ainsi,  l'orateur  était 
autorisée  donner  au  sujet  de  l'occupation  anglaise  les  garan- 
ties qu'on  lui  demandait. 

Et  comme  si  les  capitaux  n'avaient  attendu  qne  cette  décla- 
ration pour  faire  irruption  dans  le  Transvaal,  une  ère  de  paix 
et  de  prospérité  jusque-là  inconnue  commença  pour  tout  le 
territoire,  mais  elle  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Les  guerres 
du  Zoulouland  et  de  Secocoeni  terminées,  sir  Garnet  Wol- 
seley  repai-til  pour  l'Angleterre  avec  ses  beaux  dragons  et 
ses  régiments  ;  la  grande  popularité  de  sir  Théophile  Shep- 
stone  fut  remplacée  par  celle  plus  douteuse  de  sir  Owen 
Lanyon,  dont  l'administration  rapace  et  arrogante  produisit 
des  soulèvements  non  i-éprimés  parmi  les  Boers,  qui  se  réu- 
nirent à  plusieurs  reprises,  pour  tenir  conseil,  et  le  16  décem- 
bre 1880,  ils  proclamèrent  la  république. 

Il  faut  convenir  que  le  moment  était  bien  choisi,  car,  dans 
l'intervalle,  M.  Gladstone  avait  succédé  à  lord  Beaconsfield  et 
les  loOO  hommes  qui  composaient  la  garnison  du  Transvaal 
étaient  répartis  sur  tous  les  points  d'une  surface  plus  grande 
que  la  France,  Du  côté  de  la  Natalie,  une  force  égale 
était  seule  à  la  disposition  immédiate  de  son  gouverneur  le 
général  Colley.  C'est  avec  celte  petite  colonne  que,  pour 
franchir  la  chaîne  du  Drakensberg,  il  livra  les  combats  de 
Laing's  Nek,  d'ingogo  et  d'Amajuba,  qui  furent  une  succes- 
sion de  défaites.  Passant  sous  silence  les  sièges  de  Pretoria, 
de  Potchefstroom  et  tant  d'autres^  bien  que  riches  en  émou- 
vants épisodes,  j'ajoute  que  la  paix  fut  enfin  conclue  et  que 
la  rétrocession  du  Transvaal  devint  un  fait  accomph. 

Messieurs,  j'arrive  du  Transvaal,  avec  ma  famille,  et  dans 
peu  de  jours  je  dois  de  nouveau  quitter  Genève,  ma  patrie, 


PROCÈS-VERBAUX.  111 

pour  aller  reprendre  ma  place  au  milieu  des  Boers.  C'est 
vous  dire  que  je  dois  prendre  garde  à  mes  paroles,  car  Tani- 
mosité  de  ces  hommes  pour  tous  ceux  qui  prirent  les  armes 
contre  eux  est  loin  d'être  éteinte,  et  nul  ne  peut  vivre  là-bas 
s'il  ne  semble  pas  au  moins  partager  les  opinions  d'une  frac- 
tion qui  s'est  considérablement  accrue  depuis  les  exploits  dont 
je  vous  entretenais  tout  à  l'heure.  Eh  bien,  Messieurs,  je 
brave  le  danger  auquel  m'exposeraient  mes  sentiments,  si 
on  venait  à  les  connaître  au  delà  de  l'Océan,  et  je  vous  avoue- 
rai, en  ce  qui  concerne  Tannexion,  que  mon  opinion  reste  ce 
qu'elle  était  quand,  avec  la  députation,  j'allais  au-devant  de 
l'envoyé  extraordinaire  anglais,  et  je  vous  demande,  à  vous 
comme  à  tous  les  citoyens  du  Transvaal,  mettant  de  côté  tout 
autre  intérêt  que  celui  de  la  vérité  :  Que  serait-il  advenu  de 
la  république  sans  l'annexion  ? 

Retranché  dans  son  dédale  de  montagnes  escarpées,  un 
chef  puissant  avait  résisté  avec  succès  pendant  deux  ans  à 
tous  les  efforts  du  gouvernement  de  Pretoria;  ce  chef  ne  sor- 
tait que  nuitamment  et  par  petites  expéditions,  pour  se  livrer 
au  pillage  et  au  meurtre;  c'est  là,  on  le  sait,  la  tactique  par 
excellence  des  Cafres  dans  leurs  guerres  contre  les  colons. 
On  avait  appris  qu'il  existait  une  alliance  entre  Secocoeni  et 
Cettiwayo,  le  roi  des  Zoulous,  alors  en  possession  de  toute  sa 
force.  Son  royaume  donnait  déjà  des  signes  évidents  d'une 
fermentation  qui  éclata  peu  après  l'annexion,  mais  qui  pou- 
vait devenir  excessivement  grave  pour  les  intérêts  de  tout 
le  sud  de  l'Afrique;  Secocoeni  restant  maître  delà  place  dans 
le  nord-est,  pour  peu  que  ses  succès  eussent  été  imités  alors 
dans  l'est,  la  conflagration  pouvait  s'étendre  sur  tout  le  litto- 
ral sud  du  Limpopo,  et  c'en  était  fait  des  colons.  Il  fut  alors 
aussi  question  de  bruits  de  guerre  chez  les  Bassoutos;  mais, 
soit  que  l'indécision  s'en  mêlât,  soit  que  la  saison  ne  leur 
fût  pas  propice,  leur  danse  de  guerre  fut  ajournée  à  trois 
années  plus  tard,  soit  à  peu  de  mois  avant  la  guerre  du 
Transvaal. 

Dans  le  sein  de  la  république  l'anarchie  régnait  en  plein  ; 
son  président  Thomas  Burgers  avait  perdu  tout  contrôle  sur 
le  Volksraad  et  sur  les  habitants  ;  chacun  voulant  agir  selon 
ses  idées,  personne  ne  prenait  l'initiative,  les  citoyens  jetaient 
loin  leurs  armes,  car  des  revers  auxquels  ils  étaient  peu  hahi- 


Il2  BULLETIN. 

tués  avaient  éloulTé  en  eux  non  seulement  le  sentiment  de 
leurs  devoirs,  mais  ce  qui  est  pire  encore,  leur  patriotisme. 

Les  coffres  de  l'État  étaient  littéralement  vides  et  son  cré- 
dit absolument  ruiné;  ses  fonctionnaires  ne  recevant  plus 
leur  salaire  qu'en  bons  sur  le  trésor,  ces  chiffons  étaient 
échangés  à  vil  prix  contre  les  articles  les  plus  indispensables 
à  l'existence. 

C'est  dans  les  villes,  à  Pretoria  surtout,  où  siégeait  le  gou- 
vernement, que  l'anarchie  se  faisait  le  plus  sentir;  tandis  que 
dans  les  districts  éloignés  du  théâtre  de  la  guerre,  où  les  nou- 
velles pénétraient  difficilement,  les  campagnes  étant  sépai'ées 
par  de  grandes  distances  les  unes  des  autres,  on  discutait 
fort  à  l'aise  les  chances  de  se  réveiller  un  jour  sans  vestiges 
d'un  gouvernement  quelconque. 

C'est  alors  qu'avertie  à  temps  du  danger  que  couraient  ses 
colonies  limitrophes,  l'Angleterre  nous  prenant  sous  son  aile, 
attaqua  d'une  main  de  maître,  toutes  les  difficultés  du  moment. 
Tous  les  fonctionnaires  qui  avaient  servi  sous  la  république 
à  l'exception  de  deux  d'entre  eux,  Burgers  et  Bakker,  dont 
le  premier  avait  accepté  une  pension  du  gouvernement 
anglais,  continuèrent  volontairement  leur  service,  à  la  solde 
du  même  gouvernement. 

Voilà,  Messieurs,  le  meilleur  témoignage  qu'il  me  soit  pos- 
sible de  vous  offrir  pour  prouver  l'a  propos  de  cette  anne- 
xion; si  elle  ne  compta  pas  de  partisans  parmi  certaines 
nations  européennes,  cela  tient  aux  fausses  représentations 
qu'on  en  a  faites.  Pour  ma  part  je  crois  sincèrement  que  c'est 
à  celte  annexion  que  le  pays  doit  d'avoir  été  préservé  d'une 
invasion.  Cettiwayo  et  Secocoeni  disparurent  tour  à  tour  de 
l'horizon  fumant,  et  un  soleil  radieux  se  leva  sur  le  Trans- 
vaal  ;  en  peu  de  temps  nous  eûmes  une  ligne  télégraphique, 
des  postes  régulières,  des  routes  mieux  entretenues  et  des 
percepteurs  d'impôts  à  nos  portes. 

Les  troubles  qui,  de  tout  temps,  désolèrent  le  sud  de  l'Afri- 
que, doivent  être  attribués  à  l'éloignement,  à  l'incompétence 
et  à  l'instabilité  du  cabinet  anglais  dans  sa  direction  des 
affaires  d'un  autre  hémisphère  :  —  à  son  incompétence,  qui 
résulte  de  son  éloignement,  parce  qu'en  Angleterre  on  est 
aussi  peu  au  courant  qu'il  soit  possible  de  l'être,  du  vrai  carac- 
tère des  Boers  et  des  indigènes.  Ce  sont  deux  étalons  doux. 


PROCÈS-VERBAUX .  113 

et  intéressants,  qu'il  serait  cependant  très  aisé  de  conduire 
si  l'on  savait  les  tenir  en  mains,  sans  trop  se  servir  du  fouet, 
avec  un  mors  bien  adapté  à  leur  bouche,  et  un  conducteur 
qui  ne  fût  pas  renouvelé  trop  souvent.  Je  peux  vous  donner 
l'assurance,  Messieurs,  que  de  tels  instruments  se  rencon- 
trent parmi  les  Africains,  sans  qu'il  faille  aller  jusqu'en  Angle- 
terre pour  les  trouver  ;  à  l'instabilité,  parce  que  les  gouver- 
ments  anglais  se  succèdent,  mais  ne  se  ressemblent  point,  et 
que  l'on  voit  trop  fréquemment,  comme  partout  ailleurs,  un 
ministre  entrer  dans  une  voie  dans  laquelle  son  successeur  le 
suit  rarement;  c'est  à  celte  instabilité  que  le  Transvaal  doit 
son  indépendance  actuelle.  —  La  retraite  de  sir  Owen  Lanyon 
fut  signalée  par  le  départ  spontané  d'une  foule  de  colons 
anglais  et  africains,  qui  reprirent  le  chemin  du  sud;  tandis 
que  quatre  années  auparavant  l'entrée  des  Anglais  avait  pro- 
duit un  effet  d'un  tout  autre  genre,  puisque  deux  cents  famil- 
les de  Boers  allèrent  grossir  les  rangs  de  l'exploration  afri- 
caine en  prenant  le  chemin  du  nord. 

La  seconde  raison  qui  porte  le  Boer  à  contribuei-,  malgré 
lui,  à  l'ouverture  de  l'Afrique,  se  trouve  tout  naturellement 
dans  l'accroissement  de  sa  famille  ;  vous  ne  manquei'ez  pas  de 
remarquer  qu'en  l'exposant  je  me  laisserai  souvent  entraîner 
dans  des  détails  qui  peuvent  paraître  étrangers  à  mon  sujet  ; 
je  les  ai  crus  nécessaires  parce  qu'ils  entrent  indirectement 
dans  la  source  très  complexe  de  tous  les  désavantages  aux- 
quels le  Boer  est  soumis. 

Le  Boer,  qui  est  essentiellement  fermier,  se  sent  peu  fait 
pour  toute  autre  vocation.  Je  parle  du  Trek-Boer  et  non  du 
Boer  gentleman,  lequel,  s'étant  fusionné  avec  les  colons  de 
son  entourage,  se  rencontre  principalement  aux  abords  des 
villes,  dans  les  colonies  du  Cap  et  de  Natal,  Le  Trek-Boer  s'oc- 
cupe de  l'élevage  du  bétail,  dont  l'espèce  varie  avec  les  con- 
ditions des  pays,  par  exemple,  le  mouton  se  rencontre  dans 
les  plaines  arides  de  la  colonie  du  Gap  et  dans  l'Étal  libre 
d'Orange;  la  végétation  de  la  première  consiste  en  petites 
touffes  de  buissons,  hauts  de  30  c.  à  peine,  ou  bien  d'une 
herbe  rabougrie  et  rare,  telle  qu'on  la  trouve  dans  l'Étal 
libre.  La  race  chevaline  prospère  dans  les  plaines  et  sur  les 
plateaux  peu  arrosés,  non  visités  par  une  maladie  épidémi- 
que  très  funeste  dans  ses  résultats,  et  qui  n'est  autre  qu'une 


114  BULLETIN. 

fièvre  pfovenanl  d'un  excès  continu  de  nourriture,  à  l'épo- 
que où  riierbe  est  fleurie,  l'épidémie  apparaît  alors  et  sévit 
jusqu'aux  pi'emières  gelées.  Les  Africains  sont  d'accord  pour 
attribuer  cette  maladie  à  l'air  de  la  nuit  ou  à  la  rosée.  L'éle- 
vage du  gros  bétail  est  l'un  des  attributs  favoris  du  Boer^  et 
c'est  dans  le  Transvaal  qu'on  le  voit  en  faire  son  occupation 
la  plus  rémunératrice;  l'agriculture  y  est  aussi  mieux  déve- 
loppée qu'ailleurs;  grâce  aux  pluies  plus  régulières  de  Télé, 
les  pâturages  y  sont  mieux  fournis;  dans  maintes  parties  du 
pays  riierbe  atteignant  souvent  une  hauteur  de  six  pieds,  les 
chevaux  et  les  moutons  en  sont  exclus. 

Une  autre  occupation  propre  au  Boer  habitant  les  confins 
de  la  civilisation,  c'est  la  chasse  et  la  coupe  des  bois  de  char- 
pente; des  produits  de  sa  chasse  il  fera  des  articles  en  cuir, 
qui  trouvent  un  facile  écoulement  parmi  ceux  de  ses  compa- 
triotes, chez  lesquels  le  gibier  manque. 

J'ai  dit  que  la  population  des  Boers,  allant  en  croissant 
dans  des  proportions  remarquables,  leur  émigration  en  était 
le  résultat  direct.  En  effet,  bien  qu'immenses,  leurs  fermes 
avec  leur  rare  végétation  (le  Transvaal  excepté)  ne  peuvent 
guère  recevoir  plus  d'un  certain  nombre  de  têtes  de  bétail; 
l'agriculture  étant  presque  nulle  et  à  peine  suffisante  pour  les 
besoins  de  la  population,  la  jeune  génération  a  tellement  sub- 
divisé la  ferme  de  ses  pères,  qu'il  est  matériellement  impos- 
sible de  la'  subdiviser  davantage,  et  comme  tout  ce  monde  se 
marie  très  jeune  et  voit  dans  la  possession  d'une  nombreuse 
famille  son  bonheur  terrestre,  c'est  ailleurs  qu'il  doit  aller 
le  chercher,  on  le  voit  alors  fréquemment  sur  les  routes  avec 
son  wagon  ;  des  provisions  et  son  attirail  domestique  bien 
modeste,  prendre  littéralement  la  clef  des  champs. 

La  place  diminue  chaque  jour;  en  outre  le  Boer  a,  dans 
certaines  parties  du  pays,  d'autres  difficultés  non  moins  sérieu- 
ses :  je  veux  parler  de  la  sécheresse  persistante  de  quelques 
saisons  et  du  terrible  fiéau  des  sauterelles,  dont  j'ai  pu  trop 
souvent  déplorer  les  effets,  par  exemple,  en  1865,  lorsque  je 
traversai  les  plaines  du  Karoo  qui  s'étendent  de  Gérés  jusqu'à 
Beau  fort- West,  sur  un  parcours  de  300  kilomètres,  mainte- 
nant traversé  par  un  chemin  de  fer;  la  sécheresse  qui  sévis- 
sait depuis  deux  ans  était  telle  que  l'air  était  rempli  des  éma- 
nations d'animaux  morts  d'inanition;  la  pluie  vint  enfin  et 


PROCÈS- VERBAUX.  115 

quinze  jours  après,  ô  prodige!  les  buissons  que  j'avais  crus 
morts  aussi,  reverdirentlet  se  couvrirent  de  charmantes  petites 
fleurs;  mais,  comme  si  des  ondées  bienfaisantes  n'étaient  pas 
faites  seulement  pour  ressusciter  une  végétation,  là  où  il  n'en 
restait  plus  aucune  trace,  des  nuées  de  sauterelles  remplirent 
l'air;  le  soleil  en  était  littéralement  obscurci,  et  se  transpor- 
tant de  lieux  en  lieux  avec  le  bruit  sourd  de  l'ouragan,  elles 
semèrent  de  nouveau  partout,  dans  les  jardins,  les  champs  et 
la  campagne,  la  dévastation  et  l'etTroi.  Ces  sauterelles  sont 
voraces  au  point  de  s'attaquer  à  tout,  même  aux  semelles  des 
souliers  qu'on  a  laissés  par  mégarde  à  sa  porte.  En  revan- 
che et  comme  pour  servir  les  desseins  d'une  admirable  Pro- 
vidence, alors  qu'il  n'y  a  plus  que  la  famine  à  attendre,  on 
voit  les  oiseaux  de  l'air,  les  animaux  des  champs,  même  les 
indigènes  en  faire  volontiers  leur  nourriture;  grillée,  comme 
les  naturels  la  préparent,  la  sauterelle  africaine  n'est  pas  à 
dédaigner.  Quand  elle  ne  vole  pas,  le  sol  en  est  couvert  à  cer- 
tains endroits  d'une  couche  de  5  à  15  centimètres  d'épais- 
seur; elle  s'attache  aux  buissons  et  aux  pierres  au  point  d'en 
cacher  la  nature  et  la  forme  ;  on  la  voit  aussi  traverser  de 
petites  rivières  à  sec  marchant  sur  les  corps  de  ses  congénè- 
res qui  y  sont  tombés. 

C'est  le  matin,  dès  que  les  rayons  du  soleil  sont  assez 
chauds  pour  la  dégourdir,  qu'on  la  voit  s'élever  par  nuées  et 
suivre  la  direction  du  vent  à  des  hauteurs  qui  varient  avec 
la  force  de  celui-ci,  s'abattant  avec  lui  pour  reprendre  bien- 
tôt, et  toujours  au  ^vé  du  vent,  un  vol  effréné  vers  des 
régions  inexplorées  par  elles,  jusqu'à  ce  qu'enfin,  franchissant 
plaines  et  montagnes,  ces  nuées  immondes  rencontrent  la 
mer  où  elles  sont  englouties  et  deviennent  la  proie  du 
poisson. 

Au  nombre  des  causes  qui  tendent  à  faire  du  sud  de  l'Afri- 
que une  contrée  de  plus  en  plus  défavorable  à  la  colonisation, 
non  seulement  des  Boers,  mais  de  tous  les  colons,  quelle  que 
soit  leur  origine,  je  puis  ajouter  la  funeste  habitude  qu'on  a, 
dans  l'État  libre  d'Orange,  le  Lessouto,  la  Natalie  et  le  Trans- 
vaal,  et  dans  toutes  les  autres  parties  où  il  y  a  encore  un  peu 
de  végétation  capable  d'être  consumée,  de  la  Itrùler.  En  effet, 
dès  que  le  printemps  s'annonce  en  juillet,  sous  le  prétexte 
que  le  bétail  aura  plus  tôt  une  herbe  tendre  et  verte  à  brou- 


116  BULLETIN. 

ter,  on  voit  tout  le  monde,  la  torche  à  la  main,  mettre  résolu- 
ment le  feu  aux  broussailles;  en  quelques  jours  l'incendie 
se  pi'opage  et  le  pays  tout  entier,  déjà  bien  afTreux,  n'oiïre 
plus  à  la  vue  qu'un  vaste  brasier. 

Je  ne  connais  pas  de  pratique  plus  funeste  à  tous  égards 
que  celle-là.  Pour  la  faire  cesser  il  faudrait  que,  d'un  commun 
accord,  prédicateurs  et  législateurs,  s'élevassent  contre  elle. 
Il  est  prouvé  que  si  ces  feux  annuels  ne  détruisent  pas  les 
serpents  enfouis  sous  le  sol  dans  les  mois  de  mai,  juin  et 
juillet,  ils  détruisent  d'autre  part  des  milliers  d'oiseaux  qui 
nichent  dans  l'hei'be,  et  des  milliers  d'insectes  dont  le  rôle  à 
tous  est  trop  connu  pour  être  rappelé.  Ce  mal  n'est  rien 
encore  en  comparaison  de  celui  qui  est  produit  directement 
dans  toute  la  flore;  les  rares  arbres  que  Ton  rencontre  encore, 
périssent  les  uns  après  les  autres  par  suite  des  brûlures  que 
leur  écorce  a  reçues  à  sa  hase,  et  il  est  matériellement  impos- 
sible à  toute  graine  ou  à  tout  arbrisseau  de  prendre  son  essor. 
La  végétation  diminuant,  l'humidité  du  sol  et  de  l'air  dispa- 
raît aussi  et  les  pluies  en  deviennent  de  plus  en  plus  rares. 

Sans  pouvoir  s'en  rendre  cempte,  des  vieillards  m'ont 
assuré  se  souvenir  d'un  temps  où  les  pluies  étaient  plus  fré- 
quentes, où  l'herbe  croissait  dans  la  colonie  du  Cap,  là  où  il 
n'y  a  plus,  à  l'heure  qu'il  est,  que  les  petits  buissons  rabougris 
dont  je  parlais  tout  à  l'heure,  lesquels  sont  maintenant  trop 
espacés  pour  que  le  feu  s'y  propage. 

Voilà  les  causes  qui  me  font  croire  que,  tant  qu'elles  sub- 
sisteront, le  Boer  est  appelé  à  jouer  inconsciemment  le  rôle 
de  pionnier  dans  la  civilisation  de  l'Afrique  centrale.  «  C'est 
moi  qui  défriche  et  John  Bull  qui  moissonne,  »  l'entend-on 
murmurer  souvent.  Oui,  Messieurs,  c'est  lui  qui  défriche 
l'Afrique,  et  en  la  défricliant  il  ne  se  sert  ni  de  l'hypocrisie, 
ni  des  millions,  ni  des  soldats,  ni  du  rhum  des  autres  nations, 
mais  seulement  de  la  connaissance  parfaite  qu'il  a  du  carac- 
tère de  l'indigène,  de  sa  carabine  au  besoin,  de  son  endu- 
rance stoïque  toujours. 

Sa  connaissance  de  l'indigène  et  son  endurance,  il  les  a 
puisées  de  bonne  heure  à  l'école  de  l'adversité  :  il  y  a  deux 
siècles  il  se  créait  une  nouvelle  patrie  sur  la  terre  du  Cap  des 
Tempêtes,  comme  on  l'appelait  alors  ;  en  1811,  par  petites 
étapes,  il  s'avançait  jusqu'à  Gratï-Reinet,  qui  lui  était  alors 


PROCÈS- VERBAUX .  117 

plus  inconnu  que  l'Afrique  centrale  ne  l'est  de  nos  jours  ; 
dans  la  même  année  il  reprenait  par  les  armes  son  bétail 
que  les  Caffres  lui  avaient  enlevé  ;  vingt-trois  ans  plus  tard' 
il  franchissait  par  terre  la  distance  énorme  et  peuplée  de  tri- 
bus hostiles  qui  le  séparait  de  la  Natalie,  où  Pieter  Retief 
plantait  bravement  sa  tente  au  milieu  de  400,000  Zoulous, 
qui  le  regardaient  ébahis;  en  1837  attiré  dans  un  piège  il  se 
faisait  massacrer  par  Dingaan,  le  roi  des  Zoulous;  en  1838 
Prétorius,  à  la  tête  de  ses  400  braves,  se  vengeait  de  cet 
affront;  en  maintes  occasions  il  se  mesurait  avec  les  troupes 
anglaises  et  après  avoir  franchi  la  rivière  Orange  s'établissait, 
toujours,  toujours  plus  avant  dans  l'intérieur  ;  en  1850, 
puis  de  18o8  à  1866,  il  soumettait  Moshesh,  et  les  Anglais 
profitant  de  cette  victoire,  lui  arrachaient  sa  conquête;  enfin 
de  18o2  à  1877,  pénétrant  toujours  plus  avant,  il  s'établit 
dans  le  Transvaal  et  en  chassa  le  puissant  Mosélikatzi  qui 
l'avait  trahi. 

S'il  restait  encore  un  doute  dans  votre  esprit,  Messieurs, 
snr  ce  que  peut  accomplir  le  Boer,  j'ajouterai  que,  ne  con- 
naissant l'Afrique  centrale  que  par  ce  qu'en  ont  rapporté  les 
Livingstone,  les  Stanley,  les  Cameron,  et  tant  d'autres,  je  ne 
vois  rien,  jusqu'au  Soudan,  qui  soit  de  nature  à  effrayer  le 
Boer,  quoique  le  Noir  Continent  lui  paraisse  cependant  plus 
noir  qu'à  nous,  parce  que  les  seuls  enseignements  géogra- 
phiques qu'il  ait  reçus,  il  les  a  puisés  lui-même  dans  le  seul 
Livre  qu'il  possède;  ce  Livre  lui  parle  d'une  Terre  Promise, 
il  sait  qu'elle  est  au  bout  de  son  grand  voyage  et  c'est  vers 
cette  terre  qu'il  s'achemine. 

«  Afrika  voor  Afrikanders  »  est  son  cri  de  ralliement;  il  le 
criait  bien  haut  il  y  a  deux  siècles  en  débarquant  sur  cette 
plage  inhospitalière,  les  échos  du  Zambèze  le  répètent  aujour- 
d'hui. 

Arrivé  au  bout  de  ma  communication,  si  j'osais,  pour 
la  troisième  fois,  parler  de  l'annexion  du  Transvaal,  ce 
serait  uniquement  pour  faire  ressortir  les  conséquences  d'un 
moment  de  faiblesse;  le  Boer  du  Transvaal,  identique  par  ses 
aspirations  et  ses  goûts,  au  Boer  d'autrefois,  a  reconnu  son 
erreur  et  prouvé  par  la  suite  que  la  leçon  lui  a  été  salu- 
taire. 

Je  sens  qu'une  explication  de  ma  conduite  vous  est  due, 


118  BULLETIN. 

et  je  sais  également  que  votre  honorable  Société  me  la  deman- 
derait si  je  ne  l'offrais  volontairement. 

Lorsque  je  me  prononçais  en  faveur  de  l'annexion,  c'est 
que  je  voyais  par  les  yeux  des  hommes  les  plus  sensés  du 
pays,  qui  voulaient  sa  sécurité  et  le  progrès;  c'est  avec  eux 
que  je  combattis  ;  mais  aussi  longtemps  que  les  Boers  du 
Transvaal  voudront  rester  unis,  sincères  et  justes,  c'est  de 
leur  côté  que  je  me  rangerai. 

La  Société  exprime  par  ses  applaudissements  ses  remercî- 
ments  à  M.  Gros  pour  cette  intéressante  communication. 

M.  le  D''  Lombard  demande  à  M.  Gros  des  renseignements 
sur  le  mouvement  de  la  population  au  Transvaal. 

M.  Gros  répond  que  pendant  les  années  de  l'annexion,  il  y 
a  eu  augmentation  du  nombre  des  colons  anglais  et  euro- 
péens; de  900  habitants  qu'avait  Pretoria  en  1876,  le  chiffre 
s'en  était  élevé  à  4000  pendant  le  siège;  après  la  rétrocession 
il  est  redescendu  à  1000.  C'est  surtout  dans  les  campagnes 
que  l'augmentation  s'est  produite.  Les  villes  ne  sont  pas  peu- 
plées de  Boers;  dans  les  campagnes  ceux-ci  sont  fermiers 
sans  avoir  cependant,  dans  leurs  mœurs,  rien  de  commun 
avec  nos  fermiers  ;  assez  indolents  ils  choisissent  des  occu- 
pations qui  ne  leur  coûtent  pas  beaucoup  de  travail.  Ils  cul- 
tivent un  peu  de  terrain  autour  de  leur  liabitation,  là  où  il  y 
a  une  source;  ils  ont  des  charrues,  mais  vu  la  dureté  du  ter- 
rain et  la  faiblesse  relative  des  bœufs,  il  faut  en  atteler  douze 
pour  le  labourage,  et  avoir  en  outre  un  attelage  de  rechange. 
Les  Boers  ne  se  servent  pas  d'engrais;  leurs  propriétés  sont 
entourées  de  clôtures;  celles  des  naturels  sont  tout  ouvertes  ; 
leurs  bestiaux  empiètent  à  chaque  instant  sur  le  terrain  d'au- 
trui,  de  là  naissent  beaucoup  de  discussions  et  l'obligation 
d'en  appeler  à  la  justice. 

Quant  aux  différents  éléments  de  la  population  au  sud  de 
l'Afrique,  sans  pouvoir  préciser  les  chiffres,  M.  Gros  estime 
qu'il  peut  y  avoir  200,000  Boers  pour  100,000  Européens. 
Dans  le  Transvaal  seulement  il  \  a  40,000  Boërs  et  600,000 
indigènes;  Wolseley  en  a  indiqué  800,000.  A  mesure  que  les 
Boers  avancent  les  indigènes  se  retirent.  La  loi  d'impôt  du 
Transvaal  ayant  institué  une  taxe  sur  le  nombre  de  huttes 
que  chacun  possède,  les  natifs  s'entassent  dans  le  plus  petit 
nombre  possible  de  huttes  pour  payer  moins  au  fisc. 


PROCÈS- VERBAUX.  119 

Sur  les  cartes  les  limites  du  Transvaal  sont  indiquées 
comme  s'arrêtant  au  Limpopo,  quoiqu'on  trouve  des  Treks- 
Boers,  nomades  et  chasseurs,  au  delà  du  Limpopo  et  jusque 
sur  les  bords  du  Zambèze. 

M,  Moynier  demande  des  explications  sur  les  incendies  de 
forêts  si  fréquents  dans  cette  partie  de  l'Afrique.  Faut-il  les 
imputer  à  la  population  indigène,  ou  la  responsabilité  en  doit- 
elle  être  attribuée  aux  blancs? 

D'après  un  renseignement  fourni  par  un  Boer,  M.  Gros 
croit  que  les  indigènes  ne  pratiquaient  pas  l'incendie  et  que 
l'usage  en  a  été  introduit  par  les  blancs. 

M.  de  Beaumont  rappelle  qu'en  Russie  règne  l'habitude  de 
brûler  les  herbes.  En  paissant,  les  bestiaux  laissent,  sans  y 
toucher,  une  herbe  dure  qu'il  faut  brûler. 

M.  Gros  explique  qu'au  Transvaal,  dans  certains  endroits 
où  le  feu  ne  peut  pas  prendre,  l'herbe  ancienne  reste  et 
pourrit,  la  nouvelle  pousse  et  la  recouvre;  les  Boërs  préfè- 
rent celle-ci  pour  leurs  troupeaux  qui  ne  veulent  pas  autre 
chose,  mais  chez  lesquels  il  résulte,  de  cet  usage  exclu- 
sif de  l'herbe  fraîche,  des  maux  d'entrailles  qui  seraient 
évités  si  rherbe  nouvelle  se  trouvait  mélangée  avec  de 
l'ancienne. 

M.  de  Beaumont  demande  si  le  régime  des  sources  et  le 
débit  des  rivières  ont  beaucoup  changé? 

M.  Gros  répond  que  la  sécheresse  augmente.  En  1870,  par 
exemple,  les  Champs  de  Diamants  étaient  couverts  de  mimo- 
sas; il  y  avait  en  outre  beaucoup  d'herbe  et  une  belle  végé- 
tation. Les  mineurs  venus,  coupèrent  tous  les  arbres  sans 
aucune  retenue,  les  forêts  de  mimosas  disparurent,  d'herbe, 
il  n'y  en  a  plus;  aujourd'hui  la  sécheresse  est  perpétuelle. 

M^  Hornung  rappelle  les  données  fournies  pai-  un  article 
de  la  Revue  des  Deux  Mondes  sur  les  conséquences  du 
déboisement  :  l'absence  de  pluie  et  la  disparition  de  la  végé- 
tation. Si  les  blancs  taillent  en  ruine,  leur  action  en  Afrique 
ne  mérite  pas  le  nom  de  civilisati'ice. 

M.  Gros  répond  que  lesBoers  ne  s'attribuent  pas  la  mis- 
sion de  civiliser  les  indigènes  ;  ils  voudraient  bien  plutôt  les 
maintenir  dans  l'ignorance.  Ignorants  eux-mêmes,  ils  ne  se 
demandent  pas  pourquoi  les  pluies  deviennent  de  plus  en 
plus  rares.  Ils  ne  lisent  ni  journaux,  ni  livres,  si  ce  n'est  la 


120  BULLETIN. 

Bible.  Le  moyen  de  remédier  au  mal  serait  de  leur  prêcher 
le  reboisement. 

M.  Humi)ert  voit  au  déboisement  deux  causes  :  les  incen- 
dies et  les  chèvres.  On  estime  généralement  que  l'eflel  du 
feu  sur  les  arbres  est  de  les  faire  périr.  En  Inde  on  brûle  les 
broussailles  en  pleine  forêl,  cependant  celle-ci  ne  périt  pas. 
Quand  les  herbes  des  prairies  ont  atteint  une  certaine  hau- 
teur on  en  brûle  aussi  de  vastes  étendues.  Y  a-t-il  au  Trans- 
vaal  des  forêts  brûlées? 

M.  Gros  répond  qu'il  n'y  a  pas  de  forêts.  Dans  la  colonie  du 
Cap,  dans  l'État  libi'e  de  l'Orange,  on  trouve  des  buissons 
d'épines,  dans  le  Transvaal,  des  mimosas;  si  les  bouquets 
d'arbres  sont  trop  serrés  il  n'y  a  pas  d'herbes,  et  le  feu  ne 
peut  pas  atteindre  le  tronc.  Aux  mines  d'or  on  a  brûlé  les 
forêts. 

M.  Humbert  signale  les  modifications  apportées  dans  cer- 
taines régions  de  l'ouest  américain  par  la  plantation  d'arbres 
faite  d'une  manière  graduelle;  de  trop  sec  qu'il  était,  le  cli- 
mat l'est  devenu  un  peu  moins,  et  aujourd'hui  on  peut  faire 
des  cultures  auxquelles  on  ne  pouvait  songer  autrefois. 

M.  de  Beaumont  rapporte  qu'en  1842,  le  gouvernement 
russe  publia  un  ukase  promettant  le  titre  de  noble  de  lo°* 
classe  à  tout  propriétaire  qui  planterait  en  forêts  une  partie 
de  sa  propriété.  Alors  furent  plantées  des  étendues  considé- 
rables d'arbi'es  d'essences  diverses  :  pins,  frênes,  chênes,  de 
manière  à  ce  que  les  essences  tendres  fussent  protégées  con- 
tre le  vent  qui  cassait  la  couronne  des  arbres.  Le  régime  du 
pays  fut  modifié;  au  lieu  du  steppe  on  vit  pousser  une  herbe 
fraîche  et  verte.  M.  de  Beaumont  planta  lui-même  14,000 
arbres;  malheureusement  ils  furent  mangés  par  les  lièvres 
pendant  l'hiver. 

M.  Faure  ne  pense  pas  que  l'on  doive  attribuer  aux  blancs 
l'importation  en  Afrique  de  l'usage  de  brûler  herbes  et  forêts, 
puisque  les  premiers  navigateurs  portugais  qui,  dans  leur 
recherche  de  la  route  des  Indes,  firent  le  tour  de  l'Afrique 
australe,  virent,  pendant  leur  navigation,  les  tlammes  et  la 
fumée  les  accompagner  de  l'Angola  à  Mozambique.  —  Quant 
aux  Boers,  si  l'on  a  eu  souvent  à  leur  reprocher  leur  esprit 
peu  libéral,  il  importe  de  leur  rendre  justice  toutes  les  fois 
qu'on  le  peut.  Une  lettre  reçue  tout  récemment  par  l'Afri- 


PKO  CES- VERBAUX .  121 

que  explorée  et  civilisée,  de  notre  compatriote  M.  Jeanmairet, 
en  route  pour  le  Zarabèze  avec  M.  le  missionnaire  Coillard, 
annonce  que  le  gouvernement  du  Transvaal  a  exempté  l'ex- 
pédition de  tous  droits  d'entrée  pour  ses  nombreux  bagages. 
Le  vice-président,  M.  Joubert,  a  présidé  lui-même  à  Pretoria 
une  grande  assemblée  en  faveur  de  la  mission  du  Zambèze- 
Enfin  à  l'appui  de  l'idée  de  M.  Gros,  du  rôle  auquel  les  Boers 
sont  appelés  dans  l'ouverture  de  l'Afrique,  M.  Faure  rappelle 
l'exode  de  ces  300  familles  boers  qui,  pour  ne  pas  subir  l'au- 
torité anglaise, lors  de  l'annexion  désir  ThéopliileShepstone, 
préférèrent  s'expatrier  du  Transvaal  comme  leurs  pères 
l'avaient  fait  de  la  Colonie  du  Cap  d'abord,  de  celle  de  Natal 
ensuite,  et  s'avancèrent  vers  le  N.-O.,  à  travers  les  solitudes 
du  Kalabara,  où  beaucoup  moururent  de  fatigue,  de  faim,  de 
soif,  et  d'épuisement,  jusqu'au  Damaraland  et  au  Kaoko.  Là, 
leurs  compatriotes  de  la  colonie  du  Cap,  émus  du  récit  de 
leurs  privations  et  de  leurs  souffrances,  leur  envoyèrent  des 
secours  en  vivres  et  en  vêtements,  et  leur  aidèrent  à  obtenir 
de. l'autorité  portugaise  l'autorisation  de  traverser  le  Cunéné 
pour  fonder  près  de  Humpata,  sous  le  lo°,  la  colonie  de  San 
Januario.  Aujourd'bui,  d'après  le  témoignage  de  tous  les 
explorateurs  qui  les  ont  visités,  lord  Mayo,  H.  H.  Johnston, 
le  D''  Hopfner,  le  baron  de  Danckelmann,  ils  sont  devenus 
producteurs,  et  ont  changé  le  système  de  transport  employé 
jusque-là  dans  cette  région.  Au  lieu  des  longues  files  de  por- 
teurs, l'on  voit  des  wagons  attelés  de  bœufs  transporter  à 
Mossamédès  les  céréales  exportées  par  les  Boers.  Ils  n'ont 
peut-être  pas  conscience  du  rôle  qu'ils  jouent;  mais  celui-ci 
n'en  est  pas  moins  remarquable. 

M.  de  SeylT  demande  si,  pour  l'occupation  du  terrain  par 
les  Boers  du  Transvaal,  il  y  a  des  contrats  conclus  avec  les 
indigènes? 

M.  Gros  répond  qu'ils  plantent  d'ordinaire  leurs  tentes  là 
où  il  n'y  a  pas  d'indigènes. 

M.  de  Seyff  relève  les  accusations  portées  contre  les  Boers 
d'occuper  les  terres  des  indigènes  et  de  faire  de  ceux-ci  des 
esclaves.  Les  délégués  de  la  république  du  Transvaal,  actuel- 
lement en  Europe,  se  défendent  de  faii-e  des  esclaves. 

M.  Gros  explique  que  les  indigènes  volent  aux  Boers  du 
bétail  et  même  dés  enfants  et  des  femmes.  Krùger  ne  leur  a 


122  BULLETIN. 

jamais  fait  la  guerre,  que  quand  ils  avaient  pris  quelque 
chose. 

M.  de  Seylï  ajoute  qu'aux  Indes  il  faut  avant  tout  passer 
un  contrat  avec  le  possesseur  du  sol,  pour  avoir  du  terrain; 
les  indigènes  brûlent  des  herbes,  parce  que  celles-ci  sont  si 
hautes  qu'on  ne  peut  pas  les  couper.  —  Les  délégués  du 
Transvaal  ont  besoin  de  trouver  des  capitaux  pour  dévelop- 
per l'agriculture;  il  faut  en  outre  des  bras  el  des  hommes 
pour  créei-  des  industries  el  donner  une  impulsion  au  com- 
merce. 

M.  Gros  ne  croit  pas  que  depuis  1833,  les  Boers  aient 
d'une  manière  générale  fait  des  esclaves.  Il  y  a  eu  des  x:as 
isolés;  mais  le  fait  se  rencontre  sous  le  gouvernement  colo- 
nial anglais  aussi  bien  que  sous  celui  des  Boers.  Quant  à  la 
question  d'apprentissage,  il  arrive  fréquemment  qu'un  enfant 
orphelin  est  adopté  par  une  famille  boer,  qui  lui  donne  des 
soins,  sans  salaire  jusqu'à  un  certain  âge;  au  delà  de  ce  terme, 
le  jeune  homme  reçoit  un  salaire. 

M.  Moynier  demande  à  M.  Gros  jusqu'à  quel  point  le  Trans- 
vaal serait  favorable  à  l'émigration  des  Suisses?  Y  aurait-il 
avantage  à  les  diriger  de  ce  côté? 

Oui,  répond  M.  Gros,  s'ils  savent  bien  ce  qu'ils  veulent 
faire,  si  non,  ils  s'exposent  à  tomber  dans  une  profonde 
misère.  Des  manœuvres,  des  pâtissiers,  des  ferldanliei's,  des 
rhabilleurs  el  des  charrons  pourront  y  prospérer. 

M.  de  Beaumont  aimerait  à  avoir  encore  quelijues  rensei- 
gnements sur  le  climat. 

i\l.  Gros  le  trouve  bon,  chaud,  sec;  les  environs  de  la 
rivière  Orange  sont  favorables  aux  malades  qui  souffrent  de 
la  poitrine.  Au-dessous  de  2000  pieds  d'altitude  on  est  exposé 
aux  fièvres  soit  au  nord  soit  à  l'est,  mais  le  plateau  du  Trans- 
vaal, qui  a  une  hauteur  moyenne  de  3000  à  4000  pieds,  est 
très  salubre. 


SEANCE  DU  28  MARS  1884. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  et  adopté. 
Le  Président  communique  le  décès  du  D'"  Behm^  membre 


PROCÈS- VERBAUX.  123 

honoraire  de  la  Société,  continuateur  de  la  publication  de 
l'Institut  de  Gotha,  les  Petermann's  Mittheilunqen. 

M.  A.  de  Morsier,  secrétaire  général,  propose  que  la  Société 
charge  le  président  d'exprimer  à  M.  Justus  Perthes  la  part 
que  nous  prenons  à  la  perte  faite  par  la  science  dans  la  per- 
sonne du  D'"  Behm.  Adopté. 

M.  de  Morsier  ajoute  quelques  mots  sur  notre  compatriote 
M.  Arnold  Guyot,  mort  récemment  en  Amérique. 

M.  Faure  rappelle  que  le  Bureau  Ta  chargé  de  préparer 
un  travail  sur  M.  Guyot.  Il  l'a  fait,  mais  en  présence  de  la 
communication  de  M.  le  professeur  Chaix,  il  juge  préférable 
d'ajourner  sa  notice,  qui  priverait  la  Société  du  travail  de 
notre  savant  collègue.  II  demande  seulement  qu'une  place 
soit  réservée  dans  le  Globe  pour  la  Notice  sur  A .  Guyot,  et, 
si  la  chose  est  possible,  que  l'occasion  lui  soit  fournie  de  la 
lire  à  la  Société. 

Le  Président  i-apporte,  qu'ensuite  de  Tappel  adressé  aux 
personnes  disposées  à  se  constituer  en  Société  de  géographie 
commerciale,  avec  l'appui  de  la  Société  existante,  quelques 
personnes  se  sont  réunies  à  l'Athénée  le  jeudi  20  mars,  à 
8  heures;  elles  ont  entendu  avec  intérêt  l'exposé  que  M.  de 
Beaumont  leur  a  fait  de  l'importance  de  la  question;  elles 
ont  approuvé  le  projet  et  ont  décidé  d'en  poursuivre  d'une 
manière  séparée  la  réalisation. 

Le  Président  communique  avoir  reçu  de  W.  César  Pascal, 
comme  hommage  à  son  système  du  méridien  médiateur,  une 
pendule  établissant  l'heure  sur  ce  méridien-là.  Il  présente 
encore  l'ouvrage  de  Lovett  Cameron  :  Notre  future  route 
de  l'Inde,  donné  à  la  bibliothèque  par  M.  Frank  de  Mor- 
sier. 

Parmi  les  ouvrages  reçus,  le  bibliothécaire  signale  la  carte 
pilote  du  service  hydrographique  des  États-Unis,  pour  le 
mois  de  mars,  d'après  laquelle  des  icebergs  et  des  champs  de 
glace  sont  descendus  dans  le  voisinage  de  la  côte  américaine, 
jusque  sous  le  42"  ;  quelques-unes  de  ces  montagnes  de  glace 
avaient  3  kilomètres  de  base  et  100"°  de  hauteur;  certains 
champs  de  glace  avaient  une  étendue  de  80  kilomètres. 

Le  Président  donne  la  parole  à  M.  le  prof.  Chaix  pour  une 
communication  sur 


124  BULLETIN. 

Merw  et  les  Frontières  de  la  Perse. 

Quoique  la  Perse  n'ait  plus  l'étendue  qu'elle  avait  à  l'épo- 
que de  Cyrus  le  Jeune,  elle  forme  encore  aujourd'hui  un 
pays  assez  vaste,  puisqu'elle  a  cinq  fois  la  grandeur  de  la 
France.  Grâce  à  la  nature  montagneuse  de  son  sol,  elle  pré- 
sente des  contrastes  climalériques  frappants.  MM.  Alphonse 
de  GandoUe  et  Boissier  ayant  employé  pour  leurs  travaux 
scientifiques  un  botaniste  chargé  de  pourvoir  leurs  collec- 
tions, M.  Chaix  a  été  frappé  de  voir,  dans  l'ouvrage  publié  à 
la  suite  de  ses  reclierches  par  Aucher-Eloy.  la  quantité  de 
montagnes  qui  fournissent  des  plantes  exposées  au  froid. 

La  Perse  offre  l'aspect  d'une  forteresse  foi-midable.  Au 
centre  se  trouve  un  plateau  d'une  hauteur  moyenne  de  4000 
pieds,  entouré  d'une  ceinture  de  montagnes;  les  cartes  en 
indiquent  deux  chaînes.  Mais  sir  Heni'v  Rawlinson,  qui  a 
exploré,  pour  le  service  de  la  Perse^  la  frontière  occidentale, 
a  découvert  que  cette  mui-aille  d'enceinte  est  composée  de 
cinq  ou  six  chaînes  consécutives,  ayant  des  défilés  d'une 
grande  beauté  et  d'une  haute  importance  militaire.  Là  se 
trouve  la  forteresse  de  Holwan,  mentionnée  sous  les  Arabes, 
dans  laquelle  s'enferma  lezdegerd  III,  mais  sans  s'y  défen- 
dre, car  il  s'enfuit  avant  l'arrivée  de  l'ennemi.  Alexandre, 
poursuivant  Darius  Codoman,  se  présente  devant  ces  défilés 
pour  forcer  l'entrée  du  plateau  persan.  Quoique  l'abord  en 
soit  inaccessible,  il  réussit;  le  défilé  fut  forcé. 

Grâce  à  des  montagnes  neigeuses,  les  cours  d'eau  sont 
nombreux;  les  uns  s'écoulent  à  l'extérieur  du  plateau,  les 
autres  à  l'intérieur,  d'autres  encore  après  avoir  fait  beaucoup 
de  méandres  à  l'intérieur,  trouvent  une  issue  à  travers  des 
gorges  de  montagnes  et  s'écoulent  à  l'extérieur.  Précieux 
pour  l'irrigation,  ils  n'offrent  point  de  ressources  pour  la 
navigation.  En  effet  la  distance  du  plateau  à  la  mer  est  peu 
considérable. 

D'après  le  colonel  Ross,  le  Kara  Agatch  n'a,  de  sa  source 
près  de  Schiraz,  à  son  embouchure,  que  120  milles  en  ligne 
directe,  tandis  qu'avec  les  méandres  de  son  cours  il  en  a  400. 
Le  Karoun  qui  traverse  la  plaine  de  l'ancienne  Susiane  a  été 
étudié  par  les  Anglais  qui  y  ont  trouvé  16  pieds  de  pro- 


PROCES- VERBAUX.  125 

fondeur.  L'Angleterre  a  fait  explorer  les  montagnes  de  la 
zone  S.-O.  de  la  Perse.  Le  capitaine  Wells,  le  colonel  Cham- 
pain,  M.  Forbes,  ingénieur,  ont  pénétré  dans  l'intérieur  et 
ont  fourni  deux  cartes  à  grande  échelle  avec  leurs  itinérai- 
res. Ils  ont  constaté  que  si  le  plateau  persan  a  une  hauteur 
moyenne  de  4000  pieds,  on  y  rencontre  néanmoins  à  chaque 
pas  des  montagnes  qui  atteignent  de  11000  à  1:2000  pieds,  et 
qui,  en  mai,  sont  encore  couvertes  d'une  neige  épaisse,  tandis 
que,  tout  auprès,  dans  le  golfe  Persique,  la  chaleur  est  étouf- 
fante. Le  lac  Neris  existe  toujours  à  l'est  de  Chiraz,  mais  il 
n'est  pas  connu  sous  le  nom  de  Bachtegan  que  lui  donnent 
nos  cartes.  Les  conditions  du  plateau  sont  favorables  à  l'agri- 
culture. Lors  de  son  second  voyage  dans  les  montagnes  sep- 
tentrionales de  la  Perse,  le  colonel  Lovett  y  a  trouvé  des 
habitants  vivant  dans  l'aisance,  vêtus  de  neuf  et  bien  nourris. 

La  frontière  la  plus  faible  est  celle  du  Béloutchistan;  sans 
doute  elle  a  aussi  ses  montagnes,  sillonnées  de  vallées  qu'a 
explorées  le  major-général  sir  Ch.  Mac  Gregor;  mais  ces  mon- 
tagnes ne  sont  pas  hautes  et  n'ont  pas  de  neige;  le  plateau 
s'incline  au  S.-E.  vers  la  mer  d'Oman.  La  rivière  Hilmend 
forme,  dans  une  dépression  du  grand  bassin,  un  lac  sans 
issue,  un  grand  marécage,  auquel  sir  H.  Rawlinson,  très  com- 
pétent puisqu'il  avait  servi  comme  général  dans  cette  partie 
de  l'Afghanistan,  donne  une  altitude  de  1000  pieds.  Lors  de 
la  délimitation  des  frontières  entre  l'Afghanistan,  le  Bélout- 
chistan et  la  Perse  proprement  dite,  à  laquelle  présida  le 
général  GoldschraidI,  le  chef  des  Afghans  Shir-Ali  vit  5000 
lieues  carrées  de  son  territoire  adjugées  au  shah  de  Perse. 

La  frontière  orientale,  franchie  à  plusieurs l'eprises  parles 
colonnes  anglaises,  est  formée  par  une  barrière  de  huit  chaî- 
nes parallèles  de  montagnes,  parmi  lesquelles  le  mont  Soli- 
man a. 11000  pieds,  et  la  montagne  Blanche  (Séfid  Koh)  au 
nord,  loOOO  pieds. 

La  frontière  septentrionale  a  été  explorée  à  fond  par  des 
officiers  anglais  :  le  major-général  sir  Gh.  Mac  Gregor,  le 
colonel  Lovett.  le  capitaine  Napier,  etc.,  une  portion  de  la 
carte  en  a  été  dre.ssée;  M.  le  profe.sseur  Chaix  en  a  dessiné 
la  partie  N.-E.  Le  territoire  compris  entre  Téhéran,  Hérat  et 
Merw  forme  le  Khorassan.  Dans  le  Mazandéran,  au  sud  de  la 

LE    GLOBE,    T.    XXIII,    1884.  9 


126  BULLETIN. 

mer  Caspienne,  s'élève  la  chaîne  puissante  de  TElhoui-s, 
explorée  par  le  colonel  Lovelt  et  par  le  capitaine  Forbes, 
avec  des  montagnes  de  12000  à  14000  pieds;  le  Démavend 
entre  autres  en  a  18(500.  Des  routes  y  ont  été  créées  par  le 
général  Bùhler,  une  ligne  télégraphique  y  a  été  établie. 
Cependant  ces  chemins  ne  pourraient  pas  servir  à  de  Tartil- 
lerie  à  cheval.  La  vie  des  liabitants  subit  l'influence  des  ditTé- 
rences  de  climat  aux  diverses  altitudes;  ils  passent  les  mois 
de  l'hiver  dans  les  vallées  inférieures  et  montent  successive- 
ment aux  chalets  supérieurs  ou  yaïlahs.  Les  paysans  sont 
généralement  dans  l'abondance  ;  ils  mettent  le  feu  aux  herbes, 
sans  s'inquiétei'  de  brûler  en  même  temps  les  poteaux  du 
télégraphe,  et  font  passer  la  cliarrue  à  travers  les  routes. 

Le  Khorassan  a  été  témoin  de  l'éclat  de  la  civilisation 
orientale.  Autrefois  l'étendue  des  terres  cultivables  y  était  de 
J5000  1.  c.  ;  à  peu  près  la  moitié  de  la  France;  aujourd'hui 
il  n'y  en  a  plus  que  9000  1.  c.  ;  les  déserts  ont  empiété  au 
midi  et  au  nord  ;  ailleurs  les  Turcomans  ont  exercé  leurs 
ravages  et  les  Russes  ont  fait  des  conquêtes  ;  40,000  puits  ont 
disparu,  et  le  pays  est  devenu  inhabitable.  Les  montagnes 
soni  moins  continues  et  moins  hautes  que  dans  le  Mazandé- 
ran.  D'après  une  communication  de  M.  Yenioukov  à  la  Société 
de  géographie  de  Paris,  on  y  a  mesuré  deux  montagnes  dont 
l'une  a  SOOO"",  est  couverte  de  neige  et  a  des  sources  abon- 
dantes, d'où  résulte  une  grande  fertilité  du  sol.  C'est  l'ancien 
pays  des  Parlhes,  arrosé  dans  sa  partie  orientale  par  l'Arius 
et  le  Margus.  D'après  la  description  de  Strabon,  ce  pays  était 
tout  couvert  de  forêts,  il  y  avait  peu  de  terrains  cultivés; 
aussi,  vu  la  pauvreté  de  la  contrée,  les  rois  de  Perse  la  tra- 
versaient-ils très  rapidement.  Aujourd'hui  la  végétation  fores- 
tière a  disparu.  Le  Margus  de  Strabon  s'appelle  actuellement 
le  Mourg-Ab.  A  ce  propos,  iM.  Chaix  fait  remarquer  que  ce 
sont  les  noms  les  plus  anciens  qui  se  sont  conservés  le  plus 
longtemps.  Strabon  distingue  de  l'Oxus.  l'Ochus,  tributaire 
du  Margus,  qui,  dit-il,  avec  l'Arius,  va  perdre  ses  eaux  sur  la 
frontière  du  désert.  Antiochus  Soler  fonda  Antiochia  Mar- 
giana;  d'après  Strabon,  il  entoura  la  colonie  d'une  muraille 
qui  n'avait  pas  moins  de  loOO  stades.  Le  sol  de  celte  pro- 
vince, comme  celui  de  l'Ai'iane,  était  très  favorable  à  la  vigne. 
M.  Chaix  a  mesui'é  la  surface  de  l'oasis  de  Merw,   sur  la 


PROCÈS- VERBAUX.  127 

carie  publiée  dans  les  Proceedings  de  la  Société  royale  de 
géographie  de  Londres  ;  il  a  trouvé  qu'elle  était  de  236  lieues 
carrées,  soit  légèrement  inférieure  à  loOO  stades  qui  corres- 
pondent <à  30J  1.  c.  Le  nom  a  changé;  le  nom  primitif  avait 
un  caractère  persan;  les  Arabes  l'ont  appelée  Marou.  Isde- 
gberd  III  s'y  réfugia;  les  habitants  paraissant  vouloir  se  saisir 
de  lui  pour  le  livrer  aux  Arabes,  il  se  déguisa  pour  s'échapper 
sous  la  conduite  d'un  paysan  qui  l'assassina.  Les  habitants 
primitifs  de  cette  région  étaient  des  Parthes;  les  Turcs  seld- 
joucides  ayant  passé  rOxus  l'envahirent,  mais  leur  invasion 
n'eut  que  peu  d'influence  sur  la  prospérité  de  la  ville  de 
Merw.  Dans  son  Histoire  des  dynasties  musulmanes  Aboul 
Feda  s'exprime  en  termes  amers  sur  les  Mongols  de  Gingis- 
klian,  et  maudit  le  chef  des  Tatares  qui,  étant  allés  jusqu'à 
Hamat  en  Syrie,  en  avaient  chassé  l'émir  qui  était  le  père 
d' Aboul  Feda.  En  1210  eut  lieu,  dit-on,  un  massacre  épou- 
vantable, auquel  trois  villes,  parmi  lesquelles  Tous  et  Merw, 
fournirent  quatre  millions  de  victimes.  Quoiqu'il  y  ait  vrai- 
semblablement de  l'exagération  dans  celte  assertion,  Merw 
ne  s'en  est  pas  relevée.  D'après  la  i-elation  d'Odonovan,  ce 
n'est  plus  une  ville,  mais  une  simple  dénomination  géogra- 
phique. Les  progrès  des  Russes  dans  le  Turkestan  sont, 
depuis  50  ans,  vus  de  mauvais  œil  par  une  partie  du  peuple 
anglais.  Sir  Roderic  Murchison  s'etïorça  d'amener  ses  compa- 
triotes à  comprendre  que  la  Russie  ne  veut  pas  chasser  les  An- 
glais de  l'Inde.  Merw  n'est  pas  plus  la  clef  de  cette  péninsule, 
qu'Orléans  n'est  la  clef  de  la  Suisse.  Ce  n'est  pas  une  position 
militaire,  car  elle  est  entourée  de  déserts;  elle  n'est  pas 
davantage  sur  la  route  de  l'Inde,  car  celle-ci  passe  à  l'Est 
de  Merw.  En  outre  celte  dernière  localité  est  éloignée  de  75 
lieues  de  la  première  chaîne  des  montagnes  qui  airêteraient 
les  Russes,  et  que  l'on  ne  peut  franchir  qu'à  travers  une  suc- 
cession de  cols  très  élevés. 

Mais  si  Mei-w  ne  donne  pas  aux  Russes  la  porte  des  Indes, 
elle  leur  donne  la  sécurité;  en  eflet  en  rectifiant  leur  fron- 
tière, ils  ont  voulu,  d'accord  avec  la  Perse,  détruire  le  bri- 
gandage exercé  par  les  Turcomans.  Les  frontièi-es  en  Orient 
ne  sont  pas  immuables;  celles  de  la  Perse  ont  été  modifiées, 
ce  qui  a  valu  à  la  Russie  un  accroissement  de  superficie  de 
900  1.  c.  et  une  facilité  pour  la  construction  des  chemins  de 


128  BULLETIN. 

fer.  Les  Russes  demandaient  une  extension  de  territoire  jus- 
qu'à l'Atrek;  mais  ils  ont  modéré  leurs  prétentions,  et  se 
sont  contentés  de  30  lieues  du  cours  de  l'Atrek,  au  lieu  des 
120  lieues  qu'ils  demandaient. 

M.  Chaix  a  dessiné  la  carte  de  ces  frontières.  A  Test  sont 
des  montagnes  très  hautes  que  le  général  Kalitin  a  très  soi- 
gneusement explorées;  sur  une  distance  de  116  milles,  il  a 
trouvé  quatre  cols,  dont  le  premier  a  8000  pieds  et  le  second 
1 1000  pieds  de  hauteur. 

Sous  le  joug  des  Afghans  gémit  encore  un  pays  qui  ne 
fait  pas  partie  de  l'Afghanistan,  et  dont  la  capitale  était  Balk, 
les  ruines  en  ont  17  kilom.  de  tour  ;  à  peu  de  distance  on  en 
trouve  d'autres  de  15  kilom.  de  circonférence,  restes  de  l'an- 
cienne Bactra  ;  les  habitants  en  étaient  des  Perses  et  non 
des  Afghans.  Il  ne  peut  y  avoir  qu'avantage  pour  eux  à 
passer  de  la  domination  de  maîtres  sanguinaires  sous  celle 
de  la  Russie. 

De  la  mer  Caspienne  à  l'Inde,  la  frontière  a  400  lieues  de 
développement.  Jusqu'à  Hérat,  sur  une  étendue  de  250  1., 
celle  frontière  est  faible;  les  montagnes  en  sont  moins  éle- 
vées; mais  encore  ici  l'on  n'est  pas  sur  la  route  qui  mène 
dans  l'Inde.  De  Hérat  à  Kaboul  on  rencontre  des  montagnes 
de  18000  à  19000  p.  avec  des  cols  de  11000  p.,  faciles  à 
défendre.  De  Kaboul  à  Attok,  il  faut  traverser  le  Pamir,  qui  a 
12.000  lieues  carrées,  où  les  cols  sont  à  13000  et  14000 
pieds,  les  lacs  à  une  altitude  de  11000  p.,  et  les  sommets 
qui  entourent  le  plateau  s'élèvent  à  25000  p.  Il  n'est  pas 
possible  de  passer  à  droite  ou  à  gauche  de  ce  plateau.  Aussi 
peut-on  accepter  l'annexion  de  Merw,  sans  appréhender  une 
rencontre  prochaine  entre  les  Russes  et  les  Anglais. 

La  Société  témoigne  par  ses  applaudissements  l'intérêt  avec 
lequel  elle  a  entendu  la  communication  de  M.  Chaix. 

Le  Président  donne  la  parole  à  MM.  de  Seyff,  Hornung  et 
Humbert. 

M.  Hornung  n'admet  pas  que  les  Rus.ses  apportent  la  civili- 
sation aux  Turcomans,  et  ne  se  réjouit  pas  de  les  voir  détruire 
des  nationalités  originales  comme  ils  l'ont  fait  au  Caucase. 

M.  Chaix  répond  qu'il  a  parlé  du  Turkestan,  d'après  les  rap- 
ports des  officiers  anglais  tels  que  les  ont  présentés  les  Pro- 
ceedings. 


PROCÈS- VERBAUX.  129 

M.  Humbert  estime  que  la  question  traitée  par  M.  Chaix 
revient  à  savoir  s'il  y  a  eu  avantage  pour  Merw  à  passer  de  la 
domination  des  Turcomans  sous  celle  des  Russes.  Ainsi  posée 
la  question  ne  peut  être  résolue  qu'afïirmativement. 


SÉANCE  DU  15  AVRIL  1884. 
Présidence  de  M.  H.  BouimLLiER  de  Beaumont. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  et  adopté. 

M.  le  professeur  Chaix  offre  en  don  à  la  Société  la  carte 
qu'il  avait  préparée  pour  sa  communication  delà  séance  pré- 
cédente, mais  qu'il  n'avait  pu  achever.  Il  l'a  dressée  à  l'aide 
des  travaux  russes  pour  la  partie  septentrionale,  de  ceux  des 
Anglais  pour  le  S.-E.  et  aussi  de  ceux  de  quelques  explora- 
teurs hindous  exercés  au  lever  du  terrain  pai-  les  Anglais.  Il 
ressort  de  la  carte  que  la  nature  a  élevé  un  rempart  puissant 
entre  les  deux  civilisations  russe  et  anglaise  qui  peuvent 
poursuivre  leur  lâche  sans  crainte  de  se  heurter. 

M.  le  Président  remercie  M.  Chaix  du  don  de  sa  carte,  puis 
il  présente  la  4™*  livraison  de  l'Atlas  de  Vivien  de  Saint-Mar- 
tin. Il  exprime  la  satisfaction  qu'éprouve  la  Société  à  voir  un 
Genevois,  revenu  d'un  voyage  au  sud  de  l'Afrique,  faire  part 
aux  amis  de  la  géographie  des  observations  qu'il  a  recueillies 
dans  une  région  encore  peu  visitée,  et  donne  la  parole  à 
M.  Edmond  Gautier  pour  sa  communication  sur  : 

Une  Excursion  au  nord  du  Transvaal  \ 

Avant  d'arriver  à  Pretoria,  il  faut  traverser  les  immenses 
plaines  déboisées  de  la  République  d'Orange,  et  du  sud  du 
Transvaal.  Pretoria  est  la  dernièr-e  ville  que  l'on  rencontre 
en  allant  vers  le  nord,  du  moins  la  dernière  qui  mérite  de 
porter  ce  nom.  Bâtie  au  milieu  d'une   petite  plaine   tout 

*  Ces  notes,  rédigées  à  la  hâte,  ont  été  publiées  telles  quelles, 
aussi  les  lecteurs  sont  priés  de  ne  pas  s'étouner  si  le  style  laisse 
souvent  beaucoup  à  désirer.  E.  G. 


130  BULLETIN. 

entourée  de  collines,  Pretoria  a  l'avantage,  rare  au  sud  de 
l'Afrique,  d'êti-e  abondamment  pourvue  d'eau.  Les  maisons 
sont  blanches  et  basses;  il  y  a  d'assez  beaux  magasins  dans 
une  ou  deux  rues,  mais  la  plupart  des  maisons  sont  de  peti- 
tes villas  à  l'anglaise  entourées  de  jardins.  Au  printemps, 
quand  les  haies  de  roses  mousses  qui  les  entourent  sont  en 
(leurs,  la  ville  est  très  piltoresque. J'ignore  le  chififre  exact  de 
la  population  blanche  de  Pretoria;  je  crois  pouvoir  l'estimer 
à  environ  deux  mille  âmes.  Beaucoup  d'Anglais  sont  partis 
depuis  la  dernière  guerre  et  depuis  que  les  affaires  vont  mal; 
cependant  les  Anglais  doivent  bien  former  encore  la  moitié 
des  blancs  de  Pretoria;  leurs  modes  et  leurs  habitudes  ont 
été  adoptées  par  la  population  hollandaise.  Quand  je  passai 
à  Pretoria  les  affaires  y  allaient  fort  mal;  la  crise  commer- 
ciale s'y  faisait  sentir  comme  dans  toute  l'Afrique  australe. 
Une  guerre  longue  et  difficile,  avec  un  chef  cafre,  épuisait 
les  finances  de  la  République  ;  les  fermiers,  fatigués  de  la 
guerre  et  accablés  d'impôts,  vendaient  leur  bétail  à  vil  prix 
sur  le  marché  de  Prétoi-ia.  La  population  indigène  ou  colo- 
rée, comme  l'appellent  les  colons,  n'est  pas  très  considérable; 
cependant  presque  tous  les  domestiques  et  les  manœuvres 
sont  des  noirs.  Les  habitants  des  villages  voisins  viennent 
aussi  naturellement  faire  leurs  emplettes  de  couvertures  et 
de  verroterie  dans  les  magasins  de  Pretoria,  et  donner  un 
peu  d'animation  à  ses  rues.  Chaque  après  midi,  quand  la 
chaleur  commence  à  diminuer,  les  élégantes  de  la  ville  font 
leur  petite  promenade  en  voiture;  mais  depuis  le  départ  des 
Anglais  le  grand  monde  de  Pretoria  a  perdu  beaucoup  de 
son  éclat  et  de  son  entrain. 

Pour  poursuivre  ma  route  vers  l'intérieur  et  gagner  Mara- 
bastadt,  je  louai  un  petit  char  à  deux  roues,  traîné  par  deux 
bons  chevaux  et  conduit  par  un  mulâtre  originaire  de  Cape- 
town.  En  Afrique,  les  cochers  et  les  conducteurs  de  bœufs 
s'occupent  en  généi'al  beaucoup  plus  de  leurs  bêtes  que  de 
leurs  voyageurs.  Peu  leur  importe  que  le  passager  soit  mal 
couché  et  mal  nourri,  pourvu  que  les  bêtes  trouvent  de  la 
bonne  herbe,  du  maïs  ou  du  fourrage. Ils  parlent  du  principe 
qu'il  faut  soigner  avant  tout  ceux  qui  travaillent  le  plus. 
Nous  dételâmes  d'abord  à  une  ferme,  à  peu  de  distance  de  la 
ville.   Bien  que  ces  fermieis  soient  souvent  propriétaires  de 


PROCÈS-VERBAUX.  131 

centaines  de  bœufs  et  de  milliers  de  moutons,  leurs  demeu- 
res sont  simples  et  primitives.  Le  maîti-e  de  la  maison  me 
demande  mon  nom,  et  sa  figure  s'éclaire  quand  je  lui 
apprends  que  je  ne  suis  pas  anglais.  La  mère  de  famille 
m'apporte  la  tasse  de  café  traditionnelle,  et  les  nombreux 
enfants  qui  couraient  pieds  nus  dans  la  chambre,  en  compa- 
gnie des  poules  et  des  canards,  viennent  me  serrer  la  main 
les  uns  après  les  autres.  Les  petits  garçons  sont  brûlés  par  le 
soleil,  tandis  que  les  fillettes  sont  bien  abritées  par  leurs 
grands  capis,  sortes  de  capuchons  de  toile  claire  rappelant 
un  peu  les  cornettes  des  sœurs  de  charité.  Nous  continuons 
notre  route.  Les  fermes  sont  bientôt  derrière  nous  et  nous 
entrons  dans  le  pays  des  buissons,  Bushveldt;  des  arbustes 
épineux  couvrent  la  campagne  à  perte  de  vue;  de  loin  en 
loin  les  toits  pointus  des  huttes  d'un  village  indigène  s'élè- 
vent au-dessus  des  buissons,  et  varient  la  monotonie  du 
paysage.  Près  d'un  de  ces  villages,  quelques  Cafres,  presque 
nus,  armés  de  bâtons  se  démènent  comme  une  bande  de 
possédés  pour  éteindre  un  incendie  de  la  prairie.  C'est  une 
besogne  que  je  ne  leur  envie  pas  parla  chaleur  qu'il  fait. 
Nous  entrons  dans  le  désert  des  Springbok,  plaine  sablon- 
neuse où  l'on  ne  trouve  un  peu  d'eau  qu'après  la  saison  des 
pluies.  C'est  là  que  nous  passons  notre  première  nuit  en  plein 
air^  sous  un  ciel  splendide.  C'était  à  la  fin  de  juin,  au  cœur  de 
l'hiver,  et  le  matin,  au  lever  du  soleil,  la  terre  était  toute 
blanche.  A  la  plaine  aride  que  nous  venons  de  traverser,  suc- 
cèdent les  collines  et  les  plateaux  du  district  de  Waterberg. 
Les  fermes  recommencent  et,  certes,  à  voir  la  richesse  du 
sol,  l'abondance  des  eaux  et  la  beauté  des  pâturages,  il  sem- 
ble que  ce  pays  doit  être  le  paradis  des  agriculteurs.  Malheu- 
reusement chaque  année  après  les  pluies,  pendant  les  mois 
d'avril  et  de  mai,  une  fièvre  maligne  vient  décimer  la  popu- 
lation. Plusieurs  fermes  qui  paraissaient  devoir  prospérer 
ont  dû  être  abandonnées  à  cause  de  leur  insalubrité.  L'an- 
née 1883  a  été  pailiculièrement  mauvaise  sous  ce  rapport,  et 
80  personnes  de  race  blanche  ont  succombé  k  la  maladie. 
Sur  notre  route  se  trouvait  établie  une  station  de  la  Société 
des  missions  de  Berlin,  chez  les  Bapedis.  Le  missionnaire 
qui  avait  perdu  sa  femme  durant  l'épidémie  était  absent  lors 
de  notre  passage,  mais  je  trouvai  chez  un  évangéliste  indi- 


132  BULLETIN. 

gène  une  excellente  hospitalité.  Sa  maison  était  propre  et 
fort  bien  tenue;  non  seulement  il  ne  voulut  rien  accepter 
pour  mon  dîner  et  celui  de  mon  cocher,  mais  sa  femme  nous 
otTrit  encore  une  provision  d'oranges  pour  la  route.  Le  dis- 
trict de  Waterbergesl  arrosé  par  le  Nyl,  afïluent  du  Limpopo. 
Près  de  la  rivière  les  pâturages  sont  excellents;  l'élevage  des 
bœufs  y  réussit  fort  bien.  Sauf  dans  ces  prairies  basses,  le 
pays  est  partout  couvert  de  buissons  de  mimosas;  la  route 
longe  d'assez  jolies  collines  situées  à  l'ouest;  à  certains 
endroits  le  gibier  est  assez  abondant  (perdrix  et  petits  faisans, 
antilopes,  chacals,  etc.).  Un  soir  de  bivouac  une  bête  sauvage 
est  venue  grogner  à  quelques  pas  de  moi;  la  même  nuit  nos 
chevaux,  effrayés  sans  doute  par  quelques  bêtes  féroces, sont 
revenus  au  camp  au  triple  galop,  bien  que  nous  leur  eussions 
fait  le  court-pied.  Nous  trouvons  encore  un  magasin  sur 
notre  chemin,  à  Makapansport,  défilé  de  Makapan.  Ce  Maka- 
pan  était  un  chef  cafre  occupé  alors  à  se  battre  avec  un  de 
ses  voisins.  On  s'était  battu  la  veille  de  notre  passage. 

Les  boutiques  du  sud  de  l'Afrique  ont  en  général  le  même 
type.  Ce  sont  de  petits  bâtiments  en  tôle,  recouverts  de  pla- 
ques de  zinc,  où  la  chaleur  est  affreuse  au  milieu  du  Jour.  Là, 
de  malheureux  marchands,  anglais  pour  la  plupart,  menant 
une  vie  d'un  ennui  mortel,  vendent  aux  indigènes  des  cou- 
vertui'es,  des  pipes,  des  marmites,  des  vêtements  et  de  la 
verroterie,  sans  parler  de  l'eau-de-vie  qui  fait  autant  de  mal 
à  ceux  qui  la  vendent  qu'à  ceux  qui  l'achètent;  les  voyageurs 
sont  bien  reçus  partout. 

Peu  après  Makapansport  le  paysage  change:  le  pays 
devient  montagneux,  la  route  traverse  des  collines  assez 
élevées,  les  buissons  dispai-aissent;  le  grand  nombre  des 
champs  cultivés  indique  que  la  population  indigène  est  con- 
sidérable. Après  le  passage  des  montagnes  et  une  grande 
plaine  sans  arbres,  nous  arrivons  à  Marabastadt.Denxou.  trois 
magasins  et  quelques  maisons  d'aspect  assez  misérable,  voilà 
toute  la  ville.  D'un  côté  s'élève  une  colline  aride,  partout  ail- 
leurs l'œil  ne  découvre  que  de  grandes  plaines  sans  arbres. 
Une  pethe  rivière  marécageuse  fournit  aux  habitants  de 
Marabastadl  l'eau  qui  leur  est  nécessaire,  mais  comme  les 
affaires  vont  trop  doucement,  et  qu'il  faut  bien  tuer  le  temps, 
ils  la  boivent  rarement  pure.  Je  n'ai  pas  le  temps  de  vous 


PROCÈS- VERBAUX.  133 

décrire  la  contrée  qui  s'étend  entre  Marabastadt  et  les  Spé- 
lonken,  et  que  l'on  franchit  en  trois  ou  quatre  jours  de  mar- 
che. Les  Boers  ont  donné  le  nom  de  Spélonken  au  pays  acci- 
denté qui  s'étend  au  sud  de  la  chaîne  imposante  du  Zout- 
pantsberg  (latitude  23°).  Ce  mot  signifie  caverne,  mais  il 
n'y  a  pas  de  véritables  cavernes  aux  Spélonken.  Le  terrain  est 
très  mouvementé,  de  petites  collines  rondes,  séparées  par  des 
ravins  ou  des  ruisseaux,  se  succèdent  les  unes  aux  autres, 
suivant  que  ces  mouvements  sont  plus  ou  moins  accentués, 
on  parle  de  grandes  ou  de  petites  Spélonken.  Ce  pays  a  été 
extrêmement  déboisé  ces  dernières  années.  On  trouve  encore 
bien  des  arbres  dans  la  plaine,  mais  il  est  à  redouter  qu'ils 
n'aient  bientôt  disparu  et  ce  n'est  que  sur  les  pentes  duZout- 
pantsberg  qu'il  existe  encore  des  forêts.  Les  Spélonken  sont 
très  peuplées;  les  habitants  appartiennent  à  la  tribu  des  Mag- 
wamba  ou  Knopneuzen  qui,  venus  de  la  Côte  il  y  a  une  ving- 
taine d'années,  ont  fait  la  conquête  du  pays  sous  la  conduite 
d'un  Portugais  nommé  Albasini.  Les  anciens  habitants 
Bapfesha  ont  été  pour  la  plupart  refoulés  dans  les  monta- 
gnes. Les  Magwamba  sont  une  belle  race  aux  mœurs  assez 
douces.  Ils  cultivent  surtout  le  maïs,  la  patate  et  les  arachides. 
Ils  ont  le  génie  du  commerce  et  la  passion  des  voyages. 

C'est  au  milieu  de  cette  peuplade,  dans  les  petites  Spélon- 
ken, que  nos  compatriotes  vaudois  ont  fondé  deux  stations 
missionnaires  qui  n'ont  pas  tardé  à  devenir  très  prospères. 
Leur  œuvre  est  de  celles  qu'on  apprend  à  aimer  en  les 
voyant  de  près,  et  je  suis  heureux  de  pouvoir  rendre  hom- 
mage ici  à  leur  excellente  hospitalité.  Les  missionnaires  vau- 
dois désiraient  depuis  longtemps  explorer  la  route  du  Lim- 
popo  du  côté  de  l'est;  voir  s'il  y  avait  une  route  praticable 
pour  les  wagons,  examiner  si  le  fleuve  était  navigable,  et 
faire  connaissance  avec  la  population  de  ces  régions  peu  con- 
nues. Dans  ce  but  nous  organisâmes  une  petite  expédition  avec 
M.  Henri  Berthoud,  missionnaire  de  la  station  de  Valdésia. 
Nous  choisîmes  deux  hommes  chrétiens  du  village  de  Valdé- 
sia, sur  lesquels  nous  savions  pouvoir  compter,  et  quelques 
jeunes  garçons  pour  garder  nos  bêtes  et  nous  rendre  divers 
petits  services.  Nous  n'eûmes  pas  de  peine  à  recruter  notre 
bande,  il  fallut  même  refuser  des  jeunes  gens  qui  désiraient 
nous  accompagner.  Un  marchand  des  environs  nous  loua  un 


134  BULLETIN. 

tombereau;  chez  un  auti'e  nous  trouvâmes  des  ânes, et  grâce 
aux  bons  soins  de  M'^^Berlhoud,  nos  provisions  ne  laissaient 
rien  à  désirer.  Mon  compagnon,  lialtilué  depuis  deux  ans  à 
la  vie  africaine,  était  devenu  très  pratique,  et  prenait  pour 
lui  les  parties  les  plus  ennuyeuses  de  la  besogne  :  surveil- 
lance de  nos  gens,  oi'ganisation  des  bagages,  etc.  En  revan- 
che je  lui  faisais  manger  une  cuisine  toujours  primitive  et 
quelquefois  exécrable,  surtout  pendant  les  premiers  jours. 

Nous  partîmes  de  Valdésia  le  28  juillet,  suivant  d'abord  la 
direction  du  sud.  Les  Spélonken  sont  à  2  ou  3000  pieds  d'élé- 
vation au-dessus  de  la  mer,  et  nous  devions  quitter  le  haut 
plateau  pour  descendre  dans  les  plaines  basses  qui  aboutis- 
sent à  la  côte  de  l'Océan  indien.  Les  derniers  établissements 
blancs  sont  à  deux  heures  de  la  station.  A  quelques  heures 
de  marche  de  Valdésia,  nous  passâmes  un  col  et,  après  une 
longue  descente,  nous  nous  trouvâmes  dans  la  plaine.  Nous 
avions  à  franchir  une  petite  rivière,  la  Tabi,  qui  prend  sa 
source  dans  les  Spélonken  et  coule  toute  Tannée,  même  à  la 
fin  de  Thiver,  après  de  longs  mois  sans  pluie.  Nous  la  pas- 
sâmes sur  le  dos  de  nos  gens,  et  ce  ne  fut  pas  sans  peine  que 
nos  bœufs  amenèrent  notre  tombereau  sur  l'autre  berge.  Les 
ébéniers  se  trouvent  déjà  sui'le  bord  de  la  Tabi,  à  cet  endroit- 
là,  mais  ce  ne  sont  encore  que  des  buissons.  Après  la  ïabi, 
nous  marchons  vers  le  sud  et  passons  à  côté  du  cône  gr-ani- 
lique  de  Magoro,  du  nom  d'un  chef  de  la  tribu  des  Bapfesha  qui 
n'y  demeure  plus.  Sur  le  versant  nord  de  celte  colline,  nous 
contemplons  notre  premier  baobab  qui  n'est  ni  bien  haut  ni 
bien  majestueux,  mais  seulement  large  et  disgracieux.  Comme 
tous  ceux  que  nous  avons  vus  durant  notre  voyage,  il  n'avait 
pas  de  feuilles  à  ce  moment  de  l'année.  De  l'autre  côté  de 
Magoro,  entre  une  petite  rivière  et  une  mare  d'eau  grasse, 
nous  avons  passé  la  nuit  la  plus  froide  de  notre  voyage,  nous 
grelottions  sous  notre  tombereau;  vers  le  lever  du  soleil  le 
thermomètre  n'indi(|uail  qu'un  peu  plus  de  deux  degrés  cen- 
tigrades, ce  qui  ne  l'a  pas  empêché  de  monter  à  trente,  à 
l'ombre,  quelques  heures  plus  tard.  Nous  marchions  sur  des 
li-aces  de  wagons,  mais  il  n'y  avait  aucune  route  marquée  à 
cet  endroit.  Ce  pays  doit  être  giboyeux,  nous  vîmes  beaucoup 
de  tiaces  d'aniilopes;  nous  passâmes  une  charmante  rivière^ 
probablement  le  Leblabane  qui  se  jette  dans  la  Tabi  et,  après 


PROCÈS-VERBAUX.  135 

avoir  traversé  une  chaîne  de  collines  rocheuses,  nous  trou- 
vâmes une  route  de  chasse  filant  vers  l'est,  tracée  par  les 
wagons  des  Boersqui  s'en  vont,  chaque  hiver,  faire  leur  pro- 
vision de  viande  d'antilope  dans  ces  vastes  plaines  presque 
inhahitées.  Pendant  quatre  jours  nous  avons  suivi  celte  route, 
traversant  en  général  un  pays  plat,  un  désert  couvert  de  buis- 
sons. Quelques  dattiers  croissent  dans  les  ravins  et  annon- 
cent souvent  la  présence  de  l'eau.  Sur  quelques-unes  des 
collines  que  la  route  côtoie  ou  traverse,  se  trouvent  de  petits 
villages  de  Bapfesha,  peuplade  parlant  une  langue  ressem- 
blant au  sessouto,  mais  tout  ce  pays  est  extrêmement  peu 
peuplé.  Le  baromètre  indiquait  une  diminution  d'altitude 
constante  à  mesure  que  nous  avancions  vers  l'est.  Au  bout 
de  quatre  jours  nous  nous  retrouvâmes  sur  les  bords  de  la 
petite  Tabi  qui,  après  avoir  fait  un  coude  à  l'est,  revient  vers 
le  sud  pour  se  jeter  dans  la  grande  Tabi,  et  ensuite  dans 
rOlifant-River,  le  principal  affluent  du  Limpopo  sur  la  rive 
droite.  A  la  droite  de  la  Tabi  se  trouvent  des  salines  assez 
importantes  exploitées  par  les  indigènes. 

Nous  côtoyons  la  rivière  pendant  quelques  heures,  et  nous 
la  repassons  à  un  gué  très  pittoresque;  la  Tabi  a  bien  grandi 
depuis  la  première  fois  que  nous  l'avons  vue;  son  Ut  est  au 
moins  aussi  large  que  celui  de  l'Arve  à  la  Jonction.  Si  la 
la  rivière  avait  été  pleine  cela  aurait  été  un  obstacle  insur- 
montable pour  nous,  mais  les  eaux  étaient  tout  à  fait  basses  et 
ne  nous  venaient  pas  môme  au  genou;  dans  une  flaque  un 
peu  plus  profonde  quelques  crocodiles  prenaient  leurs  ébats. 
D'assez  grands  mimosas  croissaient  sur  les  berges;  des  deux 
côtés  de  la  rivière  poussait  une  épaisse  jungle  de  roseaux;  des 
oiseaux  pêcheurs  jouaient  dans  la  Tabi.  Celte  rivière,  avec  ses 
eaux  claires  et  ses  berges  couronnées  de  feuillage,  faisait  un 
contraste  déUcieux  avec  le  pays  plutôt  monotone  que  nous 
avions  traversé  les  jours  précédenis. 

A  deux  heures  à  l'est  de  la  Tabi  nous  arrivâmes  à  une  autre 
rivière,  le  Nalazi.  Depuis  là  nous  continuons  vers  l'est,  tra- 
versant encore  deux  petites  rivières  marécageuses.  Le  pays 
devient  moins  boisé;  à  certains  endroits  il  n'y  a  plus  guère 
que  de  rherbe  sèche.  Nous  voyons  devant  nous  des  collines 
grandir  à  l'horizon.  A  leur  pied  nous  trouvons  un  campe- 
ment de  chasseurs  boers,sur  les  traces  desquels  nous  avions 


136  BULLETIN. 

marché;  leurs  bœufs  et  leurs  ânes  paissaient  dans  une  clai- 
rière ;  leurs  wagons  étaient  placés  sur  la  hauteur;  de  nom- 
breuses peaux  d'antilopes  et  de  zèbres  prouvaient  qu'ils 
avaient  fait  bonne  chasse.  La  viande  coupée  en  longues  tran- 
ches minces  séchait  au  soleil,  sur  des  perches.  Aucun  de  ces 
chasseurs  ne  parlai!  anglais,  et  nous  n'étions  pas  très  forts 
sur  le  boer;  heureusement  l'un  d'eux  connaissait  justement 
les  deux  langues  indigènes  que  nous  savions,  et  de  celte 
manière  nous  pûmes  nous  entendre.  Noire  sucre,  notre  café, 
notre  lait  condensé  et  nos  cartouches  excitaient  leur  envie  et, 
de  notre  côté,  comme  nous  n'avions  encore  rien  tué,  nous 
pensions  qu'un  peu  de  viande  fraîche  ne  ferait  pas  mal  dans 
notre  garde-manger.  Nous  fîmes  d'assez  curieux  échanges, 
troquant  du  savon  et  du  lait  condensé  contre  de  la  viande  et 
des  cornes  d'antilopes.  En  quittant  nos  amis  les  chasseurs, 
nous  nous  dirigeâmes  vers  le  sud,  longeant  les  colhnes  pier- 
reuses jusque  près  du  village  du  chef  Shilowa.  Le  temps 
avait  changé,  un  vent  violent  et  froid  s'était  levé  ;  une  pluie 
fine  nous  fouettait  le  visage.  Enfin  après  une  longue  marche^ 
nous  arrivâmes  entre  deux  collines,  dans  un  endroit  horri- 
blement rocailleux;  les  traces  des  wagons  qui  nous  avaient 
guidés  jusque-là,  s'arrêtaient  brusquement;  des  sentiers  indi- 
gènes assez  bien  tracés  indiquaient  la  proximité  d'un  village. 
En  suivant  l'un  de  ces  sentiers,  et  guidés  bientôt  par  des  cris 
lointains,  nous  arrivons  au  pied  de  grands  rochers  ;  d'abord 
nous  ne  voyons  que  des  pierres,  mais  en  regardant  avec 
attention  nous  apercevons  les  toits  de  chaume  de  quelques 
huttes.  Le  village  dont  nous  approchons  par  un  sentier  très 
escarpé  a  un  aspect  des  plus  misérables.  Des  gens  d'une  lai- 
deur repoussante  nous  dévisagent  avec  curiosité;  ici  une 
horrible  vieille  montre  sa  tète  au-dessous  d'un  rocher;  là 
nous  entendons  la  toux  des  fumeurs  de  chanvre.  Nous 
demandons  le  clief,  et  un  homme  nous  conduit  à  grands  pas 
à  son  kraal,  c'est-à-dire  à  son  parc  à  bœufs.  Il  paraît  que 
c'est  là  que  sa  majesté  Shilowa  reçoit  ses  hôtes.  Elle  com- 
mence par  nous  faire  attendre  un  bon  moment  pendant  que 
ses  sujets,  dont  plusieurs  n'ont  jamais  vu  de  blancs,  nous 
examinent  à  loisir.  Je  ne  .sais  pas  quelles  réflexions  ils  fai- 
saient sur  noire  compte,  mais  ces  gens  de  Shilowa  étaient 
bien  les  plus  vilains  échantillons  de  l'espèce  humaine  que 


PROCÈS- VERBAUX.  137 

j'eusse  encore  contemplés.  Deux  de  ces  hommes  se  présen- 
tèrent successivement  à  nous  sous  le  nom  de  Shilowa,  puis 
enfin  le  véritable  s'avança  en  personne,  vêtu  d'un  long 
manteau  à  l'européenne,  mais  sans  chapeau  et  sans  panta- 
lon. Le  pantalon  semble  tout  à  fait  inconnu  dans  ces  para- 
ges. Sa  majesté  doit  avoir  bu  un  peu  trop  de  l'excellente 
bière  de  sorgho,  que  fabriquent  les  dames  de  son  village- 
Cependant  elle  nous  traite  avec  politesse  et  nous  offre  un 
pot  de  bière  en  échange  de  la  couverture  de  coton  dont 
nous  lui  avions  fait  présent.  Un  des  plus  laids  de  la  bande 
des  gens  de  Shilowa  s'engage  à  nous  servir  de  guide  pour 
aller  au  Limpopo,  et  ce  n'est  pas  sans  satisfaction  que  nous 
quittons  ce  village  pour  retourner  à  notre  camp. 

Nous  passons  un  dimanche  près  de  chez  Shilowa,  prépa- 
rant notre  départ  pour  le  Limpopo;  nous  avons  atteint  la 
limite  du  Transvaal,  le  dernier  endroit  connu  des  chasseurs  ; 
nous  n'aurons  plus  les  ornières  tracées  par  leurs  wagons 
pour  nous  guider.  En  outre  les  buffles,  par  conséquent  la 
mouche  tsétsé,  habitent  le  pays  que  nous  devons  traverser. 
Il  faut  laisser  nos  bœufs  et  notre  tombereau  en  arrière  et 
continuer  notre  marche  avec  nos  ânes.  Nous  n'emmenons 
avec  nous  que  trois  de  nos  gens^Shiponka,  le  meilleur  de 
nos  hommes,  deux  jeunes  garçons  et  le  guide.  Nous  pensions 
pouvoir  revenir  chez  Shilowa  à  la  fin  de  la  semaine  rejoin- 
dre notre  bande. 

C'est  toujour's  vers  l'est  que  nous  marchons;  d'abord  sur 
une  espèce  de  sentier;  puis  bientôt  à  travers  des  collines 
rocheuses.  Nos  pauvres  ânes  doivent  passer  sur  des  pentes 
de  pierres  rondes  rappelant  par  leur  structure  les  morraines 
de  glaciers;  ces  collines  sont  couvertes  de  broussailles.  Les 
chiens  de  notre  guide  font  partir  une  troupe  de  petites  anti- 
lopes et  les  acculent  contre  une  paroi  de  rochers,  il  en  tue 
deux  à  bout  portant^  l'une  d'un  coup  de  fusil,  l'autre  à  coups 
de  pierre.  Vers  le  soir,  après  une  marche  des  plus  fatigantes, 
nous  arrivons  au  bord  du  Shinguezi.  Tout  près  de  la  rivière, 
à  l'ombre  de  très  beaux  arbres,  nous  trouvons  un  hameau  de 
quelques  hultes.  C'est  là  que  vit  le  vieux  Madjemane, 
patriarche  d'une  soixantaine  d'années,  qui  a  quitté  le  village 
de  son  chef  pour  venir  s'établir  dans  ce  lieu  solitaire  avec 
ses  deux  femmes  et  sa  nombreuse  postérité.  Jusqu'à  présent 


13S  BL'LLETIN. 

tous  les  indigènes  que  nous  avions  rencontrés  étaient  des 
Bapfeslia  delà  famille  des  Béchuana.  Depuis  chez  Madjemane 
nous  entrons  de  nouveau  dans  le  pays  des  Magwamba  que 
nous  avions  quittés  peu  après  les  Spélonken.  Nous  passons 
une  très  bonne  nuit  à  côté  du  village,  mais  le  matin  la  rosée 
était  si  forte  que  nos  couvertures  étaient  inondées. 

Pour  continuer  notre  route  nous  devons  suivre  le  cours 
du  Shinguezi,  du  côté  du  sud,  jusqu'au  village  du  chef  Nzan- 
gitakulala,de  là  il  nous  sera  plus  facile  d'arriver  au  Limpopo. 
Comme  il  n'existe  pas  de  chemin^  nous  voyageons  dans  le  lit 
de  la  rivière;  de  même  que  la  plupart  des  rivières  de  ces 
parages,  le  Shinguezi  ne  coule  pas  à  la  fin  de  l'hiver.  C'est 
cependant  un  cours  d'eau  important,  son  lit  est  fort  large  et 
ses  falaises  très  élevées  et  très  pittoresques.  De  nombreux 
baobabs  poussent  sui'  les  berges;  des  euphoi-bes,  des  syco- 
mores et  des  mimosas  de  plusieurs  espèces  ornent  le  pay- 
sage. De  nombreuses  antilopes  habitent  sur  ces  bords,  mais 
encore  ce  jour-là  nous  ne  réussissons  à  en  tuer  aucune.  Sur 
le  sable  de  la  rivière  nous  voyons  des  traces  de  buffles  et  de 
bêtes  fauves.  La  chaleur  était  foi'te  et  la  marche  fort  pénible 
sur  les  pierres  glissantes  ou  les  sables  du  lit  de  la  rivière. 
Après  le  milieu  du  jour  nous  arrivâmes  au  grand  et  beau 
village  du  chef  Gwamba  Nzanguakulala.  D'après  les  renseigne- 
ments que  l'on  nous  donna  nous  étions  encore  à  deux  petites 
journées  de  marche  du  Limpopo,  mais  la  route  était  assez 
mauvaise  et  nous  ne  trouverions  pas  d'eau  jusqu'au  fleuve. 

Mon  compagnon,  indisposé  ce  jour-là,  et  pressé  de  revenir 
chez  lui  pour  terminer  des  travaux  de  bâtisse  avant  la  saison 
des  pluies,  me  demanda  de  renoncer  à  aile:-  au  Limpopo.  Je 
m'y  décidai  non  sans  regret,  ne  voulant  pas  prendre  sur  moi 
la  responsabilité  de  le  faire  aller  jusqu'au  fleuve.  Je  lui 
demandai  de  rester  encore  un  jour  chez  Nzanguakulala  pour 
pouvoir  chasser  un  peu.  Nous  nous  décidâmes  à  revenir  aux 
Spélonken  par  un  chemin  plus  direct  et  à  envoyer  un  messa- 
ger à  nos  gens,  chez  Shilowa,  pour  leur  dire  de  retourner  de 
leur  côté  sans  nous  attendre.  Le  lendemain,  pendant  que  je 
faisais  aux  buffles  et  aux  girafes  une  chasse  tout  à  fait  infruc- 
tueuse, M.  Berlhoud  parlait  longuement  avec  le  chef,  lui 
annonçait  l'Évangile  et  cherchait  à  recueillir  de  nombreux 
renseignements  sur  le  pays.  Le  Shinguezi  coulant  du  nord 


PROCÈS-VERBAUX.  139 

au  sud,  inclinant  légèrement  vers  l'ouest,  va  se  jeter  dans 
rOlifant,  peu  avant  sa  jonction  avec  le  Limpopo.  De  nom- 
breux villages  de  Magwamba  se  trouvent  sur  les  bords  de 
ces  rivières. Tous  les  chefs  de  ce  pays  reconnaissent  la  supré- 
matie du  grand  chef  Mozila.  Depuis  que  nous  avions  quitté 
les  Spélonken  nous  avions  descendu  de  plus  de  deux  mille 
pieds,  et  no!re  baromètre  indiquait  une  altitude  très  faible 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 

Le  jeudi  16  août,  nous  prîmes  congé  du  chef.  Le  guide 
qui  devait  nous  accompagner  nous  fit  faux-bond  pour  aller  à 
la  chasse  aux  buffles,  mais  nous  connaissions  le  chemin  jus- 
que chez  Madjemane.  Notre  chasse  fut  plus  heureuse  ce  jour- 
là  que  de  coutume,  car  nous  tuâmes  deux  antilopes.  Pendant 
trois  jours  nous  eûmes  à  marcher  dans  le  lit  du  Shinguezi; 
sur  les  pierres  glissantes  et  à  travers  les  roseaux.  Nous 
remontions  la  rivière  dans  la  direction  du  nord-ouest.  Les 
endroits  pittoresques  et  les  Ijeaux  paysages  ne  manquaient 
pas  sur  notre  chemin. Un  soir  nous  campâmes  au  pied  d'une 
immense  falaise  de  rochers  ;  des  centaines  de  babouins  pre- 
naient leurs  ébats  au  sommet  de  la  berge;  en  bas  une  flaque 
d'eau  tranquille  et  profonde  était  ombragée  par  des  arbres 
magnifiques.  La  chaleur  augmentait  chaque  jour;  nos  ânes 
avançaient  péniblement.  La  tsétsé  se  trouve  en  abondance 
dans  toute  celte  partie  du  cours  du  Shinguezi;  elle  semble  se 
tenir  de  préférence  aux  endroits  les  plus  chauds  et  les  plus 
abrités;  elle  n'est  guère  plus  grande  que  nos  mouches  ordi- 
naires; son  corps  est  plus  allongé,  les  ailes  sont  recourbées 
d'une  façon  particulière  à  la  partie  postérieure  du  corps;  sa 
couleur  ressemble  à  celle  des  taons;  sa  piqûre  n'est  pas  très 
douloureuse  et  ne  fait  pas  venir  d'ampoules;  elle  est  très 
agile  et  difficile  à  prendre. 

Nous  ne  fûmes  pas  fâchés,  après  ces  journées  fatigantes,  de 
trouver  le  sentier  nègre  par  lequel  les  indigènes  se  rendent 
des  Spélonken  au  Bezonga,  pays  qui  environne  la  jonction 
de  l'Olifant  avec  le  Limpopo.  C'est  le  jour  où  nous  quittâmes 
le  lit  du  Shinguezi  que  nous  eûmes  à  supporter  la  chaleur  la 
plus  forte.  Le  thermomètre  marquait  37°  à  l'ombre,  un  peu 
avant  le  moment  le  plus  chaud  de  la  journée.  Pour  la  pre- 
mière fois  aussi  nous  vîmes  des  palmiers  à  feuilles  en  éven- 
tail. Nous  suivîmes  le  sentier  nègre   pendant  toute  une 


140  BULLETIN. 

semaine,  Iraversnnt  un  pays  assez  accidenté;  les  provisions 
que  nous  avions  prises  cliez  Shilowa,  calculées  pour  une 
semaine,  étaient  finies;  la  viande  de  l'une  de  nos  antilopes 
s'était  gâtée,  et  celle  de  l'autre  était  devenue  si  dure  que 
nous  ne  pouvions  plus  la  digérer;  le  gibier  était  rare  et 
farouciie.  Les  gens  du  Shinguezi  nous  avaient  assuré  qu'il  ne 
fallait  que  4  ou  o  jours  pour  aller  aux  Spélonken  par  celte 
roule,  il  nous  en  fallut  10.  Une  nuit  nous  campâmes  auprès 
d'un  massif  de  très  beaux  ébéniers.  Le  tronc  est  brunâtre,les 
petites  brancbes  grises  et  couvertes  de  longues  épines;  après 
un  aubier  assez  épais,  d'une  couleur  jaunâtre,  on  trouve  le 
précieux  bois  d'ébène  si  dur  que  la  hache  a  de  la  peine  à 
l'entamer.  Tout  le  pays  que  nous  avions  traversé'  était 
abondamment  pourvu  d'eau,  mais  l'un  des  derniers  jours 
nous  dûmes  passer  la  nuil  sans  boire  ;  le  bois  nous  manquait 
aussi,  et  les  lions  rugissaient  autour  de  nous.  Le  matin  il 
fallut  faire  encore  trois  lieues  pour  arriver  à  la  première  eau; 
mais  nous  étions  arrivés  au  grand  village  de  Lébolane,  le 
premier  que  nous  trouvions  sur  notre  chemin  depuis  huit 
jours  de  marche.  De  là  nous  gagnâmes  la  station  à  travers 
un  pays  très  peuplé,  passant  au  nord  de  la  Montagne  de  fer. 
Les  indigènes  avaient  fondé  là  une  exploitation  assez  impor- 
tante qui,  paraît-il,  est  en  décadence  depuis  quelques  années. 
Le  26  août,  au  soir,  nous  arrivâmes  aux  établissements 
blancs.  J'étais  si  fatigué  que  je  m'arrêtai  au  premier  maga- 
sin, tandis  que  mon  compagnon  poursuivait  sa  route  jusqu'à 
Valdésia.  Le  lendemain  je  le  rejoignis  dans  la  matinée;  l'indi- 
gène qui  m'accompagnait  ce  jour-là  me  disait  en  sessouto  en 
me  regardant  d'un  air  de  commisération  :  Ua  bona  bas  u 
otile,  «  vois-tu,  mon  pauvre  maître,  tu  es  bien  maigre.  » 

Le  Président  remercie  M.  Gautier,  au  nom  de  la  Société, 
de  cet  exposé  plein  de  vie,  qui  donne  tant  de  relief  à  la  des- 
cription des  lieux  et  aux  épisodes  du  voyage.  Il  fait  ressortir 
en  particulier  l'intérêt  que  présentent  les  détails  donnés  sur 
la  végétation  du  pays  exploré,  elle  voyage  lui-même  au  Lini- 
popo  qui,  s'il  pouvait  être  ouvert  à  la  navigation,  deviendrait 
la  voie  la  plus  courte  pour  atteindre  le  nord  du  Transvaal 
par  l'Océan  Indien. 


PROCÈS-VERBAUX.  141 

M.  le  D""  Lombard  demande  à  M.  Gautier  si  les  crocodiles 
se  rencontrent  dans  les  rivières  qu'il  a  traversées.  —  M. 
Gautier  répond  que  d'après  les  indigènes,  il  doit  y  en  avoir  ; 
lui-même  n'en  a  vu  que  de  petits.  En  revanche  il  a  rencon- 
tré des  singes,  des  babouins  surtout  en  troupes  immenses, 
des  lemurs  à  longue  queue,  peu  de  serpents,  mais  des  scor- 
pions, des  araignées,  beaucoup  d'oiseaux,  entre  autres  celui 
qui  conduit  les  indigènes  là  où  il  y  a  du  miel;  les  canards 
sauvages  abondent  et  sont  très  beaux. 

M.  de  Beaumont  demande  des  explications  sur  les  parties 
du  pays  encore  boisées  et  sur  celles  où  il  y  a  eu  déboisement. 

Autrefois,  répond  M.  Gautier,  il  y  avait  beaucoup  d'arbres 
aux  Spélonken,  mais  on  les  a  coupés,  et  la  vraie  forêt  n'est 
guère  conservée  que  dans  le  Zoutpansberg.  Là  aussi,  comme 
en  d'autres  endroits  du  Transvaal,  sont  des  lagunes  salées, 
dont  les  indigènes  exploitent  le  sel. 

M.  Hornung  voudrait  apprendre  quels  sont  les  rapports 
entre  les  indigènes  et  les  chefs  dans  la  partie  explorée  par 
M.  Gautier  et  s'il  y  a  une  forme  de  gouvernement. 

Il  n'y  règne  guère  que  la  contrainte,  dit  iM.  Gautier,  les 
natifs  redoutent  surtout  Mozila,  chef  de  race  zoulou,  auquel 
ils  sont  soumis  de  fait,  et  paient  un  tribut  ;  mais  en  général 
les  chefs  ont  peu  d'autorité  sur  leurs  gens. 

M.  Gautier  ajoute  quelques  détails  sur  le  mode  des  paie- 
ments, au  moyen  de  rouleaux  de  fils  de  laiton  et  de  cotonna- 
des. Au  reste  les  indigènes  connaissent  la  valeur  des  monnaies 
anglaises.  D'une  humeur  voyageuse,  un  grand  nombre  font 
le  voyage  aux  mines  de  diamants.  Les  Européens  ont,  de 
distance  en  distance,  des  magasins  où  l'on  peut  se  pourvoir 
de  tout,  et  qui  jouissent  d'une  assez  grande  sécurité  ;  il  est 
très  rare  qu'on  les  pille. 

En  réponse  à  une  demande  de  M.  Welter  au  sujet  du  chan- 
vre fumé  par  les  indigènes,  M.  Gautier  dit  qu'il  croit  cette 
plante  importée;  et  à  M.  de  Traz  qui  désirerait  savoir  de 
quelle  nature  sont  les  roches  signalées  par  M.  Gautier,  il 
avoue  n'avoir  pas  fait  une  étude  de  la  géologie  du  pays,  mais 
avoir  remarqué  des  silex,  des  grès,  des  quartz  aurifères. 

M.  Chaix  relève  ce  qu'a  de  nouveau  l'itinéraire  de  M.  Gau- 
tier, dans  la  partie  N.-E.  du  Transvaal,  et  dans  le  fait  que 

LE    GLOBE,    T.    XXIII,    1884.  10 


142  BULLETIN. 

riiifluence  des  Boers  s'arrête,  à  l'est,  à  la  limite  des  posses- 
sions portugaises. 

Quant  aux  négociations  entamées  entre  le  gouvernement 
des  Boers  et  celui  de  Lisbonne,  M.  Gautier  rapporte  que  le 
gouvernement  portugais  est  disposé  à  faire  construire  un 
chemin  de  fer  de  la  baie  de  Delagoa  à  la  frontière  du  Trans- 
vaal,  d'où  la  section  sur  le  territoire  de  la  République  du  sud 
de  l'Afrique  jusqu'à  Pretoria  serait  faite  par  le  gouverne- 
ment des  Boers  ;  ceux-ci  paient  déjà  un  impôt  pour  le  che- 
min de  fer, 

M.  de  Seyff  explique  que  le  mol  pati  qui  se  rencontre  dans 
beaucoup  de  noms  propres  :  Zoulpansberg,  Du  Toit's  Pan, 
etc.,  signifie  vallée,  vallée  du  sel,  vallée  Du  Toit.  Générale- 
ment les  noms  donnés  par  les  Boers  ont  été  dénaturés  par  les 
Anglais  et  les  Français. 


SÉANCE  DU  25  AVRIL  1883. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  el  adopté. 

Le  Président  rapporte  que  la  Société  de  géographie  de 
Lûbeck  a  demandé  d'entrer  en  rapport  d'échange  avec  la 
nôtre,  et  nous  a  envoyé  son  Jahresbericht.  —  Trois  sociétés 
se  sont  fondées  à  Hérisau,  à  Zurich  et  à  Bâle.  —  Le  Bureau 
a  chargé  M.  le  Président  et  M.  de  Traz  de  représenter  la 
Société  à  la  réunion  de  l'Association  des  Sociétés  suisses  de 
géographie  à  Berne.  Quand  il  sera  informé  de  la  date  exacte 
el  de  l'ordre  du  jour  de  la  session,  il  en  informera  les  mem- 
bres de  la  Société  par  une  circulaire  qui  sera  adressée  à 
chacun  d'eux.  —  Le  Bureau  devra  mettre  au  net  le  règle- 
ment de  la  Société  el  le  faire  imprimer. 

Le  Président  donne  la  parole  à  M.  Faiire  pour  la  lecture 
de  la  première  partie  de  sa  Notice  sur:  La  vie  et  les  travaux 
d'Arnold  Guyot  de  1807  à  1848  (Voir  aux  Mémoires). 

M.  Welter  signale  à  M.  Faure  la  thèse  soutenue  par 
A.  Guyot  à  BerUn  en  1835  pour  obtenir  le  grade  de  docteur 
en  philosophie.  Le  sujet  en  est  la  Division  naturelle  des  lacs; 
elle  traite  des  lacs  1»  sans  tributaire  visible  mais  avec  un 


PROCÈS- VERBAUX.  143 

émissaire,  2«  avec  affluent  et  émissaire,  3»  avec  affluent  sans 
émissaire,  4"  sans  tributaire  et  sans  émissair*e. 

M.  Faure  remercie  M.  Welter  de  cette  indication  qui  lui 
sera  très  utile  pour  compléter  sa  Notice. 

M.  le  Président  H.  B.  de  Beaiimont  introduit  ensuite  la 
question  à  l'ordre  du  jour. 

La  mer  intérieure  des  Chotts  de  Tunisie  et  le  lac  Triton. 

Messieurs,  une  étude  tr-ès  intéressante  sur  !a  position  pro- 
bable du  lac  Triton,  publiée  dans  le  quatrième  bulletin  de  la 
Société  de  géograpbie  de  Gonstanline,  m'a  suggéré  le  désir 
d'inviter  la  Société  de  géographie  de  Genève  à  s'occuper 
de  ce  sujet,  comme  se  rattachant  à  la  grande  idée  de  M.  Rou- 
daire  sur  la  mer  des  Chotts,  et  à  porter  son  attention  sur  ce 
projet  qui  n'a  pas  encore  été  pour  elle  un  objet  spécial  de 
dissei'talion. 

Permettez-moi  donc,  par  ces  quelques  mots,  d'introduire  le 
sujet  auprès  de  vous,  je  dis  à  dessein  d'introduire,  ne  pou- 
vant avoir  la  prétention  de  résoudre  une  question  aussi 
vaste  dans  ses  domaines  historique,  géographique  et  tech- 
nique. 

Je  ne  suivrai  pas  l'auteur  érudit  de  la  notice  que  je  cite, 
M.  Wolters,  dans  ses  recherches  sur  la  place  qu'occupait  dans 
le  parnasse  de  l'Olympe  le  dieu  Triton,  sur  son  culte,  sur  sa 
représentation,  etc.,  ces  considérations  nous  mèneraient  trop 
loin.  Très  développées  par  l'auteur,  elles  sont  le  produit  d'un 
examen  critique  serré  des  textes  anciens  des  géographes 
grecs.  Toutefois,  après  cet  examen,  de  même  que  d'autres 
savants  qui  ont  voulu  aussi  jeter  de  la  lumière  sur  cet  inté- 
ressant sujet,  M.  Wolters  ne  peut  arriver  à  une  certitude  sur 
l'emplacement  de  cet  ancien  lac  Triton. 

Son  opinion  à  la  suite  de  son  travail  serait  de  reconnaître 
le  fleuve  Triton  dans  Toued  Djeddi  de  nos  jours.  Tandis  que 
M.  Roudairele  cherchait  alors  dans  TouedTarfaoui  qui  se  jette 
dans  le  chott  Rharsa. 

Ce  sujet  a  été  repris  et  étudié  ces  derniers  temps  de  diffé- 
rents côtés  et  par  plusieurs  auteurs  soit  dans  un  intérêt  de 
recherches  historiques  ou  plutôt  préhistoriques, soit  dans  un 
intérêt  géographique  et  d'actualité  pour  autant  qu'il  participe 


144  BULLETIN. 

à  la  grande  conception  de  M.  Roudaire  sur  la  conduite  de  la 
Méditerranée  dans  le  Sahara, 

Sans  suivre  les  textes  mêmes  des  auteurs  anciens  et  en 
admettant  la  justesse  de  leur  interprétation  et  de  leur  com- 
paraison, par  M.  Wolters  dans  son  travail,  qu'il  nous  soit 
permis,  en  restant  plus  spécialement  dans  notre  domaine  de 
géographe,  d'indiquer  une  appréciation  qui  nous  semblerait 
plus  conforme  à  l'état  et  à  la  disposition  des  lieux  actuels,  et 
à  la  représentation  donnée  par  les  caries  anciennes,  quelque 
fautives  qu'elles  puissent  être,  telles  que  les  âges  nous  les 
ont  transmises. 

Dans  la  mappemonde  d'Écathée  (500  a.  J.-C),  d'après  l'atlas 
de  Vivien  de  Saint-Martin,  nous  trouvons  un  golfe  profond 
plus  au  nord  que  celui  de  Gabès  ;  dans  celle  d'Hérodote 
(450  ans),  le  même  golfe  est  représenté  plus  profond  encore 
et  s'étendant  au  sud  sous  le  nom  même  de  lac  Triton.  En 
tout  cas  ce  que  nous  connaissons  aujourd'hui  des  lieux  mê- 
mes nous  montre  :  d'une  part,  au  golfe  de  Gabès,  un  seuil 
élevé  moitié  sablonneux  et  rocheux,  et  d'autre  part,  à  Sousa 
(golfe  d'Hammamet),  une  grande  étendue  de  terre,  d'un 
niveau  très  bas  jusqu'à  une  assez  grande  distance,  que  la  mer 
recouvre  facilement  dans  les  gros  temps,  et  lors  de  ses  ma- 
rées malgi'é  leur  faiblesse;  elle  présente  en  outre  une  cer- 
taine continuité  jusqu'aux  premiers  cholts.  A  voir  les  cartes 
modernes,  ces  terrains  peu  accidentés,  présentant  des  sebkahs 
et  des  arrêts  d'eau  momentanés,  seraient  de  grandes  éten- 
dues de  pâturages  vagues,  des  steppes  ainsi  que  les  appellent 
quelques  cartogaphes. 

Par  ces  considérations  l'entrée  de  la  mer  ancienne  nous 
semblerait  avoir  été  plus  naturelle  ici  qu'à  Gabès,  mais  nous 
ne  pouvons  en  donner  d'autres  preuves  que  des  appréciations 
que  nous  reconnaissons  comme  conjecturales  encore,  dans 
l'état  de  nos  connaissances. 

Jusqu'à  quel  point  la  position  de  l'ancien  lac  Triton  est-elle 
liée  avec  le  projet  de  canal  marin  de  M.  Roudaire  pour 
rentrée  des  eaux  de  la  Méditerranée? Nous  pensons  qu'elle 
ne  Test  point  d'une  manière  essentielle.  M.  Roudaire  trouve- 
rait, peut-être,  si  ce  n'est  plus  de  facilité  au  moins  plus  de 
stabilité  et  de  sécurité  dans  le  percement  d'une  tranchée 
dans  des  terrains  solides  de  grès  ou  de  roches  favorables 


PROCÈS- VERBAUX.  145 

à  la  résistance  contre  les  mouvements  violents  des  eaux  pro- 
duits soit  par  des  orages  sur  la  Méditerranée,  soit  par  la 
navigation  elle-même  dans  le  canal  de  passage.  Mais  nous  ne 
devons  pas  nous  arrêter  ici  à  ces  considérations  techniques. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  projet  du  colonelRoudaire  de  l'immer- 
sion des  chotts  par  la  mer,  a  eu,  dès  le  début,  un  grand 
retentissement.  J'en  garde  dans  mon  souvenir  le  plus  vivant 
témoignage.  Ayant  eu  l'avantage  de  présider  la  séance  où  cet 
habile  ingénieur  exposait  déjà  ses  vues  en  1875,  au  congrès 
international  de  géographie  de  Paris,  j'ai  pu  être  témoin  du 
grand  intérêt  qu'il  a  provoqué  et  de  la  sympathie  avec 
laquelle  il  a  été  écouté.  Ses  travaux  de  nivellement  avaient 
commencé  en  1872.  Voilà  donc  plus  de  douze  ans  écoulés 
sans  amener  encore  de  résolution  définitive.  Vous  connaissez 
les  écrits  nombreux  qui  ont  soutenu  ce  projet,  comme  d'au- 
tres qui  ne  l'ont  pas  approuvé. 

Le  gouvernement  forcé  lui-même  par  l'opinion  publique  a 
nommé  deux  commissions  spéciales  pour  s'en  occuper. 
Toutes  deux  lui  ont  retiré  leur  adhésion,  comme  œuvre 
d'État,  mais  l'initiative  privée  ne  Ta  pas  abandonnée  pour 
€ela  ;  bien  au  contraire,  depuis  que  le  champion  des  grandes 
œuvres  de  notre  siècle,  Ferdinand  de  Lesseps,  lui  a  donné 
son  appui,  il  a  pris  une  marche  nouvelle,  un  élan  nouveau 
qui  permet  de  croire,  sous  l'égide  d'une  si  puissante  adhésion, 
à  un  résultat  plus  certain. 

La  réussite  doit  donner,  au  dire  du  persévérant  promo- 
teur, des  conditions  nouvelles,  ou  mieux  des  changements 
précieux  de  climat,  à  une  grande  contrée  soumise  aujour- 
d'hui aux  lois  du  désert.  Elle  doit  donner  aux  possessions 
algériennes  une  sécurité,  qu'elles  auront  de  la  peine  à  obte- 
nir par  d'autres  moyens,  et  apporter  au  commerce  intérieur 
de  ce  continent  des  facilités  très  grandes  et  d'une  haute 
importance.  Nous  n'avons  rien  à  dire  contre  les  idées  théo- 
riques qui  établissent  ces  résultats.  La  pratique  les  corrobo- 
rera-t-elle  ?  Nous  n"osons  l'affirmer.  Le  reboisement  des 
montagnes  des  versants  de  l'Aurès  et  de  l'Atlas,  surtout  de 
leurs  sommets  et  de  leurs  hauts  plateaux,  afin  d'établir  une 
relation  avec  les  coui-ants  atmosphériques  du  versant  de  la 
Méditerranée  chargés  de  l'évaporation  de  la  mer,  seraient  à 
notre  avis  la  première  chose  à  faire  pour  rendre  aux  fleuves 


146  BULLETIN. 

l'eau  qui  leui'  mancjue  et  peut-être  élever  le  niveau  des 
cliolls  en  modifiant  comme  on  le  désire,  le  climat  de  la 
contrée.  L'exploitation  du  sel  dans  certaines  parties  des 
cliolts  sur  leur  rive  méridionale,  présenterait  une  branche 
de  commerce  très  fructueuse  avec  l'intérieur  et  serait  peut- 
ôti'e  un  des  moyens  les  plus  sûrs  et  les  plus  actifs  de  ramener 
le  commerce  des  caj'avanes  à  l'Algérie.  Mais  l'initiative 
manque  et  il  faudrait  que  l'entreprise  fût  soutenue  dès  le 
début  par  une  force  permanente. 

Je  ne  m'étendrai  pas  davantage  sur  un  sujet  aussi  considé- 
rable. Je  devais  seulement  l'introduire  devant  vous  pour 
qu'il  devienne  l'objet  de  votre  discussion.  Je  n'ai  pu  le  faire 
que  très  brièvement  espérant  cependant  avoir  sollicité  votre 
attention  en  sa  faveur. 

M.  Edgar  Sautter  n'a  pas  eu  l'occasion  d'étudier  la  ques- 
tion de  la  mer  intérieure.  Il  a  rencontré  le  capitaine  Roudaire, 
il  y  a  une  dizaine  d'années,  époque  où  l'explorateur  des 
cholts  était  enthousiasmé  pour  son  projet,  beaucoup  plus 
qu'on  ne  l'est  en  Algérie.  Au  point  de  vue  scientifique  la 
question  est  intéressante  :  Roudaire  a  le  bonheur  d'être 
appuyé  par  M.  de  Lesseps;  lui-même  ne  voit  que  les  côtés 
faciles  du  sujet.  Mais  il  y  a  des  difficultés  dont  on  ne  peut 
encore  se  rendre  bien  compte,  en  particulier  celle  de  savoir 
ce  qu'est  le  sous-sol,  et  tout  ce  qui  se  rapporte  à  l'ouverture 
du  chenal  par  lequel  la  mer  devrait  être  amenée  dans  les 
chotts  tunisiens. 

M  Welter  signale  dans  la  Revue  scientifique  un  article  de 
M.  Rouire  traitant  la  question  de  l'ancienne  mer  intérieure 
africaine.  L'auteur  s'efforce  de  démontrer  que  le  lac  Triton 
ne  doit  pas  être  cherché  dans  un  des  chotts  de  Tunisie  ou 
d'Algérie,  dont  la  région  était  un  golfe  barré,  vers  l'ère 
chrétienne,  par  un  cordon  littoral.  Le  seuil  de  Gabès  a  une 
hauteur  de  46"",  composé  de  grès,  de  gypse  et  de  calcaire, 
il  appartient  à  une  formation  géologique  ancienne;  on  y  a 
trouvé  des  traces  d'habitations  préhistoriques.  M.  Rouire  a 
exploré  la  partie  du  pays  qui  s'étend  autour  du  lac  Kalbiah 
au  nord  de  Kairouan,  lac  permanent,  en  communication 
avec  la  mer  et  qui  peut,  mieux  que  les  chotts  de  Tunisie, 
avoir  été  le  lac  Triton. 

M.  le  Président  voit  dans  le  fleuve  qui  formait  le  lac  TrilOn 


PROCÈS-VERBAUX.  147 

la  séparation  entre  deux  nations  différentes,  l'une  séden- 
taire et  riche,  l'autre  nomade  et  pauvre. 

M.  Sautter  connaît  le  lac  Kalbiali,  et  le  golfe  de  Hamraamet 
où  le  bord  de  la  mer  diffère  essentiellement  de  la  côte  de 
l'Algérie.  Ici  la  mer  est  profonde,  à  Hammamel  le  bord  de  la 
mer  est  absolument  plat  ;  à  500"  du  bord  un  bâtiment  ne 
peut  pas  débarquer;  il  en  est  de  même  à  Sousa  plus  au  sud. 
Entre  le  lac  Kalbiah  et  Sousa,  la  mer  est  également  très  peu 
profonde.  Le  golfe  de  Hammamet  pourrait  très  bien  avoir  élé 
l'entrée  du  lac  Triton. 

M.  le  Président  croit  que  l'exploitation  du  sel  des  cliotts 
pourrait  être  très  lucrative,  les  caravanes  arabes  allant  cher- 
cher ce  condiment  très  loin. 

M.  Sautter  rappelle  que  le  sel  abonde  en  Algérie;  qu'il  y  a 
plusieurs  montagnes  de  sel  gemme  que  Ton  exploite,  et  oùl'on 
en  taille  de  vrais  blocs  ;  à  20  kilomètres  de  Sétif  se  trouve 
une  exploitation  dirigée  par  un  colon  français  qui  y  trouve 
des  ressources  pour  l'élève  de  ses  bestiaux. 

M.  de  Seyfï  n'a  jamais  rencontré  un  travail  sur  les  produits 
que  l'on  pourrait  transporter  par  la  mer  que  M.  Roudaire  se 
propose  de  créer  dans  la  région  des  chotts.  Pour  le  canal 
de  Suez  avant  de  rien  entreprendre,  on  avait  calculé  les 
sources  de  revenus  ;  ici  rien  de  semblable  n'a  eu  lieu,  et 
cependant  c'est  une  chose  indispensable  pour  gagner  la  con- 
fiance des  financiers. 

M.  Sautter  ajoute  que  le  commerce  local  est  peu  important 
et  qu'à  cet  égard  il  ne  faut  pas  se  faire  d'illusions,  il  ne  croit 
pas  non  plus  que  cette  entreprise  présente  aucun  avantage 
militaire,  ni  qu'il  soit  possible  d'établii-  sur  la  mer  intérieure 
une  navigation  sérieuse. 

M.  Hornung  trouve  très  juste  l'idée  du  reboisement  expri- 
mée dans  la  communication  de  M.  le  Président.  Autrefois 
l'Algérie  avait  de  l'eau  parce  qu'elle  était  boisée  ;  si  l'on  veut 
ramener  l'eau,  il  faut  la  reboiser. 

M.  le  Président  donne  rendez-vous  aux  membres  de  la 
Société  à  la  reprise  de  la  session  en  automne,  puis  il  lève  la 
séance. 

P.-S.  Avant  la  présentation  de  ces  quelques  mots  à  la 
Société  de  géographie,  pour  attirer  son  attention  et  sa  dis- 


148  BULLETIN. 

cussion  sur  la  position  probable  assignée  au  lac  Triton  par 
les  textes  anciens,  il  avait  paru,  sur  le  même  sujet,  dans  la 
Nouvelle  Revue,  un  article  de  M.  le  D""  Rouire  que  je  ne  con- 
naissais pas,  et  en  dernier  lieu,  cette  Revue  a  publié  une 
réfutation  de  l'opinion  de  cet  auteur  par  M  Roudaire  lui- 
même,  réfutation  dont  je  viens  de  prendre  connaissance.  Dans 
cette  introduction  du  sujel  que  je  faisais  à  la  Société,  j'ai  bien 
fait  ressortir  qu'à  côté  des  textes  dont  la  précision  et  la  valeur 
étaient  si  ditïéremment  jugées,  j'avais  suivi  tout  particulière- 
ment la  fartographie  ancienne  telle  qu'elle  nous  est  donnée 
par  notr€  illustre  collègue  et  membre  bonoraire,  Vivien  de 
Saint-Martin.  J'ai  mis  sous  les  yeux  de  nos  collègues  de  nom- 
breuses cartes  qui  montrent  combien  cette  côte  de  l'Afrique 
avait  été  mal  connue  ou  mal  rendue  par  lescartograpbes.  En 
étudiant  ces  différents  tracés  j'ai  reconnu  que  le  golfe  d'Ham- 
mamet,  indiqué  évidemment  comme  pénétrant  profondé- 
ment dans  l'intérieur  des  terres,  avait  pu  alors  avoir  une 
communication  avec  les  cbotts,  dans  lesquels  on  peut  recon- 
naître le  lac  Triton,  je  crois  même  qu'il  est  difficile  de  ne  pas 
admettre  ce  fait  comme  le  prétend  M.  Roudaire,  soit  pour  un 
des  cbotls,  soit  mieux  encore  à  mon  avis  pour  leur  ensemble. 
Mais  je  ne  suis  pas  d'accord  avec  lui,  pour  le  moment  du 
moins,  sur  le  soulèvement  du  seuil  de  Gabès,  les  données 
géologiques  n'arrivant  pas  encore  pour  moi  à  le  prouver 
et  les  textes  bistoriques  parlant  plutôt  de  mouvements  du  soi 
qui  se  sont  produits  et  celles  de  ses  parties  qui  avaient  été 
inclinées  vers  l'Océan  s'étant  écoulées,  ainsi  que  M.  Roudaire 
donne  la  citation  de  Diodore  de  Sicile.  Ce  qui  ne  veut  point 
dire  qu'il  y  ait  eu  soulèvement. Que  la  mer  se  soit  étendue,  à 
l'époque  quaternaire  et  préhistorique  jusqu'au  pied  de  la 
région  des  plateaux,  dont  M.  Desor  fait  la  partie  supérieure 
de  sa  division  du  bassin  Saharien  ?  cela  pour  moi  ne  fait  pas 
de  doute,  et  d'après  les  discussions  que  j'ai  eu  le  plaisir 
d'avoir  avec  mon  aimable  et  si  regretté  collègue,  sur  ses 
notes  et  matériaux  rapportés,  sa  seconde  division  des  dunes 
serait  le  témoignage  de  la  présence  de  ces  grandes  eau>  par 
la  formation  même  de  ces  dunes.  Ainsi  donc,  parfaitement 
d'accord  avec  M.  Roudaire  sur  l'étendue  ancienne  des  chotts, 
je  crois  voir  dans  le  golfe  d'Hammamet  une  entrée  de  la  mer 
vers  cette  nappe  d'eau,  entrée  qui  a   persisté    pendant  un 


NÉCROLOGIE.  149 

temps  assez  prolongé  après  celle  par  le  seuil  de  Gabès,  lors- 
que celui-ci  eut  émergé  par  suite  de  l'abaissement  des  eaux. — 
Du  reste  la  question  hydrologique  du  Sahara  est  une  des  plus 
intéressantes  en  géographie  physique,  et.  sa  résolution,  très 
importante  à  mon  avis  au  point  de  vue  scientifique,  demande 
encore  de  nombreuses  et  sérieuses  observations  pour  êlre 
résolue.  H.  B.  de  B. 


NÉCROLOGIE 


Quoique  le  nom  du  D""  Behm  n'ait  pas  été  entouré  d'une 
auréole  brillante  comme  celui  de  Petermann,  la  perte  qu'a 
faite  la  science  géographique,  par  la  mon  du  successeur  de 
l'éminenl  rédacteur  des  Mittheilungen  de  Gof/ia,  n'en  sera  pas 
moins  douloureusement  sentie  par  tous  ceux  qui  suivent 
attentivement  le  développement  des  importantes  publica- 
tions de  l'Institut  de  M.  Justus  Perlhes. 

Né  à  Gotha,  le  4  janvier  1830,  Ernst  Behm  devint,  dès 
le  mois  de  févi'ier  1856,  le  collaborateur  de  Petermann, 
auquel  il  apportait  un  concours  précieux  pour  la  rédaction  des 
Mittheilungen,  par  les  connaissances  solides  qu'il  avait  acqui- 
ses pendant  ses  études  de  sciences  naturelles  et  de  médecine 
à  léna,  Berlin,  Wùrzbourg  et  Paris,  en  même  temps  que  par 
son  zèle  scientifique  calme  et  persévérant.  Jusqu'au  15  mars 
1884,  jour  de  sa  mort,  il  contribua  sans  relâche  aux  succès  des 
travaux  géographiques  de  l'Institut  de  Gotha. 

D'un  caractère  tranquille  et  réservé,  tout  ditférent  de  celui 
du  bouillant  Petermann  qu'il  complétait  avantageusement,  il 
entra  bien  vite  en  rapport  d'intime  amitié  avec  le  savant 
géographe,  qu'il  aidait  de  ses  conseils,  de  son  travail  patient 
et  consciencieux,  et  qui,  comblé  de  gloire,  en  attribuait  une 
partie  à  celui  qu'il  appelait  son  bras  droit,  et  l'échelle  sur 
laquelle  il  s'était  élevé  aux  honneurs  dont  il  avait  joui  pen- 
dant si  longtemps. 

En  effet,  tandis  que  Petermann  représentait  devant  le 
monde  entier  les  entreprises  de  Tlnstitul  de  Gotha.  Behm 


150  NÉCROLOGIE. 

travaillait  dans  le  silence  du  cabinet,  songeant  peu  à  la  gloire; 
et  cependant  c'est  lui  qui,  du  vivant  même  de  Pelermann, 
rédigea  en  grande  partie  les  22  volumes  des  Mittlieilungen, 
pai'us  de  !8o6  à  1877,  c'est-à-dire  jusqu'au  moment  où  il 
devint  rédacteur  en  chef  de  celte  publication. 

Les  Mittlieiliingen  n'avaient  pas  d'ailleurs  absorbé  tout  son 
temps.  Après  avoir  pendant  dix  ans  travaillé  presque  exclu- 
sivement pour  Petermann,  il  avait  collaboré,  dès  18()6,  avec 
M.  Justus  Pertbes  à  la  création  du  Geographisches  Jahrbucfi, 
devenu  bientôt  le  manuel  indispensable  de  tous  les  géogra- 
phes, qui  y  trouvent  chaque  année  des  mémoires  rédigés  par 
des  hommes  spéciaux,  et  renfermant  les  résultats  acquis  dans 
les  diverses  branches  de  la  géographie. 

En  1872,  M.  H.  Wagner  qui,  depuis  quelques  années,  avait 
entrepris  de  réformer  l'Annuaire  statistique  de  l'Almanach 
de  Gotha,  l'appela  à  collaborer  à  la  publication  connue  sous 
le  nom  de  «  Beiolkerung  der  Erde,  »  comme  supplément  aux 
Mittheilungen  de  Gotha,  et  dès  lors  les  deux  savants  auteurs 
ont  donné  sept  éditions  de  ce  travail  constamment  amélioré, 
et  enriciii  des  éléments  nouveaux  que  les  derniers  recense- 
ments, dans  tous  les  États  des  deux  mondes,  leur  ont  permis 
d'y  introduire.  Le  collaborateur  du  D''  Behm  lui  rend  ce 
témoignage,  que  jamais  le  labeur  le  plus  dur  ne  Ta  fait  recu- 
ler, et  qu'il  a  toujours  déployé  un  zèle  infatigable. 

Le  travail  spécial  qu'il  accomplissait  pour  cette  publication, 
l'engagea  à  se  charger,dés  187(5,  delà  partie  de  la  statistique 
et  des  voies  de  communication  de  l'Almanach  de  Gotha.  Et 
après  la  moit  de  Petermann.  en  1877.  il  rédigea  i-égulière- 
ment  le  Monatsbericht  des  iMittheilungen,  qui  est  devenu  une 
source  précieuse  de  renseignements  pour  quantité  de  savants 
et  de  revues  géographiques. 

On  comprend  que  tous  ces  travaux  ne  laissaient  pas  au 
D""  Behm  le  loisir  nécessaire  pour  faire  des  voyages;  rare- 
ment il  s'éloigna  de  Gotha  ;  cependant  il  se  rendit  aux  congrès 
géographiques  de  Paris  et  de  Venise,  auxquels  affluaient  les 
explorateurs,  pour  s'instiuire  lui-même,  mais  aussi  pour 
attirer  leur  attention  sur  les  lacunes  existant  encore  dans  nos 
connaissances  sur  les  régions  qu'ils  avaient  visitées.  Sa  science 
étendue  et  précise  lui  faisait  pressentir  les  découvertes, 
avant  que  les  voyageurs  eussent  atteint  les  régions  qu'ils 


BIBLIOGRAPraE.  151 

s'efforçaient  de  découvrir.  On  se  rappelle  l'exaclitude  avec 
laquelle  il  dessina  la  carte  du  cours  du  Congo  avant  le  célèbre 
voyage  de  Stanley  en  1877. 

Quoiqu'il  fût  doué  d'une  grande  puissance  de  ti-avail,  et 
que  le  travail  fût  un  plaisir  pour  lui,  le  fardeau  de  toutes  les 
occupations  susmentionnées  n'en  pesait  pas  moins  lourde- 
ment sur  ses  épaules.  La  maladie  ne  lui  fit  pas  désirer  de  s'y 
soustraire;  il  ne  cessa, jusqu'à  la  fin,  d'écrire  et  de  prendre 
intérêt  aux  publications  de  l'Institut  de  Gotha;  aussi  son  col- 
laborateur, M.  H.  Wagner,  lui  i-end-il  ce  témoignage  qu'il  a  été 
fidèle  jusqu'à  la  mort! 

I 


BIBLIOGRAPHIE 


Le  Moniteur  des  consulats,  journal  diplomatique, littéraire, 
financier,  industriel,  commercial.  Fondateur  :  Aug.  Meule- 
mans;  Administration  :  1,  rue  Lafayette.  Paris.  —  Numéros  : 
231-236.  —  Les  six  numéros  de  ce  journal  contiennent  des 
articles  d'intérêt  divers  sur  tous  les  pays  du  monde,  nous 
citerons  : 

Une  description  de  Buenos-Ayres,  et  plusieurs  articles  sur 
le  développement  extraordinaire  de  la  République  Argentine, 
contrée  vers  laquelle  l'immigrant  peut  se  diriger  en  toute 
confiance,  sûr  qu'il  est  d'y  trouver  des  ressources  de  toutes 
espèces.  La  récolte  de  cette  année  a  été  particulièrement 
bonne  et  l'exportation  des  viandes  fraîches  et  salées  prenait 
toujours  plus  de  développement. 

La  description  des  mœurs  des  Patagons  et  l'annonce  du 
départ  d'un  voyageur  français,  M.  Poisson,  offrent  aussi  de 
l'intérêt.  Quelques  articles  sur  le  Pérou  et  la  guerre  qu'il  a 
entreprise  contre  le  Chili,  nous  montrent  qu'on  ne  jouit  pas 
là-bas  de  toute  la  sécurité  possible. 

Les  nouvelles  de  l'épidémie  de  fièvre  jaune  qui  a  ravagé 
le  Brésil  sont  meilleures,  le  mal  est  en  décroissance. 

Le  journal  insiste  sur  le  fait  que  les  relations  de  la  France 
avec  la  Louisiane  pourraient  être  plus  étendues. 

Dans  Ylle  Maurice,  un  correspondant  parle  de  l'infiuence 


152  BIBLIOGRAPHIE. 

des  Français  restés  les  plus  nombreux  dans  Tile  et  du  lort 
causé  aux  cultures  par  le  déboisement  des  forêts. 
L'état  sanitaire  du  Sénégal  ne  laisse  i-ien  à  désirer. 

Alpb.  G. 

La  République  du  Paraguay,  précis  bistoriijue  et  statisti- 
que, par  Aug.  Meulemans  (Paris,  chez  Dentu,  1884).  — Bro- 
chure de  33  pages.  —  Précis  historique.  L'auteur  nous  raconte 
d'une  façon  fort  claire  et  intéressante  l'histoire  du  Paraguay, 
depuis  sa  conquête  par  l'Espagne  en  1568,  jusqu'à  nos  jours. 
La  domination  des  .Jésuites,  qui  fit  plier  le  pays  sous  leur  joug, 
puis  les  nombreuses  années  de  dictature  sous  Framia  et  les 
Lopez;  les  guerres  contre  le  Brésil  et  la  République  Argen- 
tine el  enfin  la  reconstitution  du  pays  après  la  mort  de  Lopez, 
et  le  traité  de  paix  de  1876,  voilà  les  principaux  sujets  de  cet 
ouvrage.  L'auteur  nous  donne  ensuite  un  aperçu  sur  la  géo- 
graphie, la  statistique,  les  différents  pouvoirs,  l'agriculture,  le 
commerce,  l'importation,  l'exportation  et  l'immigration  de  cet 
intéressant  pays,  et  nous  montre  enfin  la  République  du 
Paraguay  ayant  pris  place  parmi  les  états  florissants  du  Nou- 
veau-Monde. Alph.  G. 

Nous  trouvons,  dans  VOesterreicfiische  Monatschrift  fur 
den  Orient  de  février,  un  article  de  M,  Pechuel-Lœsche  des- 
tiné à  refroidir  les  entreprenants,  et  à  calmer  les  amateurs  de 
nouveautés  qui  seraient  tentés  de  considérer  l'Afrique  comme 
un  Eldorado,  où  il  importe  de  coloniser  sans  retard,  afin  d'y 
récolter  des  richesses  qu'ils  croient  y  rencontrer. 

L'auteur  considère  l'Afrique  comme  un  pays  avant  tout 
impropre  à  la  colonisation,  el  cela  à  cause  de  son  climat  tro- 
pical, les  Euiopéens  ayant  de  la  peine  à  le  supporter  à  la  lon- 
gue; à  cause  du  nombre  de  ses  habitants  qui  ne  permet  pas 
une  grande  exportation  de  ses  produits,  ces  dei'niers  suffisent 
à  peine  à  l'entretien  des  indigènes;  à  cause  du  peu  de  ferti- 
lité naturelle  de  son  sol  en  général;  enfin  les  moyens  de  trans- 
port sont  aujourd'hui  encore  si  primitifs,  qu'il  n'existe  de 
véritable  commerce  que  le  long  des  côtes,  et  que  le  seul 
objet  d'échange  de  l'intérieur  qui  mérite  d'être  mentionné, 
l'ivoire  a  une  bien  minime  importance  comparé  à  l'immen- 
sité du  continent.  M.  Pechuel-Lœsche  estime  la  surface  delà 


BIBLIOGRAPHIE,  153 

partie  de  l'Afrique  fournissant  l'ivoire  à  12  millions  de  kilo- 
mètres carrés,  et  la  production  annuelle  à  750  tonnes,  consti- 
tuant la  dépouille  de  50,000  éléphants  mâles.  Estimant  le 
poids  d'une  paire  de  défenses  à  20  kilogr.  en  moyenne,  une 
tonne  en  repi'ésenlerait  100,  valant  au  maximum  25,000  fr., 
et  ceci  pour  un  territoire  de  16,000  kilom.  carrés,  c'est-à- 
dire  un  peu  plus  grand  que  le  grand-duché  de  Bade. 

En  somme,  l'auteur  ne  croit  pas  que  l'Afrique  soit  un  pays 
d'avenir  pour  l'Europe.  F.  de  B. 

Proceedings  of  tfie  Royal  Geographical  Sobieti/,  {de  Londres.) 

1^0  de  «Juin  1883.  Les  bassins  de  l'Amaru-Mayu  et  du 
Béni,  par  Cléments  R.  Markham,  secrétaire  de  la  Société 
royale  de  géographie. 

Exploration  de  la  rivière  Béni  en  1880-8 i,  par  le  D'"  Edwin 
R.  Heath,  avec  carte.  Le  voyage  du  D^'Heath  a  eu  un  résultat 
important  pour  la  géographie  du  centre  de  l'Amérique  du 
Sud  :  la  reconnaissance  complète  du  cours  du  Béni  qui,  pre- 
nant sa  source  près  de  La  Paz  16",  30'  lat.  sud,  coule  vers 
le  nord  jusqu'au  10°,  30',  où  il  reçoit  l'Amaru-Mayu,  puis 
réuni  à  la  rivière  Mamore,  qui  a  reçu  elle-même  l'itenez,  ils 
forment  ensemble  la  grande  rivière  Madeira,  un  des  princi- 
paux affluents  du  tleuve  des  Amazones. 

Juillet.  Discours  annuel  du  Président  Lord  Aberdare, 
sur  les  progrès  de  la  géographie. 

Voyage  dans  le  district  à  Voiiest  du  cap  Delgado,  par  H.  E. 
O'Neill,  consul  de  Sa  Majesté  à  Mozambique,  avec  carte. 
Expédition  entreprise  en  septembre-octobre  1882,  dans  le 
but  de  se  renseigner,  en  vue  de  sa  suppression  future,  sur  la 
traite  des  nègres  dans  la  Ijaie  de  Tunghi,  au  sud  du  cap 
Delgado  10°,  40'  lat.  sud,  et  dans  le  désir  d'exploi-er  le  pays 
encore  inconnu  de  la  tribu  Mavia  ou  Mabiha. 

Août.  La  Chine  sous  quelques-uns  de  ses  aspects  physiques 
et  sociaux,  par  E.  Colborne  Bader.  Article  bien  écrit  et  in- 
structif. 

Un  voyage  de  Mossamedes  à  la  rivière  Cunene,  S.-O.  de 


154  BIBLIOGRAPHIE. 

l'Afrique,  par  le  comte  de  Mayo,  avec  carte.  Celte  relation, 
contenant  beaucoup  de  détails  sur  le  pays  et  ses  habitants,  a 
donné  lieu  dans  le  sein  de  la  Société,  à  une  discussion  inté- 
ressanle. 

Sopt(>uibre.  Visites  aux  côtes  est  et  nord-est  de  la  Noîi- 
velle  Crtiinée,  par  Wilfred  Powell.  L'attention  se  porte  sur 
celte  île  à  cause  des  pi-élenlions  rivales  de  la  Hollande  qui 
prélend  avoir  des  anciens  droits  à  la  possession  de  la  partie 
de  rile  à  l'ouest  du  141°,  et  de  rAngieterre  qui,  poussée  par 
sa  colonie  voisine  du  Queensland,  voudr-ait  s'emparer  sinon 
de  l'île  entière  du  moins  de  sa  partie  orientale.  Celte  com- 
munication, outre  sa  valeur  géographique,  a  donc  un  intérêt 
d'actualité. 

Une  visite  au  peuple  Masaï  habitant  au  delà  des  frontières 
du  pays  de  Nguru,  par  J.  F.  Last,  avec  cai-te.  C'est  la  des- 
cription d'une  nouvelle  partie  de  l'Afrique  orientale,  6°  lat. 
sud,  3(5°  cà  38°  long.  est. 

Rapport  sur  les  progrès  de  l'expédition  de  la  Société  au 
Victoria  Nyanza,  par  M.  Thompson.  Letti'e  écrite  de  Mombasa 
en  juin  1883. 

Octobre.  U)ie  visite  aux  stations  de  M.  Stanley  sur  le 
Congo,  par  H.  H.  Johnslon,  avec  carte. 

Une  visite  aux  Wa-itumba  forgerons  et  aux  Mangaheri, 
près  Mamboia,  Afrique  orientale,  par.  J.  T.  Last. 

Ces  deux  relations  d'explorations  de  parties,  bien  distantes 
Tune  de  l'autre,  du  vaste  continent  africain,  présentent  cha- 
cune de  l'intérêt.  De  la  première  nous  relevons  que,  au 
moment  de  la  visite  de  M.  Johnslon  il  y  a  un  an,  contraire- 
ment à  d'autres  informations,  M.  Stanley  et  les  divers  repré- 
sentants de  l'Association  paraissaient  vivre  généralement  en 
bonne  intelligence  avec  les  indigènes. 

IVoveuibre.  Le  district  d'At/mbasca,  nord-ouest  du  Ca- 
nada, par  le  Rev,  Emile  Petitot,  avec  carte.  Description  inté- 
ressante et  très  complète  à  tous  les  points  de  vue,  d'une 
vaste  région  d'environ  122,000^  milles,  soit  plus  que  la 
Grande-Bretagne  et  l'Irlandes  réunies  (long.  105°-m°,  30', 
lat.  56°-60°}. 


BIBLIOGRAPHIE.  155 

Déeeiikbre.  Relèvement  de  la  rive  orientale  du  lac  Nyassa, 
et  dernières  nouvelles  sur  la  «  Route  de  jonction  des  lacs,  » 
par  James  Stewart,  avec  carte.  Les  lettres  de  M.  Stewart 
sont  des  2  juillet  et  1"  août  1883.  On  sait  qu'il  est  mort  peu 
après,  le  30  aoùl,  emporté  par  la  fièvre.  Sa  fin  prématurée, 
il  n'avait  que  40  ans,  est  une  vraie  perte  pour  la  géographie; 
son  nom  i-estera  attaché  à  l'achèvement  du  lever  des  rives 
du  Nyassa  et  à  la  construction  de  la  route  de  jonction  des  lacs. 

Le  Congo,  de  son  embouchure  à  Bolobo,  avec  notes  sur  la 
géographie,  l'histoire  naturelle,  les  ressources  et  l'esprit  poli- 
tique du  bassin  du  Congo,  par  H.  H.  Johnston,  avec  carte 
physique.  C'est  le  complément  de  la  communication  parue 
dans  le  numéro  d'octobre. 

Notes  sur  la  rivière  Maud,  ou  Kara-Aghatch  (le  Sitakos 
des  Anciens)  dans  le  sud  de  la  Perse,  par  le  lieutenant-colonel 
E.  C.  Ross,  avec  carte.  Article  de  géographie  historique. 

Ce  numéro  donne  encore  des  nouvelles  du  voyage  de 
M.  Révoil. 

«fanvier  1884.  Une  visite  au  Kafiristan,  \^av  W.  W. 
Mac  Nair.  Le  Kafiristan  est  situé  dans  le  bassin  supérieur  de 
la  rivière  Kabul,  ses  habitantsn'ont,  paraît-il,  jamais  été  con- 
quis depuis  Alexandre  le  Grand  et  n'ont  pas  embrassé  l'isla- 
misme; ils  sont  grands  ennemis  de  leurs  voisins  les  Afghans 
musulmans.  M.  Mac  Nair  est  le  premier  Européen  qui  ail 
visité  cette  région  ;  son  intéressant  récit  sera  lu  avec  plaisir. 

Notes  sur  la  géographie  du  sud  de  l'Afrique  centrale,  en 
explication  d'une  nouvelle  carte  de  cette  i^égion,  par  Andrew 
A.  Anderson.  Notes  et  carte  sont  le  résultat  de  16  années 
d'explorations  et  seront  bien  accueillies  de  tous  ceux  qui 
s'intéressent  aux  progrès  de  la  géographie  du  continent  afri- 
cain. L'auteur  nous  annonce  du  reste  la  prochaine  publica- 
tion de  ses  récits  de  voyages. 

Février.  Explorations  récentes  dans  les  alpes  du  sud  de 
la  Nouvelle-Zélande,  par  le  Rev.  W,  S.  Green,  avec  carte. 
M.  Green,  membre  actif  et  entreprenant  du  Club  alpin 
anglais  a,  entre  autres  expéditions,  fait  l'ascension  du  mont 
Cook,  12,3o0  pieds,  la  plus  haute  sommité  de  l'île,  et  exploré 


156  BIBLIOGRAPHIE. 

un  grand  glacier.  Dans  la  conversation  qui  a  suivi  son  récit, 
il  a  été  communiqué  une  letti-e  de  M.  W.  Graham  qui  parle 
de  ses  ascensions  dans  l'Himalaya. 

Un  voyage  en  bateau  autour  du  Stanley-Pool,  par  le  Rev. 
T.  J.  Comber,  avec  carte,  lettre  récente,  du  6  octobre  1883. 

Le  voyage  du  Z)'  Fischer  dans  le  pays  des  Masaï,  d'après 
sa  communication  à  la  Société  de  géograpbie  de  Hambourg. 

Les  systèmes  des  montagnes  de  l'Himalaya  et  des  chaînes  de 
rinde  voisines,  par  le  lieutenant-colonel  H.  H.  Godwin-Austen, 

avec  carte. 

Mars.  Trois  mois  d'explorations  dans  les  îles  Tenimber, 
ou  Timor-Laut,  par  H.  0.  Forbes,  avec  carte.  M.  Foi-bes,  et 
surtout  son  épouse  qui  l'accompagnait,  ont  fait  preuve  d'un 
vrai  courage,  en  s'élablissant  ainsi  sur  une  terre  à  peu  près 
inconnue,  dans  laquelle  aucun  Européen  n'avait  résidé  avant 
eux,  et  dont  les  babitants  jouissaient  de  la  plus  mauvaise 
réputation.  Il  est  bien  à  regretter  que  de  violents  accès  de 
fièvre  et  surtout  l'état  de  guerre  des  villages  indigènes 
les  uns  contre  les  autres,  aient  été  un  obstacle  aux  explora- 
tions de  M.  Forbes.  Sa  relation  n'en  sera  pas  moins  lue  avec 
plaisir  et  profit. 

Notice  sur  l'ascension  du  volcan  Ambrym  dans  les  Nouvelles 
Hébrides,  par  le  lieutenant  G.  "W.  de  la  Poer  Beresford,  R.  N., 
communiqué  par  l'amirauté.  Cette  sommité  n'avait  jamais 
été  gravie  précédemment,  et  le  court  récit  de  cette  ascension 
est  intéressant. 

L'expédition  russe  de  1883  à  Pamir,  avec  carte.  Traduction 
d'une  communication  faite  à  la  Société  russe  de  géographie, 

L'éruption  volcanique  de  Krakatau,  avec  carte,  par  M.  H. 
0.  Forbes.  Les  membres  de  la  Société  de  géographie  de 
Genève  qui  ont  déjà  entendu  sur  ce  sujet  la  communication 
de  leur  collègue,  M.  de  Seyff,  liront  avec  intérêt  le  présent 
article.  Observons  que  l'orthographe  Krakatoa,  adoptée  par 
la  plupart  des  journaux,  ne  paraît  pas  être  la  bonne,  M.  de 
Seytï  écrit  Krakatao  et  M.  Forbes  Krakatau,  se  conformant 
tous  deux  à  la  prononciation  indigène. 


BIBLIOGRAPHIE.  157 

Avril.  Ma  récente  visite  au  Congo,  par  le  major  général 
sir  F.  J.  Goldsmid.  Notes  sur  le  Congo  inférieur,  de  son 
embouchure  au  Stanley-Pool,  par  E.  Delmar  Morgan. 

La  Nouvelle-Guinée.  Résumé  de  nos  connaissances  actuelles 
sur  celte  île,  par  Coutts  Trotter,  avec  carte. 

Explorations  récentes  dans  le  sud-est  de  la  Nouvelle-Guinée, 
par  le  Rev.  W.  G.  f^awes,  avec  carte. 

Comme  nous  le  disions,  à  propos  du  numéro  de  septembre, 
l'attention  se  porte  en  ce  moment  sur  la  Nouvelle  Guinée 
jusqu'ici  relativement  négligée  par  les  explorateurs.  L'article 
de  M.  Coutts  Trotter  est,  comme  Findique  son  titre,  un 
résumé  historique  et  géographique  très  complet  de  nos  con- 
naissances sur  cette  grande  île,  connaissances  Umitées  du 
reste  presqu'uniquement  aux  côtes,  la  Fly-River  seule  ayant 
été  remontée  sur  une  certaine  longueur.  Le  second  article 
est  une  lettre  du  Rev.  W.  G.  Lawes,  datée  de  Port  Moresby 
19  décembre  1883,  donnant  des  détails  sur  les  dernières 
explorations  de  son  collègue  missionnaire  le  Rev.  J.  Ghal- 
mers. 

Mai.  Observations  géographiques  dans  la  région  du  Bahr- 
El-Ghazal,\)ar  Frank  Lupton(Lupton  Bey),  avec  introduction 
par  Malcolm  Lupton,  et  carte. 

Les  dernières  lettres  de  Lupton  Bey,  gouverneur  de  la 
province  de  Ghazal,  sont  du  commencement  de  novembre. 
il  donne  des  informations  sur  la  géographie  et  les  habitants 
de  celle  vaste  région  (6°,  30'  à  9°,  30'  lat.  nord,  25°  à  31° 
long,  est),  ainsi  que  des  détails  sur  l'état  politique  amené 
par  la  révolte  du  Mahdi  avec  lequel,  ces  dernières  années, 
il  n'a  pas  été,  paraît-il,  moins  de  vingt  fois  en  conflit  armé. 
Lupton  se  trouve  maintenant  coupé  de  toutes  communica- 
tions avec  l'Europe  par  le  Nord,  et  sa  position  ne  paraît  guère 
meilleure  que  celle  de  Gordon. 

Les  pays  de  Somal  et  de  Galla,  et  les  informations  recueil- 
lies par  le  Rev.  Thomas  Wakefield,  par  E.  G.  Ravenstein,  avec 
carte.  Ces  deux  pays  sont  situés  au  sud-est  de  l'Abyssinie 
entre  l'équateur  et  10°  lat.  nord  ;  l'auteur  fait  un  résumé 
historique    des  découvertes  géographiques  et  montre  que 

LE  GLOBE,  T.  XXIII,  1884.  11 


158  HIliLIOCRAlMIIE. 

les  (Jislricls  explorés  jusqu'ici  sont  bien  limités^  comparés  à 
ceux  où  aucun  Européen  n'a  encore  mis  le  pied  ;  il  nous 
donne  ensuite  des  notes  intéi'essantes  recueillies  par  le  Rev. 
Tlionias  Wakefield  qui  depuis  18G5  a  séjourné  sur  la  côte 
orientale  de  l'Afrique  d'où  il  n'est  revenu  qu'en  1883. 

Voyage  en  bateau  le  long  de  la  rive  occidenlale  du  Victoria 
Nyanza,  d'Uganda  à  Kageije,  et  exploration  de  Jordan's  nul- 
lah,  par  A.  M.  Mackay,  avec  croquis.  Journal  coramuni(iué 
par  la  Church  Missionary  Society. 

En  terminant  nous  signalerons  dans  les  Notes  de  cette 
livraison  les  articles  suivants  :  Dernières  explorations  de 
M.  Seloiis,  avec  carte.  —  Projet  de  dérivation  de  fOxus  de 
rAral  à  la  Caspienne.  —  La  mort  du  D'  Pogge.  —  Le  voyage 
de  M.  Caries  en  Corée.  —  Les  explorations  de  M.  D.  Lindsay 
à  travers  la  terre  d'Arnheini. 

A.  Je  M. 


LISTE   DES   MEMBRES 

DE    LA 

SO(;iÉTÉ   DE  GÉOGRAPHIE  DE  GENÈVE 


C'est  par  erreur  que  le  nom  de  xAI,  Léon  Metohnikufr 

a  été  omis  dans  notre  liste  des  membres  effectifs,  page  90. 


ù'O»'  <->  ^ 


OUVRAGES  REÇUS 

De  janvier  à  mai  1884. 

PÉRIODIQUES   ET   l'UBLlCATlONS   DE   SOCIÉTÉS 

Petermann's  Miltheilungen,  1884,  N»=  1  à  li.  —  Ergan- 
zungslieft,  N"  74. 

Société  royale  de  géographie  de  Londres.  —  Proceedings 
and  monlhly  Record  of  Geography,  1884,  N«^  1  à  3. 

Société  de  géographie  de  Paris.  Compte  rendu  des  séan- 
ces, 1884,  N°^  1  à  9. 

Société  de  géographie  de  Berlin.  Zeitschrift,  t.  XVIII,  1883, 
N"6;  t.  XIX,  1884,  N°  1.  —  Verhandlungen,  t.  X,  1883, 
N«9,  10;  t.  XI,  1884,  N°  1. 

Société  de  géographie  de  Vienne.  Miltheilungen,  t.  XVI, 

1883,  No^  11,  12;  t.  XVII,  1884,  N°  1  à  4. 

Société  impériale  de  géographie  de  Russie,  Bulletin,  1883, 
t.  XIX;  Compte  rendu,  1883,  N»^  4  à  5  ;  t,  XX,  1884,  N"  1. 
Société  italienne  de  géographie.  Rome.  Bulletin,  t.  XVIII, 

1884,  N-  1  à  5. 

Société  de  géographie  de  Madrid.  Bulletin,  t.  XV,  1883, 
N°^  4  à  6,  t.  XVI,  1884,  N°^  1  à  2.  —  Congreso  espanol  de 
geografia  colonial  y  mercantil,  Madrid,  1884,  in-8",  419  p. 

Société  de  géographie  de  Lisbonne.  Bulletin,  1883,  N»^ 

4  à  5. 

Société  néerlandaise  de  géographie.  Amsterdam  Tijdschrift, 
Deel  VII.  N"  5  ;  2'»«  série,  N°^  1  à  4.  —  Bijbladen,  N°  12. 

Société  royale  belge  de  géographie.  Bruxelles.  Bulletin, 
1883,  N"  6;  1884,  NM. 

Société  royale  de  géographie  d'Anvers.  Bulletin,  1883, 
Nos  4^  g_  _  Visite  des  membres  du  congrès  de  géographie 
de  Douai,  4  septembre  1883.  Anvers,  1883,  in-8",  8  p. 


160  OUVRAGES    REÇUS. 

American  geographical  Society.  Bulletin,  1883,  N"'  3, 4. 

Société  de  géographie  commerciale  de  Paris.  Bulletin, 
l.  VI,  N»'  3  à  0. 

Société  de  géographie  commerciale  de  Bordeaux.  Bulletin, 
1884,  N"--  1  à  10. 

Société  de  Géographie  de  Lyon.  Bulletin,  N"  26. 

Société  de  géographie  de  Marseille.  Bulletin,  1884,  N"'  1, 
2  et  3. 

Société  de  géographie  du  Nord.  Douai,  Bulletin,  1884, 
N»"  1,  2.  . 

Société  de  géographie  de  Lille.  Bulletin,  1883,  N°'  13  à  15; 
1884,  N-  1  à  3. 

Société  de  géographie  de  Toulouse.  Bulletin,  1883,  N»  14; 
188i,  N-  1  à  4. 

Société  de  géographie  de  l'Ain.  Bourg.  Bulletin,  1883, 
N-  5,  6;  1884,  N°=  1  et  2. 

Société  de  géographie  de  la  province  d'Oran.  Bulletin, 
NM9. 

Société  de  géographie  de  la  province  de  Gonstantine.  Bul- 
letin, N°  1. 

Société  de  géographie  de  Tours.  Revue,  1. 1,  N"'  1  et  2. 

Société  roumaine  de  géographie.  Bucharesl.  Bulletin, 
1884,  No  1. 

Société  khédiviale  de  géographie.  Le  Gaire.  Notice  par  le 
D^  F.  Bonola.  Le  Caire,  1883,  in-8",  51  p.  —Bulletin,  N"  5. 

Institut  égyptien,  1881,  1882. 

Société  normande  de  géographie  de  Rouen.  Bulletin,  1883, 
septembre-décembre,  1884,  janvier-février. 

Société  de  géographie  de  Rochefort.  Bulletin,  1883,  N»'  1 
et  2. 

Société  de  géographie  de  Montpellier,  Bulletin,  1883, 
No=  3,  4. 

Société  de  géographie  de  TEst,  Nancy.  Bulletin,  1883, 
N"^  3,  4. 

Société  archéologique  de  l'Orléanais.  Bulletin,  N°  117. 

Société  archéologique  de  la  Charente,  Angouléme.  Bulle- 
lin,  t.  V,  1882. 

Société  de  géographie  de  Saint-Yaléry-en-Caux.  Bulletin, 
1. 1,  n"  1. 

Société  de  géographie  de  Halle.  Miltheilungen,  1883. 


OUVRAC4ES   REÇUS.  161 

Sociélé  de  géographie  de  Brème.  Deutsche  geographische 
Blâlter,  t.  VU,  1884,  N<^  1;  VII  Jahresberichl. 

Société  de  géograpiiie  de  Hanovre,  IV  Jahresberichl,  1882- 
1883. 

Société  de  géographie  de  Thuringe.  léna.   Mittheilungen, 

1883,  N- 3,  4,  5. 

Société  de  géographie  de  Lùbecii.  Mittheilungen,  N"'  2,  3. 
Sociélé  de  géographie  commerciale  d'Oporto.   Bulletin, 

1884,  N»  3,  4,  5. 

Institut  géographique  de  la  République  Argentine,  Bue- 
nos-Ayres.  Bulletin,  t.  IV,  1883,  N"  11;  t.  V,  1884,  N«^  1  à  4. 

Écho  des  Alpes.  Publication  des  sections  romandes  du  club 
alpin  suisse,  1883,  N"  4;  1884,  N"  1. 

Société  d'anthropologie  de  Paris.  Bulletin,  t.  VI,  1883, 
N""  3,  4. 

Société  d'anthropologie  de  Lyon.  Bulletin,  t.  II. 

Société  d'anthropologie  de  Vienne.  Mittheilungen,  t.  IV, 
N°  1. 

Société  d'ethnographie.  —Annuaire,  1884,  Bulletin,  N"' 52 
à  54. 

Journal  asiatique.  Paris,  t.  XXII,  N"  1  à  3. 

Société  d'anthropologie  de  Vienne.  Mittheilungen,  1883, 
N°«3,  4;  1884,  N"  1. 

Afrikanische  Gesellschaft  in  Deutschland.  Mittheilungen, 
t.  IV,  N^^  1,  2. 

Société  d'histoire  et  d'archéologie  de  Liège.  Exposé  des 
travaux  de  la  Société,  1880-1882.  Liège,  1882,  in-S",  16  p. 

Zeitschrift  fur  wissenschaftliche  Géographie,  t.  IV,  1883. 
No=  3  à  6. 

Meleorological  Society.  Quarterly  Journal,  1884,  janvier. 
—  List  of  fellows  of  the  R.  M.  S.  1^'  march  1884. 

Charter  and  by  laws  of  the  R.  M.  S.,  l'^januar  1884, 

Report  of  the  meleorological  Council  to  the  Royal  Society 
for  the  year  ending  31"^  of  march  1883. 

Meleorological  Office.  Officiai  61.  A  barometer  manual  for 
the  use  of  Seamen.  London,  1884,  in-S",  41  p. 

Revue  maritime  et  coloniale,  1884,  N°  1,  2,  3. 

Revue  de  Géographie  de  L.  Drapeyron,  VII"^  année,  N"^  7 
à  11. 

Revue  internationale  de  géographie.  Paris,  N"'  99  à  102. 


162  orVRA(iKS    RK(JU8. 

Moniteur  des  consulats,  N"'  230  à  2;)0. 

Afrique  explorée  et  civilisée,  (.  V,  1884,  N"^  1  à  0, 

Revue  savoisienne,  1883,  N"  12;  1884,  N"^  1  à  3. 

Exploialion,  N»^  363  à  383. 

Esploratore.  Milan,  1884,  t.  VIII,  N"'  1  à  5. 

Cosmos  de  Guido  Cora,  1883,  t.  VII,  N»^  10  à  12:  1884, 
t.  VIII,  NM. 

Oeslerreichisclie  Monatschrift  fur  den  Orient,  1884, 
No'  1  à  5. 

Deutsche  Kolonialzeitung,  N»'  7  à  10. — Vortràge  zur  Fôr- 
derung  der  Beslrebungen  des  deutschen  Kolonial-Vereins, 
N°  1.  Ist  die  Welt  vergeben?  Vortrag  von  D''  A.  Fick,  aus 
Richmond,  Kapland.  Frankfurt  a/M.  1884,  in-8",  12  p. 

Observatoire  impérial  de  Rio-de-Janeiro.  Bulletin  1881, 
N»3;  1883,  N»  11  à  J2. 

Moniteur  des  colonies,  N»'  1  à  20. 

Institut  Lombard  des  Sciences  et  Lettres.  Rendi  conti, 
XV  ;  Memori,  XV,  Fasc.  1. 

Bulletin  de  la  Société  vaudoise  des  Sciences  naturelles. 

Annales  estadisticos  de  la  Republica  de  Guatemala,  t.  I, 
1884. 

Publications  of  the  U.  S.  Hydrographie  Office,  during  the 
(|uai'ler  ending  december  31^  1883.  Washington,  1884,  in-8°, 
11p.  —  Supplément  to  pilot  chart  of  the  norlh  Atlantic  for 
januai-y,  february,  march,  april,  may,  1884.  —  Notice  to  mari- 
neers;  N"'  1  à  163.  (Don  du  U.  S.  Hydrographie  Office). 

Revista  de  .secçao  de  Soc.  geog.  de  Lisbo  ano  Brazil,  t.  II, 
août  à  octobre. 

Third  Report  of  the  U.  S.  Entomological  Commission  wilh 
map  and  illustrations.  Washington,  1883.  (Don  du  déparle- 
ment de  l'agriculture  des  États-Unis.) 

Le  mouvement  géographique,  N"- 1  à  4.  (Don  de  l'Institut 
national  belge  de  géographie). 

Harper's  Weekly,  N°  1414. 

Société  américaine  de  France.  Archives,  t.  II.  —  Liste  des 
publications  de  M.  L.  Rosny  sur  l'archéologie  américaine. 
Paris,  1883,  5  p.  ^ 


OUVRAGES    REÇUS.  163 


DONS   D  AUTEURS   ET   AUTRES. 

Elisée  Reclus.  Nouvelle  géographie  universelle,  Liv.  501  à 
528.  (Don  de  l'auteur,  M.  E.) 

Vivien  de  Saint-Martin.  Nouveau  dictionnaire  de  géogra- 
phie universelle,  Liv.  24.  (Don  de  l'auteur,  M.  H.) 

iM.  Venukof.  Aperçu  sommaire  de  la  partie  méridionale  de 
la  province  littorale  de  Sibérie.  Extrait  de  la  revue  de  géo- 
graphie. In-S",  7  p.  et  carte.  (Don  de  l'auteur,  M.  G.) 

M.  Tliury,  professeur.  Le  méridien  initial  et  l'heure  uni- 
verselle. Genève,  1883,  in-8'',  24  p.  (Don  de  l'auteur.) 

Sir  Travers  Twiss  et  le  Congo,  par  un  membre  de  la  Société 
royale  de  géographie  d'Anvers.  Bruxelles,  1884,  in-8°,  44  p. 

Hans  Majestât  Kong  Oscar  II.  Reise  i  Nordland  ag  Finmar- 
ken  aar  1873,  ved  J.  A,  Friis  professor.  Kristiania,  1882, 
in-S",  107  p.,  ill.  (Don  de  l'Université  de  Christiania.) 

Den  Norske  Turistforenings  Artog  for  1881.  Kristiania, 
222  p.  illust.  (Idem.) 

Verney  Lowelt  Cameron.  Notre  future  route  de  l'Inde. 
Traduit  de  l'anglais,  Paris,  1883,  269  p.  illust.  (Don  de  M.  F. 
de  Morsier,  M.  E.) 

Archibald,  R.  Golquhoun  F.  R.  G.  S.  The  truth  about  Ton- 
quin.  London,  1884,  in-8°,  157  p.  (Don  de  l'auteur.) 

Ernesto  do  Canlo.  Ov  Corte-Reaes.  Memoria  historica 
acompanhada  de  muilos  documentos  ineditos.  Ponta  Delgada, 
1883,  in-8°,  234  p.  (Don  de  l'auteur.) 

Yacoub  Artin  Bey.  La  propriété  foncière  en  Egypte.  Le 
Caire,  1883,  in-8°,  348  p.  (Don  de  l'Institut  égyptien.) 

Arnold  Guyot.  Memoir  of  Louis  Agassiz,  1807-1873.  Prin- 
ceton, N.  J.,  1883,  in-8°,  49  p.  (Don  de  C.  Faure,  M.  E.) 

Les  langues  modernes  de  l'Afrique,  d'après  M.  Robert 
Needham  Cust.  Extrait  de  l'Afrique  explorée  et  civilisée. 
(Idem.) 

Compendium  of  the  tenth  census  ofthe  United  States,  1880. 
I  et  II  Part.  Washington,  1883,  in-8",  1771-  p.  (Don  de  M.  F.  V. 
Hayden,  M.  II.) 


164  OUVRAGES    RKÇUS. 


CARTES 

Vivien  de  Saint-Martin.   Atlas  universel  de  géographie, 
4"'»  Livraison. 
E.  Gtcbler.  Atlas,  7"«  Liv.  (Don  de  l'auteur). 
Carte  du  Koidofan,  dressée  par  le  major  général  G.  H. 

PrOUt,  1876,  Veooooo- 

Un  lot  d'atlas,  cartes  et  plans  de  géographie  ancienne. 
(Don  de  M.  Frédéric  Necker.) 

ALBUMS 

Photographies  de  Kalmouks,  de  Peaux-Rouges  et  d'Atchi- 
nois.  (Don  du  prince  Roland  Bonaparte.) 


^/v'A/VA/'va.-^ 


LE  GLOBE 


JOURNAL  GÉOGRAPHIQUE 


ona^A^DSTE: 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  DE  GENÈVE 


TOME  VINGT-TROISIEME 


Quatrième  Série  —  Tome  III 


MEMOIRES 

1884 


GENÈVE 

LIBRAIRIE      R.     BURKHARDT 

SUCCESSEUR    DE    TH.    MUELLER 

2,  place  Molard,  "2 

1884 


MÉMOIRE 


VIE  ET  TRAVAUX  D'ARNOLD  GUYOT 

Professeur  à  Neuchâtel  et  â  Princeton,  N.  J. 


ISOr-  1S48 


Messieurs, 

Si  noire  très  regretté  collègue,  M,  Elie  Lecoullre,  viv;iit 
€ncoi-e,  il  aurait,  je  n'en  doute  pas,  dès  l'annonce  du  décès 
de  son  ami.  M.  le  professeur  Guyot,  saisi  la  première  occa- 
sion, pour  vous  parler  de  la  perte  qu'a  faite  la  science  géo- 
graphique, par  la  mort  de  noire  compatriote,  le  8  février  de 
celle  année,  à  Princeton.  C'eût  été  à  lui  aussi  que  votre 
Bureau  se  serait  adressé,  pour  lui  demander  de  vous  parler 
<le  la  vie  et  des  travaux  de  celui  avec  lequel  il  s'était  lié,  dès 
l'Université  de  Berlin,  où  ils  s'étaient  rencontrés  aux  cours 
de  Karl  Ritter,  d'une  amitié  que  ni  l'éloignemenlnile  temps 
n'avaient  pu  atïaiblir.  Il  eût  été  beaucoup  mieux  qualifié  que 
moi,  pour  vous  présenter  une  image  vivante  de  son  ami,  et 
pour  faire  valoir  auprès  de  vous  les  mérites  du  savant,  dont 
il  pouvait,  mieux  que  pei'sonne,  apprécier  les  vues,la  méthode 
€t  les  nombreux  travaux. 

Appelé  par  votre  Bureau  à  me  charger  de  cette  douce 
tâche,  je  n'ai  pu  refuser  de  lemplir  ce  pieux  devoir  envers 
le  professeur  auquel  je  dois  le  goût  pour  la  science  qui  nous 
réunit;  je  regrette  seulement  de  me  sentir  si  peu  propre  à 
m'en  acquitter,  car,  à  mesure  que  j'ai  mieux  appris  à  le 
€ornuiître,  j'ai  mieux  senti  aussi  tout  ce  qui  me  manque, 
pour  vous  le  présenter  d'une  manière  un  peu  digne  de  lui. 


4  VIE   ET   TRAVAUX 

J'élais  bien  Jeune  encore  lorsque  j'eus  le  privilège  de  rece- 
voir ses  leçons,  j'en  ai  joui  trop  peu  de  temps,  et,  quoique 
honoré  de  son  amitié,  je  n'ai  pu  entretenir  avec  lui  une  coi- 
respondance  régulière,  qui  m'eût  permis  d'être  constamment 
renseigné  sur  ses  occupai  ions  et  ses  voyages,  et  de  le  suivre 
dans  les  diverses  pliases  de  son  développement  scientitlque 
Mais  sa  veuve,  iM"""  Guyot,  et  son  neveu,  M.  Ernest  Sandoz, 
son  collaliorateur  pour  la  partie  cartographique  de  ses  tra- 
vaux, ont  hien  voulu  m'envoyer  des  documents,  qui  me  per- 
mettront de  suppléer  à  mon  insuffisance. 

M.  le  professeur  L.  Favre,directeui' du  gymnase  cantonal  de 
Neuchàlel,  prépare  une  Notice  pour  la  section  de  la  Société 
des  sciences  naturelles  de  ce  canton,  dont  A.  Guyot  fut 
secrétaire  pendant  les  années  où  il  enseigna  a  l'ancienne 
Académie.  Mais  son  travail  ne  peut  me  dispenser  de  vous 
présenter  le  mien,  qui,  je  le  crois,  ne  fera  pas  double  emploi 
avec  le  sien.  M.  Favre  fera  hommage  de  son  mémoire  à 
notie  bibliothèque,  et  vous  le  savez.  Messieurs,  deux  valent 
mieux  qu'un. 

D'après  les  renseignements  qui  m'ont  été  fournis  de  Prin- 
ceton, la  famille  Guyot  émigra  de  France  en  Suisse  au 
XlV^siècle,  et  les  villages  de  Boudevilliers  et  de  la  Jonchère, 
au  Val-de-Ruz,  à  quelques  kilomètres  de  Neuchàtel,  comp- 
tent beaucoup  de  ses  descendants.  Dans  un  acte  de  Jean 
d'Aarberg,  comte  de  Valangin,  du  3  novembre  138o,  est 
mentionnée  la  lettre  de  bourgeoisie  des  Guyot,  d'après 
laquelle,  tandis  que  les  sujets  de  Valangin  étaient  ta  diables 
et  de  main-morte,  le  comte  les  quittait  «  de  toutes  sei-viludes, 
charrues,  journées  de  travail,  se  réservant  seulement  leui's 
attelages  pour  faire  conduire  ses  meules ,  son  vin  et 
d'autres  charrois,  comme  aussi  de  vaquer  aux  corvées  dans 
les  vignes  qu'il  possédait  au  vignoble  de  Neuchàtel,  appe- 
lées les  Valangines.»  Au  XVI^  siècle,  sous  l'influence  de  la  pré- 
dication de  Farel,  les  Guyot  devinrent  protestants.  En  outre, 
une  émigration  postéi'ieure,  qui  eut  lieu  après  la  révocation 
de  l'édit  de  Nantes,  amena  dans  la  principauté  de  Neuchàtel 
et  Valangin  une  soixantaine  de  familles  des  vallées  de  Pra- 
gela  et  de  Queyraz,  dans  les  hautes  Alpes  du  Dauphiné;  elles 
furent  admises  à  la  bourgeoisie  au  commencement  du 
XVIH*  siècle,  et  dans  la  liste  des  Archives  se  trouve  men- 


D  ARNOLD   GUYOT.  5 

lionne  le  nom  irÉlicnne  Guyol,  négociant,  du  village  des 
Granges. 

Le  grand-père  d'Arnold  Guyot,  «  l'ancien  Joseph  »  comme 
on  l'appelait,  était  très  considéré  dans  le  village  où  il  demeu- 
rait. Son  fils  Uavid-Pierre,  doué  d'une  intelligence  piompte, 
et  d'une  intégrité  parfaite,  épousa  en  1798  M"*  Constance 
Favarger,  de  Neucliàtel,  en  qui  étaient  réunies  une  grande 
beauté  et  une  rare  noblesse  de  caractère.  Ils  eurent  douze 
enfants,  dont  six  moururent  en  bas  âge.  Arnold-Henri  naquit 
à  Boudevilliers,  le  28  septembre  1807,  et  reçut  son  nom  en 
souvenir  du  patriote  Arnold  de  Winkelried,  pour  lequel  son 
père  avait  une  gi-ande  admiration.  Un  de  ses  plus  anciens 
souvenirs  était  celui  de  la  comète  de  1811,  qu'il  avait  vue 
s'élever  au-dessus  du  Jura  et  remplir,  lui  semblait-il.  la  moitié 
du  ciel. 

Son  goût  pour  l'Iiistoire  naturelle  se  manifesta  de  bonne 
heure,  par  une  vive  passion  pour  les  papillons  et  les  insectes, 
qu'il  n'était  jamais  las  de  poursuivre  dans  les  champs.  Un 
de  ses  amusements  favoris  était  de  construire  de  petites 
ruches  en  terre  et  de  prendre  des  bouixlons  pour  leur  y  faire 
dépose!'  leur  miel..  Les  plantes  et  les  animaux  Tintéressaient 
aussi.  A  l'âge  de  six  ans,  il  apporta  un  jour  sur  sa  tête,  à  sa 
mère  étonnée,  toute  une  famille  de  jeunes  mulots,  soigneuse- 
ment arrangés  dans  sa  casquette  de  feutre;  il  les  caressait 
affectueusement,  et  voulait  que  sa  mère  admirât  aussi  leur 
beauté.A  neuf  ans,  il  reçut  de  son  père,  comme  cadeau  de 
nouvel  an,  Robinson  Crusoé,  son  premier  livre,  vrai  trésoi* 
pour  lui;  cette  lecture  le  captiva  tellement,  qu'il  avait  peine  à 
attendre  l'après-midi  du  samedi,  où  il  avait  vacance,  pour  se 
dérober  dans  quelque  coin,  afin  d'y  dévorer  ces  pages  sans 
interruption. 

Encorejeunegarçon,il  fut  envoyéàlaChaux-de-Fonds, pour 
en  fréquenter  les  écoles,  tandis  que  sa  famille  s'établissait,  vers 
1818,  à  Haulerive,  à  quelques  kilomètres  de  Neuchâtel,  où  sa 
mère  ouvrit  un  pensionnat  déjeunes  filles.  Mais  l'année  sui- 
vante déjà,  une  épidémie  de  fièvre  typhoïde,  qui  sévit  dans  le 
village,  enleva  le  père,  dispersa  les  élèves  et  frappa  cinq  autres 
membres  de  la  famille.  M""  Guyot,  devenue  veuve,  resta  seule 
chargée  du  soin  des  malades.  L'éloignement  du  jeune  Arnold 
l'avait  mis  à  l'abri  de  l'épidémie. 


6  VIE   ET   TRAVAUX 

En  1821,  il  entra  dans  la  s"c()ncle  classe  da  collège  de 
Neucliàlel,  où  il  devint  le  camarade  de  Frédéric  Godet,  et 
hienlôt,  suivant  l'expression  de  celui-ci^  son  frère  en  ento- 
mologie el  en  courses  dans  les  bois  de  Chaumont,  au  Creux- 
du-Yan,  etc.  Les  études  classiques  (|u'il  faisait  alors  n'étaient 
cependant  pas  de  nature  à  développer  son  goût  pour  les- 
sciences  naturelles. 

«  Avant  1829,  »  dit  M.  L.  Favre,  dans  sa  Notice  sur  Louis- 
Agassiz,  «  les  sciences  naturelles  n'étaient  pas  enseignées  à 
Neucliâtel;  les  études  littéraires,  le  grec,  le  latin,  occupaient 
la  place  la  plus  importante,  On  n'avait  pas  d'autre  ambition 
tpie  de  préparer,  en  vue  des  universités  où  ils  devaient  con- 
quérir leurs  grades,  les  jeunes  gens  destinés  à  la  carrière 
d'avocats,  de  médecins  et  surtout  de  pasteurs.  »  Aussi  les 
études  de  Guyot  à  Neucbàtel,  pendant  quatre  ans,  portèrent- 
elles  essentiellement  sur  les  lettres  et  sur  la  pbilosopliie.  II 
débuta  même,  à  Tàge  de  15  ans,  dans  la  carrière  de  l'ensei- 
gnement, par  des  leçons  de  grec. 

Toutefois  on  ne  peut  se  défendre  de  croire  que  celui  qui 
a  tant  aimé,  étudié,  observé  la  tei're  et  ses  pbénomènes,  qui 
en  a  si  bien  saisi  les  rapports  réciproques,  reçut  aussi,  pen- 
dant sa  première  jeunesse,  une  vive  impression  de  la  nature 
variée  des  dilTérentes  régions  du  pays  de  Neuchâlel.  De  la 
maison  de  sa  mère,  à  Hauterive,  il  voyait  se  dérouler  devant 
lai  toute  la  cliaîne  des  Alpes,  du  mont  Blanc  au  Titlis, 
et  il  est  difficile  de  ne  pas  voir  un  souvenir  de  celle' époque 
dans  les  lignes  suivantes,  où,  parlant  d'Agassiz,  né  à  Moliers 
en  YuUy  quelques  mois  avant  lui,  il  dit: 

<'  De  sa  demeure,  il  pouvait  voir  resplendir  à  ses  yeux  les 
montagnes  neigeuses  de  l'Oberland  bernois  :  la  Jungfrau, 
avec  sa  robe  d'un  blanc  immaculé;  le  Sclireckliorn  el  le 
Finsteraarborn,  avec  leurs  sombres  pics  ébréchés,  trop 
abrupts  pour  retenir  la  neige;  les  deux  Eigers,  avec  leurs 
arêtes  fortement  marquées,  et  quantité  d'autres  pics  y  com- 
pris le  mont  Blanc.  Si  ces  nobles  hauteurs  sont  devenues 
plus  tard  le  thécàtre  de  ses  célèbi-es  recherches  sur  les  gla- 
ciers, est-ce  un  simple  hasard? Cette  coïncidence  ne  montre- 
l-elle  pas  que,  dans  ce  premier  âge,  Agassiz,  possédait  déjà 
celle  disposition  d'esprit  si  indispensable  au  vrai  natu- 
raliste, qui  le  conduisit  cà  tirer  sa  connaissance  de  la  na- 


D  ARNOLD   GUYOT.  / 

lure,  de  la  nature  elle-même,  et  non  pas  des  observations 
d'aulnii  ?  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  ayant  résolu  de  poursuivre  plus  tard  ses 
éludes  dans  les  universités  allemandes,  il  se  rendit  en  1825, 
à  Meizingen,  en  Wurtemberg,  près  de  Stuttgardt,  pour  y 
apprendre  l'allemand.  Comme  il  ne  pouvait  pas  encore  le 
parler,  et  que  le  pasteur  chez  lequel  il  était  ne  comprenait 
pas  le  français,  ils  durent  d'abord  communiquer  en  latin.  Il 
ne  resta  là  que  trois  mois.  Un  accès  de  mal  du  pays  l'engagea 
à  aller  à  Carlsruhe  faire  visite  à  sa  sœur  cadette,  qui  s'y  trou- 
vait dans  la  famille  Braun.  Il  fut  invité  à  y  rester-,  pour  pro- 
filer des  ressources  de  récole  polytechnique  de  cette  ville, 
et  il  en  fréquenta  les  cours  durant  six  mois. 

Pendant  ce  séjour  à  Carlsruhe,  son  goût  pour  les  sciences 
naturelles  reçut  une  vive  impulsion  de  la  rencontre  de  son 
ami  Louis  Agassiz,  avec  lequel  il  s'était  lié  dans  les  réunions 
de  la  Société  de  Zofingue,  et  dont  il  devait  devenir  plus  tard 
le  compagnon  d'œuvre  à  l'Académie  de  Neuchâtel,  avant 
d'être  son  compagnon  d'exil  au  delà  des  mers.  Agassiz 
devenu, à  l'université  de  Heidelbeig,  l'amid'Alexandre Braun, 
fut  invité  par  celui-ci  à  venir  passer  ses  vacances  d'été  à 
Carlsruhe,  en  même  temps  que  Karl  Schimper  et  Imhof  de 
Bàle.  Écoutons  A.  Guyot  raconter  lui-même  *  la  vie  de  ces 
amis  pendant  ces  mois  de  vacances  : 

«  Au  bout  de  quelque  temps  consacré  à  faire  connais- 
sance, chacun  se  mil  à  l'œuvre.  Acquérir  des  connaissances 
était  la  règle  du  jour.  Les  plaisirs  de  la  société,  grands  sans 
doute,  n'étaient  cependant  que  le  doux  assaisonnement  d'une 
nourriture  plus  solide.  Mes  souvenirs  de  ces  mois  de  travail 
et  de  récréation  altei'nant  ensemble,  suivis  de  progrès  si 
réels,  sont  parmi  les  plus  délicieux  de  mes  jeunes  années. 

«  Tout  dans  cet  intérieur  était  de  nature  à  développer  les 
facultés  des  jeunes  gens  qui  s'y  rencontraient.  Les  membres 
(le  la  famille  étaient  tous  bien  doués  et  cultivés;  les  aspira- 
lions  les  plus  nobles,  le  goût  des  arts  et  des  sciences  s'y  com- 
binaient de  la  manière  la  plus  heureuse  avec  la  simplicité 
naturelle  des  mœurs  si  caractéristique  de  la  société  dans 
l'Allemagne  méridionale.  M.  Braun,  le  chef  de  la  famille, 

*  Biographical  Memoir  of  Louis  Agassiz.  Princeton,  N.  J.,  1883. 


8  VIE   ET   TRAVAUX 

maître  général  des  posles  du  grand-duché  de  Bade,  avait 
des  goûts  scientifiques  prononcés,  spécialement  pour  la  miné- 
ralogie; sa  collection  de  minéraux  était  une  des  premières 
du  pays.  iM""  Eraun,  femme  d'une  intelligence  supérieure  et 
d'une  culture  littéraire  peu  commune,  dirigeait  les  jeunes 
esprits  placés  sous  sa  surveillance,  cherchant  à  développer 
leurs  facultés  d'une  manière  harmonique.  Ils  avaient  deux 
fils,  l'un,  Alexandre,  plus  tard  professeur  de  botani(jue  et 
directeur  du  jai'din  botanique,  à  Berlin,  l'autre,  Maximilien, 
minéralogiste  comme  son  père,  ingénieur  des  mines  et 
longtemps  dii-ecteur  des  mines  de  zinc  de  la  Vieille  Mon- 
tagne, les  plus  grandes  de  l'Europe,  et  deux  filles,  Cécile, 
devenue  deux  ans  plus  tard  la  femme  d'Agassiz,  douée  de 
qualités  morales  exquises,  et  d'un  talent  de  premier  ordre 
pour  le  dessin,  et  une  sœur  plus  jeune  déjà  distinguée  par 
son  goût  et  son  habileté  pour  la  musique.  Autour  de  ce 
cercle  de  famille,  se  groupaient  quelques  amis  de  choix, 
professeurs,  pasteurs,  artistes,  arrivant  librement  presque 
chaque  soir. 

"  Le  lieu  choisi  par  M.  Braun  pour  sa  résidence  répondait 
à  ses  goûts.  Sa  demeure  était  située  vis-à-vis  du  grand  parc 
qui  entoure  presque  le  palais  du  grand-duc,  et  étale  aux 
regards  ses  belles  plantations,  peuplées  d'innombrables 
rossignols  remplissant  l'air  des  nuits  de  leurs  douces  mélo- 
dies. Derrière  ce  rideau  de  verdure,  presque  en  vue  de  la 
maison,  .se  trouve  le  riche  jardin  botanique  avec  ses  serres; 
à  quelques  pas  de  là,  une  des  principales  portes  de  la  ville 
ouvre  sur  une  forêt  de  grands  chênes  séculaires,  la  Harlwald, 
qui  s'étend  presque  jusqu'au  Rhin.  Attenant  à  la  maison  Braun 
ets'étendant  dans  un  jardin  spacieux,  loin  du  bruit  de  la  rue, 
s'élevait  une  aile  de  bâtiment,  longue  et  contenant  une  file 
de  chambres  :  celles  de  l'étage  supérieur  destinées  aux 
hôtes  de  la  maison,  l'étage  inférieur  consacré  à  la  science, 
La  première  pièce  au  rez-de-chaussée  était  occupée  par  la 
riche  collection  de  minéraux  du  père;  les  autres, remplies  de 
plantes  vivantes  ou  séchées,  de  conserves,  de  microscopes, 
d'ouvrages  de  prix  pour  la  consultation,  étaient  les  labora- 
toires de  ses  fils  et  de  leurs  amis.  Là  étaient  déposés,  compa- 
rés et  soumis  à  un  examen  sérieux,  les  trésors  recueillis 
chaque  jour  par  la  petite  troupe  dans  la  contrée  voisine.  Là 


d'aexold  guyot.  9 

aussi  élaient  disculées,  avec  une  ardeur  et  une  audace  juvé- 
niles, les  théories  suggérées  parles  faits  observés. 

«  Les  mois  s'écoulaient  dans  un  commerce  constant  et 
immédiat  avec  la  nature,  les  sujets  des  recliei'clies  changeant 
à  mesure  que  la  saison  avançait.  La  botanique  et  l'entomo- 
logij  eurent  d'abord  leur  tour,  les  collections  et  l'élude  des 
coquilles  de  terre  et  d'eau  douce  marchant  de  pair  avec  elles. 
Une  charmante  excursion  à  Baden-Baden  et  au  cœur  de  la 
forêt  Noire  augmenta  beaucoup  nos  trésors;  mais  la  collec- 
tion dont  le  souvenir  m'est  demeuré  le  plus  vivant,  est  une 
collection  de  champignons,  recueillie  en  automne,  surtout 
dans  la  forêt  de  Hartwald.  Je  n'avais  jamais  vu  auparavant, 
et  je  n'ai  pas  revu  depuis,  une  telle  variété  de  formes  étran- 
ges, de  la  plus  massive  à  la  plus  délicate;  tantôt  des  couleurs 
éclatantes,  tantôt  des  nuances  très  douces,  en  un  mot  une 
profusion  de  beautés  inattendue  dans  cet  ordre  d'êtres  orga- 
nisés. Nous  placions  sur  du  papier  blanc  les  exemplaires 
fraîchement  cueillis  et  nous  déterminions  leurs  cai'aclères 
généraux  et  spécifiques.  Les  jours  de  pluie,  nous  revenions 
aux  investigations  microscopiques,  spécialement  sur  l'em- 
bryogénie des  cryptogames,  sous  la  direction  d'A.  Braun... 
Tout  le  plan  du  règne  animal  actuel,  dans  ses  i-apports  avec 
les  formes  paléontologiques  éteintes,  formait  le  sujet  de  dis- 
cussions animées... 

«  Il  serait  inutile  d'essayer  de  déterminer  la  mesure  du 
profit  mutuel  relire  par  ces  jeunes  étudiants  de  la  nature,  de 
leur  réunion  dans  des  circonstances  si  favorables.  Certes  il 
était  très  grand,  et  la  meilleure  preuve  de  l'impulsion  puis- 
sante qu'ils  en  reçurent  tous,  se  trouve  dans  l'ardeur  nou- 
velle avec  laquelle  chacun  d'eux  a  poursuivi  et  accompli  plus 
lard  l'œuvre  de  sa  vocation. 

«  Les  vacances  finies,  les  universités  rouvrirent  leurs 
portes,  invitant  la  jeunesse  studieuse  à  revenir  au  sanctuaire 
de  la  science.  Les  hôtes  reconnaissants  quittèrent  avec 
regret  l'heureuse  demeure  qui,  pendant  quelque  lemps,élait 
devenue  la  leur,  pour  retourner  chacun  à  l'université  de  son 
choix.  » 

Ces  détails  fournis  par  Arnold  Guyol  lui-même  sur  ce 
qu'on  peut  appeler  un  épisode  de  sa  vie  d'éludés  à  Carlsruhe, 
m'ont  paru  non  seulement  intéressants  en  eux-mêmes,  car  il 


10  VIE    ET   TRAVAUX 

fait  Ixin  voir  des  jeunes  gens  de  18  à  20  ans  consacier  leurs 
loisirs  de  vacances  à  des  travaux  aussi  féconds,  mais  encore 
imporlaiils  pai-  rintluence  (|u'eul  certainement  la  période 
de  sa  vie  à  Carlsruho  sur  sa  carrière  future. 

Avant  de  le  suivre  à  Stuttgardt  et  de  revenir  avec  lui  à 
Neucliàtel,  (|u'il  me  soit  permis  d'attriliuer  aux  relations 
nouées  par  Alexandre  Eraun  avec  Agassiz  et  Guyot,  une 
partie  de  la  sympathie  avec  laquelle  mes  amis  et  moi,  pen- 
dant nos  années  d'université  à  Berlin,  nous  fûmes  accueillis 
[lar  la  famille  Braun,  dans  laquelle  nous  retrouvâmes  le  même 
esprit,  le  même  charme,  le  même  goût  pour  les  sciences  et 
les  aits  qui  avaient  distingué  la  maison  de  son  père. 

A  Stultgai-dt,  où  il  alla  en  quittant  Carlsruhe,  il  suivit 
les  cours  du  gymnase^  réputé  dans  toute  l'Allemagne  pour 
l'excellence  de  ses  études  classiques,  et  se  rendit  si  l)ien 
maître  de  la  langue  allemande,  que  souvent  on  le  prit  pour 
un  Allemand. 

Revenu  à  Neucliàtel  en  1827,  il  entra  en  théologie,  sans 
avoir  pour  l'art  oratoire  aucun  don  particulier  (|ui  le  fît 
remai-quer,  et  se  prépara  avec  sérieux  à  cette  sainte  vocation. 
La  piété  traditionnelle,  héritage  de  ses  pères,  se  transforma 
en  lui  en  foi  personnelle  et  vivante,  sous  l'influence  de  ses 
professeurs  et  de  la  prédication  du  pasteur  Samuel  de  Petit- 
pierre,  dont  la  parole  simple  mais  puissante  gagnait  les 
esprits  et  les  cœurs,  pour  les  conduire  et  les  attacher  à  Celui 
qui  leur  donne  la  vie  éternelle.  Gomme  la  plupart  des 
jeunes  Neuchàlelois  d'alors,  Guyot  en  reçut  une  profonde 
impression,  qui  s'étendit  à  toute  sa  vie  intellectuelle  et 
morale.  Peu  à  peu  sa  foi  se  changea  en  savoir,  sans  toutefois 
que  sa  science  perdît  rien  de  sa  contlance  filiale  en  Celui 
dont  lescieux  et  la  terre  lui  disaient  la  puissance,  la  sagesse 
ei  la  bonté,  et  à  la  gloire  duquel  il  consacra  tous  les  dons  de 
l'espiii  qu'il  avait  reçus,  et  tous  les  talents  qu'un  travail  régu- 
lier et  persévérant  lui  permit  d'acquérir. 

L'intensité  de  sa  vie  religieuse  ne  diminua  point,  lorsque 
plus  tard  il  renonça  aux  éludes  de  théologie,  que,  dès  1829, 
il  alla  poursuivre  à  Berlin,  où  il  fréquenta  pendant  une  année 
les  cours  de  Schleiermacher,deNeanderet  de  Hengstenberg. 
Obligé  de  songer  à  décharger  sa  mère  d'une  partie  des  frais 
de  ses  éludes,  il  accepta  l'invitation  de  M.  MûUei-,  con.seiller 


D  ARNOLD   GUYOT.  11 

privé  du  roi  Frédéric-Guillaume  IH,  à  devenir  son  hôte,  pour 
f;iire  profiler  ses  enfants,  deux  tils  et  deux  filles,  d'une  con- 
versation française.  Les  cinq  années  qu'il  passa  dans  cette 
maison,  aux  soirées  musicales  de  laquelle  se  rencontrait 
l'élite  de  la  société  de  Berlin,  lui  permirent  de  nouer  des 
relations  avecles  personnes  les  plus  haut  placées  dans  lemonde, 
et  des  amitiés  qui  durèrent  toute  sa  vie.  Par  l'influence  de 
M.  iMûlIer,  il  fut  appelé  a  donner  des  leçons  particulières  de 
français  aux  enfants  du  ministre  de  la  guerre,  M.  de  Rauch,  à 
la  comtesse  de  Radowitz,  à  M.  de  Gerlach,  et  à  d'autres 
personnes  de  grandes  familles.  A  côté  de  ces  leçons  et  de 
celles  qu'il  donnait  aux  enfants  de  M.  MùUer,  il  continuait  ses 
éludes  de  théologie,  tout  en  consacrant  ses  moments  de 
récréation  aux  recherches  scientifiques  commencées  avec 
Agas>iz  à  Carlsriihe.  Il  faisait  des  collections  d'insectes  et  de 
coquilles  ;  la  botanique  surtout  semble  avoir  alors  attiré  son 
attention.  Une  recommandation  spéciale  d'Alexandre  de 
Humholdl  lui  procura  un  libre  accès  au  jardin  botanique 
l'oyal,  et,  comme  il  voulait  apprendre  à  connaître  la  végéta- 
lion  des  tropiques  qui  y  était  représentée,  le  jardinier  lui 
coupait  chaque  semaine  une  centaine  de  plantes  exotiques 
pour  son  herbier. 

Outre  les  cours  de  théologie  susmentionnés,  il  fréquen- 
tait ceux  de  Hegel,  de  SlelTens  et  surtout  ceux  de  Karl 
Ritler,  dont  il  était  un  des  élèves  favoris,  et  sous  l'influence 
duquel  un  nouveau  champ  d'études,  plus  en  rapport  avec 
ses  goûts  et  ses  aptitudes,  parut  s'ouvrir  devant  lui.  Aussi  se 
décida-t-il  à  renoncer  à  la  théologie,  non  que  celle-ci  le 
rebutât,  mais  parce  que  la  délicatesse  de  conscience  qui  régla 
toute  sa  vie,  lui  faisait  craindre  d'entrer  dans  le  ministère 
avec  un  cœur  partagé. 

Pour  se  préparer  à  la  vocation  nouvelle  qu'il  venait  de 
choisir,  il  suivit  des  cours  sur  presque  toutes  les  branches  de 
riiisloire  naturelle,  sans  rien  négliger  d'ailleurs  des  devoirs 
que  lui  imposaient  ses  engagements  envers  la  famille  Mùller. 

il  est  facile  de  se  représenter  combien  ses  heures  étaient 
remplies;  aussi  ses  compatriotes  et  amis,  parmi  lesquels 
était  notre  excellent  collègue,  M.  Lecoultre,  regrettaient-ils 
dnle  voir  beaucoup  trop  peu. 

De  tous  les  professeurs  dont  il  fréquentait  les  leçons,  celui 


12  VIK    ET   TRAVAUX 

aïKiiR'l  il  s'ailaclia  le  plus  fut,  comme  je  l'ai  dit,  Karl  Uiiter. 
Il  faut  rentoiidre,  dans  le  discours  qu'il  prononça,  le  16  fé- 
vrier 1860,  à  la  Société  américaine  de  géographie^  rendre 
hommage  à  ce  «  grand  maître  dans  la  science  du  glohe,  » 
comme  il  l'appelle,  pour  comprendre  tout  ce  qu'il  lui  devait 
et  combien  il  lui  était  alTectionné. 

«  Formé,  »  dit-il,  «  pendant  mes  années  d'université,  par 
les  leçons  de  cet  ami  vénérable  et  bien-aimé,  à  l'étude  de  sa 
science  favorite  qui  devint  bientôt  la  mienne,  j'ai  été  plus 
tard  guidé  dans  mes  travaux  par  ses  tendres  et  aflfeclueux 
conseils,  qu'il  ne  me  refusa  jamais.  A  chacune  des  étapes  de 
ma  carrièi'e  scientifique,  il  m'a  soutenu  et  encouragé,  par 
l'expression  spontanée  d'une  approbation  qui  m'était  d'un 
grand  prix  ;  le  dernier  témoignage  qu'il  m'en  a  donné,  quel- 
ques jours  avant  que  la  froide  main  de  la  mort  lui  ùtàt  la 
plume  de  la  main,  a  pour  moi  toute  h  valeur  d'un  testament 
scientifique.  Comblé  de  telles  faveurs  de  sa  part,  je  sens 
qu'aucune  considération  personnelle  ne  pourrait  m'excuser, 
si  je  laissais  échapper  l'occasion  qui  m'est  olTerte  d'exprimer 
les  sentiments  de  profonde  gratitude,  et  presque  d'allection 
filiale,  qui  me  lient  à  ce  grand  homme,  et  de  m'elTorcer 
d'établir  devant  vous  ses  droits  à  la  reconnaissance  de  l'hu- 
manité tout  entière.  » 

En  énuraérant  les  voyages  que  fit  Ritter,  pour  se  perfec- 
tionner dans  la  connaissance  du  globe,  Guyot  n'oublie  pas  le 
séjour  du  maître  à  Genève,  ni  les  relations  d'intime  amitié 
qu'il  y  contracta  avec  H.-B.  de  Saussure,  A.  Pictet,  P.  de 
CandoUe,  relations  qui,  jointes  aux  beautés  naturelles  du  pays, 
firent  de  Genève,  pour  Ritter,  un  séjour  sur  lequel  il  aimait 
toujours  à  reporter  sa  pensée. 

Encore  moins  oublie-t-il  la  visite  de  Rilter  à  Pestalozzi,  et 
l'impression  que  celui-ci  produisit  sur  le  géographe,  qui 
comptait  ne  passer  que  quelques  heures  à  Yverdon  et  qui  y 
resta  quatre  mois.  Ces  deux  hommes  s'étaient  compris  ;  les 
lettres  de  Ritter  à  Pestalozzi  sont  pleines  d'impressions  de 
reconnaissance  et  d'admiration  pour  l'idée  fondamentale  sur 
laquelle  il  basa  sa  méthode,  et  qui  valut  à  celle-ci  les  succès 
quelle  remporta  dans  la  réfoi'me  de  l'enseignement  de  la 
géographie. 

«  Ayant  eu,  »  dit  Guyot,  «  le  privilège  de  suivre  pendant 


d' ARNOLD    GUYOT.  13 

cinq  ans  (tie  1830  à  1835),  à  peu  près  tous  ses  cours,  qu'il 
me  soit  permis  d'ajouter  mon  humble  hommage  à  celui  d'un 
grand  nombre  de  ses  auditeurs,  qui  se  rappellent  son  ensei- 
gnement avec  délices.  Ritler  en  eflet,  pendant  sa  carrière 
universitaire  de  trente-sept  ans,  a  joui,  comme  professeur, 
d'un  succès  rarement  égalé.  Il  arriva  à  Berlin  à  peu  près 
aussi  inconnu  des  étudiants,  que  l'était  la  science  elle-même 
qu'il  était  appelé  à  enseigner.  Quelques  cours  sufïïrent  pour 
augmenter  le  nombre  de  ses  auditeurs  jusqu'à  remplir  les 
plus  grandes  salles  de  l'université.  Ce  n'était  pas  en  dé- 
ployant une  haute  éloquence  de  paroles  et  de  gesles,  qu'il 
captivait  leur  attention^  mais  en  offrant  à  leurs  yeux  un 
tableau  substantiel  et  agréable  des  images  vivantes  et  des 
idées  qui  remplissaient  son  esprit.  Son  éloquence  n'était  pas 
un  impétueux  torrent  de  montagne  avec  ses  magnifiques 
cascades,  ses  vapeurs  et  ses  arcs-en-ciel  éclatants;  c'était  un 
fleuve  majestueux,  roulant  tranquillement  ses  eaux  puis- 
.santes  mais  paisibles,  tantôt  à  travers  la  forêt  vierge,  tantôt 
au  milieu  de  riches  campagnes,  de  tapis  diaprés,  de  popu- 
leuses cités  construites  sur  ses  bords,  ne  détruisant  jamais, 
fertilisant  toujours  tout  ce  qu'il  rencontrait  sur  son  passage. 
Le  geste  de  [Ritter  était  digne,  mais  sans  prétention,  sobre, 
simple,  naturel.  Le  son  de  sa  voix  pleine  et  harmonieuse 
exerçait  un  attrait  tout  particulier;  ses  paroles  étaient  tou- 
jours instructives  et  fécondes.  L'auditeur  ne  pouvait  s'em- 
pêcher d'être  impressionné  par  la  plénitude  de  connaissance 
et  par  l'amour  du  professeur  pour  son  sujet,  en  même  temps 
qu'il  était  charmé  par  l'heureux  choix  des  faits  exposés,  qui 
laissait  devant  son  esprit,  nettement  dessinés,  les  traits  les 
plus  essentiels  du  sujet.  Tracés  à  la  planche  noire  d'une  main 
habile  et  exercée,  les  dessins  rendaient  les  descriptions  du 
professeur  encore  plus  frappantes.» 

Trente  ans  plus  tard,  le  souvenir  de  ces  différents  cours 
sur  la  géographie  comparée,  était  aussi  vivant  chez  notre 
compatriote  qu'aux  premiers  jours  ;  en  particulier,  celui 
des  cours  sur  l'Asie  et  l'Europe,  les  continents  historiques 
par  excellence,  et  celui  des  cours  pubhcs  d'hiver  sur  les 
pays  classiques  des  régions  historiques  de  notre  globe,  la 
Grèce,  l'Italie,  la  Palestine,  auxquels  affluaient  les  hommes 
cultivés  de  toutes  les  classes  de  la  société,  théologiens,  phi- 


14  VIK    KT    TRAVAUX 

lologuos,  jurisconsultes,  avides  d'entendre  de  la  lioiiche  du 
in;iîlrela  desciiplion  exacte,  en  même  temps  qu'animée,  des 
oeiilies  géographiques  de  l'activité  humaine. 

I/inIluence  de  Rilter  ne  se  hoinait  pas  à  celle  qu'il  exer- 
<;ait  par  son  professoral,  et  le  développement  de  la  Sociélé 
<le  géographie  de  Berlin  dont  il  était  l'âme,  et  où  Dove  le 
secondait  admirahlement,  ne  l'empêchait  pas  de  puhlier  son 
oeuvre  principale:  Erdknnde,  ou  la  science  du  globe  dans 
ses  rappoits  avec  la  nature  et  avec  l'histoire  de  l'humanité. 
Il  Pavait  commencée  en  1817,  et  le  dix-neuvième  et  dernier 
volume  qui  termine  à  peu  près  l'Asie,  parut  quelques  semai- 
nes avant  sa  mort  en  I8o9.  «  Quoique  l'édifice  soit  inachevé, 
Ton  peut  percevoir  nettement  l'idée  fondamentale  sur  laquelle 
il  repose:  la  conviction  profonde  (jue  notre  globe,  comme 
tout  l'ensemble  de  la  création,  y  compris  l'homme,  est  un 
grand  organisme;  que  les  parties  de  ce  tout,  foi-mées  et 
arrangées  en  vue  d'un  certain  but,  sont  dépendantes  les  unes 
<lesaulres,  et  que  par  la  volonté  de  leur  Auteur,  elles  remplis- 
sent,comme  des  organes,  des  fonctions  spéciales,  qui  se  com- 
j)inent  de  manière  à  produire  une  vie  commune.  Personne, 
avant  Ritter,  n'avait  perçu  aussi  nettement  les  liens  secrets, 
mais  pui.ssants,  qui  unissent  mutuellement  l'homme  et  la 
nature,  ni  les  relations  fécondes  entre  l'homme  et  son  lieu 
d'habitation,  entre  un  continent  et  ses  habitants.  Ritter  posa 
le  principe  de  la  science  du  globe  vivant,  de  sa  géographie 
physiologique,  et  montra  la  voie  qui  seule  peut  conduire  au 
sanctuaire  de  la  connaissance  de  la  terre.  » 

C'est  la  voie  dans  laquelle  Giiyot  devait  marcher  lui-même, 
en  appliquant  les  principes  dont  il  avait  reconnu  la  vérité  aux 
études  spéciales  qu'il  allait  continuer  quelques  années  encore 
vivant  de  rentrer  à  Neuchàlel. 

En  1835,  en  etTet,  M.  de  Pourtalès-Gorgier  l'appela  à  Paris, 
pour  lui  confier  l'inslruclion  de  ses  fils.  Guyot  répondit  à  cet 
appel;  mais,  avant  de  quitter  Berlin,  il  tint  à  honneur  de 
recevoir  de  l'université  dont  les  professeurs  lui  avaient 
témoigné  tant  d'intérêt  et  d'amitié,  le  grade  de  docteur  en 
philosophie.  Pour  l'obtenir,  il  soutint  une  thèse  sur  la  Division 
naturelle  des  lacs,  qu'il  dédia  à  Alexandre  de  Humboldt  et  à 
Karl  Rilter.  Je  ne  relève  qu'une  des  thèses  spéciales  qui  la 
terminent,  celle  dans  laquelle  il  exprime  son  opinion  sur  la 


d'arnold  guyot.  15 

nécessité  de  l'union  de  la  géographie  et  de  l'hisloire:  Hisloria 
sine  geograpliia  nulla. 

Les  étiidianls  de  Tuniversilé  ayant  décidé  d'offrir  à  Riller 
son  portrait,  comme  témoignage  de  leur  respect  et  de  leur 
gratitude,  nommèrent  un  comité  à  cet  efTet,  et  Guyot  fut 
chargé  de  remettre  le  présent  au  professeur. 

Pendant  son  long  séjour  à  Beilin,  il  n'avait  pu  faire  que 
deux  visites  en  Suisse  ;  à  l'occasion  de  la  seconde,  en  1834, 
il  fit,  accompagné  d'un  jeune  Allemand, un  voyage  autour  du 
mont  Blanc,  par  le  Saint-Bernard,  le  Valais,  le  Simplon,  les 
lacs  italiens,  Milan,  Véione,  Venise,  et  rentra  en  AUemagne^ 
par  les  Alpes  du  ïyrol,  Inspruck  et  Munich. 

Après  avoir  subi  son  examen  pour  le  doctorat  au  mois  de 
mai  1833,  il  arriva  en  juin  à  Paris,  d'où  il  partit  Inentôt, 
avec  la  famille  de  Pourtalès,  pour  les  Eaux-Bonnes,  dans  la 
partie  supérieure  des  Pyrénées  centrales.  Là,  avec  ses  jeunes 
élèves,  il  fit  l'ascension  de  plusieurs  des  plus  hauts  sommets 
de  la  chaîne,  en  explora  les  vallées,  et  fit  des  collections  con- 
sidérables des  plantes  de  ces  montagnes.  Dans  une  de  ses 
excursions  il  passa  en  Espagne,  par  un  des  cols  les  plus 
élevés,  Port  d'Espagne,  pour  avoir  la  vue  du  versant  mé- 
ridional de  la  chaîne.  Il  visita  aussi  la  vallée  sauvage  et 
pittoresque  de  Gavarnie,  avec  son  magnifique  amphithéâtre, 
le  cirque  de  Marbori  et  sa  cascade  d'une  Hauteur  de  370"", 
la  sombre  vallée  des  Eaux-Blanches  et  plusieurs  autres.  Il 
tenait  beaucoup  à  pouvoir  comparer  la  structure  physique  et 
la  flore  de  ces  montagnes  avec  celles  des  Alpes.  A  la  fin  de 
l'été,  il  revint  à  Paris,  où  ses  élèves  commencèrent  à  travail- 
ler sérieusement.  En  acceptant  les  devoirs  que  lui  imposait 
leur  éducation,  il  s'était  cependant  l'éservé  des  heures  pour 
la  poursuite  de  son  instruction  personnelle. 

Il  songeait  alors  à  traduire  en  français  le  chef-d'œuvre  de 
Ritter,  la  géographie  de  l'Asie.  Alexandre  de  Humboldt  l'y 
encourageait,  et  lui  fournit  des  lettres  d'introduction  pour 
ses  amis  à  Paris,  Arago,  Brongniart,  Klaproth,  Eyries,  le 
baron  Walkenaer.  Souvent  invité  chez  Brongniart,  Guyot 
rencontrait  là  les  meml)res  les  plus  distingués  de  l'Académie 
des  sciences,  qui  s'y  réunissaient  une  fois  par  semaine. 

Dans  l'automne  de  1836,  il  fit,  avec  ses  élèves,  une  excursion 
en  Belgique,  en  Hollande  et  au  Rhin,  pour  étudier  les  traits 


16  VIE   ET   TRAVAUX 

physiques  qui  caraclérisent  chacun  de  ces  pays.  L'année  sui- 
vanle,  la  sanlé  de  la  comlesse  de  Poiirlalès  léclamant  le 
climal  lie  Madèi'e,  toute  la  famille  se  mit  en  route  en  automne; 
mais  l'étal  de  la  malade  obligea  à  faire  un  séjour  prolongé 
à  Pise.  Guyol  en  profita  pour  étudier  les  traits  caraclérisli- 
(|ues  du  pays,  et  faire,  de  la  Tour  penchée,  des  observations 
barométi-iques.  Il  mesura  le  monte  Pizano,  et,  de  concert 
avec  le  marquis  Anlinori,  détermina  la  iiauteur  de  l'obser- 
vatoire de  Florence  au-dessus  de  Pise  et  de  la  Méditerranée. 
Après  des  semaines  de  souffrance,  iM""  de  Pourlalès  mourut, 
mais  auparavant  elle  avait  exprimé  le  désir  que  ses  fils 
demeurassent  sous  la  direction  du  maître  qui  avait  gagné 
leur  confiance  et  leur  afl'ection.  Celui-ci  accepta  ce  pieux 
legs  de  la  mère  mourante,  et  revenu  à  Paris  en  janvier 
1838,  il  demanda  de  pouvoir  s'établir  avec  ses  élèves  au 
quartier  Latin,  pour  qu'ils  pussent  poursuivre  leurs  études 
sans  dérangement. 

Ce  fut  là  qu'Agassiz,  la  tête  remplie  de  la  question  gla- 
ciaire, sur  laquelle  il  avait  fait,  l'été  précédent,  à  la  Société 
helvétique  des  sciences  naturelles  réunie  à  Neuchàtel,  son 
célèbre  discours,  le  revit  au  printemps  de  1838  ;  il  le  mit  au 
courant  des  vues  de  Charpentier  sur  les  glaciers,  y  ajoutant 
son  idée  spéciale  sur  une  période  glaciaire  générale,  et  le 
pressa  de  porter  son  attention  sur  ces  phénomènes.  Guyot 
demanda  de  suspendre  son  jugement,  jusqu'à  ce  que  ses 
propres  observations  lui  permissent  de  donner  son  adhésion 
à  une  théorie  si  séduisante,  et  promit  de  visiter  les  glaciers 
dans  l'été  de  cette  même  année.  Il  le  fit,  et  une  exploration 
de  six  semaines  dans  les  Alpes  centrales,  lui  fournit  des 
résultats  qui  dépassèrent  son  attente.  Le  glacier  de  l'Aar,  sur 
lequel  deux  ans  plus  lard  Agassiz  commença  ses  observations 
régulières,  lui  enseigna  la  loi  des  moraines;  celui  du  Rhône 
lui  donna  la  loi  de  l'avancement  plus  rapide  du  centre  du 
glaciei',  et  celle  de  la  formation  des  crevasses,  soit  transver- 
sales soit  longitudinales;  celui  de  Gries  lui  révéla  la  structure 
lamellaire  ou  rubanée  du  glacier,  et  la  loi  de  l'avancement 
plus  rapide  de  la  partie  supérieure  du  glacier  sur  l'inférieure. 
Sur  le  versant  méridional  du  mont  Blanc,  le  grand  glacier 
de  la  Brenva,  avec  ses  deux  rochers  jumeaux  s'élevant 
comme  deux  yeux  foncés  du  milieu  de  la  glace  —  les  mon- 


d'arnold  guyot.  17 

tagnards  les  appellent  les  yeux  du  glacier,  —  lui  fit  com- 
prendre que  le  mouvement  du  glacier  s'opère  par  un 
déplacement  graduel  de  ses  molécules,  sous  l'influence  de  la 
pesanteur  qui  lui  donne  une  sorte  de  plasticité,  et  non  par 
un  glissement  simultané  de  toute  la  masse  comme  le  croyait 
de  Saussure.  Toutes  ces  lois,  déduites  d'une  première  étude 
attentive  des  phénomènes  des  glaciers,  étaient  alors,  à 
l'exception  de  celle  des  moraines,  nouvelles  pour  la  science. 

Pendant  que  Guyot  avait  exploré  les  glaciers  de  TOber- 
land  bernois  et  du  haut  Valais,  Agassiz  avait  visité  ceux  de 
Chamounix.  En  septembre  ils  se  rendirent  ensemble  à  Por- 
rentruy,  à  la  réunion  de  la  Société  géologique  de  France, 
qui  avait  choisi  cette  localité  en  l'honneur  de  Thurmann, 
sous  la  direction  duquel  elle  se  proposait  d'étudier  le  phéno- 
mène des  soulèvements  jurassiques.  Chacun  d'eux  fit  une 
communication  sur  les  phénomènes  glaciaires  observés  pen- 
dant leurs  courses  d'été,  et  Guyot  eut  la  satisfaction  de  voir 
ses  vues  pleinement  confirmées  par  les  observations  subsé- 
quentes d'Agassiz  et  d'autres  naturalistes. 

La  fondation  de  l'Académie  le  rappela  à  Neuchàtel  en  1839; 
il  y  accepta  un  poste  de  professeur  d'histoire  et  de  géogra- 
phie physique,  qu'il  occupa  jusqu'en  1848.  Le  terrain  était 
préparé  pour  recevoir  l'enseignement  de  sa  science  de  pré- 
dilection. En  elfet,  depuis  1832  déjà,  Frédéric  de  Rouge- 
mont,  revenu  de  BerUn,  après  y  avoir  entendu  Humboldt, 
Ritter  et  Steffens,  avait  été  appelé  aux  fonctions  de  secrétaire 
de  la  commission  d'État  pour  l'instruction  publique,  et  tra- 
vaillait à  introduire  dans  l'enseignement  les  méthodes  de  ces 
maîtres  de  la  science.  Animé  de  l'ardeur  de  la  jeunesse,  il 
les  propageait  dans  les  conférences  auxquelles  chaque  année 
les  régents  étaient  appelés  à  Neuchàtel;  il  leur  recomman- 
dait d'enseigner  la  géographie  avec  cai'les  et  globe,  en  com- 
mençant par  la  géographie  du  canton,  pour  passer  ensuite  à 
celle  delà  Suisse,  puis  à  celle  des  pays  plus  éloignés,  avec  les 
traits  généraux  des  continents.  Ajoutant  l'exemple  à  la  recom- 
mandation, il  leur  donnait  lui-même  des  leçons  d'après  la 
méthode  naturelle  ;  puis  il  composait  des  manuels  rédigés 
d'après  les  principes  de  cette  méthode,  et  publiait  successi- 
vement, en  1834,  son  Précis  de  géographie,  en  1837,  son  Prê- 
te GLOBE,  T.  xxni,  1884.  2 


18  VIE   ET   TRAVAUX 

mier  Cours,  renfernianl  la  Description  de  la  surface  de  la 
terre,  bien  vite  adopté  à  Neucliàlel,  au  Locle  et  dans  d'au- 
tres écoles  du  canton,  et  en  1838,  son  Second  Cours,  compre- 
nant la  géograpliie  politique  et  etlinograpliique. 

A  son  arrivée  à  Neuchâtel,  Guvot  trouva  donc  des  élèves 
préparés  à  le  compiendre.  Il  débuta  dans  l'enseignement 
supérieur  comme  professeur  d"liistoire  et  de  géographie 
physi(iue,  à  côté  d'Agassiz,  de  DuBois  de  Montperreux,  Matile, 
H.  Ladame,  Petavel,  Cli.  Prince,  etc.  Peu  disposé  d'abord  à 
se  charger  de  la  chaire  d'iiistoire,  une  fois  qu'il  l'eut  accep- 
tée, il  y  mit  tout  son  cœur.  Et  cependant,  comme  il  l'avouait 
humblement  seize  ans  plus  tard  à  notre  compatriote,  M.  Wil- 
liam Rey,  qui  le  visitait  à  Princeton,  malgré  un  travail  assidu, 
il  resta  deux  ans  sans  voir  clair  dans  l'histoire  universelle,  ce 
ne  fut  qu'alors  qu'il  commença  à  distinguer  les  grandes 
périodes.  «  A  mesure  que  je  faisais  ces  découvertes,  »  dil-il, 
«  j'en  éprouvais  une  si  grande  émotion  que  j'en  fus  malade. 
Enfin  j'arrivai  à  la  profonde  conviction  que  Dieu  a  un  plan 
dans  l'histoire,  dés  l'origine  des  sociétés,  qu'il  le  suit  et  l'exé- 
cute en  dépit  de  toutes  les  discordances  par  lesquelles  les 
passions  des  hommes  semblent  le  bouleverser.  Les  hommes 
font  l'histoire,  mais  presque  sans  s'en  douter  ;  Dieu  leur 
accorde  assez  de  liberté  dans  un  certain  cercle  pour  créer  en 
eux  la  responsabilité,  mais  II  ne  leur  permet  pas  de  renver- 
ser ses  plans.  »  L'histoire  était  pour  lui  une  éducation  ;  \e^ 
phases  en  étaient  données  d'en  haut.  Il  ne  la  séparait  jamais 
de  la  géographie,  dont  il  voyait  le  rapport  intime  avec  le  déve- 
loppement des  individus  et  des  nations,  et  peu  à  peu  il  arriva 
aux  idées  et  aux  conclusions  philosophiques  qui,  plus  lard, 
devinrent  la  base  de  Earth  and  nian.  il  s'occupait  aussi  de 
recherches  sur  le  développement  de  l'histoire  universelle, 
qui  devaient  aboutir  à  un  système  de  philosophie  de  l'histoire. 

Intimement  lié  avec  MM.  Ch.  Prince,  F.  Godet  et  F.  de 
Rougemont,  il  foima  avec  eux  une  petite  société,  qui  se  réu- 
nissait une  fois  par  semaine,  en  vue  du  développement  intel- 
lectuel de  ses  membres.  Ils  s'occupaient  de  philosophie,  d'iiis- 
toire et  des  sujets  divers  qui  les  intéressaient  plus  particuliè- 
rement, chacun  donnant  les  résultats  de  ses  études  spéciales. 

Les  neuf  années  de  son  enseignement  à  Neuchâtel  furent 
la  période  de  sa  plus  grande  activité  intellectuelle;  il  y  fournit 


d'arnold  guyot.  19 

treize  cours  différents,  se  rattachanl  tous  à  son  enseignement 
proprement  dit.  Au  gymnase,  composé  des  trois  années  de 
Belles-Lettres  et  de  Philosophie,  il  enseignait  l'histoire 
ancienne  et  moderne.  Les  cours  de  l'Académie  portaient 
essentiellement  sur  les  importantes  époques  de  tran.sition  : 
le  développement  de  la  culture  grecque  et  l'hellénisation  de 
l'Orient  depuis  l'époque  d'Alexandre  le  Grand;  la  grande 
migration  des  peuples  après  la  chute  de  l'empire  romain,  et 
la  formation  du  système  féodal;  Torigine  des  nations  et  des 
langues  de  l'Eui-ope  ;  les  Croisades  ;  l'époque  de  fleur  du 
moyen  âge  et  le  point  culminant  de  la  papauté;  la  Réforma- 
tion, etc.  Quant  à  la  géographie  physique,  il  avait  des  cours 
généraux  et  des  cours  spéciaux  :  le  Monde  méditerranéen, 
par  exemple. 

Dans  l'hiver  de  1839  à  1840,  il  (h)iina  son  premier  cours 
puhlic  de  géographie  physique,  et  dès  la  première  heure, 
malgré  l'appréhension  qu'il  éprouvait,  il  captiva  son  auditoire 
par  sa  parole  sympalliique,  aisée,  élégante,  par  la  hauteur  de 
ses  vues,  l'abondance  et  l'heureux  arrangement  des  faits. 
Après  cela,  il  eut  chaque  hiver  la  satisfaction  de  voir  se  pres- 
ser dans  la  plus  vaste  des  salles  du  collège  d'alors,  tout  ce 
que  Neuchtàtel  comptait  d'hommes  cultivés,  de  toutes  les 
classes,  tous  l'oreille  attentive  h  sa  voix,  peu  forte,  faible 
même,  mais  qui,  comme  celle  d'Andrieux,  grâce  à  la  netteté, 
à  la  précision,  à  la  pureté  de  sa  diction,  savait  se  faire  enten- 
dre de  partout,  à  force  de  se  faire  écouter. 

Parlerai-je  de  ses  cours  ordinaires  aux  éludianls  de  Belles- 
Lettres  et  de  Philosophie,  de  l'empressement  avec  lequel 
nous  nous  rendions  à  ses  leçons,  du  silence  qui  se  faisait 
dans  la  salle  dès  qu'il  entrait,  de  rinlérêl  avec  lequel  nous 
suivions  Texposition  de  ses  pensées,  où  la  géographie  et  l'his- 
toire marchaient  toujours  de  consei've  s'éclairanl  mutuelle- 
ment, du  soin  avec  lequel  nous  recueillions  toutes  ses  paroles, 
pour  nous  réunir  ensuite  par  groupes  de  quatre  ou  cinq  étu- 
diants, afin  de  compléter  mutuellement  nos  rédactions  et  de 
ne  rien  perdre  de  son  enseignement?  Quel  zèle  ilsavaitnous 
inspirer!  quelle  ardeur  au  travail!  Le  feu  dont  il  était  rempli 
passait  en  nous.  C'était  pour  nous  plus  et  mieux  qu'un  pro- 
fesseur, c'était  un  ami  dévoué,  un  conseiller  sage,  s'associant 
à  nos  travaux  et  nous  y  encourageant;  aussi  ipielle  n'était  pas 


20  VIE   ET  TRAVAUX 

notre  angoisse  quand  il  était  malade,  et  de  quelle  doulou- 
reuse tristesse  ne  fûmes-nous  pas  saisis,  quand  nous  apprî- 
mes, le  i3  juin  1848,  que  le  Grand  Conseil  révolutionnaire 
venait  de  supprimer  l'Académie,  pour  le  30  du  même  mois, 
sans  indemnité  pour  ses  professeurs!  Nous  pressentions  que 
celui  que  nous  honorions  comme  un  maître  et  que  nous  ché- 
rissions comme  un  ami,  devrait  nous  dire  adieu,  pour  pren- 
dre la  route  de  Texil,  et  s'en  aller  au  delà  des  mers  demander 
à  la  République  américaine  le  pain  de  sa  famille,  en  échange 
de  la  nourriture  spirituelle  qu'il  emporterait  avec  lui  et  dont 
nous  allions  être  privés. 

Je  n'ai  rien  dit  des  travaux  d'Arnold  Guyot  à  Neuchâtel,  à 
côté  de  son  professorat  :  de  la  part  qu'il  prit  au  dévelop- 
pement de  la  Section  des  sciences  naturelles  dont  il  était 
secrétaire,  et  pour  laquelle  il  rédigea  plusieurs  mémoires  ;  de 
son  activité  dans  le  comité  de  météorologie,  dont  il  était 
membre  avec  d'Oslerwald  et  H.  Ladame;  dans  toutes  ses 
courses,  il  avait  le  baromètre  à  la  main  et  préluda  par  l'orga- 
nisation des  observations  météorologiques  dans  notre  pays, 
aux  opérations  analogues,  mais  autrement  plus  vastes,  dont 
il  fut  chargé  plus  tard  par  l'Institution  sraithsonienne. 

Le  désir  d'étudier  la  variation  annuelle  de  la  température 
dans  les  eaux  des  lacs  de  la  Suisse  Tamena  à  entreprendre, 
dans  ses  heures  de  recréation  pendant  les  mois  d'enseigne- 
ment, une  série  de  sondages  thermométriques  dans  le  lac  de 
Neuchâtel.  La  partie  S.-O.  du  lac  étant  trop  éloignée  de  la 
ville,  il  pria  son  ami  M.  Henri  de  Pourtalès  de  se  charger 
des  sondages  dans  cette  partie-là.  Le  résultat  en  fut  la  carte 
du  bassin  des  lacs  de  Neuchâtel  et  de  Morat,  basée  sur  plus 
de  liOO  sondages,  dessinée  par  M.  de  Pourtalès  et  publiée 
en  1843.  Le  mémoire  qui  l'accompagne,  rédigé  par  Guyot, 
se  trouve  dans  les  mémoires  de  la  Société  des  sciences  natu- 
relles de  Neuchâtel  publiés  en  1845.  C'était  le  premier  essai 
d'une  topographie  complète  d'un  lac  suisse.  A  propos  de  ces 
travaux,  voici  comment  il  s'exprimait  bien  des  années  plus 
tard  :  «  Il  est  très  intéressant  de  remarquer  la  coïncidence 
surprenante  des  principaux  traits  de  ce  petit  bassin,  avec  ceux 
des  océans,  tels  que  les  ont  fait  connaître  les  sondages  entre- 
pris pour  la  pose  des  câbles  télégraphiques.  Une  section 
transversale  de  l'Atlantique,  par  exemple^  montre  que  les 


d'arnold  guyot.  21 

!50  premiers  kilom.,  environ,  à  partir  de  la  côte,  ne  sont 
qu'une  plaine  basse  sous-marine,  une  prolongation  du  conti- 
nent. Au  delà  commence  une  descente  rapide,  jusqu'à  300°', 
qui  marque  la  vraie  limite  du  bassin  de  l'océan  ;  puis  vient 
une  longue  dépression  de  profondeur  uniforme,  avec  un 
large  soulèvement  au  milieu,  après  quoi  de  nouveau  une  pente 
rapide,  pour  remonter  à  une  centaine  de  mètres  de  la  surface, 
où  l'on  retrouve  la  limite  réelle  du  continent  européen; enfin, 
une  vaste  étendue  de  hauts  fonds  jusqu'à  la  côte  d'Irlande. 
En  comparant  cette  section  avec  celle  du  milieu  du  lac, 
il  est  facile  de  reconnaître  l'analogie  du  haut  blanc-fond, 
limite  vraie  du  bassin  du  lac,  de  la  dépression  uniforme,  du 
soulèvement  central  de  la  motte,  et  pour  compléter  la 
ressemblance,  du  fin  limon  qui  couvre  le  fond  du  lac  et  de 
l'océan.» 

Je  ne  peux  entrer  dans  le  détail  des  explorations  qu'il  fit, 
sept  étés  de  suite,  de  1840  à  1847,  pendant  les  longues  vacan- 
ces, pour  étudier  sur  place  la  distribution  des  principaux 
blocs  erratiques  et  des  anciennes  moraines  sur  les  deux  ver- 
sants des  Alpes  en  Suisse,  en  Italie  et  en  France.  Le  baromè- 
tre à  la  main,  il  nota  l'altitude  de  chacun  d'eux,  en  fit  le 
relevé  sur  une  surface  de  500  kilom.  de  longueur  et  300  de 
largeur,  recueillit  des  milliers  d'échantillons  de  roches  alpi- 
nes, reconnut  l'existence  de  douze  grands  bassins  glaciaires 
distincts  et  détermina  les  limites  de  chacun  d'eux.  En  remon- 
tant ces  traînées  de  blocs  épars,  en  comparant  les  échantil- 
lons qu'il  en  détachait,  il  arriva  jusqu'à  leur  origine,  et 
put  en  indiquer  la  provenance  et  la  source.  Dans  les 
vacances  plus  courtes^  il  étudiait  avec  soin,  dans  un  rayon 
d'une  journée  à  paitir  de  son  domicile,  les  versants  du  Jura 
devenus  célèbres  pour  l'abondance  de  leurs  blocs  erratiques, 
depuis  les  recherches  de  Léopold  de  Buch,  pendant  son 
séjour  à  Neuchàtel,  au  commencement  du  siècle.  Sa  collec- 
tion de  5000  échantillons,  fruit  de  ses  longues  et  patientes 
recherches,  se  trouve,  avec  les  cartes  explicatives  S  au  musée 

'  Je  suppose  qu'il  s'agit  de  cartes  manuscrites,  et  j'ignore  si 
elles  ont  été  ou  seront  jamais  publiées.  D'autre  part,  M.  le  pro- 
fesseur Alphonse  Favre,  de  Genève,  travaille  depuis  longtemps  à 
dresser  une  carte  des  bassins  des  glaciers  du  Ehin,  de  la  Linth,  de 
la  Reuss,  de  l'Aar,  du  Rhône  et  de  l'Arve.  Les  moraines,  le  terrain 


22  VIE   ET   TRAVAUX 

géologique  de  Princeton.  Il  en  a  donné  les  doubles  nu  musée 
de  Neucliàtel. 

Rappellerai-je  encoi-e  cet  Hôtel  des  Neuchâtelois,  dressé  par 
Agassiz  et  ses  compagnons  d'œuvre,  dont  Ouyot  n'était  pas 
un  des  moins  laborieux,  sur  le  glacier  de  l'Aar,  au  cœur  de 
rOberland  bernois,  au  pied  de  son  pic  le  plus  élevé,  le  Fins- 
teraarliorn,  que  les  deux  amis  avaient  si  souvent  contemplé, 
l'un  de  Motiers,  l'autre  de  Hauterive.  Vous  vous  souvenez 
tous  de  ce  grand  bloc  de  la  moraine  médiane,  au  beau  milieu 
du  glacier,  non  loin  du  confluent  de  ses  deux  principaux 
bras,  les  glaciers  de  l'Ober-Aar  et  du  Lauter-Aar,  sous  lequel 
s'établissait  la  petite  troupe,  garantie  par  une  couverture 
contre  l'air  glacé  de  la  nuit.  De  jour  elle  mesurait  la  tempé- 
rature des  profondeurs  du  glacier,  au  moyen  de  lliermomètres 
enregistreurs  descendus  dans  des  trous  de  sonde  et  détermi- 
nait chaque  année  la  posilion  de  18  des  blocs  les  plus  consi- 
dérables, pour  établir  la  movennedu  mouvement  de  chacune 
des  parties  du  glacier  aux  différentes  saisons  de  Tannée,  cal- 
culait la  fonte  annuelle  el  notait  les  phénomènes  qui  s'y 
rattachent.  Ou  bien  elle  escaladait  les  pics  environnants,  la 
Jungfrau,  le  Schreckhorn,  le  Finsleraarhorn,  etc.,  dont  la 
plupart  passaient  alors  pour  inaccessibles;  en  un  mot  elle  fai- 
sait tout  pour  trouver  et  faire  connaître  d'une  manière  com- 
plète les  lois  physiques  des  glaciers.  Comme  autrefois  la 
maison  Braun  à  Carlsruhe,  l'Hôtel  des  Neuchàtelois  était  le 
lieu  de  rendez-vous,  où  les  collaborateurs  de  ces  études,  — 
dans  lesquelles  vous  le  savez.  Messieurs,  les  Neuchàtelois  ne 
furent  pas  seuls  à  travailler,  —  venaient  apporter  le  fruit  de 
leurs  recherches  dans  le  labeur  commun. 

Agassiz  avait  l'inteniion  de  l'assembler  les  résultats  de  ces 
études  combinées,  dans  une  publication  en  trois  volumes, 
sous  le  litre  :  Le  Système  glaciaire,  par  Agassiz,  Guyot  et  Desor. 
Le  premier  volume,  préparé  par  Agassiz,  avant  de  partir 
pour  l'Amérique,  où  la  lil)éralité  du  prince  de  Neuchàtel  lui 

glaciaire,  les  blocs  erratiques  y  sont  indiqués.  La  carte,  à  l'échelle 
de  V'25oooo,  s'imprime  actuellement  chez  MM.  Wurster,  Eandegger 
et  C%  à  Winterthur.  Le  soin  apporté  à  la  correction  des  épreuves 
cause  quelque  retard  à  la  publication  ;  mais  on  peut  espérer  que 
le  moment  n'est  pas  éloigné,  oîi  tous  ceux  qu'intéresse  la  question 
glaciaire  pourront  profiter  des  recherches  de  M.  Favre. 


D 'ARNOLD   GUrOT.  23 

permit  de  faire  un  voyage  de  deux  ans,  devait  contenir  les 
glacieis.  Le  second,  par  Guyol,  aurait  Irailé  des  blocs  erra- 
tiques des  Alpes,  de  la  détermination  des  ditïérenls  bassins 
par  leurs  roches  caractéristiques,  de  leurs  frontières  et  de 
leurs  lignes  de  contact;  il  aurait  ensuite  montré  leurs  traî- 
nées, des  sommets  des  Alpes  à  travers  la  plaine  suisse  et  les 
vallées,  la  hauteur  de  leur  limite  le  long  des  pentes  dans 
les  bassins  de  l'Isère,  de  l'Arve,  du  Rhône,  de  l'Aar,  de  la 
Reuss,  de  la  Limmat  et  du  Rhin,  sur  le  versant  septentrional 
des  Alpes;  de  l'Adda  et  du  lac  de  Côme,  de  Lugano,  du  Tes- 
sin  et  du  lac  iMajeur,  et  de  la  vallée  d'Aosle  sur  leur  vei'sant 
méridional;  entin  il  auiait  étabU  la  distribution,  dans  chaque 
bassin,  des  roches  spéciales  à  chacun  d'eux,  et  les  lois  de  l'ar- 
rangement des  fragments  erratiques,  identiques  avec  les  lois 
des  moi'aines.  Le  troisième  volume  par  Desor,  devait  exposer 
les  phénomènes  erratiques  en  dehors  de  la  Suisse,  en  Europe 
et  en  Améiique.  Le  premier  volume  seul  a  été  publié  à  Paris, 
en  1847,  sous  le  titre  de  Nouvelles  recherches  sur  les  glaciers. 
La  suppression  de  l'Académie  de  Neuchàtel  mit  tin  à  ce 
projet, 

Agassiz  resta  en  Amérique;  E.  Desor  qui  l'y  avait  accom- 
pagné, y  prolongea  son  séjour  jusqu'en  1852;  si  Guyot  eût 
cédé  à  l'appel  de  ce  dernier,  il  n'aurait  pas  attendu  que  la 
nécessité  le  forçât  de  quitter  son  pays.  «  Venez,  mon  cher,  » 
lui  écrivait  Desor,  en  1847,  «  venez  en  Amérique;  venez 
contempler  la  majesté  des  phénomènes  glaciaires,  et  pour- 
suivre sur  les  terrains  erratiques  les  belles  recherches  que 
vous  avez  faites  sur  les  versants  des  Alpes.  »  iMais  Guyot 
aimait  Neuchàtel  et  la  jeunesse  de  son  pays,  au  développe- 
ment de  laquelle  il  avait  consaci'é  neuf  de  ses  plus  belles 
années.  11  ne  céda  qu'à  la  force. 

Des  citoyens  neuchàtelois,  espérant  que  les  troubles  pohli- 
ques  seraient  de  courte  durée,  lui  proposèrent  de  lui  fournir 
le  traitement  qu'il  recevait  auparavant  de  l'Élat,  s'il  voulait 
continuer  à  instruire  leurs  tils.  De  son  côté,  M.  de  Sydow, 
ministre  de  Prusse  en  Suisse,  insista  pour  qu'il  se  chargeât 
de  l'éducation  d'un  jeune  Allemand,  avec  lequel  il  aurait 
voyagé  pendant  deux  ans,  moyennant  une  forte  rétiibution, 
et  tous  frais  payés.  Guyot  déclina  ces  propositions  qui  lui 
paraissaient  n'être  que  des  mesures  temporaires,  ne  pouvant 


24  VIE   ET   TRAVAUX 

aboutir  à  aucun  établissement  permanent.  Il  avait  cbez  lui  sa 
mère,  sa  sœur  aînée,  M™'  Cliollet,  les  deux  filles  de  celle-ci, 
une  sœur  plus  jeune,  M"^  Sandoz,  qui,  après  avoir  été  pen- 
dant huit  ans  l'institutrice  et  la  compagne  de  la  princesse 
Louise,  fille  de  l'empereur  d'Allemagne,  était  revenue  à  Neu- 
chàtel  en  184(3,  et  un  neveu,  M.  Ernest  Sandoz,  actuellement 
directeur  de  l'établissement  caitograpbique  de  Princeton. 

11  fallait  pourvoir  aux  besoins  de  sa  maison.  Agassiz  lui 
écrivait  lettres  sur  lettres  pour  lui  exposer  les  avantages  d'un 
établissement  en  Amérique.  Au  premier  abord  Guyot  jugeait 
chimérique  l'idée  d'entreprendre  un  cliangement  aussi  radical 
avec  les  faibles  ressources  à  sa  disposition,  une  famille  aussi 
nombreuse,  et  sans  perspective  assurée  d'appui  de  l'autre 
côté  de  l'Atlantique.  Cependant  la  question  s'imposait  à  lui  ; 
dans  l'état  de  perplexité  où  il  se  trouvait,  il  la  soumit  à  sa 
mère  qui,  dans  les  moments  difficiles  par  lesquels  il  avait 
passé,  s'était  toujours  montrée  pour  lui  un  conseiller  judicieux. 
Elle  avait  atteint  l'âge  de  70  ans,  et  c'était  chose  grave  que 
de  l'arracher  à  son  sol  natal  pour  la  transplanter  dans  une 
sphère  sociale  toute  nouvelle.  Après  un  examen  sérieux  des 
lettres  d'Agassiz,  elle  engagea  son  fils  à  partir,  en  lui  promet- 
tant de  le  rejoindre  au  bout  d'une  année,  s'il  estimait  que  ce 
fût  le  meilleur  parti.  La  décision  fut  prise  au  mois  de  mai, 
et  les  préparatifs  de  départ  commencèrent  aussitôt. 

Doué  de  prudence,  Guyot  avait  mis  de  côté  une  petite  somme 
d'argent  pour  les  cas  de  nécessité  ;  jointe  au  produit  de  la 
vente  de  son  mobilier  et  de  son  ménage,  elle  lui  permit  de 
pourvoir  aux  fortes  dépenses  du  voyage  et  du  premier  éta- 
blissement en  Amérique.  11  venait  de  terminer  l'emballage  de 
ses  fragments  de  blocs  erratiques,  quand  il  reçut  la  visite  de 
sir  Roderich  Murchison,  venu  pour  examiner  les  collections 
de  Guyot  et  s'entretenir  avec  lui  des  résultats  de  ses  recher- 
ches. Cette  visite  fut  des  plus  opportunes,  car  l'éminent  géo- 
graphe de  la  Société  de  Londres,  et  sa  femme  lui  remirent 
des  lettres  d'introduction  qui  lui  furent  très  utiles  à  son  arri- 
vée en  Amérique.  Le  cœur  déchiré  il  dit  adieu  à  ses  nom- 
breux amis  de  Neuchâtel,  nous  laissant,  nous  ses  étudiants, 
navrés  de  ce  départ  qui  nous  privait  de  lui  pour  jamais. 


d'arnold  GuroT.  25 


Messieurs  et  très  lionorés  Collègues  '  ! 
Mesdames  et  Messieurs  ! 

Dans  notre  réunion  de  l'année  dei'uière,  à  Zurich,  le 
Vorort  d'alors,  la  Société  de  Saint-Gall.  m'autorisa  à  vous 
entretenir  de  la  part  prise  par  un  très  grand  nombre  de  nos 
compatriotes  à  l'exploration  et  à  la  civilisation  de  l'Afrique. 
Quoique  moins  grande  que  celle  des  autres  nations,  la  part 
de  la  Suisse,  dans  celte  œuvre  scientifique  et  humanitaire, 
n'était  pas  sans  gloire. 

A  cette  heure,  je  voudrais  vous  conduire  dans  le  Nouveau 
Monde,  pour  vous  montrer  à  l'œuvre,  non  pas  beaucoup  de 
Suisses  —  notre  savant  collègue  de  Saint-Gall,  M.  le  profes- 
seur Amrein,  s'est  réservé  celte  tâche  spéciale,  —  mais  l'un 
d'eux  seulement,  Arnold  Guyot.  Trop  peu  connu  en  Suisse, 
il  a  néanmoins,  à  côté  d'Agassiz,  porté  bien  haut  le  nom 
de  notre  patrie,  dans  cette  Amérique  du  Nord  qui  semble 
devoir  héritei'  de  la  science  de  l'Ancien  Monde,  pour  l'éle- 
ver à  un  degré  de  perfection  rarement  atteint  en  Europe. 

Mais  avant  tout,  permettez-moi  de  remercier  sincèrement 
notre  Vorort  actuel,  la  Société  de  Berne,  de  l'autorisation 
qu'il  m'a  accordée,  de  rappeler,  dans  la  ville  fédérale,  ce  que 
mon  vénéré  et  bien-aimé  maître  a  fait  aux  États-Unis,  pen- 
dant son  professorat  de  36  années,  de  1848  à  1884. 

Il  n'est  pas  difficile  de  se  représente!"  quels  devaient  être 
les  sentiments  qui  remplissaient  le  cœur  d'Arnold  Guyot.  au 
moment  où^  en  août  1848,  il  montait,  à  Soulhampton,  sur  le 
navire  qui  allait  le  transporter  au  delà  des  mers.  Dire  adieu 
à  la  terre  d'Europe^où  il  laissait  une  mère  et  des  sœurs  ten- 
drement aimées,  les  amis  de  sa  jeunesse  et  de  son  âge  mûr, 

'  L'interruption,  jusqu'en  novembre,  des  séances  de  la  Société 
de  géograpliie  de  Genève,  n'ayant  pas  permis  de  lui  donner  commu- 
nication de  l'activité  d'Arnold  Guyot  en  Amérique,  de  1848  à  1884, 
cette  partie  de  sa  vie  et  de  ses  travaux  a  été  lue  dans  la  séance  du 
25  août  1884,  de  l'Association  des  Sociétés  suisses  de  géographie 
réunies  à  Berne. 

LE    GLOBE,    T.    XXIII,    1884.  3 


26  VIK    ET    TRAVAUX 

des  étudianls  (|iii  le  cliérissaiciil,  les  nombreux  aiulileiirs  de 
ses  cours  publics,  ses  compagnons  d'œuvre  à  Neucbâtel,  en 
France,  en  Italie,  ses  maîtres  vénérés  de  Berlin  et  de  Paris, 
celte  petile  patrie  enfin  (piMl  aimait  profondément,  dont  les 
beautés  le  lavissaient,  à  la  jeune;;se  de  laquelle  il  avait  con- 
sacré ses  meilleures  années,  et  qui  allait  demeui'er  dix-buit 
ans  pi'ivée  d'enseignement  supérieur  !  Quel  calice  amer  que 
cet  adieu-là  ! 

Les  tristes  impressions  du  départ  d'Europe,  ne  durent 
guère  se  dissiper'  pendant  la  traversée  qui  fut  orageuse. 
Cependant,  pour  un  esprit  comme  le  sien,  ouvert  à  tout  ce 
qui  est  grand,  noble,  beau  et  vrai,  la  pensée  de  voir  un 
monde  nouveau,  une  société,  des  institutions  nouvelles 
devait  avoir  un  gi'and  attrait.  Poursuivre,  comme  lui  avait 
écrit  Desor,  sur  les  terrains  eiTatiques  américains  les  belles 
lecherches  qu'il  avait  faites  de  1839  à  1848,  sur  les  versants 
des  Alpes  ;  contempler  là-bas  la  majesté  des  phénomènes 
glaciaires;  explorer  en  détails  un  continent  dont  beaucoup 
de  parties  n'avaient  encore  été  visitées  par  aucun  géographe  ! 
Il  y  aurait  eu  là  de  quoi  l'enthousiasmer,  si  son  but  direct 
avait  été  de  continuer  les  éludes  commencées  à  Berlin,  à 
Paris  et  en  Suisse.  Mais  avant  tout,  il  lui  faudra  travailler  pour 
acquérir  les  ressources  nécessaires  à  son  entretien  et  à  celui 
d'une  famille  nombreuse  ;  et  les  réalités  pressantes  de  la  vie 
ne  sont  pas  de  nature  à  laisser  lieaucoup  de  place  à  l'idéal  et 
à  l'enthousiasme. 

A  mesure  que  le  navire  se  rapproche  du  continent  améri- 
cain, le  sentiment  de  ces  réalités  se  développe  de  plus  en 
plus  ;  la  nécessité  du  labeur  dans  des  conditions  nouvelles, 
entièrement  différentes  de  celles  où  il  a  travaillé  jusqu'ici, 
absorbe  toutes  les  autres  pensées.  Arrive)-  à  40  ans  dans  un 
monde  nouveau,  au  milieu  duquel  il  ne  rencontrera  presque 
pas  un  visage  connu,  et  dont  il  ne  parle  pas  la  langue  !  Ah  ! 
pouvait-il  dire  avec  Chateaubriand,  par  la  bouche  d'Atala,  la 
fille  de  l'exil  :  «  Heureux  ceux  qui  n'ont  point  vu  la  fumée 
des  fêtes  de  l'étranger,  et  qui  ne  se  sont  assis  qu'aux  festins 
de  leurs  pères!  »  Dans  la  foule  immense  qui  peuple  les  États 
de  la  Nouvelle  Angleterre  et  de  l'Est  américain,  il  n'aura 
guère  que  quelques  compatriotes:  F.  de  Pourlalès,  Matile.  et 
deux  amis,  Lesquereux  et  Agassiz  ;  mais,  pour  tout  le  reste,  il 
est  inconnu. 


d'arnold  guyot.  27 

A  son  ariivée  en  Amérique,  en  efl"et,  Guyot,  n'avait  pas, 
comme  Agassiz,  qui  l'y  avait  précédé  de  deux  ans,  une  répu- 
tation universelle,  acquise  par  de  riches  publications,  célé- 
brées par  des  hommes  de  renom.  Quelque  savant  qu'il  fût 
lui-même,  son  activité  s'était  concentrée  jusqu'alors  sur  les 
devoirs  de  son  enseignement,  dont  aucune  partie  n'avait  été 
publiée  \  et  sur  ses  travaux  de  vacances  dont  les  résultats, 
annoncés  dans  les  Bulletins  de  la  Société  helvétique  et  de 
la  Section  neuchàteloise  des  sciences  naturelles,  n'avaient 
guèi'e  franchi  les  limites  de  l'Europe,  et  encore!  Ceux 
qu'il  avait  communiqués  en  1839,  à  la  Société  géologique  de 
France,  réunie  à  Porreniruy,  n'avaient  pu,  par  suite  d'une 
maladie,  être  rédigés  pour  l'impression  du  Rapport  de  celte 
session,  en  sorte  que  ce  silence  permit  plus  tard  à  M.  Forbes 
de  s'attribuer  des  découvertes  qui  avaient  précédé  de  plu- 
sieurs années  ses  propres  recherches  ;  de  là  une  discussion 
vive  et  fameuse  entre  Forbes  et  Agassiz,  chez  lequel  les 
droits  de  la  vérité  trouvèrent  un  éloquent  défenseur,  et  les 
devoirs  de  l'amitié  un  pratiquant  sincère  ^ 

A  peine  débarqué  k  New-York,  en  septembre,  Guyot  court 
à  Cambridge,  chez  cet  ami,  qui  l'a  appelé,  qui  l'attend,  qui  lui 
aidera  au  début,  et  avec  lequel  il  travaillera  à  doter  les  États- 
Unis  d'un  enseignement  et  d'institutions  que  l'Europe  pourra 
leur  envier.  L'affection  avec  laquelle  il  est  reçu  est  d'autant 
plus  cordiale,  qu'elle  s'adresse  à  un  émigré,  et  qu'Agassiz  se 
trouve  lui-même,  par  le  fait  de  la  suppression  de  l'Académie 
de  Neucljâtel,  obligé  de  renoncei"  au  retour  en  Suisse,  et  de 
se  fixer  définitivement  dans  ce  Nouveau  Monde,  où  il  avait 
cru  d'abord  ne  faire  qu'un  séjour  temporaire  ^ 

'  Il  est  regrettalile  qu'aucune  des  parties  de  son  enseignement  à 
Neuchâtel  n'aient  été  publiées.  Dans  les  derniers  mois  de  sa  maladie, 
il  parla  d'un  de  ses  cours  sur  la  philosophie  de  l'histoire.  «  Quant  aie 
publier,  il  faudrait»,  dit-il,  «  le  reviser  plus  que  je  ne  puis  le  faire.  »  — 
Il  en  avait  promis  une  esquisse  à  son  ami  F.  de  Rougemont,  l'auteur 
des  Deux  Cités;  La  philosophie  de  Phistoire  aux  différents  âges  de 
l'humanité  ;  mais  ses  nombreuses  occupations ,  ses  voyages  et  la 
maladie  ne  lui  ont  pas  permis  de  l'envoyer. 

^  Observations  sur  les  glaciers  des  Alpes,  en  1838,  par  A.  Guyot. 
Neuchâtel,  1883,  in-8o,  21  images. 

^  Dans  la  séance  d'ouverture  des  cours  de  l'Académie,  le  18  no- 


28  VIE   ET   TRAVAUX 

Laissons  un  instant  les  deux  amis  à  l'émotion  du  revoir  en 
terre  étrangère,  à  l'examen  de  la  position,  a  leui's  plans  pour 
le  présent  et  pour  l'avenir,  installation,  projets  de  travaux,  etc. 
et  prenons  au  vol  connaissance  de  Camiiridge,  un  des  poinls 
lumineux  de  la  Nouvelle  Angleterre,  la  ville  de  la  première 
presse  américaine,  le  berceau  où  les  idées  de  liberté  s'éveil- 
lèrent bien  avant  l'affrancbissement  des  colonies.  L'Univer- 
sité Harvard  en  fait  une  vraie  république  littéraire,  loin  de 
l'Amérique  industrielle,  et  près  de  l'intellectuelle  Boston  : 
ses  collèges,  sa  bibliolbèque,  les  habitations  des  professeurs, 
jolies  petites  maisons  de  bois  semées  au  milieu  des  arltres, 
landis  que  de  grands  bâtiments  en  briques  abritent  les  étu- 
diants, qui  ont  pour  promenoir  ces  paisibles  ombi'ages,  for- 
ment un  tout  agreste  et  paisible,  où  le  charme  de  la  nature 
s'unit  à  la  beauté  architecturale  de  plusieurs  des  édifices. 

C'est  là  que  Longfellow,  dans  une  habitation  élégante,  près 
d'une  femme  aimable  et  belle,  entouré  de  charmants  enfants, 
a  écrit  son  Psalm  of  Life,  si  heui-eusemenl  imité  par  M"''  de 
Pressensé,  et  dont  quelques  strophes  s'appliquent  parfaite- 
ment à  la  vie  de  Guyot  : 

La  vie  est  un  combat,  la  vie  est  une  arène 
Où  le  devoir  grandit  du  triomphe  obtenu  ; 
C'est  le  sentier  qui  monte  et  pas  à  pas  nous  mène 
Aux  sommets  d'où  la  vue  embrasse  l'inconnu. 

Marche  !  et  que  chaque  jour  te  trouve  à  son  aurore 
Plus  près  du  but  sacré,  le  flambeau  dans  la  main. 
Agis  !  le  temps  est  court,  il  se  hâte  et  dévore 
Ce  qui  n'est  pas  réel,  immortel  et  divin. 

Que  ton  pied  sur  le  sol  laisse  une  noble  empreinte, 
Et  peut-être,  suivant  tes  sentiers  après  toi. 
Quelque  esprit  agité  par  le  doute  et  la  crainte 
Retrouvera  l'espoir,  le  courage  et  la  foi. 

C'est  Ici  qu'Agassiz  prépare  sa  grande  histoire  naturelle 

vembre  1847,  le  Recteur  s'exprimait  ainsi  :  v<  Un  seul  de  nos  collè- 
gues nous  manque  pour  une  absence  qui  nous  sera  profitable  à  son 
retour.  Il  nous  reviendra,  non  seulement  avec  de  nouvelles  richesses, 
mais  encore  avec  des  collaborateurs  formés  et  développés  à  son 
école.  » 


D 'ARNOLD   GUYOT.  29 

américaine,  et  qu'il  créera  le  musée  le  plus  vaste  et  le  plus 
complet  qui  soit  au  monde.  C'est  là  que  Guyot  aura  bientôt  sa 
demeure  où,  pédagogue  depuis  l'âge  de  20  ans,  il  recevra 
(les  élèves  auxquels  il  donnera  des  leçons,  comme  il  en  don- 
nera de  particulières  au  dehors,  tout  en  se  préparant  aux 
cours  publics  qui  lui  seront  demandés.  Sans  doute  la  puis- 
sance et  l'utilité  deTinsIruction  sont  appréciées  en  Amérique 
en  général,  et  à  Cambridge  en  particulier,  comme  à  Boston, 
sa  voisine,  autant  et  plus  qu'en  aucun  pays  d'Europe.  La 
proportion  d'Américains  de  toutes  les  classes  faisant  tout  ce 
qu'ils  peuvent  pour  s'instruire  est  très  grande;  tous  ont  une 
bonne  instruction  pour  base,  et  peuvent  prétendre  aux  plus 
hautes  études  et  aux  destinations  auxquelles  elles  conduisent. 
Guyot  ne  doit  donc  pas  douter  de  rencontrer  des  auditeurs 
intelligents  et  préparés  à  le  comprendre.  Il  a  de  bonnes 
l'ecommandalions  ;  mais,  comme  il  le  dit  lui-même,  «  les 
r-ecommandations  sont  tenues  pour  peu  de  chose  par  les 
Américains  ;  ils  vous  jugent  de  visu  et  sur  vos  œuvres.  » 

Quelques  jours  après  son  arrivée  à  Cambridge,  Agassiz  le 
conduisit  à  Philadelphie,  à  une  réunion  de  l'Association  des 
sciences,  qui  venait  d'être  réorganisée  sur  les  fondements  de 
l'ancienne  Société  géologique.  Ce  fut  là  qu'il  rencontra  pour 
la  première  fois  les  professeurs  Henry,  Alexander,  Baird  et 
d'autres  dont  il  devait  devenir  bientôt  l'intime  ami.  Désirant 
prendre  une  idée  des  systèmes  des  montagnes  de  l'Amérique, 
et  impatient  de  les  comparer  avec  celles  de  la  Suisse,  il  réso- 
lut de  faii'e,  au  retour  de  Philadelphie,  un  voyage  d'une 
semaine  à  travers  les  AUeghanys,  jusqu'à  Bedfort  et  à  Cum- 
berland.  Comme  il  pouvait  à  peine  dire  un  mot  d'anglais,  il 
s'assit  à  côté  du  cocher,  et  fit  ainsi,  chaque  jour,  sa  première 
étude  pratique  de  cette  langue  nouvelle.  Ayant  une  lettie 
pour  le  D''  Ch.  Hodge,  il  s'arrêta  à  Princeton,  dans  le  New- 
Jersey,  enlre  Philadelphie  et  New-York  ;  là  il  fut  mis,  par  son 
hôte,  en  rapport  avec  les  professeurs  qui  devaient  être  plus 
tard  ses  collègues. 

En  attendant  il  faut  rentrer  à  Cambridge,  où  va  lui  êtie 
adressée  une  demande  d'un  cours  public.  Mais  comment  se 
présenter  devant  un  auditoire  dont  on  ne  parle  pas  la  lan- 
gue, pour  exposer,  en  français,  des  sujets  scientifiques  dans 
esquels  se  rencontreront  beaucoup  d'idées  et  de  faits  nou- 


30  VIE   ET   TRAVAUX 

veaux  pour  les  auditeurs  ?  N'y  aura-t-il  pas  là  une  source 
d'embarras  pour  plusieurs  et  pour  le  professeur  lui-même? 
Comme  il  le  dira  très  bien,  au  début  de  sa  première  leçon  : 
«  dans  les  i-elations  d'esprit  à  esprit,  dans  l'écbange  mutuel 
des  idées,  la  première  condition,  indispensable  pour  établir, 
entre  celui  qui  parle  et  ceux  qui  écoutent,  la  sympathique 
harmonie  qui  en  fait  le  charme,  c'est  que  la  parole  atteigne 
l'intelligence  sans  obstacle  et  sans  effort.  »  Aussi  ne  se  dissi- 
mulait-il pas  les  difficultés  qu'il  aurait  à  surmonter,  et  sen- 
lail-il  que,  si  ses  auditeurs  faisaient  eux-mêmes  le  sacrifice 
de  leur  langue  en  venant  l'entendre,  lui,  de  son  côté  devrait 
faire  tout  son  possible  pour  que  ce  sacrifice  ne  leur  fût  pas 
trop  pénible. 

Ce  ne  fut  donc  pas  sans  émotion,  que,  le  17  janvier  1849,  il 
ouvrit,  dans  le  Lowell  Institule,  à  Boston,  son  cours  sur  les 
Rapports  entre  la  géographie  p/ujsique  et  l'histoire  de  l'huma- 
nité.  Le  fondateur  de  cet  établissement  avait,  en  mourant, 
consacré  sa  fortune  à  la  création  d'un  ensemble  de  couis 
destinés  à  montrer  l'harmonie  de  la  religion  naturelle  et  de 
la  rehgion  révélée.  Agassiz  y  avait  enseigné  la  géologie;  une 
des  salles  de  l'Institut  fut  prêtée  à  son  ami.  De  petite  taille, 
celui-ci  n'a  rien  qui  impose  ;  mais  sa  figure  brune,  excessive- 
ment gracieuse  et  fine,  a  beaucoup  de  charme;  son  œil  péné- 
trant intimiderait  ses  auditeurs,  si  une  bonté,  qui  a  tout 
transformé  en  lui,  ne  les  rassurait  contre  ce  regard  qui  visite 
Tàme  des  autres  chez  eux,  mais  en  ami.  Il  n'a  que  quelques 
notes  devant  lui,  mais  il  possède  si  bien  son  sujet,  que  c'est 
vraiment  de  l'abondance  de  son  cœur  que  sa  bouche  parle, 
lorsque  après  avoir  distingué  la  géographie  telle  qu'il  la  con- 
çoit, de  la  science  qui  se  borne  à  une  simple  description  de 
la  terre,  il  montre  que  la  vraie  science  doit  comparer,  intei'- 
préter  les  phénomènes  qu'elle  décrit,  remonter  à  leurs 
causes  et  descendre  à  leurs  conséquences.  «  Ce  n'est  pas 
assez  pour  elle,  »  dit-il,  «  de  faire  froidement  l'anatomie  du 
globe,  en  prenant  connaissance  de  l'arrangement  des  difl'é- 
rentes  parties  qui  la  constituent.  Elle  doit  s'efforcer  de  saisir 
l'action  et  la  réaction  incessantes  des  difiérentes  parties  de  la 
nature  physique  les  unes  sur  les  autres,  de  la  nature  inorga- 
nique sur  les  êtres  organisés,  sur  l'homme  en  particuher, 
sur  le  développement  successif  des  sociétés  humaines,  en  un 


D 'ARNOLD    GUYOT.  31 

mot  étudier  l'action  réciproque  de  toutes  ces  forces,  dont  le 
Jeu  perpétuel  constitue  ce  qu'on  peut  appeler  la  vie  du  globe, 
elle  doit  en  faire  la  physiologie.  La  concevoir  autrement,  c'est 
priver  la  géographie  de  son  principe  vital,  eu  faire  une  col- 
lection de  faits  partiels  sans  signification,  lui  imprimer  à 
jamais  ce  caractère  de  sécheresse  qu'on  lui  a  si  souvent  et 
si  justement  reproché.  Car  qu'est-ce  que  la  sécheresse  dans 
une  science,  sinon  l'ahsence  de  ces  principes,  de  ces  idées, 
de  ces  résultats  généiaux  dont  sont  nourris  des  esprits  bien 
constiluésf  »  Puis  il  justifie  l'expression  dont  il  s'est  servi  en 
parlant  de  la  vie  du  globe,  de  la  physiologie  des  grandes  for- 
mes terrestres  ;  il  fait  sentir  l'importance  des  formes  de  con- 
tour et  de  relief  des  continents,  et  retrace  à  grands  traits 
l'histoire  de  la  géojjraphie  comparée,  de  Bacon  à  Humboldt 
et  à  Ritter.  Enfin  il  montre  que  les  formes,  l'arrangement  et 
la  distribution  des  masses  terrestres  à  la  surface  du  globe, 
accidentels  en  apparence,  révèlent  cependant  un  pian  que 
l'on  peut  comprendre  en  partie  par  les  évolutions  de  l'his- 
toire ;  que  les  continents  sont  faits  pour  les  sociétés  humai- 
nes, comme  le  corps  est  fait  pour  l'âme,  et  qu'en  particulier, 
chacun  des  continents  septenti'ionaux  est  préparé,  par  sa 
nature,  à  rempUr  un  rôle  spécial  qui  correspond  aux  besoins 
(le  l'humanité  dans  une  des  grandes  phases  de  son  histoire; 
en  un  mot  que  la  nature  et  l'histoire,  la  terre  et  l'homme, 
sont  dans  les  rapports  les  plus  intimes,  et  ne  forment  ensem- 
ble qu'une  gi'ande  et  magnifique  harmonie.  A  la  vraie  science 
incombe  le  devoir  de  chercher  la  loi  générale  qui  préside  à 
celte  harmonie. 

Cette  conception  de  la  géographie  était  nouvelle  en  Amé- 
rique; elle  gagna  bien  vite  au  professeur  neuchàtelois  ses 
nombreux  auditeurs,  et  dès  le  lendemain  de  sa  première 
leçon,  les  éditeurs  du  Boston  Daily  Traceller  vinrent  lui  de- 
mander sa  conférence  pour  leur  journal,  en  même  temps  que 
M.  le  professeur  C.  C.  Felton,  plus  tard  piésident  de  l' Uni- 
versité Harvard,  offrait  ses  bons  offices  pour  traduire  en  an- 
glais l'exposé  que  Guyot  venait  de  faire.  Il  fallut  que  celui-ci 
se  mît  à  rédiger  en  fi'ançais  sa  conférence  de  la  veille,  pour 
en  fournir  le  texte  à  M.  Felton,  qui  la  fit  passer  en  anglais  au 
journal  de  Boston,  et  dont  l'amicale  serviabilité  ne  se  démen- 
tit pas  un  instant  jusqu'à  la  clôture  du  cours,  le  2i  février. 


32  VIE   ET   TRAVAUX 

C'est  donc  à  lui  (iiie  les  lecteurs  de  langue  anglaise  furent  re- 
devables de  la  première  publication  de  l'œuvre  de  notre 
compalriolo,  bientôt  connue  sous  le  titre  Earlh  aiid  Mau  {la 
Terre  <'t  l'homme). 

Pour  nous  représenter  l'effet  produit  par  l'exposé  des  idées 
qui  y  sont  développées,  écoutons  un  des  témoins  de  ce  mo- 
ment si  important  dans  la  nouvelle  carrière  de  l'émigi'é 
suisse,  M.  le  U*"  Murray,  devenu  plus  tard  le  collègue  de 
Guyot  à  l'Université  de  Princeton. 

«  A  cette  époque,  j'étais  dans  ma  dernière  année  d'études 
à  Harvai'd  Collège;  mais  je  me  rappelle  très  bien  l'enlbou- 
siasme  que  les  conférences  de  Guyot  excitèrent  parmi  les 
jeunes  gens  qui  faisaient  alors  leur  éducation  et  générale- 
ment parmi  les  bommes  cultivés.  Cet  entbousiasme  ne  se 
borna  pas  à  eux.  Tout  le  monde  des  lecleuis  s'en  empara,  les 
discuta,  et  elles  préparèrent  certainement  la  voie  à  la  réno- 
vation dans  l'étude  de  la  géograpbie  qui  suivit  bientôt  et 
dont  nous  sommes  redevables  au  professeur  Guyot.  On  ne 
peut  donner  une  meilleure  idée  de  son  œuvre  intellectuelle 
et  spirituelle,  de  sa  conception  riche  et  noble  de  la  vérité, 
qu'en  citant  le  passage  qui  termine  ses  leçons  : 

«  Nous  sommes  arrivés  au  terme  de  notre  course  par  un 
chemin  naturel  et  régulier.  Avant  de  nous  séparer,  permet- 
tez-moi d'ajouter  quelques  mots  sur  l'esprit  et  la  méthode 
qui  ont  dirigé  nos  études.  Tout  est  vie  pour  celui  qui  est  vi- 
vant; tout  est  mort  pour  celui  qui  est  mort;  tout  est  esprit 
pour  celui  qui  est  esprit,  tout  est  matière,  pour  celui  qui 
n'est  que  matière.  C'est  avec  notre  vie  et  avec  notre  intelli- 
gence tout  entières  que  nous  devions  étudier  l'œuvre  de 
Celui  qui  est  lui-même  vie  et  intelligence.  Cette  œuvre  de  l'In- 
telligence suprême  peut-elle  être  autrement  qu'intelligente? 
L'œuvre  de  celui  qui  est  tout  amour  et  vie,  ne  doit-elle  pas 
être  vivante  et  pleine  d'amour.  Comment  ne  trouverions- 
nous  pas,  dans  notre  terre  elle-même,  la  réalisation  d'une 
pensée  intelligente,  d'une  pensée  d'amour  pour  l'homme, 
qui  est  le  terme  et  le  but  de  toute  la  création,  la  fleur  par- 
faite et  brillante  de  cette  admirable  organisation  ?  Certaine- 
ment il  en  est  ainsi.  La  foi  nous  l'enseigne,  en  nous  inspirant 
ce  sentiment,  vague  encore  et  cependant  profond.  La  science 
nous  en  instruit  par  une  étude  patiente  et  prolongée,  nous 


D  ARNOLD   GUYOT.  33 

réservant  celte  vue  sublime  comme  la  plus  douce  récom- 
pense de  notre  labeur.  La  foi,  éclairée  et  étendue  par  l'expé- 
rience —  l'union  de  la  foi  et  de  la  science  —  est  une  con- 
naissance vivante,  harmonique,  c'est  une  foi  parfaite,  car  elle 
est  devenue  vision. 

«  J'ai  cherché  à  vous  introduire  dans  la  connaissance  vi- 
vante de  notre  globe,  dans  la  mesure  modeste  où  il  m'a  été 
donné  de  le  faire.  3Ialgré  l'imperfection  de  cette  connaissance, 
dont  je  sens  que  je  n'ai  touché  que  les  bords,  si  vous  m'avez 
suivi,  votre  expérience  est  devenue  plus  intelligente,  et  vous 
admirez  avec  moi  l'Auteur  d'une  si  belle  création.  Si  votre 
cœur  a  senti  les  desseins  bienveillants  qui  ont  pi'ésidé  à  ces 
arrangements,  s'il  est  convaincu  que  tout,  dans  la  nature  et 
dans  rhistoire,  est  ordonné  pour  nous  conduire  au  bonheur 
en  nous  élevant  jusqu'à  Lui,  alors  il  est  reconnaissant  et  il 
L'aime  à  son  tour.  Quand  le  cœur  admire  et  aime,  il  adore  ; 
c'est  là  le  seul  culte  digne  d'un  homme  raisonnable,  le  seul 
service  que  son  Créateur  demande  et  accepte  de  sa  main.  » 

Bien  vile  on  voulut  réunir  ces  conféi'ences  en  un  volume^ 
dont  une  première  édition  parul,  au  bout  de  six  semaines, 
tirée  à  5000  exemplaires.  La  réputation  de  l'auteur  franchit 
les  limites  de  la  Nouvelle  Angleterre  et  l'Atlantique.  L'effet 
produit  dans  la  Grande  Bretagne  fut  si  grand,  qu'une  demi- 
douzaine  de  maisons  de  Londres  demandèrent  à  en  publier 
des  édhions;  l'Allemagne  en  eut  deux  traductions  et  la  Suède 
une  ;  seul,  le  public  de  langue  française  fut  privé  de  cette 
lecture. 

Quand  Cari  Ritter  eut  reçu  le  volume  Eartli  and  Man,  il 
écrivit  à  son  ancien  élève  une  lettre  de  félicitations  sur  cette 
publication,  et  y  traça  en  grandes  lettres  soulignées:  Excellent! 
Excellent!  Excellent  !  Dam  toutes  ses  communications  ulté- 
lieures,  il  réitère  à  l'auteur  ses  remerciements  pour  ce  que 
ce  petit  ouvrage  lui  a  appris;  et,  d'après  le  témoignage  d'un 
ami  commun,  il  prit  l'habitude  de  porter  ce  volume  avec  lui 
partout  où  il  allait,  l'appelant  son  vade  mecum. 

En  18G3,  M.  Vivien  de  Saint-Martin  écrivait,  à  l'occasion 
de  la  sixième  édition  :  »  Nous  ne  saurions  mettre  trop  haut 
le  livre  intitulé  Eartli  and  Man,  livre  qui,  dans  une  suite  de 
discours,  présente  un  exposé  ti"ès  bien  fait  des  conditions  gé- 
nérales du  globe  et  de  leurs  rapports  avec  l'homme.  Les 


34  VIE   ET   TRAVAUX 

vues  sont  largement  présentées,  et  dans  une  proportion  bien 
conçue;  il  n'y  a  de  détails  que  ceux  qui  peuvent  concourir  à 
la  noiion  d'ensemble.  C'est,  par  sa  conception  c^énérale,  un 
livre  de  l'école  de  Riller  et  le  meilleur  résumé  (|ui  en  ait 
encore  été  fait  *.  » 

Il  est  facile  de  comprendre  que  les  éloges  décernés  à  ce 
volume  par  de  si  liantes  autorités  en  géograpbie,  indépen- 
damment des  souvenirs  qui  attacbaient  les  Neucbàtolois  à 
l'auteur,  leur  aient  fait  regretter  de  n'en  point  avoir  d'édition 
française.  Le  désir  de  leur  en  procurer  une,  et  de  leur  rendre 
quelque  chose  de  l'enseignement  dont  ils  étaient  privés, 
m'engagea  à  entreprendre  la  traduction  du  volume  anglais. 
et  à  en  communiquer  quelques  parties  à  notre  Société  de 
géographie  de  Genève.  A  cette  occasion,  j'écrivis  en  1876  à 
mon  ancien  professeur,  pour  lui  demander  l'autorisation  de 
faire  paraître  dans  le  Globe,  les  morceaux  que  J'aurais  lus 
aux  séances,  et  le  cas  échéant,  celle  de  publier  celte  traduc- 
tion pour  le  public  de  langue  française.  Permettez-moi, 
Mesdames  et  Messieui-s,  de  vous  communiquer  sa  réponse  : 

«  Je  n'ai  assurément  aucune  objection  à  ce  que  vous  fas- 
siez imprimer  dans  le  Globe  les  morceaux  que  vous  avez  tra- 
duits. J'estime  au  contraire  que  c'est  un  honneur  que  vous 
faites  à  un  petit  livre  que  j'aurais  bien  aimé  à  compléter,  si 
mes  loisirs  me  l'avaient  permis.  Je  regrette  seulement  d'être 
trop  lard  pour  vous  dire  que  l'ouvrage  a  été  écrit  en  fran- 
çais, et  que  le  manuscrit  original,  que  j*ai  refusé  maintes  fois 

*  Dans  son  voyage  en  Amérique,  J.-J.  Ampère  s'exprime  ainsi  : 
«  Dans  son  livre  intitulé  la  Terre  et  VHomme,  M.  Guyot  a  tenté 
d'expliquer  1  histoire  par  la  géographie.  Il  voit  dans  la  configura- 
tion variée  des  contrées  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  oîi  la  civilisation 
a  fleuri,  la  raison  dp  cette  civilisation,  et  dans  la  simplicité,  l'unité 
géographique  du  continent  américain,  la  condition  d'un  développe- 
ment commun  par  le  principe  de  l'association.  L'Ancien  Monde  a 
fait  l'éducation  du  genre  humain  ;  le  Nouveau  Monde  est  le  théâtre 
magnifique  sur  lequel  doivent  s'accomplir  les  destinées  progressives 
de  l'humanité.  Le  remarquable  ouvrage  de  M.  Guyot  est  le  produit 
d'un  cours  fait  à  Boston.  Un  professeur  de  l'Université,  M.  Felton, 
avec  un  zèle  d'obligeance  pour  l'étranger  et  une  abnégation  person- 
nelle qui  méritent  d'être  cités,  passait  les  nuits  à  traduire  les  leçons 
de  M.  Guyot.  » 


D 'ARNOLD    GUYOT.  35 

(le  laisser  publier  en  France  et  en  Suisse,  dans  Tidée  où 
j'étais  que  je  pourrais  le  compléter,  est  d;ins  mes  cartons.  Je 
dois  vous  dire  toutefois  que  j'en  prépare  une  nouvelle  édi- 
tion revue,  et  augmentée  de  plusieurs  sujets  que  le  cadre 
d'un  cours  de  lectures  comme  le  premier  m'avait  forcé  d'éli- 
miner. Il  y  aura  aussi  des  illustrations  et  des  cartes  bien  dé- 
sirables dans  un  pareil  ouvrage.  Les  idées  fondamentales 
toutefois  seront  les  mêmes.  Je  n'ai  aucune  raison  de  changer 
les  vues  que  j'ai  expiimées,  et  que  des  études  plus  prolon- 
gées n'ont  fait  que  confirmer  dans  mon  esprit.  Je  serais  heu- 
reux qu'elles  trouvassent  dans  l'Europe  de  langue  française, 
l'accueil  qu'elles  ont  reçu  en  Amérique,  en  Angleterre  et  en 
Allemagne.  » 

Malheureusement  les  lecteurs  de  langue  française  n'ont 
pas  encore  pu  en  prendre  connaissance.  Les  seuls  morceaux 
publiés  dans  le  Globe  sont  :  la  loi  de  distribution  des  vents,  la 
loi  de  distribution  des  pluies,  et  quelques  pages  de  Tiiistoire 
de  la  géographie  comparée,  qui,  certes,  n'ont  eu  que  peu  de 
lecteurs.  Nous  avons  toujours  attendu  l'édition  annoncée  ; 
Guyot  ne  la  perdait  pas  de  vue,  et,  jusqu'au  bout,  il  espéra  la 
mener  à  bonne  fin.  En  1877,  il  écrivait  à  son  ami,  M.  le  pro- 
fesseur Frédéric  Godet  :  «  Je  n'arrive  à  rien  finir.  Cet  hiver 
était  réservé  pour  la  nouvelle  édition  illustrée  de  Eurth  and 
iWa»;  je  n'ai  pas  encore  pu  y  mettre  la  main,  et  mon  collège 
va  recommencer.  »  Et  en  1882  :  «  Je  comptais  finir  cet  liivei' 
la  nouvelle  édition  de  Earth  and  iWa/i,maisle  pourrai-je?On 
me  demande  mslamment  mon  explication  du  premier  cha- 
pitre de  la  Genèse.  Il  y  a  là  la  matière  d'un  petit  volume, 
qui,  malgré  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  ce  sujet,  aurait,  dit-on, 
bonne  chance  de  faire  beaucoup  de  bien.  »  Enfin,  dans  une 
dernière  lettre  du  17  juillet  1883.  se  sentant  déjà  malade  : 
«  J'ai  pensé  faire  ce  travail  en  premier  lieu,  parce  qu'il  seia 
le  plus  court  et  le  plus  facile  pour  moi.  Earth  and  Man  sui- 
vra, si  Dieu  le  permet,  et  les  autres  choses,  si  le  temps  et  la 
santé  me  sont  accordés.  » 

La  santé  ne  lui  fut  pas  rendue;  le  temps  lui  manqua  pour 
Earlh  and  Man,  et  nous  ne  savons  pas  encore  jusqu'à  quel 
point  nous  pouvons  espérer  voir  publier,  après  35  ans  d'at- 
tente, une  édition  française  de  ces  vues  de  notre  compa- 
triote qui,  me  disait  encore  l'autre  jour,  un  de  ses  collègues 


36  VIE   ET   TRAVAUX 

de  Princeloii;,  M.  le  {nofes^ieur  Moffat,  en  passage  à  Genève, 
ont  transformé  en  Améritjue  les  conceptions  sur  la  géogra- 
phie physique  et  Thistoire.  Madame  Guyot  m'a  fait  entrevoir 
la  possihililé  d'une  publication  des  matériaux  laissés  par  son 
mari.  Ce  serait  certainement  préférable  à  ma  traduction  faite 
d'après  une  édition  anglaise,  moins  complète  que  les  éditions 
américaines,  comme  j'ai  pu  m'en  convaincre  par  l'examen 
d'un  exemplaire  d'une  de  celles-ci, de  186;}. «Quelque  ancien 
que  soit  cet  ouvrage,  "  dit  une  revue  scientifique  de  Boston, 
«  et  quoique  la  science  ait  révélé  aujourd'hui  beaucoup  de 
choses  qui  étaient  inconnues  en  1849,  l'auteur  y  a  montré  com- 
ment la  terre  est  faite  pour  être  In  demeure  delà  race  humaine, 
avec  une  perception  si  profonde  de  la  véiilé.  il  y  a  joint  des 
réflexions  si  fécondes  et  si  originales, que  ce  petit  volume  est 
demeui'é  jusqu'à  aujourd'hui  l'une  des  meilleures  introduc- 
tions à  la  géographie  physique  que  le  lecteur  puisse  trouver 
dans  aucune  langue.»  Actuellement  encore  il  y  a  grand  profit 
à  suivre  l'auteur  dans  l'étude  du  plan  admirable  qui  se  révèle 
dans  les  grandes  harmonies  de  la  nature  et  de  l'histoire,  à 
voir  les  destinées  passées  et  futures  des  nations  tracées  en 
caractères  ineffaçables  par  le  doigt  de  Celui  qui  gouverne  le 
monde.  Ordre  sublime  de  l'intelligence  et  de  la  bonté  suprême 
qui  a  organisé  toutes  choses,  et  les  fait  travailler  à  l'éducation 
de  l'homme  et  à  la  réaUsation  de  ses  plans  de  miséricorde  à 
son  égard. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  conférences  du  Lowell  Instiiute  fui'enl 
Yœuvre  que  les  Américains  attendaient  poui-  se  prononcer 
en  faveur  de  notre  compatriote.  Dès  qu'elles  eurent  paiu,  le 
désir  de  s'attacher  le  professeur  s'éveilla  chez  les  direcleurs 
de  plusieurs  institutions.  Déjà  alors  l'administration  du  Col- 
lège de  Princeton  y  pensa,  mais  à  cette  époque  ses  ressour- 
ces ne  permettaient  pas  de  créer  la  chaire  qu'il  devait  y 
occuper  cinq  ans  plus  tard.  Ce  fut  le  Bureau  de  l'instruction 
publique  pour  les  Écoles  de  l'État  de  Massachusetts  qui,  ap- 
préciant la  valeur  de  son  enseignement,  le  chargea  de  don- 
ner, dans  les  Écoles  normales  et  dans  les  réunions  d'institu- 
teurs et  d'institutrices  de  cet  État,  des  cours  sur  la  géogra- 
phie et  les  méthodes  d'enseignement  de  cette  branche 
d'étude. 


d' ARNOLD    GUYOT.  37 

Disciple  de  Rilter,  qui,  vous  vous  le  rappelez,  Mesdames  et 
Messieurs,  devait  beaucoup  à  notre  grand  éducateur  Pesta- 
lozzi,  Guyot  avait  compris  que  le  succès  auprès  des  élèves 
dépend  de  la  méthode,  que  pour  conduire  l'élève  quelque 
part,  il  faut  d'abord  le  prendre  où  il  est;  que  le  vrai  point  de 
départ  n'est  pas  dans  les  livres,  mais  dans  la  nature  ;  qu'il 
n'est  pas  dans  les  mots,  mais  dans  les  choses  ;  non  pas  dans 
ce  qui  laisse  l'enfant  distrait,  mais  dans  ce  qui  attire  son 
attention  ;  non  pas  dans  ce  qui  lui  est  inditïérent,  mais  dans 
ce  qui  l'intéresse  ;  non  pas  dans  ce  qui  l'ennuie,  mais  dans 
ce  qui  lui  fait  plaisir. 

Pédagogue  lui-même,  il  savait  que  la  vraie  méthode  édu- 
cative doit  tenir  compte  de  la  nature  de  l'élève  à  instruire  et 
de  celle  de  l'objet  de  l'enseignement;  que  la  mémoire  n'est 
pas  la  seule  faculté  de  l'enfant  ni  du  jeune  homme,  et  que, 
pour  leur  apprendre  à  connaître  la  terre,  il  est  nécessaire  de 
la  mettre  sous  leurs  yeux,  de  toutes  les  manières  possibles: 
globes,  cartes,  dessins,  etc.;  qu'en  outre,  il  faut  y  procéder 
avec  ordre,  graduellement,  aller  du  simple  au  composé,  du 
facile  au  difficile,  du  connu  à  l'inconnu.  Ces  deux  principes 
sont  à  la  base  de  son  enseignement  à  ceux  qui  sont  chargés 
d'enseigner,  ainsi  qu'au  fond  de  tous  ses  travaux,  cartes  et 
manuels,  pour  l'enseignement  de  la  géographie  dans  les 
écoles  des  États-Unis. 

Écoutons-le  lui-même  '  :  «  Notre  esprit  est  ainsi  fait,  que 
nous  ne  pouvons  acquérir  nos  connaissances  que  graduelle- 
ment. Or  ce  progrès  comporte  trois  degrés  principaux  : 

1°  Nous  acquérons  une  vue  d'ensemble,  une  impression 
générale  de  l'objet,  par  Vlntuition  ; 

2°  Nous  procédons,  par  V Analyse,  h  Tétude  successive  de 
toutes  ses  parties  ; 

3°  Nous  lirons  de  cette  analyse  les  moyens  de  nous  élever 
à  la  connaissance  des  lois  et  des  principes  qui  régissent 
l'ensemble,  c'est  la  Synthèse. 

De  la  combinaison  de  tous  ces  éléments  résulte  une  orga- 
nisation bien  ordonnée  de  l'enseignement,  de  façon  que  la 
dépendance  mutuelle  de  toutes  les  parties  et  leur  coopération 
au  but  final  ressortent  clairement. 

*  Tu  ieacJiers  and  friends  of  éducation. 


38  VIE   ET   TRAVAUX 

Le  preiniei  tlegré  est  préparatoire. 

Le  deuxième  constitue  la  hase  de  l'étude. 

Le  troisième  fournit  la  ('onnaissance  scientifique  et  philo- 
sophique. 

Chacun  de  ces  trois  degrés  réclame  un  enseignement  dis- 
tinct et  un  manuel  spécial. 

En  elTel,  les  facultés  de  l'esprit  qui  sont  surtout  en  Jeu  à 
chacun  de  ces  degrés  ne  sont  pas  les  mêmes,  et  il  est  néces- 
saire de  présenter  les  ohjets  d'une  manière  différente  aux 
différents  âges,  selon  que  ce  sont  les  sens,  l'analyse  ou  la 
faculté  de  généraliser  qui  dominent. 

n  faut  en  outre  suivre  l'ordre  de  la  dépendance,  faire 
passer  l'étude  des  formes  de  contour  et  du  relief  avant  celle 
des  rivières;  le  climat,  avant  la  distiùbulion  des  plantes  et  des 
animaux;  la  géographie  de  la  nature,  avant  celle  de  l'homme, 
avant  l'ethnographie,  la  politique  el  la  statislicjue.  En  un  mot, 
chaque  ordre  de  faits  doit  devenir  une  piei're  d'attente  pour 
l'étude  des  faits  suivants,  d 

Tels  sont  les  principes  qu'il  chercha  à  inculquer  aux  insti- 
tuteurs et  aux  institutrices  des  écoles  noi'males  et  aux  élèves 
des  instituts  d'éducation  de  l'État  du  Massachusetts,  auxquels, 
pendant  neuf  années  consécutives,  il  consacra  son  temps  et 
sa  peine,  sans  se  ménager,  au  point  qu'il  en  fut  comme 
épuisé.  Dans  quantité  de  villes,  les  citoyens  les  plus  cultivés 
formaient  des  groupes  d'élèves  auxquels  ils  appelaient  le  pi'o- 
fesseur  à  venir  exposer  sa  méthode.  Chaque  année  il  eut  à 
enseigner  ainsi,  d'une  manière  itinérante,  des  foules  de  loUO 
<à  1800  instituteurs  des  deux  sexes,  auxquels  Agassiz  de  son 
côté  enseignait  l'histoire  naturelle.  L'effet  de  ces  leçons  sur 
l'éducation  publique  fut  tel,  que,  d'après  le  témoignage  des 
comités  scolaires,  les  villes  qui  jouissaient  de  cet  avantage 
étaient  de  dix  ans  en  avance  sur  les  autres  pour  l'excellence 
de  leurs  méthodes. 

Aux  fatigues  que  lui  imposaient  ses  courses  continuelles 
en  chemin  de  fer  et  l'enseignement  dans  de  grandes  salles, 
s'ajoutait  celle  de  devoir  enseigner  dans  une  langue  qui 
lui  était  étrangère.  En  effet,  il  ne  lui  était  plus  po.ssible 
d'exposer  ses  idées  en  français,  comme  il  avait  pu  le  faire  au 
Lowell  Institute.  Sans  doute  il  parlait  l'anglais;  de  l'aveu  des 
Suisses  qui  l'ont  visité  en  Amérique,  il  le  parlait  très  liien  ; 


D  ARNOLD    GUYOT.  39 

mais  nous  pouvons  comprendre  ce  qu'il  dut  lui  en  coûter  de 
devoir  enseigner  en  anglais  pendant  ces  premières  années 
de  séjour  à  Cambridge,  par  ces  lignes  d'une  lettre  à  son  ami 
M.  F.  Cioùel,  écrite  34  ans  plus  tard  (1882)  :  a  Que  ne  don- 
nerais-je  pas  pour  avoir  ta  facilité  d'écrire  et  de  dicter!  Mais 
celte  malheureuse  langue  qui  n'est  pas  la  mienne,  est  un 
obstacle  toujours  renaissant.  La  phrase  m'entrave  et  me 
coûte  dix  fois  plus  que  les  idées.  » 

Le  zèle  déployé  dans  l'accomplissement  de  ses  fonctions 
lui  donna  une  grande  influence;  il  entra  en  rapport  avec  les 
personnes  les  plus  intelligentes  du  pays,  et,  grâce  à  la  libé- 
ralité de  M.  Daniel  Price,  de  Newark,  ville  importante  de 
l'État  de  New-Jersey,  les  vœux  du  Collège  de  Princeton  \ 
(le  s'attacher  notre  compalriole,  purent  se  réaliser.  En  18oi. 
M.  Price  s'engagea  à  fournir  lui-même,  pendant  un  certain 
riombre  d'années,  le  traitement  du  professeur,  pour  lequel 
fut  créée  la  chaire  de  géographie  physique  et  de  géologie  au 
Collège  de  New- Jersey,  dont  Guyot  devint  une  des  gloires  et 
r|u'il  contribua  à  élever  au  premier  rang  parmi  les  Univer- 
sités des  États-Unis.  M.W.  Rey,  qui  lui  fit  visite  à  Cambridge, 
en  18o5,  disait  de  lui  à  cette  époque  :  <!  Le  professeur  Guyot  a 
réformé  l'enseignement  de  la  géographie,  et  a  pris  l'engage- 
ment de  publier  une  série  d'ouvrages  pour  les  écoles;  ensuite 
viendra  l'histoire.  La  vie  fatigante  qu'il  a  menée,  partagée 
entre  la  parole  dans  les  écoles  de  l'État,  où  les  régents  se 
réunissent  par  milliers,  et  les  courses  sur  les  railways,  l'a 
tellement  épuisé  qu'il  compte  accepter  l'appel  dans  un  col- 
lège de  New-Jersey,  où  il  aura  le  temps  de  rédiger  divers 
travaux.  »  Par  dévouement  à  sa  famille  il  ne  s'était  pas  en- 
core marié,  et  il  venait  de  perdre  successivement  sa  mère  et 
une  de  ses  sœurs.  M""  ChoUet.  Le  souvenir  de  ces  êtres 
chéris,  reposant  dans  le  cimetière  de  Mont-Auburn,  si  bien 

'  Déjà  avant  l'appel  de  A.  G.  à  Princeton,  on  lui  avait  instam- 
ment demandé  de  préparer  une  série  de  cartes  et  de  manuels  qui 
permissent  d'étudier  et  d'enseigner  la  géographie  selon  ses  vues. 
Une  ou  deux  belles  cartes  murales  furent  publiées,  mais  l'exécution 
d'une  série  de  cartes  sur  un  plan  très  étendu  comportait  des  frais 
dont  les  éditeurs  de  Boston  ne  voulurent  pas  courir  le  risque  et 
l'œuvre  en  resta  là. 


40  VIE   ET   TRAVAUX 

décrit  par  W.  Rey,  Jetait  désormais  un  voile  de  mélancolie 
sur  le  séjour  de  Gnyot  à  Camijiid^e.  «  L'émigré,  dit  W.  Rey, 
s'attriste  doublement  de  perdre  des  êtres  dévoués  qui  ont 
partagé  son  exil,  ses  fortunes  divei'ses,  et  qui,  par  leur  affec- 
tion, l'ont  fortifié  à  ses  débuts  d.-^ns  le  Nouveau  Monde;  des 
dépouilles  que  l'on  n'accorde  pas  sans  gémir  au  sol  natal,  il 
lui  faut  les  donner  à  une  terre  avec  laquelle  il  a  fait  à  peine 
connaissance  \  » 

Avant  de  suivre  Guyot,  de  Cambridge  à  Princeton,  et  dans 
les  travaux  de  rédaction  de  cartes  et  de  manuels  réclamés 
pour  assurer  la  réforme  de  l'enseignement  de  la  géographie, 
qu'il  me  soit  permis  de  transcrire  encore  une  page  de 
W.  Rey,  sur  les  opinions  de  notre  compatriote  relativement 
à  la  question  de  l'unité  de  la  race  humaine.  C'était  avant  la 
guerre  de  la  sécession,  qui  a  résolu  pratiquement  la  question 
dans  le  sens  de  l'unité  d'origine.  Vous  savez  que  son  ami 
Agassiz  s'était  constitué  aux  États-Unis  le  champion  de  la 
diversité  des  races;  les  nègres  auraient  été  créés  en  Afrique; 
les  Papous,  dans  la  Nouvelle  Hollande;  les  races  polaires, 
dans  leurs  frimas  ;  les  Peaux-Rouges,  dans  l'Amérique  du 
Nord;  d'autres  races,  dans  l'Amérique  du  Sud,  chaque  race 
étant  autochtone,  c'est  à  dire  ayant  été  placée  là  où  on  l'a 
trouvée.  D'après  W.  Rey,  Guyol  jugeait  la  question  bien 
différemment.  «  Tout  ce  que  l'observation  et  l'expérience 
accumulent  contre  l'unité  d'origine  de  la  race  humaine,  se 
résume  en  ceci:  c'est  qu'on  ne  peut  pas  aujourd'hui  fusion- 
ner, reformer  l'unité.  Mais  ce  qui  est,  a-t-il  toujours  été  ? 
L'affirmer  pour  la  race  humaine,  c'est  faire  une  supposition 
que  la  science  de  la  natui-e  démontre  fausse  dans  des  domai- 
nes voisins,  par  exemple  dans  l'histoire  de  la  terre.  Il  doit 
y  avoir  eu  des  époques  de  l'humanité  que  j'appelle  géolo- 
giques, où  se  sont  manifestées  les  différences  de  races  et 
de  couleurs,  visiljles  aujoui'd'hui,  et  qui  n'existaient  point 
auparavant.  Dieu  a  développé  ces  différences  dans  la  race 
humaine,  pour  qu'elles  subsistassent  telles  que  nous  les  trou- 
vons aujourd'hui.  C'est  de  nos  jours  un  fait,  aussi  éloigné 
des  petites  diversités  de  race  dont  nous  pouvons  voir  la 

*  L^ Amérique  protestante,  par  William  Rey.  Paris,  1857.  2  vol. 
in-12. 


d'arxold  guyot.  41 

création  s'opérer  encoi-e  sous  nos  yeux,  que  les  grands  bou- 
leversements géologiques  du  passé  diffèrent  des  petites  révo- 
lutions souterraines  produites  durant  Téconomie  paisible  de 
la  période  actuelle  du  globe.  La  prétention  de  connaître 
toutes  les  forces  que  Dieu  a  déployées  au  sein  d'une  création 
comme  la  race  humaine,  pour  l'amener  au  point  où  elle  est, 
en  n'enregistrant  que  celles  de  ces  forces  qu'on  voit  agii- 
encore,  est  supertlcielle  ou  incomplète.  Le  domaine  delà  foi, 
bien  loin  d'appauvrir  la  science,  l'enrichit;  il  demande  à 
l'homme  de  ne  pas  tout  l'enfermer  dans  le  petit  espace  que 
nous  dévoile  l'expérience  du  présent,  mais  d'étendre  le 
regard,  en  méditant  avec  les  quelques  lueurs  fournies  par  la 
révélation  les  profondeurs  de  cette  immensité  qu'on  appelle 
le  passé.  11  semble  qu'admettre  une  vingtaine  de  races  hu- 
maines autochtones,  heurte  contre  l'unité  fondamentale  des 
facultés  et  des  besoins  de  l'âme  chez  toutes  ;  et  aussi  contre 
cette  mobilité,  cette  loi  d'émigration,  dont  la  puissance  a  été 
bien  plus  développée  aux  origines  de  la  race,  lorsqu'elle 
donna  à  ses  forces  physiques  toutes  fraîches  une  expansion 
inouïe  et  prit  une  première  possession  du  globe,  son  domaine. 
Qu'on  fouille  les  anciens  documents  sacrés  ou  profanes  de  la 
race  humaine,  on  y  voit  un  fourmillement,  un  remuement 
qui  étonne.  A  l'origine,  et  en  peu  de  temps,  des  éclaireurs 
ont  couvert  le  globe  entier,  et  y  ont  établi  des  campements 
temporaires;  la  plupart  d'entre  eux  ont  perdu  le  souvenir  de 
l'armée  qui  les  suivait,  et  qui  a  mis  des  milliers  d'années  cà. 
arriver  sur  certains  points.  L'homme  est  le  trait  d'union,  le 
lien  mobile  de  toutes  les  diverses  créations  matérielles  sur 
le  globe,  et  son  unité  d'origine  a  des  analogies  irrésistibles.  » 

Revenons  à  la  i-éforme  commencée  de  l'enseignement 
de  la  géographie,  mais  auparavant,  transportons-nous  dans 
ce  Princeton  où  Guyot  vient  d'être  appelé  en  1854,  et  où  il 
professera  pendant  les  trente  dernières  années  de  sa  vie. 
M.  le  professeur  Pronier,  qui  l'y  a  visité  en  1873,  a  fait  de 
cette  localité  une  description  charmante*,  qui  vous  reposera 
des  longueurs  de  m  on  exposé  jusqu'ici:  «Princeton  est  idylli- 

*  Vie  de  César  Pronier ,  par  Louis  Ruffet,  professeur.  Genève, 
1875,  in-12 

LE    GLOBE,    T.    XXIIl,    1884.  4 


42  VIE    ET   TRAVAUX 

que.  Il  est  enseveli  dans  la  vertlure.  Les  rues  sont  de  sim- 
ples roules  bordées  de  beaux  arbres.  Chaque  maison  est 
séparée  de  sa  voisine  par  un  large  espace  de  terrain.  Là  est 
un  jardin,  une  pelouse,  quebpies  arbres.  Jamais  la  maison 
ne  touche  à  la  roule.  Un  jardin,  quelquefois  assez  grand,  Ten 
sépai-e.  Bâties  en  bois,  sur  un  style  passablement  recherché, 
les  maisons  sont  vernies  ordinairement  en  blanc,  quelque- 
fois couleur  havane  ou  de  teintes  grises  ou  bleuâtres, 
jolies,  bien  préférables,  en  tout  cas,  au  brun  foncé  des 
bâtiments  de  pierre.  Ainsi  chacun  est  chez  soi,  bien  chez  soi 
et  comme  à  la  campagne.  Ce  n'est  pas  un  pâté  de  maisons, 
mais  un  vaste  espace  où  se  voient  disposées  de  charmantes 
villas.  C'est  joli,  coquet  même.  Tel  est  l'aspect  de  Princeton, 
rendu  plus  distingué  encore  par  la  présence  de  l'université, 
et  l'absence  presque  totale  d'industries  et  de  manufactures. 
Presque  point  de  commerce,  aucune  grande  cheminée  rem- 
plissant l'air  de  fumée,  pas  de  poussière.  Tout  est  propre  et 
nef. 

«  Deux  collines,  ou  plutôt  deux  renflements  de  terrain,  pre- 
miers mouvements  des  Alleghanys,  portent,  l'un,  les  bâti- 
ments du  Collège^  l'autre,  ceux  du  Séminaire.  Ces  bâtiments 
sont  vastes,  et  ofïrenl  à  la  population  studieuse  qui  s'y  réunit 
les  moyens  les  plus  agréables  de  vaquer  à  ses  travaux. 
i\L  Moffat  me  les  fait  voir  du  haut  d'une  tour  qui  domine 
tout  le  paysage.  Ici,  c'est  l'observatoire,  là,  la  maison  où  ha- 
bitent les  étudiants,  plus  loin  Nassau-Hall,  construit  en  sou- 
venir de  Guillaume  III,  puis  la  bibUothèque,  bâtiment  nou- 
vellement élevé  où  l'on  vient  de  transporter  des  livres;  enfin, 
les  maisons  des  professeurs,  les  salles  où  se  réunissent  les 
sociétés  d'étudiants.  C'est  toute  une  cité  savante.  Les  étu- 
diants sont  au  bénéfice  de  vastes  maisons  où  ils  peuvent  avoir 
une  chambre  meublée,  parfaitement  convenable,  bien 
aérée,  bien  chauffée.  J'ai  vu  ces  pièces,  et  peu  de  nos  étudiants, 
même  huppés,  sont  mieux  logés  que  ceux-là.  Ils  peuvent 
d'ailleurs,  s'ils  le  préfèrent,  se  mettre  en  pension  dans  quel- 
que famille.  Les  pi'ofesseurs  ont  chacun  une  charmante  mai- 
.son,  et  forment  une  société  cultivée,  agréable  et  avec  laquelle 
il  doit  faire  bon  vivre.  »  Pendant  les  trente  années  de  sa  vie 
à  Princeton,  Guyot  a  toujours  habité  la  même  maison^  qui 
touche  au  Collège  ;  son  jardin  était  pour  lui  une  source  de 


d'arnold  guyot.  43 

plaisirs  conslants,  aussi  bien  que  de  santé.  Il  aimait  beaucoup 
à  cultiver  des  fleurs,  et  le  beau  dans  la  nature,  manifesté 
dans  la  Heur  la  plus  simple,  excita  toujours  son  admiration. 
M.  Pronier  passa  chez  Guyot  la  journée  du  26  septembre.  Les 
impressions  que  lui  laissa  «  notre  bon  compatriote  »,  comme 
il  l'appelle,  consignées  dans  une  de  ses  lettres,  sont  bonnes  à 
recueillir:  ^  Que  d'esprit,  de  grâce,  de  savoir!  Le  professeui' 
me  conduit  pai'tout  dans  le  Collège,  et  ne  se  lasse  pas  de 
répondre  à  mes  questions.  Il  me  raconte  sa  vie,  le  progrès 
de  ses  idées,  ses  succès,  sa  méthode.  C'est  toute  une  philo- 
sophie, basée  sur  les  faits,  et  embrassant  depuis  la  géologie 
jusqu'au  christianisme.  Connaissances  positives,  esprit  géné- 
ralisateur,  penseur  aimable  et  sans  pédantisrae,  le  professeur 
Guyot  est  l'un  des  hommes  les  plus  agi'éables  que  j'aie  ren- 
contrés, sans  compter  l'instruction  que  nous  donne  sa  con- 
versation !  » 

Les  autres  Suisses  qui  le  visitèrent  là  en  rapportèrent  les 
mêmes  impressions.  «  H  habitait,  »  écrit  M.  le  professeur  L. 
Wuarin,  «  une  charmante  maison  du  type  de  celles  que  Ton 
rencontre  en  Amérique,  aussitôt  que  l'on  a  quitté  les  grandes 
villes.  Je  revois  d'ici  celte  gracieuse  maison  blanche  entou- 
rée de  plantes  grimpantes  et  dont  la  terrasse  se  prolongeait 
en  un  petit  jardin,  où,  au  milieu  des  rosiers  en  fleurs,  ve- 
naient s'ébattre  les  petits  oiseaux  qui,  là-bas  comme  chez 
nous,  connaissent  ceux  qui  les  aiment  et  ne  donnent  leui' 
confiance  qu'à  bon  escient.  Je  me  rappelle  que  jM.  Guyot 
attii'a  mon  attention  sur  la  coloration  chaude  et  vive  de  ces 
aimables  hôtes,  et  me  fît  observer  combien,  à  cet  égard,  ils 
diflfèi-ent  de  leurs  congénères  de  Suisse.  Chaque  fois  que  j'eus 
le  privilège  de  le  rencontrer,  il  me  parla  de  la  Suisse  en 
Américain'  qui  n'avait  pas  oublié  son  pays  d'origine. Sa  figure 
maigre,  où  il  y  avait  tant  de  finesse,  me  disait  que  j'avais 
affaire  à  un  ressortissant  de  notre  Jura.  Il  aimait  à  se  rappe- 
ler ses  voyages  scientifiques  dans  nos  montagnes,  quoiqu'il 
en  eût  fait  bien  d'autres  depuis  et  de  bien  plus  considérables. 
Tout  ce  qui  se  passait  en  Suisse  l'intéressait  ;  il  aimait  à  s'en- 
tretenir de  ses  anciens  amis  de  Neuchàtel.  Je  ne  l'ai  entendu 
en  public  que  dans  une  seule  occasion,  dans  une  allocution 

'  Il  s'était  fait  naturaliser  citoyen  américain  en  1860. 


44  VIE   ET   TRAVAUX 

prononcée  aux  conférences  de  l'Alliance  évangélique  à  New- 
York;  je  vois  encore  l'immense  auditoire  suspendu  au 
mince  lîlet  de  voix  qui  s'échappait  de  ses  lèvres,  limpide 
comme  une  source  de  montagne.  » 

C'est  de  sa  modeste  habitation  de  Piinceton,  que  sortirent 
les  cartes  et  les  manuels  que  Guyol  avait  pris  l'engagement 
de  rédiger  pour  les  instituteurs  elles  élèves  des  Etals-Unis'. 
La  connaissance  qu'il  avait  acquise  de  ces  écoles  lui  avait 
montré  combien  les  cartes  étaient  pauvres,  et  les  géogra- 
phies sèches  et  peu  naturelles,  et,  pendant  neuf  années,  à 
côté  de  son  professorat,  il  s'efforça  de  remédier  au  mal,  aidé 
il'habiles  coopérateurs  parmi  lesquels  je  signalerai  spé- 
cialement, pour  les  cartes,  son  neveu,  M.  Ernest  Sandoz,  mon 
ami,  et,  pour  les  manuels,  Miss  Mary  H.  Smith. 

Il  commença  par  consacrer  une  grande  pièce  de  sa  maison 
à  un  atelier  cartographique.  M.  Sandoz,  qui  avait  émigré 
avec  son  oncle  en  1848,  et  avait  été  son  collaborateur  dans 
d'autres  travaux  dont  nous  aurons  à  pailer  ci-après,  s'était 
préparé,  pendant  deux  années,  à  Gotha,  sous  la  direction  du 
D'' Pelermann,  à  la  rédaction  des  cartes;  il  était  devenu  un 
dessinateur  habile  et  consciencieux,  et,  établi  auprès  de  son 
oncle,  il  lui  prêta  un  précieux  concours  pour  les  nombreuses 
cartes  dressées  en  vue  de  l'enseignement. 

La  première  chose  à  fournir  aux  instiluteui's,  était  les  car- 
tes muiales,  sans  lesquelles  les  meilleurs  manuels  eussent  été 
de  peu  de  profit.  Tenant  compte  de  la  nécessité  imposée  par 
la  grandeur  des  locaux,  Guyot  en  prépara  trois  séries  de  dif- 

'  L'établissement  de  l'École  normale  du  New-Jersey,  fondée  la 
même  année  à  Trenton,  capitale  de  cet  État,  et  dans  laquelle 
Guyot  fut  chargé  d'enseigner  sa  science  favorite,  lui  facilita  l'accom- 
plissement de  ses  engagements.  Il  fut  en  effet  autorisé  à  pourvoir 
l'école  de  toutes  les  cartes  et  dessins  nécessaires  à  son  enseigne- 
ment. Ses  rapports  avec  les  éducateurs  dans  la  Nouvelle-Angle- 
terre et  les  États  du  centre,  ses  cours  aux  institutions,  aux  écoles 
normales,  aux  collèges  et  dans  les  sociétés  savantes,  avaient  pro- 
voqué le  besoin  de  moyens  supérieurs  à  ceux  que  l'on  possédait  jus- 
que-là. Aussi  la  maison  Ch.  Scribner  et  C°  jugea-t-elle  le  moment 
venu  de  faire  avec  Guyot  un  arrangement,  qui  a  doté  l'Amérique 
de  ressources  d'instruction  qui  n'ont  été  surpassées  chez  aucune 
autre  nation  du  globe. 


d' ARNOLD    GUYOT.  45 

férents  formats  :  petit,  moyen  et  grand  ',  pour  les  États-Unis, 
les  Hémisphères,  l'Amérique  du  Nord,  l'Amérique  du  Sud, 
l'Asie,  l'Afrique,  l'Europe,  la  Terre  d'après  la  projection  de 
Mercator,  l'Océanie,  et  trois  cartes  classiques  de  la  Grèce 
ancienne,  de  l'Italie  ancienne  et  de  FEmpire  romain. 

Se  proposant  de  peindre  aux  yeux  des  élèves  les  grands 
traits  caractéristiques  de  la  structure  des  continents  et  leurs 
rapports  avec  les  divisions  politiques  des  différents  États,  il 
construisit  des  cartes  tout  à  fait  originales,  pour  lesquelles  il 
profita  de  tous  les  matériaux  géographiques  les  meilleurs 
parus  jusqu'alors.  Il  eut  le  bonheur  de  rencontrer,  dans  la 
maison  de  MM.  Charles  Scribner  et  C°,  des  éditeurs  qui 
ne  désiraient  qu'une  chose,  doter  les  écoles  américaines 
de  cartes  excellentes,  sans  tenir  compte  des  frais,  et,  grâce 
à  ce  concours  précieux,  il  put  fournir  des  cartes  qui  se  dis- 
tinguent par  la  correction,  la  clarté,  la  simplicité,  l'impor- 
tance donnée  aux  trails  physiques.  Il  adopta  un  système  de 
couleurs  qui  lui  permit  d'exprimer,  d'une  manière  très 
nette,  plaines,  plateaux,  montagnes,  vallées,  rivières,  hau- 
teurs, en  un  mot  tous  les  traits  physiques  dé  la  surface  de  la 
terre  ;  il  eut  soin  d'accompagner  chaque  carte  de  profils,  qui 
permettent  de  voir  d'un  coup  d'œil  la  structure  de  chaque 
continent.  En  outre  il  publia,  à  l'usage  des  maîtres,  une  clef 
pour  ses  cartes  murales  avec  des  diagrammes,  ainsi  que  les 
instructions  pour  le  dessin  des  continents. 

'  Cartes  physiques  et  politiques,  dessinées  sous  la  direction  d' A. 
Guyot,  par  E.  Sandoz. 

Pieda.  Pieds.  Pieds. 

États-Unis,  en  sections —          4X5  6X8 

Hémisphères 3X4         5X6  — 

Amérique  du  Nord  .  . 2X3         4X5  5X6 

Amérique  du  Sud 2X3         4X5  5X6 

Asie 2X3        4X5  6V2X6'/2 

Afrique 2X3         4X5  5X6 

Europe 2X3        4X5  6X8 

La  terre  (proj.  Mercator) 2X3           —  10X6 

Océanie 2X3        4X5  4X5 

Cartes  classiques. 

Grèce  ancienne  (av.  Athènes  ancienne) 6X8 

Italie  (av.  Rome  ancienne) 6X8 

Carte  de  l'Empire  romain 6X8 


46  VIE   ET   TRAVAUX 

Les  caries  classiques  du  momie  ancien  rendent  aussi  de 
grands  services,  non  seulement  aux  instituteurs  chargés  plus 
spécialement  d'enseigner  la  géographie,  mais  encore  aux 
pi'ofesseurs  des  lettres,  et  même  au  professeur-  d'histoire 
ecclésiastique,  pour  l'enseignement  duquel,  m'a  dit  M.  le 
professeur  Mofïat,  celle  de  l'Empire  romain  lui  est  d'un  grand 
secours. 

La  méthode  préconisée  pai-  Guyot,  réclamant  les  cartes 
comme  base  de  tout  enseignement  géogi'aphique,  c'était  par 
elles  qu'il  fallait  commjencer,  puisque  sans  elles  cet  enseigne- 
ment était  tout  simplement  impossible.  Mais  il  ne  perdait 
pas  de  vue  les  manuels  gradués  que  les  maîtres  lui  avaient 
demandés  et  qu'il  s'était  engagé  à  leur  fournir,  pourdonnei', 
sur  les  diverses  contrées  du  globe  et  sur  leurs  habitants,  les 
renseignements  détaillés  que  les  cartes  ne  peuvent  procurer. 
Toutefois,  pendant  que  ses  heures  de  loisir  étaient  employées 
à  la  construction  des  cartes,  il  lui  eût  été  impossible  de  rédiger 
le  texte  des  manuels.  Une  autre  difficulté  se  présentait.  Les 
premiers  manuels  à  fournir  devaient  être  une  Introduction 
à  l'étude  de  la  géographie  et  une  Géographie  pour  les  écoles 
publiques  (Common  Scliools),  plus  développée  que  l'ouvrage 
précédent,  et  pour  les  élèves  qui  quittent  l'école  avant  l'âge 
de  14  ans.  La  gradation  dans  les  écoles  américaines  étant  loin 
d'être  uniforme,  il  fallait,  outre  le  manuel  élémentaire,  en 
rédiger  un  qui  répondît  aux  besoins  très  divers  de  ces 
écoles.  Encore  fallait-il  le  faire  dans  un  anglais  exempt 
de  toute  incorrection,  pour  ne  fournir  aucun  prétexte 
de  critique  aux  adversaires  de  la  méthode  qui  substi- 
tuait à  la  routine  l'enseignement  naturel  et  rationnel.  Et 
surtout  il  fallait  que  la  forme  du  langage  répondît  parfaite- 
ment aux  besoins  des  esprits  des  élèves  de  ces  degrés  élémen- 
taires. Accoutumé  à  parler  à  des  étudiants,  à  des  adultes,  à 
des  instituteurs,  comment  trouver,  pour  ce  degré  de  l'ensei- 
gnement, le  langage  à  travers  lequel  la  pensée  du  maître 
pourra  atteindre,  sans  obscurité,  ni  équivoque,  l'esprit  du 
jeune  élève'?  En  cherchant  à  obvier  cà  ces  difTicultés,  Guyot 
eut  le  bonheui'  de  rencontrer  une  personne  tout  à  fait  qua- 
lifiée pour  devenir  son  aide,  et  pour  assurer  le  succès  de  la 
méthode.  Miss  Mary  H.  Smith,  que  ses  succès  dans  l'ensei- 


d'arnold  guyot.  47 

gnement  de  la  géographie  à  l'école  normale  d'Oswego 
avaient  signalée  à  l'attention  d'un  grand  nombre  d'amis  de 
l'éducation.  Attachée  aux  principes  de  Pestalozzi,  elle  était 
parfaitement  préparée  à  entrer  dans  les  vues  de  notre  com- 
patriote, dont  elle  consentit  à  devenir  l'élève,  et  dans  la  de- 
meure duquel  elle  passa  plus  de  dix-huit  mois,  à  recevoir  ses 
directions.  La  connaissance  qu'elle  avait  de  l'esprit  et  du 
langage  des  enfants  d'une  part,  et  des  habitudes  et  des  be- 
soins des  salles  d'école  d'autre  part^  engagèrent  le  maître  à 
lui  céder  la  plume  de  la  rédaction.  Ensorte  que  ces  deux 
ouvrages,  écrits  sous  les  yeux  de  Guyot,  et  revus  par  lui,  ont 
acquis  à  Miss  Mary  Smith,  outre  la  reconnaissance  de  l'au- 
teur, celle  de  tout  le  public  américain.  Les  éditeurs,  MM.  Ch. 
Scribner  et  G",  ne  déployèrent  pas  moins  de  libéralité  dans  la 
publication  des  deux  volumes  que  dans  celle  des  cartes  mu- 
rales, et  n'épargnèrent  ni  peines  ni  argent  pour  en  assurer 
la  parfaite  exécution  dans  tous  les  détails. 

Le  but  de  Y  Introduction  à  l'étude  de  la  géographie,  est  de 
remplir  Tesprit  des  jeunes  élèves  de  tableaux  de  la  nature 
des  régions  du  globe  qui  peuvent  être  considérées  comme 
de  grands  types  géographiques  ;  de  leur  fournir  des  notions 
aussi  correctes  que  possible  des  formes  géographiques  fon- 
damentales de  terre  et  d'eau,  avec  les  termes  sous  lesquels 
elles  sont  désignées,  afin  que,  lorsqu'ils  emploient  ces  ter- 
mes, ils  puissent  toujours  y  attacher  une  idée  distincte;  de 
leur  donner  une  idée  de  la  manière  de  représenter  des  por- 
tions de  la  surface  de  la  terre  par  des  cartes,  afin  de  les  pré- 
parer à  faire,  de  la  carte  elle-même,  un  objet  d'étude,  comme 
ils  devront  le  faire  dans  le  degré  suivant;  enfin  d'éveiller  le 
désir  d'études  subséquentes,  et  en  même  temps  de  dévelop- 
per les  facultés  de  la  perception  et  de  l'imagination  qui  se- 
ront constamment  exercées  dans  cet  enseignement.  Sous  la 
forme  de  voyages,  le  maître  présente  successivement  les 
régions  caractéristiques  du  globe,  en  s'efïorçant  de  placer, 
autant  que  possible,  l'élève  dans  la  nature  qu'il  étudie,  de 
manière  qu'il  se  sente  comme  au  milieu  d'elle,  et  que,  dans 
son  esprit,  il  se  forme  une  image  de  la  réalité.  Ce  n'est  qu'a- 
près avoir  fait  connaissance  avec  la  nature,  qu'il  étudiera  les 
signes  conventionnels  par  lesquels  elle  est  représentée  sur 
la  carte. 


48  VIE   ET   TRAVAUX 

Ce  premier  ouvrage  était  préparé  pour  des  enfants  au- 
dessous  de  9  ans,  et  rédigé  dans  un  langage  assez  simple 
pour  qu'aucun  d'eux  pût  ne  pas  le  comprendre.  Nous  n'avons 
pas  besoin  de  dire,  qu'à  cha<iue  page,  des  illustrations  bien 
choisies,  et  d'une  excellente  exécution  typogi-apbique,  met- 
tent devant  l'esprit  de  l'enfant  la  nature  danslaquellele  maî- 
tre s'efforce  de  le  faire  vivre,  —  sans  paiier  du  papier  ni  de 
l'impression  qui  ajoutent  encoi-e  à  la  beauté  de  l'ouvrage, — 
et  font  de  ce  premier  volume  mis  entre  les  mains  des 
élèves  de  6  à  9  ans,  pour  l'élude  préparatoire  de  la  géogra- 
phie, un  objet  d'envie  de  notre  part,  si  nous  lui  comparons 
ce  qu'ont  les  nôtres  au  même  degré  d'étude,  dans  la  plupail 
de  nos  cantons  suisses,  en  Allemagne,  même  en  France  et  en 
Angleterre. 

La  Géographie  pour  tes  écoles  publiques  {Conwion  Scliool 
Geography)  suivit  de  près  V Introduction.  Le  but  en  est  de 
formerles  élèves  de  neuf  ans  et  au-dessus,  à  l'étude  détail- 
lée et  précise  des  cartes  des  ditïérenls  continents,  afin  de 
leur  fournir  une  base  ferme  pour  toutes  les  connaissances 
géographiques  qu'ils  pouri'ont  acquérir  plus  tard,  de  leur 
donner  un  résumé  convenable  des  faits  principaux  que  ré- 
vèle cette  étude  des  caries,  et  de  leur  inculquer  ce  qu'il  y  a 
de  plus  important  à  apprendre  dans  la  géographie  des  États 
et  des  nations.  En  d'autres  termes,  la  Common  School  Geo- 
graphy se  propose  de  donner  aux  élèves  auxquels  leurs  cir- 
constances permettent  de  recevoii-une  instruction  complète, 
une  base  pour  une  étude  supérieure  de  la  géographie,  et  de 
fouinir  à  ceux  dont  les  années  d'études  doivent  être  limi- 
tées, un  noyau  autour  duquel  les  divers  faits  concernant  les 
parties  principales  de  la  terre  et  leurs  populations  qu'ils  ap- 
prendront à  connaître  par  leurs  lectures  subséquentes,  vien- 
dront se  ranger,  de  manière  à  enrichir  constamment  leur 
esprit,  et  en  définitive  à  leur  procurer  une  connaissance 
étendue  et  intelligente  de  la  terre  et  de  ses  habitants. 

De  nomtireux  exercices  sont  insérés  dans  ce  volume,  pour 
cultiver  chez  l'élève  la  faculté  de  penser,  en  l'amenant,  par 
l'exercice  de  sa  pi'opre  intelligence,  à  découvrir,  autant  que 
possible,  les  faits  qu'il  doit  apprendre,  au  lieu  de  les  confier 
purement  à  sa  mémoire  d'une  façon  l'outinière,  et  en  outre 
pour  le  rendre  capable  de  comprendre  à  fond  ce  qu'il  doit 
appr-endre,  avant  de  le  confier  à  sa  mémoire. 


U 'ARNOLD    GUYOT.  49 

Pour  ceux  des  élèves  qui  ne  pourronl  pas  continuer  leurs 
études  au  delà  de  l'âge  de  13  ou  14  ans,  ce  volume  renferme 
une  partie  spéciale  consacrée  aux  Étals-Unis,  car  il  est  désira- 
ble qu'ils  possèdent,  de  leur  propre  pays,  une  connaissance  plus 
détaillée  que  celle  qu'on  peut  leur  fournir  dans  une  étude 
générale  des  continents.  Il  y  est  joint  aussi  une  partie  sur  la 
géogi'aphie  astronomique  et  mathématique. 

Dans  le  corps  même  de  l'ouvrage,  l'étude  de  chaque  con- 
tinent est  accompagnée  de  directions  sur  la  construction  de 
sa  carte  et  de  questions  propres  à  montrer  comment  il  faut 
l'interroger,  afin  d'en  retirer  tout  le  profit  pour  lequel  elle  a 
été  dressée,  ainsi  que  de  tableaux  statistiques  de  la  grandeur 
relative  des  continents  et  des  océans,  de  la  longueur  de  la 
ligne  de  côtes  de  chaque  continent  comparée  à  sa  superficie, 
des  rapports  entre  le  chiffre  de  la  population  et  les  princi- 
paux États  du  monde,  de  la  population  des  villes  les  plus 
importantes  du  globe,  de  celle  des  États-Unis  et  des  Terri- 
toires d'après  les  recensements  de  4870  et  de  1880. 

Le  premier  manuel:  Introduction,  était,  à  propi'ement 
parler,  un  livre  illusti'é,  destiné  à  accompagner  et  à  diriger 
l'enseignement  oral.  L'expérience  fit  sentir  le  besoin  d'un 
ouvrage  plus  petit,  qui  ne  contmt  que  ce  qui  devait  être 
imprimé  dans  la  mémoire  et  quelques  détails  relatifs  aux 
cartes,  surtout  pour  les  écoles  dans  lesquelles,  par  le  fait  de 
leur  organisation,  la  méthode  de  l'enseignement  oral  n'est 
pas  possible;  pour  celles-ci  fut  rédigée  la  Géographie  élémen- 
taire. Dans  le  choix  des  matières,  l'auteur  se  borna  aux  États- 
Unis  et  aux  contrées  le  plus  en  rapport  avec  eux,  soit  par  le 
commerce,  soit  par  d'autres  causes.  Il  fit  cependant  une 
exception  pour  les  pays  qui  fournissent  des  types  de  climats 
spéciaux  ;  ainsi,  pour  l'Amérique  anglaise  centrale  et  septen- 
trionale, type  des  climats  d'un  froid  tempéré,  et  de  la  vie 
végétale,  animale  et  humaine  qui  leur  est  associée;  de  même, 
pour  le  Brésil,  type  du  climat  tropical  humide,  et  pour  le 
Sahara,  type  du  climat  tropical  sec. 

Notre  compatriote  ne  considérait  pas  son  oeuvre  comme 
achevée  par  la  production  des  cartes  et  des  trois  manuels 
sus-mentionnés.  L'enseignement  supérieur  devait  avoir  les 
.siens.  Toutefois,  avant  de  lui  permettre  de  les  rédiger,  les 
instituteurs  lui  en  demandèrent  un  pour  la  grande  masse 


50  VIE   ET   TRAVAUX 

d'élèves  des  degrés  intermédiaires  des  écoles  des  villes  amé- 
ricaines qui  précèdent  l'instruction  académique.  Ces  élèves 
ont  surtout  liesoin  de  connaîtie  la  topographie,  les  relations 
commerciales,  l'importance  industrielle  et  commerciale  des 
pays  civilisés  et  des  villes  populeuses,  et  aussi  les  voies  natu- 
relles de  commerce  ouvertes  par  de  gi-ands  neuves,  par  des 
lacs  et  des  mers  intérieures. 

Appelé  à  répondre  à  ce  besoin,  Guyot  rédigea  la  Géogra- 
phie intermédiaire,  dans  la(|uelle,  pour  l'étude  de  la  géogra- 
phie commerciale  et  industrielle,  se  trouvent  les  données 
relatives  aux  productions,  à  l'exportation,  à  l'étendue  du 
commerce  de  chaque  pays;  à  la  fin  de  l'étude  de  cliaque  con- 
tinent, il  ajouta  une  classification  de  ses  villes  d'après  la  po- 
pulation, un  résumé  de  son  commerce,  l'indication  de  ses 
pi'incipaux  pays  commerçants,  le  genre  de  produits  qui  en 
sont  expédiés  par  les  voies  générales  du  commerce,  les  con- 
trées d'où  ils  proviennent  et  les  ports  où  on  les  transporte. 

Les  manuels  dont  nous  avons  parlé  jusqu'ici  renfermaient, 
pour  la  forme  et  le  fond,  un  enseignement  répondant  au 
premier  degré  du  développement  intellectuel  des  élèves,  où 
domine  Vintuition.  Les  deux  ouvrages  subséquents,  Grainmar 
School  et  Physical  Geography  furent  rédigés  pour  les  degrés 
supérieurs,  où  dominent  rrt/ia///.se  et  Va  synthèse.  Dans  le  pre- 
mier, Tauteur  donne  une  descri[)tion  générale  des  traits  carac- 
téristiques de  chaque  pays,  après  quoi,les  faits  statistiques  sont 
classés  sous  leurs  difïérents  rapports  et  d'après  leur  valeur  re- 
lative. L'étudiantpeut  ainsi  faire  une  comparaison  intelligente 
de  la  distribution  de  la  richesse  sociale  et  delà  civilisation  dans 
les  divers  pays  du  monde.  Il  peut  comprendre  la  raison  de 
la  position,  de  la  croissance,  de  l'infiuence  politique,  militaire 
ou  commerciale  des  villes  ;  et  tous  ces  faits  qui,  présentés 
isoléuient,  sont  secs  et  s'oublient  vite,  acquièrent  pour  lui  un 
sens  qui  s'imprime  dans  sa  mémoire^  et  fait  d'eux  une  partie 
du  trésor  de  ses  connaissances.  A  ce  degré  de  l'enseigne- 
ment, le  nombre  des  cartes,  déjà  considérable  dans  les 
manuels  antérieurs,  augmente  encore*;  leur  nature  change 
aussi,  car  eUes  doivent  fournir  aux  étudiants  toutes  les  don- 
nées sur  les  points  indiqués  ci-dessus.  A  elles  seules  elles 

'  La  Grammar  School  Geography  renferme  36  cartes. 


d'arnold  guyot.  51 

conslitueraienl  un  atlas;  toutes  sont  des  cartes  originales, 
dressées  avec  le  plus  grand  soin,  sans  égard  aux  frais,  d'après 
les  sources  d'information  les  meilleures  et  les  plus  récentes. 
Leur  exécution  témoigne  également  de  la  libéralité  des  édi- 
teurs pour  celte  partie  de  l'ouvrage,  dont  l'impression  et  les 
illustrations  ne  le  cèdent  point  h  celles  des  volumes  anté- 
rieurs. 

Reste  encore  comme  coui'onnement  des  ouvrages  relatifs 
à  la  réforme  de  l'enseignement  de  la  géographie,  la  P/iysical 
Geography,  par  laquelle  notre  compatriote  a  clos  la  série  des 
manuels  qu'il  s'était  engagé  à  pi-éparer  pour  les  écoles.  Ici  le 
corps  matériel  de  notre  globe  avec  son  atmosphère,  les  my- 
riades de  plantes  et  d'animaux  qui  le  peuplent,  et  l'homme 
lui-même,  ne  sont  plus  considérés  en  eux-mêmes,  mais  au 
point  de  vue  de  leurs  relations  mutuelles,  concourant  vers  un 
but  commun.  Sui-  la  base  solide  des  phénomènes  obsei-vés, 
l'homme  veut  parvenir  h  découvrir  les  lois  qui  les  régissent. 
La  Phj/sicnl  Geography  ne  se  propose  pas  de  les  exposer 
toutes  ;  la  jeunesse  des  Académies  ne  possède  pas  encore  les 
connaissances  nécessaires  pour  comprendre  un  traité  com- 
plet de  géographie  physique.  Mais,  à  notre  époque  d'instruc- 
tion universelle,  ce  serait  une  faute  grave  d'envoyei'  dans  la 
vie  active  la  multitude  des  jeunes  gens  qui  sortent  de  l'en- 
seignement secondaire,  sans  quelque  connaissance  des  lois 
de  ces  phénomènes  au  milieu  desquels  nous  vivons  et  nous 
nous  mouvons.  Le  marin  sur  l'Océan  orageux,  l'agriculteur 
dans  son  domaine,  le  commerçant  qui  embrasse  le  monde 
dans  ses  enh-eprises,  l'homme  d'État  prévoyant,  tous  onl  un 
intérêt  direct  à  connaître  le  cours  des  vents,  la  loi  de  dislri- 
bution  de  la  chaleur  et  des  pluies  qui  règle  l'abondance  ou 
la  pauvreté  des  récoltes,  détermine  la  nature  spéciale  des 
productions  utiles  dans  chaque  partie  du  globe  habitable  et, 
en  conséquence,  les  ressources  et  les  échanges  des  nations 
civilisées. 

L'auteur  se  proposa  donc  de  fournir  aux  élèves  des  degrés 
supérieurs  une  esquisse  générale  de  géographie  physique, 
qui,  par  sa  simplicité  et  sa  précision,  leur  fournît,  dans  le 
temps  limité  qu'ils  peuvent  consacrer  à  celte  étude,  la  somme 
d'informations  générales  qu'ils  doivent  posséder.  Il  s'efforça 
de  rempUr  sa  tcàche  sans  sacrifier  le  caractère  spécial  de  la 


52  VIE    ET    TRAVAUX 

science,  en  piésenlant  toules  les  parties  du  sujel  clans  leurs 
lelalions  réelles;  elles  formenl  un  corps  de  faits  fortement 
unis  par  les  liens  d'une  mutuelle  dépendance,  dont  il  est 
facile  de  garder  le  souvenir,  et  en  même  temps  elles  posent 
une  base  solide  pour  les  progrès  à  venir. 

Dans  ctiacune  des  parties  de  l'ouvi'age,  Guyot  a  maintenu 
un  point  de  vue  strictement  géographique.  Il  n'a  emprunté 
aux  sciences  sœurs,  la  géologie,  la  philosophie  naturelle,  la 
météorologie,  cjue  les  faits  et  les  principes  nécessaires  à 
rilluslration  des  phénomènes  géograpliiqnes.  Ici  encore  des 
cartes  spéciales,  au  nombre  de  2U,  ont  été  préparées  avec 
soin,  pour  présenter  aux  yeux  des  éludiants  les  résultats 
acquis  jusqu'à  aujourd'hui  dans  celte  partie  de  la  science. Et, 
comme  toujours,  les  éditeurs  n'ont  rien  épargné  pour  que 
l'ouvrage  répondît  h  son  but,  et  pour  que  ceux  auxquels  il 
était  destiné  pussent  en  retirei'  tout  le  profit  désii'able. 

Ce  volume  représente  le  plus  élevé  des  trois  degrés 
d'étude  auxquels  l'auteur  a  fait  allusion  plus  haut.  L'expé- 
rience a  prouvé  que,  dans  les  mains  d'instituteurs  bien  pré- 
parés, l'usage  de  ces  divers  manuels  conduit  les  élèves  au 
but  facilement,  par  degrés  et  d'un  pas  sûr.  L'approbation 
complète  des  meilleurs  éducateurs  dans  les  deux  mondes  est 
acquise  à  la  méthode  sur  laquelle  ils  reposent.  C'était  une 
douce  récompense  pour  notre  compatriote,  qui  y  avait  con- 
sacré les  loisirs  de  son  professorat  pendant  18  années.  Il  eût 
désiré  préparer  un  volume  d'un  degré  supérieur  encore 
pour  le  grand  public  scientifique.  Mais  la  possibilité  ne  lui  en 
a  pas  été  accordée. 

Quoi  qu'il  en  soif,  par  ses  premières  conférences,  et  surtout 
par  son  enseignement  aux  instituteurs  et  par  ses  manuels  à 
t(ms  les  degrés,  comme  par  ses  cartes  murales,  — les  caries 
murales  sont  au  nombre  de  30,  et  les  manuels  en  renferment 
une  centaine,  sans  compter  les  duplicata  employés  dans  plus 
d'un  volume  —  Guyot  a  ti-ansformé  l'enseignement  de  la 
géographie  dans  le  Nouveau  Monde.  Je  laisse  ici  la  parole  à 
M.  W.xM.F.  Phelps  A.  M.,  président  de  la  première  école  nor- 
male du  Minnesota,  qui  écrivait  en  1871  : 

«  En  aucune  bi-anche  d'instruction,  le  progrès  n"a  été  aussi 
marqué,  dans  nos  écoles  américaines,  pendant  les  20  der- 
nières années,  que  dans  la  géographie.  Pour  s'en  couvain- 


d'arnold  guyot.  53 

cre,  il  suffit  de  comparer  les  manuels  et   les  caries  d'alors, 
avec  les  ouvrages  que  l'on  trouve  maintenant  dans  nos  meil- 
leures écoles.  Ce  fait  constitue  une  des  pages  les  plus  glo- 
rieuses dans  l'histoire  de  l'éducation  améiicaine.  En  échange 
d'un  enseignement  sec,  de  faits  puérils  et  sans  accord,  nous 
avons  vu  la  géographie  fondée  sur  la   hase  solide    d'une 
science  exacte.  Au  lieu  d'une  multitude  de  détails  superfi- 
ciels et  de  fragments  détachés  concernant  les  divisions  natu- 
relles et  politiques  de  la  terre,  sans  aucun  rapport  philoso- 
phique les  uns  avec  les  autres,  nous  avons  maintenant  la 
science  du  globe.  Les  enfants  de  nos  écoles  peuvent  ahoi'der 
l'étude  de  la  terre  comme  celle  d'un  organisme,  comme  le 
théâtre  des  sociétés  humaines,  adapté  par  les  soins  d'une 
sage  Providence  aux  besoins  de  l'homme,  travaillant  3  ré- 
soudre le  problème  du  développement  et  du  progrés  pour 
lequel  il  a  été  créé.  Au  lieu  d'un  effort  fatigant  et  inutile  de 
la  mémoire,  l'étude  est  devenue  une  gymnastique  ration- 
nelle pour  pi'esque  toutes  les  facultés  de  l'esprit.  Elle  fortifie 
rintelligence,  stimule  le  sentiment   en  amenant  l'élève  à 
adorer  rintelligence  intinie  qui,  à  travers  les  longs  siècles 
du  passé,  a  si  sagement  tout  préparé  pour  le  bien-être  et  le 
bonheur  de  ses  créatures,  dans  la  formation  et  dans  la  déco- 
ration de  leur  habitation  terrestre.  C'est  au  professeur  Ar- 
nold Guyot,  de  FAcadémie  de  Neuchâtel,  en  Suisse,  que  les 
amis  de  l'éducation  en  Amérique  sont  redevables,  pour  cette 
révolution  dans  renseignement,   d'une   gratitude  dont   ils 
ne  pourront  jamais  s'acquitter   assez.  Nous  nous  souvien- 
drons toujours  de  l'inspiration  nouvelle  que  nous  a  donnée 
la  lecture  de  son  volume  :  Earth  and  Mail.  Nous  nous  rap- 
pelons les  signes  de  mécontentement  des  partisans  de  l'an- 
cien enseignement,  au  moment  où  il  parut,  précurseur  de  la 
révolution  qui  a  suivi  son  enseignement  dans  les  écoles  nor- 
males et  la  publication  de  la  série   de  ses  manuels.  Pour 
ceux  qui,  sans  préjugés  et  désintéressés,   peuvent  passer  en 
revue  l'histoire  de  ce  mouvement  dès  son  début  en  1849,  le 
changement  est  vraiment  merveilleux.  Quand  je  rêvais  à  ces 
plans  avec  mon  ami,  il  y  a  plus  de  15  ans,  j'osais  à  peine 
espérer  vivre  assez  longtemps  pour  voir  ce  que  mes  yeux 
voient,  et  je  crois,  qu'en  aucun  autre  pays,  un  change- 
ment aussi  considérable  n'eût  été  possible.  C'est  Guyot  qui  a 


54  VIE    ET   TRAVArX 

élé  le  pionnier  dans  celte  grande  réforme.  En  outre,  il  a 
suscité  une  légion  de  copistes  et  d'imitateurs.  11  a  obligé 
maints  auteurs  à  reviser  et  à  perfectionner  leurs  méthodes 
antérieures.  Mais,  par  ses  elïorts  pour  élever  le  niveau  de 
l'éducation,  comme  par  ses  publications  de  cartes  et  de  ma- 
nuels répandus  partout  en  Amérique,  il  est  hors  de  pair 
pai-mi  les  auteurs  d'ouvrages  scolaires  dans  cette  branche 
d'étude.  » 

Pai-mi  les  nombreux  écrits  auxquels  le  nouvel  espi'it 
apporté  à  cet  enseignement  a  donné  naissance,  je  n'en  men- 
tionnerai qu'un:  le  Geographical  Reader  and  Primer,  édité 
par  M.Sci'ibnei-,  d'après  [Introduction  de  Guyot.  C'est  un  livre 
de  lecture  des  plus  attrayants  et  des  plus  intéressants,  et  en 
même  temps  une  courte  esquisse  de  géographie  pour  les 
commençants.  La  forme  en  est  telle,  qu'elle  rend  impossible 
la  répétition  pure  et  simple  de  mots  sans  qu'il  s'y  rattache 
un  exercice  de  pensée. 

Les  Américains  ne  furent  pas  seuls  à  reconnaître  le  mérite 
des  travaux  de  notre  compatriote  et  à  lui  en  témoignei-  leur 
gratitude.  Lors  de  l'Exposition  universelle  de  Vienne,  en 
1873,  le  Jury  lui  accorda  la  médaille  de  progrès  pour  ses 
cartes  et  pour  ses  manuels,  et,  à  l'Exposition  de  Paris,  en 
1878,  ses  travaux  géographiques  reçurent  la  médaille  d'or, 
la  plus  haute  récompense  décernée  par  le  Jury,  composé 
des  hommes  les  plus  compétents  en  matière  d'éducation. 

En  nous  réjouissant  pour  lui  et  pour  notre  patrie,  des 
honneurs  qui  lui  ont  été  décernés,  il  nous  est  impossible,  de 
ne  pas  regretter  amèrement,  pour  nos  enfants,  que  les  écoles 
de  noire  pays  n'aient  pas  encore  pu  profiter  des  avantages 
dont  jouissent,  depuis  bientôt  20  ans,  les  enfants  des  écoles 
américaines.  Je  ne  veux  pas  dire  que  nos  instituteurs  et  leurs 
élèves  n'aient  pas  de  bonnes  caiies,  ni  que  les  rédacteurs  des 
manuels  d'enseignement  en  usage  parmi  nous,  n'aient  pas 
cherché  à  adopter  la  méthode  naturelle  et  rationnelle,  con- 
forme aux  principes  éducatifs  de  Pestalozzi.  Dans  nos  précé- 
dentes sessions  à  Genève,  à  Zurich,  et  ce  matin  même,  nous 
avons  entendu  de  savants  mémoires  sur  l'enseignement  de 
la  géographie  dans  plusieurs  de  nos  cantons  soit  de  langue 
allemande,  soit  de  langue  française,sur  les  principes  de  l'en- 


D 'ARNOLD    GUrOT.  55 

seignement,  sur  la  lecture  des  caries  scolaires,  etc.  Cepen- 
dant un  simple  coupd'œil  comparatif  jeté  sur  les  instruments 
mis  entre  les  mains  de  nos  élèves,  et  sur  ceux  que  possèdent 
les  enfants  des  écoles  américaines,  suffll  pour  faire  compren- 
dre combien  les  nôtres  sont  moins  favorisés.  Pour  ceux-là, 
les  manuels  répondent  réellement  à  ce  que  doit  être  un  en- 
seignement de  la  géographie  intuitif,  graduel,  analytique  et 
synthétique.  Pour  les  nôtres,  avouons  qu'ils  voient  dans  les 
leurs  fort  peu  de  la  nature,  et  que  l'enseignement  qu'ils  y 
trouvent  s'adresse,  sous  la  même  forme,  à  peu  près  toujours 
à  la  même  faculté,  la  mémoire. 

Il  y  a  longtemps  que  le  sentiment  de  notre  infériorité  sous 
ce  rapport,  et  du  préjudice  qui  en  résulte  pour  nos  enfants, 
nous  préoccupe.  Déjà  en  1839,  dans  un  mémoire  présenté  à 
la  Société  genevoise  d'Utilité  publique,  M.  F.  M.  L.  Naville, 
avait  exprimé  le  vœu  qu'on  introduisît  dans  les  classes  du 
Collège,  un  cours  de  géographie  physique  pittoresque,  dans 
lequel  on  offrirait  aux  élèves  tout  ce  que  la  Suisse  présente 
de  plus  frappant,  de  plus  intéressant  pour  eux,  de  manière  à 
donner  à  leur  imagination,  tout  en  la  développant,  une  di- 
rection profitable  à  l'amour  du  pays.  Le  P.Girard,  à  Fribourg, 
aurait  voulu  que,  par  la  géographie  pittoresque  on  initiât  de 
bonne  heure  l'enfant  à  l'étude  de  la  nature.  Dès  que  nous 
fûmes  informés  des  travaux  de  notre  compatriote  pour  les 
écoles  primaires  des  États-Unis,  le  Comité  de  l'école  de 
jeunes  garçons  de  la  rue  des  Chanoines,  examina,  avec  le 
concours  de  M.  le  professeur  E.  Naville,  directeur  honoraire 
des  études,  les  deux  manuels  Introduction  et  Common  School 
Geograpfuj,  et  étudia  les  moyens  de  doter  les  écoles  de  notre 
pays,  tout  au  moins  celles  de  notre  Suisse  romande,  d'ins- 
truments analogues. 

La  première  chose  à  faire  était  d'exprimer  à  M.  Guyot  no- 
tre désir  de  pouvoir  prendre  ses  ouvrages  comme  base  d'en- 
seignement, et  de  lui  demander  l'autorisation  de  nous  en 
servir,  le  cas  échéant,  pour  faire  rédiger  des  manuels  d'après 
les  mêmes  principes,  si  nous  trouvions  un  géographe  qua- 
lifié pour  cela.  M.  Eugène  de  Budé,  alors  vice-président  du 
Comité  de  l'École  sus-mentionnée,  écrivit  à  notre  compatriote, 
qui  nous  répondit  par  la  lettre  dont  vous  me  permettrez  de 
vous  donner  lecture  : 


56  VIE    ET    TRAVAUX 

Lac  Tahoe,  Californie. 
Sommet  de  la  Sierra-Nevada. 
Monsieur,  28  mai  1871. 

C'est  du  sommet  des  Alpes  américaines  que  je  réponds  à 
votre  aimable  lettre  du  20  janvier,  bien  trop  tard  à  mon  gré, 
mais  un  long  temps  s'est  écoulé  avant  que  j'aie  pu  la  recevoir,, 
et  un  voyage  par  monis  et  vaux,  dans  ce  monde  si  neuf 
encore,  n'est  pas  favorable  à  la  correspondance. 

Permettez-moi  avant  tout  de  vous  exprimer  la  satisfaction 
que  j'éprouve  à  voir  la  méthode  d'enseignement  géographi- 
que que  j'ai  eu  le  plaisir  d'inaugurer  en  Amérique,  appré- 
ciée par  des  juges  aussi  compétents,  que  vous-même, 
M.  E.  Naville  et  les  membres  du  Comité  auxquels  vous  faites 
allusion.  Je  vous  en  remercie  sincèrement. 

La  publication  des  petites  géographies  qui  constituent  ma 
série  et  celle  des  cartes  murales,  grandes  et  petites  (j'en  ai 
publié  3  séries  de  diflférentes  grandeurs,  ensemble  près  de  30 
cartes),  a  été  entreprise  à  la  prière  d'un  grand  nombre  des 
membres  du  corps  enseignant  de  ditférents  États  de  l'Union. 
La  série  n'est  pas  encore  complète.  Jusqu'à  ce  moment  elle 
se  compose  des  petits  volumes  suivants:  1°  Primary  :  modèle 
d'enseignement  oral  pour  l'enfance;  2°  Eleme7itanj  :  livre 
d'école  du  même  degré  pour  les  écoles  comptant  de  nom- 
breux élèves;  3"  Intermediate  :  degré  suivant  ;  4'^'  Comwoié 
SchoolGeography,  plus  étendu,  pour  les  écoles  dont  les  élèves 
(juiltent  toute  étude  avant  14  ans. 

Au  printemps  prochain  paraîtra  une  Grammar  SchoolGeo- 
graphi/,  pour  les  élèves  plus  avancés,  puis  une  Géographie 
phtisique  (Physique  du  Globe)  élémentaire.  La  série  scolaire 
se  teiminera  par  un  High  School  Book,  dans  lequel  sera  trai- 
tée la  Géographie  en  rapport  avec  l'histoire  et  la  statistique. 

Vous  voyez  que  les  besoins  très  divers  des  écoles  améri- 
caines, dont  la  gradation  est  loin  d'être  uniforme,  demandent 
une  disposition  spéciale  des  matières  destinées  à  l'enseigne- 
ment. Je  me  ferai  un  plaisir  de  vous  envoyer  un  exemplaire 
de  chaque  ouvrage,  ainsi  qu'un  petit  volume  explicatif  de  la 
méthode,  et  vous  pourrez  juger  vous-même  quel  usage  vous 
pourrez  en  faire  pour  vos  écoles. 

En  m'imposant  la  laborieuse  tâche  que  j'ai  commencée, 
mon  but  a  été  le  perfectionnement  de  la  méthode  d'ensei- 


d'arnolu  guyot.  57 

gnement.  C'est  vous  dire  que  je  serai  heureux  de  voir  ce  que 
je  considère  comme  la  méthode  naturelle  en  géographie, 
adopté  dans  les  écoles  de  ma  chère  patrie.  Je  suis  donc  tout 
disposé  à  vous  donner  le  droit  de  traduction,  si  vous  vous 
décidez  à  reproduire  le  tout  ou  partie  de  ma  série  en  fran- 
çais poui"  l'usage  de  vos  écoles.  Quant  aux  droils  d'auteur, 
s'il  y  a  lieu,  je  vous  en  laisserai  absolument  juges. 

A  mon  relour  à  Princeton,  dans  quelques  semaines,  je 
m'empresserai  de  vous  expédier  les  volumes  dont  je  vous 
parle  plus  haut  et,  si  vous  le  jugez  convenable,  une  série  de 
mes  cartes  murales,  ou  du  moins  quelques  spécimens. 

Depuis  le  commencement  de  janvier,  je  suis  dans  celte  re- 
marquable Californie  dont  j'ai  exploré  une  grande  portion, 
en  invalide,  il  est  vrai,  pour  me  remettre  d'une  fatigue  de  tête 
Irop  prolongée,  mais  avec  les  yeux  ouverts  et  un  intérêtsans 
cesse  croissant.  J'ai  visité  les  chaînes  côtières  depuis  Monte- 
rey  jusqu'au  mont  Saint-Hélène  et  la  Sierra-Nevada,  Yose- 
mite  Valley,  les  arbres  géants  et  les  vallées  adjacentes.  Je  vais 
retraverser  lentement,  une  fois  encore,  le  continent,  m'arrê- 
lant  dans  les  Montagnes  Rocheuses  et  dans  les  districts  mi- 
niers. 

J'ai  écrit  à  mes  libraires  pour  les  prier  de  vous  faciliter 
l'acquisition  des  clichés. 

A.  GuYOï. 

Il  n'était  pas  possible  de  nous  encourager  mieux  dans  la 
réalisation  de  notre  désir.  Restait  seulement  à  trouver  un 
géographe  qui  pût  et  vouliit  bien  préparer  les  manuels  né- 
cessaires. 

Pendant  que  nous  étudiions  la  question,  M.  Albert  Petit- 
pierre,  attaché  aux  principes  de  Pestalozzi,  enseignait  la 
géographie  d'après  une  méthode  analogue  à  celle  de  notre 
compatriote,  à  FÉcole  de  jeunes  filles  de  l'Athénée,  à  Genève. 
11  plaidait  dans  VÉditcatear,  Journal  des  Instituteurs  de  la 
Suisse  romande,  pour  une  réforme  de  la  méthode  alors  en 
usage  dans  la  plupart  des  écoles,  et  dans  le  sens  d'un  ensei- 
gnement intuitif,  pittoresque,  gradué.  Nous  lui  fîmes  part  de 
nos  vœux. 

11  se  mit  à  l'œuvre  pour  la  partie  d'Introduction,  relative  à 
la  géographie  du  territoire  compris  dans  l'horizon  de  Genève, 

LE    GLOBE.    T.    XXIII,    1884.  5 


58  VIE    ET   TRAVAUX 

en  même  temps  qu'il  dressa  la  carte  nécessaire  à  cet  enseigne- 
ment préparatoire.  Des  intérêts  pailiculiers  vinrent  se  met- 
tre à  la  traverse  de  notre  projet;  M.  Petitpierre  dut  publier, 
par  souscription,  la  carte  murale  du  Pays  de  Genève  et  de  son 
bassin,  et  son  manuscrit  demeura  inachevé,  la  maladie  et  la 
mort  l'ayant  arrêté  dans  sa  rédaction.  Il  ne  reste  donc  de  celte 
tentative  de  réforme  que  sa  carte  au  V5nûoo^  •Joft  la  librairie 
JuUien  à  Genève  a  fait  publier  une  réduction  au  Visoooo-  ^^^^^ 
il  n'était  que  juste  d'en  l'atlacher  l'origine  aux  encourage- 
ments que  nous  avait  donnés  celui  qui  aurait  été  si  heureux 
de  voir  sa  méthode  adoptée  dans  les  écoles  de  sa  chère  pa- 
trie^,  et  ses  manuels  servir  de  point  de  départ  à  ceux  qui  doi- 
vent contribuera  la  réforme  que  nous  appelons  de  nos  vœux, 
il  n'est  plus  là,  et  nous  ignorons  les  dispositions  de  ses  édi- 
teurs. Mais  sa  veuve,  — j'ai  omis  de  dire  qu'en  1867  il  avait 
épousé  la  seconde  fille  de  M.  Haines,  l'ancien  gouverneur  de 
l'État  de  New-Jersey,  avec  laquelle  il  visita  la  Suisse,  et  qui 
partagea  dès  lors  tidèlement  ses  labeurs  et  ses  fatigues,  —  sa 
veuve,  que  j'ai  consultée,  se  montre  à  cet  égard  aussi  libérale 
que  l'était  Guyot  lui-même.  «  Je  serais  heureuse,  »  m'écrit- 
elle,  «  de  voir  celte  méthode  d'enseignement  adoptée  en 
Suisse,  et  d'apprendre  que  les  vérités  scientifiques  qu'il  dé- 
fendait, se  propagent  en  quelque  mesure  parmi  ses  compa- 
triotes. » 

En  présence  des  progrès  qu'il  a  réalisés  en  Amérique,  en 
présence  aussi  de  ceux  qu'ont  faits  les  écoles  de  France  '  et 
d'Angleterre,  nous  ne  pouvons  pas  continuer  à  tenir  nos  en- 
fants dans  une  infériorité  relative,  également  nuisible  à  leurs 
connaissances  et  au  développement  de  leurs  facultés.  Sans 
doute  les  difficultés  matérielles  peuvent  être  grandes,  mais 
qu'il  se  trouve  un  géographe  qui  aime  les  enfants  de  nos 
écoles  comme  Guyot  apprit  à  aimer  ceux  des  États-Unis,  s'il 
sait  s'inspirer  des  principes  rationnels,  et  travailler  avec  le 
zèle  consciencieux  qu'a  apporté  à  son  œuvre  notre  compa- 

'  Parmi  les  manuels  français  les  meilleurs,  je  citerai  ceux  d  M.E. 
Brouard,  Leçons  de  géographie,  en  trois  cours  :  élémentaire,  moj'en 
et  supérieur,  et  ceux  de  MM.  H.  Lemonnier  et  Franz  Schrader, 
aussi  en  trois  cours,  édités  par  MM.  Hachette  et  C'*,  et  dont  je  dois 
la  communication  à  M.  Defodon,  rédacteur  en  chef  du  Manuel  géné- 
ral de  l'Instruction  publique. 


D  ARNOLD    GUYOT.  59 

triote,  les  encouragements  et  les  subsides  ne  lui  feront  pas 
défaut,  et  un  jour  les  instituteurs  et  les  élèves  de  notre  Suisse 
béniront  son  nom,  comme  ceux  des  Étals-Unis  bénissent  la 
mémoii'e  du  réfoimaleur  de  renseignement  de  la  géogra- 
phie dans  le  Nouveau  xMonde. 

Les  travaux  exécutés  par  notre  compatriote  en  réponse  aux 
instances  des  Instituteurs  n'étaient  qu'une  des  occupations 
des  heures  de  loisir  que  lui  laissaient  ses  fonctions  de  pro- 
fesseur de  géologie  et  de  géographie  physique,  qu'il  remplit 
à  Princeton,  pendant  trente  ans,  avec  une  scrupuleuse  fidé- 
lité. Il  fut  en  outre  chargé,  dès  1861,  et  pendant  cinq  an- 
nées, comme  professeur  extraordinaire  au  Séminaire  théolo- 
gique de  Princeton,  de  cours  sur  les  Rapports  entre  la  reli- 
gion révélée,  la  physique  et  l'ethnologie.  Beaucoup  de  futurs 
ecclésiastiques  reçurent  son  enseignement,  et  plus  tard,  quan- 
tité d'entre  eux  lui  exprimèrent  leurs  remerciements  pour 
l'instruction  solide  qu'ils  avaient  reçues  de  lui;  elle  avait  élargi 
leurs  vues,  en  même  temps  qu'elle  leur  avait  permis  d'être 
plus  utiles  dans  leur  vocation.  Il  fut  aussi  appelé  à  donner  des 
cours  à  l'École  normale  de  Ti-enlon,  au  Séminaire  liiéologique 
de  New- York,  à  l'Institution  Smithsonienne  à  Washington, 
où  il  fît  cinq  conférences  sur  les  Hai-monies  de  la  nature  et 
de  l'histoire,  à  l'École  d'histoire  naturelle  d'Agassiz,  fondée 
par  M.  J.  Anderson  dans  l'île  de  Penikese,  où  il  enseignait  la 
géologie,  et  dans  d'autres  institutions  encoi-e.  Son  ensei- 
gnement, dans  lequel  il  conduisait  ses  auditeurs,  pas  à  pas,  jus- 
que sur  les  hauteurs  d'où  ils  pouvaient  en  embrasser  l'ensem- 
ble, exerçait  sur  eux  une  vraie  fascination.  La  culture  étendue 
qu'il  avaitacquise  parses  éludes  littéraires  et  scienlinques,lui 
avait  donné  une  puissance  extraordinaii'e  de  généralisation,  qui 
stimulait  ses  étudiants  en  leur  montrant  les  rapports  d'un  su- 
jet quelconque,  qu'il  leur  exposait,  avec  le  domaine  entier  des 
connaissances  humaines.  Il  pouvait  décrire  les  sciences  dont 
il  pai'lait,  dans  une  juste  mesure,  sans  exagération,  ni  mutila- 
tion, faculté  qui  malheureusement  n'est  pas  très  commune. 
Devenus  professeui's  à  leur  tour,  ses  étudiants  témoignent 
des  grands  services  que  son  enseignement  leur  a  rendue. 

«  Dans  la  salle  de  classe,  »  dit  l'un  d'eux,  M.  Libbey,  «  le 
professeur  Guyot  était  loujoui's  écouté  avec  respect  et  savait 


60  VIE    ET   TRAVAUX 

captiver  l'allenlion.  Les  leçons  étaient  nourries,  toujours 
adaptées  à  la  capacité  de  ses  auditeurs.  La  simplicité  de  ses 
manières  n'était  que  le  signe  de  la  pureté  et  delà  lucidité  de 
ses  pensées,  et  ses  explications  des  lois  de  la  nature,  qu'il 
s'agît  de  la  matière,  de  la  force  ou  de  la  vie,  nous  satisfai- 
saient, parce  qu'elles  semlilaienl  mettre  l'étudiant  en  commu- 
nion intime  avec  la  nature  elle-même.  Les  souvenirs  qu'il 
m'a  laissés  comme  maître,  me  font  voir  en  lui  le  plus  grand 
généralisateur  des  temps  modernes.  « 

Un  autre  de  ses  élèves,  M.  le  professeur  Osborne,  dil  de 
lui  :  «  C'est  dans  ma  dernière  année  d'études  que  j'ai  com- 
mencé à  suivre  ses  leçons,  mais  plus  tard  j'ai  été  placé  sous 
son  induence  comme  ami  et  professeur.  C'était  une  influence 
stimulante; il  encourageait  beaucoup,  sans  rabaisser  le  niveau 
du  ti'avail  scientifique  exact  et  fidèle.  Je  ne  connais  pas  une 
seule  règle  direcli'ice  pour  une  carrièi-e  scientifique,  qu'il 
n'abordât  pas;  enthousiasme  pour  la  recherche,  sti'icte  hon- 
nêteté dans  l'inlerprétalion  des  faits,  soin  à  recueillir  des 
détails  exacts  avant  d'arriver  à  des  conclusions  générales, 
appréciation  généreuse  du  travail  des  autres,  tels  sont  les 
traits  qui  caractérisaient  son  enseignement.  Plus  d'une  fois 
son  sourire,  accompagné  de  quelques  mots  encourageants, 
nous  rendil  une  nouvelle  ardeur  au  travail,  lorsque  les  résul- 
tats semblaient  devoii"  nous  manquer  et  qu'ils  pai-aissaient 
presque  impossibles  à  atteindre.  » 

Un  troisième  enfin,  M.  le  professeur  Scott,  écrit  :  «  J'ai 
commencé  les  cours  de  M.  Guyot,  non  seulement  avec  indif- 
férence, mais  même  avec  une  positive  aversion  pour  les  su- 
jets qu'il  traitait;  quelques  leçons  excitèrent  mon  intéiêt  à  tel 
point,  qu'à  mesure  qu'il  me  faisait  pénétrer  plus  avant  dans  le 
sujet,  j'en  devins  comme  fasciné.  Je  puis  dire  avec  certitude, 
qu'aucun  des  pi'ofesseurs  que  j'aie  jamais  entendus,  n'a 
exercé  une  influence  aussi  grande  sur  ma  carrière  subsé- 
quente, car  l'enthousiasme  que  son  enseignement  m'inspira 
me  fit  renoncer  aux  plans  que  je  caressais  depuis  longtemps 
pour  ma  carrière  future  et  me  décida  à  me  vouer  à  la  science. 
J'estimerai  toujours  comme  un  des  plus  grands  privilèges 
dans  mon  éducation  d'avoir  été  l'un  de  ses  étudiants,  et  je 
n'oublierai  jamais  l'ardeur  qu'il  apportait  à  la  poursuite  des 
vérités  scientifiques,  source  de  celle  que  son  enseignement  et 
son  exemple  éveillèrent  en  moi.  » 


D 'ARNOLD    GUYOT.  61 

Comme  autrefois  à  Neuchâlel,  dès  que  les  cours  élaienl 
terminés,  il  s'envolail  vers  les  montagnes,  avec  son  neveu, 
M.  Sandoz,  et  quelques-uns  de  ses  élèves,  et  pendant  vingt 
ans,  il  employa  ainsi  ses  vacances  à  étudier  avec  eux  la  struc- 
ture physique  et  la  hauteur  du  système  des  Apalaches  ou 
monts  AUeghanys,  comprenant  les  White,Green,Adirondack, 
Elue  Ridge  et  les  Black  Mountains.  Une  partie  des  résultats 
de  ses  observations  sont  consignés  dans  deux  mémoires  : 
l'un,  sur  la  structure  physique  du  système  des  Apalaches,  paru 
en  1861  \  l'autre,  sur  celle  des  monts  Catskills,  entre  la  Dela- 
ware  et  THudson,  en  1880,  tous  les  deux  avec  caries.  Pen- 
dant la  guerre  de  la  sécession,  sa  carte  du  district  montagneux 
de  la  Caroline  du  Nord  et  de  la  Géorgie,  la  première  repré- 
sentation vraie  de  ces  montagnes,  mesurées  avec  le  ijaromè- 
ire  el  le  théodohte,  fut  reproduite  parmi  les  cartes  militaires 
publiées  par  le  Coasl  Survey,  et  un  extrait  de  son  mémoire 
sur  le  système  des  Apalaches  fut  envoyé  à  tous  les  officiers  de 
l'armée  qui  opérait  dans  ce  voisinage.  Nous  avons  déjà  vu. 
qu'en  1871,  il  avait,  pour  raison  de  santé,  fait  un  voyage  en 
Californie  ;  les  traits  caractéristiques  de  ce  pays  nouveau  l'in- 
téressèrent beaucoup.  Il  prit  un  grand  nombre  de  mesures 
hypsométriques  dans  la  chaîne  côtière,  et,  dans  le  Colorado, 
la  hauteur  du  Gray's  Peak,  une  des  sommités  les  plus  élevées 
des  montagnes  Rocheuses.  Il  avait  une  telle  habitude  des  as- 

'  Pendant  les  années  1857-1859,  il  passa  une  grande  partie  de 
l'été  dans  les  montagnes  de  la  Caroline  du  Nord,  et  termina  une 
carte  du  système  des  Apalaches  de  cette  région,  avec  une  triangula- 
tion de  240  kilom.  de  longueur  ;  il  détermina  par  des  observations 
barométriques  les  altitudes  de  tous  les  pics  les  plus  importants,  et 
constata  que  plusieurs  d'entre  eux  dépassent  eu  hauteur  le  mont  ^S'"as- 
hington  tenu  alors  pour  le  plus  élevé.  Dans  son  rapport  à  l'Institu- 
tion Smithsonienne,  il  exprimait  le  regret  de  n'avoir  pu,  vu  l'absence 
de  points  déterminés  astronomiquement  avec  une  certitude  suffisante, 
donner  à  son  lever  sa  place  exacte  sur  la  surface  du  globe,  et  le 
vœu  que  le  système  de  triangulation  de  la  côte  s'étendit  à  l'intérieur. 

En  1862,  Guyot  exprimait  le  désir  qu'on  eût,  pour  la  mensuration 
des  montagnes  du  Far-West,  quelques  points  bien  déterminés  à  leur 
pied.  Pour  cela  il  demandait  qu'on  établit  quelques  stations  baro- 
métriques régulières  à  Denver,  Colorado  City,  etc.  Dans  les  .3200 
kilom.  de  territoire  à  l'intérieur,  on  ne  connaissait,  à  100  ou  200  pieds 
près,  l'altitude  vraie  d'aucun  point. 


62  VIE   ET   TRAVAUX 

censions  de  montagnes  que,  quoique  âgé  de  64  ans,  il  faisait 
ces  longues  montées  avec  la  plus  grande  facilité,  tandis  que 
ses  compagnons  de  voyage,  jeunes  encoce,  qui  paraissaient 
pleins  de  force  et  de  vigueur,  renonçaient  à  pousser  plus 
haut,  longtemps  avant  d'avoir  atteint  le  sommet.  Son  dernier 
travail  de  ce  genre  fut  exécuté  dans  les  monts  Catskills  en 
1879,  à  72  ans  ;  il  les  avait  déjà  explorés  en  1862.  Cette  œu- 
vre était  rendue  très  difficile  par  l'absence  de  chemins  dans 
les  forêts  dont  plusieurs  des  sommets  sont  couverts,  et  par 
la  nécessité,  dans  certauis  cas,  de  monter  au  liaut  des  arbres 
les  plus  élevés  pour  apercevoir  les  sommets  voisins,  en  vue 
de  la  li'iangulalion.  Il  exécuta  ce  lever  avec  une  précision  re- 
marquable, découvrit  des  pics  plus  élevés  que  ceux  qui  pas- 
saient alors  pour  les  plus  hauts,  et  donna  une  très  belle  et 
bonne  carte  de  cette  région,  dans  laquelle  il  signala  une  ano- 
malie du  système  des  Apalaches  généralement  dirigés  du  S.-O. 
au  N.-E.,  tandis  que  les  Catskills  s'étendent  du  S.-E.  au  N.-O. 

Loi'squ'il  arriva  en  Amérique,  en  1848,  la  météorologie  y 
méritait  à  peine  le  nom  de  science.  Il  prévit  combien  des 
observations  exactes  faites  sur  de  vastes  territoires  pourraient 
jeter  de  lumière  sur  la  loi  des  tempêtes.  Mais  il  vit  aussi  qu'el- 
les exigeraient  de  bons  baromètres  et  de  bons  thermomètres. 
A  la  demande  des  directeurs  de  l'Université  de  l'État  de 
New- York,  cet  État  accorda  l'autorisation  de  renouveler  le 
système  des  observations  météorologiques,  et  de  pourvoir 
les  stations  d'instruments  meilleurs  que  ceux  qu'elles  possé- 
daient alors.  Cette  réforme  fut  exécutée  sous  la  surveillance 
du  bureau  des  Directeurs  et  de  l'Institution  Smithsonienne. 
Le  professeur  Henry  proposa  de  la  confier  à  notre  compa- 
triote, dont  la  vie  répondait  aux  principes  mis  par  Smithson 
à  la  base  de  l'Institution  :  le  progrès  et  la  diffusion  des  con- 
naissances parmi  les  hommes;  les  travaux  météorologiques 
de  Guyot  à  Neuchàtel  l'avaient  préparé  pour  une  œuvre  de 
cette  nature.  Les  baromètres  en  usage  dans  les  différentes 
stations  étaient  très  imparfaits;  son  premier  soin  fut  de  pro- 
curer à  l'Institution  Smithsonienne  des  instruments  réunis- 
sant les  qualités  qu'il  considérait  comme  désirables  pour  un 
tel  système  météorologique.  Rejetant  toutes  les  foi'mes  en 
vogue,  il  introduisit  en  Amérique  le  baromètre  à  cuvette  de 


d'arnold  guyot.  63 

Forlin,  perfectionné  par  Ernst,  qui  présente  les  conditions 
nécessaires  pour  une  lecture  facile  et  précise.  Mais  le  mode 
d'ajustement  du  tujje  de  mercure  exposait  ces  instruments  à 
être  facilement  brisés  dans  le  transport.  Il  était  très  impor- 
tant d'obvier  à  cet  inconvénient,  dans  un  pays  où  les  distan- 
ces sont  si  grandes,  et  où  le  mode  de  voyager  était  alors 
encore  très  primitif.  Après  beaucoup  d'essais,  il  réussit  à  faire 
chacune  des  parties  de  ia  cuvette  de  pièces  séparées,  ajusta- 
bles au  moyen  de  crampons.  Le  succès  fut  si  grand  que 
beaucoup  d'observateurs  traversèrent  et  retraversèrent  le 
continent  avec  le  même  instrument  sans  accidents.  Ces  baro- 
mètres, connus  maintenant  sous  le  nom  de  Baromètres 
smithsoniens,  ont  été  adoptés  dans  les  stations  militaires 
aussi  bien  que  dans  le  service  des  signaux  et  ils  sont  devenus 
d'un  usage  universel. 

Quant  aux  stations  météorologiques,  Guyot  prépara  un  rap- 
port dans  lequel  il  exposait  ses  raisons  pour  le  mode  de  leur 
distribution  sur  la  surface  du  territoire,  et  y  joignit  une 
courte  description  topographique  du  pays  ;  il  rédigea  en 
outre  des  instr.ictions  pour  les  observations  météorologiques, 
à  l'usage  des  observateurs,  avec  les  tables  de  réduction. 

Ce  fui  dans  l'hiver  de  1850  à  1851  que  furent  prises  les 
pi'emières  mesures  pour  cette  œuvre  météorologique  ;  mais 
ce  ne  fut  pas  sans  beaucoup  de  peines  et  même  de  souffran- 
ces, que  notre  compatriote  put  établir,  dans  différentes  parties 
de  l'État  de  New- York,  50  stations  barométriques,  car  c'était 
avant  l'établissement  des  voies  rapides  de  communication 
par  chemin  de  fer  ;  il  fut  obligé  de  voyager,  au  fort  de  l'hi- 
ver, d'un  lieu  à  un  autre,  par  des  routes  presque  impratica- 
bles, quelque  fût  le  moyen  de  transport  qu'il  pût  trouver. 

Le  volume  intitulé  Sinithsoniau  Meteorological  and  Plnj- 
sical  Tables  fut  publié  d'abord  en  1851  ;  il  fui  considéra- 
blement augmenté  en  1858  et  en  1859,  et  dans  sa  troisième 
édition  il  forme  un  volume  de  plus  de  600  pages  '.  Cette  pré- 

'  Ce  volume  contient  : 

Des  tableaux  therraométriques  pour  la  conversion  des  échelles  de 
thermomètres  différents  ; 

Des  tableaux  hygrométriques  indiquant  la  force  élastique  de  la 
vapeur,  l'humidité  relative,  etc.  ; 

Des  tableaux  barométriques  pour  la  comparaison  des  différentes 


64  VIE  ET   TRAVAUX 

cieuse  collection  a  été  très  employée  soit  en  Amérique,  soil 
en  Europe,  soit  dans  d'autres  parties  du  monde.  L'al)on- 
dance  des  demandes  l'endit  nécessaire  la  publication  d'une 
quatrième  édition,  pour  laquelle  l'extension  prise  par  certai- 
nes branches  de  la  science  lit  désirer  de  nouveaux  tableaux, 
dont  la  préparation  fut  confiée  àGuyot;elle  est  actuellement 
sous  presse.  Sir  John  Herscliell,  dans  son  Tiailé  de  météo- 
rologie, a  loué  très  fort  ce  laborieux  travail. 

Déjà  au  début  de  cette  organisation  du  réseau  météorolo- 
gique américain,  Guyol  désirait  pouvoir  établir  un  système 
d'observations  à  prendre  simultanément  dans  tout  le  pays, 
en  rapport  avec  les  stations  télégraphiques,  de  manière  que 
l'on  pût  annoncer  d'avance  les  tempêtes  et  noter  d'autres 
phénomènes  météorologiques.  Il  plaça  sur  quantité  de 
points  des  baromètres  à  mercure  et  se  donna  beaucoup  de 
peine  pour  instruire  des  observateurs;  mais  les  fonds  ayant 
manqué,  l'Institution  Smithsonienne  dut  abandonner  cette 
œuvre. 

Ce  plan,  dont  l'idée  première  est  due  à  Guyol,  a  été  dès 
lors  réalisé  par  le  Bureau  du  service  des  signaux,  qui  est 
devenu  une  institution  très  importante,  et  qui  publie  chaque 
jour  une  carte  météorologique,  avec  des  indications  très  uti- 
les au  commerce  reproduites  dans  les  journaux  quotidiens. 
Nous  ne  pensons  pas,  lorsque  nous  lisons,  dans  le  Bulletin 
météorologique,  les  données  sur  les  pressions  atmosphéri- 
ques, ou  les  indications  sur  tel  ou  tel  phénomène  météoro- 
logique qui  atteindra  nos  côtes  d'Europe,  que  l'origine  en 
remonte  à  notre  compatriote.  Lui,  ne  nous  oubliait  jamais, 
même  dans  ses  travaux  pour  le  service  américain.  En  1861, 
chargé  de  venir  représenter   les  Églises  presbytériennes 

échelles,  la  réduction  des  observations  au  point  de  congélation  et 
la  correction  pour  l'action  capillaire  ; 

Des  tableaux  hypsométriques  pour  calculer  les  altitudes  au  moyen 
du  baromètre,  et  au  moyen  de  la  différence  du  point  d'ébullition; 

Des  tableaux  des  corrections  météorologiques  à  appliquer  aux 
moyennes  mensuelles  pour  obtenir  la  moyenne  vraie  ; 

Des  tableaux  divers  souvent  nécessaires  pour  les  recherches  en 
physique,  etc. 

L'Institution  Smithsonienne  les  fit  stéréotyper  et  distribuer  aux 
météorologistes  et  aux  Institutions  étrangères. 


d'arnold  guyot.  65 

d'Amérique  aux  Conférences  tle  l'Alliance  évangélique,il  pi'o- 
fita  de  ce  voyage  pour  élaldir  la  relation  des  liaromètres  éta- 
lons, employés  par  l'Institution  Smithsonienne,  avec  les  baro- 
mèlres  des  observatoires  les  plus  importants  de  l'Europe, 
ceux  de  Kew,  dirigé  alors  par  Stanley,  de  Bruxelles,  par  Qué- 
telet,  de  Berlin,  par  Enke,  de  Genève,  par  Plantamoui-,  qui 
avait  établi  la  relation  de  son  baromètre  avec  ceux  de  Re- 
gnault  du  Collège  de  France  et  de  l'observatoire  de  Paris.  A 
son  retour  en  Amérique,  Guyot  constata,  d'après  le  baromè- 
tre de  rinst'tulion  Smithsonienne,  que  les  deux  baromètres 
qu'il  avait  employés  en  Europe,  n'avaient  pas  varié.  Il  appré- 
ciait beaucoup,  pour  ses  propres  travaux,  ceux  de  Planla- 
mour,  en  particulier  ses  moyennes  du  Saint-Berna(\l  et  de 
Genève,  et  ses  corrections  relativement  h  l'influence  de  l'heure 
dn  jour  où  les  mensurations  barométriques  sont  faites. 

Le  temps  ne  me  pei^met  pas  d'entrer  dans  des  détails  sur 
d'autres  travaux  de  notre  compatriote;  je  ne  puis  qu'in- 
diquer ses  Mémoires,  sur  Alexandre  de  Humboldt,  sur  Karl 
Ritter,  sur  L.  Agassiz  \  et  celui  sur  Texistence,  dans  les 
deux  hémisphères,  d'une  zone  sèche  et  sur  ses  causes.  Je 
ne  puis  non  plus  que  mentionner  une  œuvre  beaucoup 
plus  considérable  à  laquelle  il  contribua  pour  une  large 
part  :  VEiicycloiJéd/e  nnirerselle  de  Johnson,  vrai  trésor 
scientifique  et  populaire  de  connaissances  utiles,  en  4  vo- 
lumes, contenant  chacun  plus  de  1700  pages,  impi^imé 
en  petit  caractère,  avec  quantité  d'illustrations,  de  cartes  et 
de  gravures.  L'idée  en  est  due  au  fameux  publiciste  Horace 
Greely  qui,  au  milieu  de  ses  travaux  littéraires,  éprouva  le 
besoin  d'un  ouvrage  de  consultation  générale,  adapté  aux 
nécessités  des  travailleurs  actifs  comme  lui,  et  qui  la  suggéra 
au  célèbre  éditeur  Johnson  l  Celui-ci  s'adressa  aux  auteurs 
de  mérite  dans  toutes  les  branches  des  lettres  et  des  sciences 
en  Amérique  et  en  Europe.  En  sa  qualité  d'un  des  éditeurs 
en  chef,  avec  M.  Barnard,  président  du  Collège  de  Columbia, 
Guyot  fut  chargé  d'un  grand  nombre  des  articles,  quoique 

'  A.  V.  Humboldt,  Commémoration,  1859. —  On  the  life  and  services 
to  yeographical  science  of  Karl  Ritter,  1860.  —  Biographical  Me- 
moir  of  Louis  Agassiz,  1877-78. 

^  Guyot  a  aussi  écrit  un  Traité  de  géographie  physique  pour  le 
Johnson's  Family  Atlas  of  tlie  world. 


66  VIE    ET    TRAVAUX 

son  département  spécial  fût  la  géographie  physique  avec  les 
hranches  qui  s'y  rattachent,  la  terre,  les  climats,  les  courants 
marins,  les  ireniblemenls  de  terre,  les  volcans,  les  océans, 
les  vents,  etc.  Pour  rendre  la  consultation  de  cet  ouvrage 
plus  facile,  il  en  a  élé  publié  une  édition  condensée  en  deux 
volumes.  Le  travail  nécessaire  pour  abréger  les  articles  qu'il 
avait  fourni  absorba  une  grande  partie  du  temps  de  notre 
compatriote  pendant  les  hivers  de  1881  et  1882  '. 

Quoique  cette  revue  de  ses  travaux  soit  déjcà  bien  longue, 
vous  me  reprocheriez.  Mesdames  et  Messieurs,  de  ne  pas  vous 
pai'ler  avec  quelques  détails  d'une  institution  qui,  en  tant 
que  monument  extérieur,  fait  le  plus  grand  honneur  à  noire 
compatriote,  je  veux  parler  du  Musée  de  géologie  et  d'ar- 
chéologie de  Princeton,  qui  est,  avec  le  musée  de  Cambridge, 
dû  à  L.  Agassiz,  une  des  gloires  des  Étals-Unis.  Permettez- 
moi  de  réclamer,  pour  quelques  instants  encore,  votre  bien- 
veillante attention. 

A  l'époque  où  Guyot  prit  possession,  à  Princeton,  de  sa 

'  Les  ouvrages  publiés  de  Guyot  ne  représentent  qu'une  faible 
partie  de  ses  travaux,  si  l'on  pense  à  tous  ses  cours  (non  imprimés) 
de  Neucliâte],  de  Cambridge,  de  Princeton.  Ce  qui  a  été  publié  ne 
peut  que  faire  regretter  amèrement  qu'il  n'ait  jamais  pu  mettre  par 
écrit  toutes  ses  pensées.  Mais  il  était  surchargé  d'ouvrage  et  de 
correspondance,  et  il  y  a  lieu  de  s'étonner  qu'il  ait  pu  mener  à 
bonne  fin  des  choses  si  différentes  avec  tant  de  sagesse.  —  Il  re- 
cherchait la  vérité  pour  elle-même,  sans  songer  à  se  servir  de  ses 
découvertes  pour  se  créer  une  position.  C'est  peut-être  la  raison 
pour  laquelle  il  n'a  pas  publié  davantage  de  ses  propres  investiga- 
tions, ce  que  dans  la  dernière  année  de  sa  vie,  il  regrettait  de  n'avoir 
pas  fait.  —  Et  celui  qui  travaillait  ainsi  trouvait  qu'il  faisait  peu  : 
'<  Me  repliant  sur  moi-même  je  rougis  du  peu  que  j'accomplis,  -» 
écrivait-il  à  M.  F.  Godet.  «  Quand  je  vois  le  peu  que  j'arrive  à 
faire,  et  que  je  compare  ces  pauvres  résultats  avec  ceux  que  j'ad- 
mire chez  mes  amis,  je  m'attriste  presque  et  me  décourage.  La  mul- 
titude d'affaires  de  diverses  natures,  la  correspondance,  toujours 
écrasante  quoique  toujours  en  retard,  me  tient  toujours  en  haleme, 
et  quand  je  me  demande  à  quoi  bon  après  tout,  il  me  prend  un  vif 
désir  de  mettre  tout  de  côté,  et  de  prendre  ma  plume  comme  ma 
seule  occupation.  Mais  c'est  en  vain,  c'est  impossible,  et  mieux 
vaut  accepter  le  joug  providentiel  que  de  prendre  conseil  de  ma 
propre  sagesse. 


D 'ARNOLD    GUYOT.  67 

chaire  de  professeur,  qui  venait  d'être  créée,  il  n'y  avait 
encore  aucun  musée  qui  y  fût  attaché.  Pour  pourvoir  aux 
besoins  urgents  de  la  salle  de  cours,  il  rassembla  graduelle- 
ment une  petite  collection  de  fossiles  américains.  Puis  il  pro- 
fita de  son  voyage  en  Europe  en  1861,  pour  l'accroître,  par 
l'achat  de  spécimens  européens  des  différentes  époques  géo- 
logiques, spécialement  des  époques  mésozoïques  et  tertiaires, 
comprenant  des  squelettes  des  grands  sauriens  et  des  mam- 
mifères. 

Ayant  appris  que  Guyot  désirait  beaucoup  pouvoir  déve- 
lopper ces  petits  commencements  et  en  former  un  musée 
digne  de  l'Institution,  un  généreux  patron  du  Collège,  ami 
de  notre  compatriote,  offrit  de  fournir  les  fonds  nécessaires  ', 
et  une  vaste  salle,  employée  jusqu'alors  comme  bibliothèque, 
fut  consacrée  en  1874  à  un  musée  géologique.  Elle  fut  res- 
taurée et  aménagée  à  cet  effet,  et  elle  contient  encore  la  prin- 
cipale collection  destinée  à  l'enseignement.  Guyot  l'appelait 
la  salle  synoptique,  l'idée  qui  l'avait  guidé  dans  l'arrange- 
ment des  fossiles  étant  que  ceux-ci  devaient  apparaître  aux 
yeux  comme  un  livre  ouvert,  dans  lequel  l'étudiant  pût  lire 
d'un  coup  d'œil  l'histoire  de  la  création,  depuis  l'apparition 
de  la  vie  jusqu'à  celle  de  l'homme.  Cet  arrangement  a  été 
adopté  dès  loi-s  par  le  professeur  Owen  pour  l'extension  du 
musée  de  Kensington. 

Une  seconde  grande  salle  fut  adjointe  à  la  première  pour 
recevoir  une  collection  offerte  par  le  State  geological  Sui'- 
vey,  des  roches  et  fossiles  les  plus  caractéristiques  de  l'État. 
Enfin,  dans  une  salle  adjacente,  Siiiss  Room,  fut  placée  la 
coUection  des  fragments  de  blocs  erratiques,  recueillis  par 
Guyot  de  1839  à  1848,  au  nombre  de  plus  de  5000,  tirés  des 
caisses  où  ils  attendaient  depuis  plus  de  25  ans,  et  qu'il 
donna  au  Collège,  ainsi  que  la  carte  qu'il  avait  dressée  ^les 
bassins  erratiques  et  de  la  disti'ibution  des  blocs.  L'étude  de 
ces  fragments  classés  par  le  professeur,  combinée  avec  l'exa- 
men de  la  carte,  fait  comprendre  d'un  coup  d'œil  aux  étu- 
diants l'extension,  l'épaisseur,  et  les  limites  des  immenses 
masses  de  glace  qui  couvraient  le  sol  de  la  Suisse  à  l'époque 
glaciaire. 

'  Le  généreux  Mécène,  protecteur  du  Musée,  a  déjà  donné 
600,000  fr.  pour  l'Institution. 


68  VIE   ET   TRAVAUX 

L'intérêt  que  Guyot  portait  à  Tarchéologie  rengagea  à 
développer  aussi  dans  ce  sens  le  musée,  qui  lui  doit  une  col- 
lection d'objots  de  l'âge  de  la  pierre  et  de  l'âge  du  bronze 
des  habitations  lacustres  de  la  Suisse,  ainsi  ipi'un  modèle  à 
grande  échelle  d'une  de  ces  habitations.  On  y  trouve  en 
outre  une  riche  collection  de  poteries  péruviennes  et  mexi- 
caines, ainsi  qu'une  très  belle  série  de  modèles  des  ruines 
des  Falaises  (Cliffs)  du  S.  0.,  formée  sous  la  direction  du  D'' 
Hayden. 

En  1878,  une  aile  du  Collège  fut  mise  à  part  et  aménagée 
pour  recevoir  les  collections  destinées  à  des  cours  plus  déve- 
loppés de  paléontologie,  et  pour  servir  de  salles  de  cours  et 
de  laboratoire.  Les  collections  de  cette  nouvelle  pièce  sont 
très  complètes  ;  elles  contiennent  les  fossiles  vertébrés  et 
invertébrés  les  plus  importants  de  l'Europe  et  de  l'Amérique, 
pour  illustrer  les  grandes  époques  géologiques.  Il  y  a  aussi 
une  Ijelle  collection  de  fossiles  du  Colorado  et  du  Wyoming, 
fournie  par  les  diverses  expéditions  scientifiques  du  Collège. 

L'influence  du  musée  sur  le  développement  du  goût  des 
étudiants  pour  les  études  scientifiques  a  été  très  sensible. 
Une  première  expédition  scientifique  organisée  par  le  musée 
géologicpie,  d'accord  avec  le  musée  de  l'école  des  sciences, 
en  1877,  fut  suivie  de  deux  autres  formées  par  les  étudiants 
eux-mêmes,  et  quelques-uns  des  plus  beaux  spécimens  rap- 
portés à  cette  occasion,  du  Colorado,  du  Wyoming  et  du 
Dakota,  et  déposés  dans  le  musée,  témoignent  du  zèle  que 
l'enseignement  du  professeur  savait  inspirer  à  ses  élèves.  Le 
musée  appartient  au  Collège,  et  son  directeur  actuel  est  un 
jeune  professeur  que  Guyot  a  formé  pour  être  son  succes- 
seur dans  cet  office. 

J'ai  déjà  fait  allusion  au  petit  volume  dont  il  parlait  dans 
une  des  dernières  lettres  à  son  ami  F.  Godet:  l'Explication 
du  récit  biblique  de  la  création,  qui  renferme  le  résultat  des 
recherches  de  sa  longue  carrière  et  que  l'on  a  appelé  son 
testament  scientifique.  L'ouvrage  est  intitulé  Création  ;  il  a 
été  composé  pendant  sa  dernière  maladie,  et  l'auteur  en  cor- 
rigea les  épreuves,  presque  jusque  sur  son  lit  de  mort,  aidé 
par  sa  pieuse  et  fidèle  compagne,  qui  lui  avait  procuré  17  ans 
d'une  vie  heureuse,  et  qui  a  droit  à  une  part  de  la  recon- 
naissance que  doivent  à  Guyot  ceux  qui  apprécient  la  valeur 


D  ARNOLD    GUYOT.  69 

de  ce  dernier  ouvrage  sorti  de  sa  plume.  Gonnaissaut  par  ses 
premièi'es  études  les  difficultés  que  présente  l'interprétation 
du  récit  mosaïque,  et  possédant,  par  ses  études  postérieures, 
la  science  qui  lui  permettait  de  voir  dans  les  résultats  fournis 
par  la  géologie,  l'harmonie  qui  existe  entre  les  données 
scientifiques  et  les  grands  traits  tracés  par  Moïse  sur  la  créa- 
tion, il  a  cherché  à  montrer  cette  harmonie  qui  échappe  au 
plus  grand  nombi-e.  Non  pas  qu'il  voie  dans  la  Bible  un 
manuel  degéogonie  ou  de  géologie.»  Quelque  modification,» 
dit-il,  «  que  de  nouvelles  découvertes  puissent  appoiter 
dans  nos  vues  sur  le  développement  de  l'univers,  les  traits 
principaux  de  ce  vaste  tableau  demeureront,  et  le  récit  de  la 
Genèse  n'a  voulu  donner  que  ceux-là.  Getle  esquisse  suffisait 
pour  le  but  moral  du  livi-e,  à  nous  de  chercher-  patiemment 
les  détails  scientifiques.  »  Pour  lui,  les  jours  de  la  création 
sont  des  périodes  dans  lesquelles  se  développe  progressive- 
ment, et  d'accord  avec  le  récit  des  six  jours  de  la  Bible,  sous 
l'action  créatrice  du  Dieu  Tout-Puissant,  l'organisation  de  ce 
monde  d'une  manière  harmonique  et  pleine  de  sagesse.  A 
l'aide  de  la  science,  Guyot  fait  voir  que  le  livre  de  la  révéla- 
tion et  le  livre  de  la  nature  sont  en  parfaite  harmonie,  et 
qu'ils  rendent  tous  deux  témoignage  à  la  grandeur  et  à  la 
sagesse  du  Créateur. 

Homme  d'étude,  il  ne  croyait  pas  qu'il  pût  y  avoir  conflit 
entre  la  science  et  la  religion.  Pour  lui,  la  natui'e  était  une 
manifestation  de  Dieu,  les  lois  naturelles,  des  lois  divines.  Il 
ne  pouvait  pas  y  avoir  d'antagonisme  entre  elles.  Plus  nous 
apprenons  à  connaître  l'câme  humaine,  le  cours  de  l'histoire, 
et  la  structure  du  monde,  plus  ils  nous  apparaissent  comme 
les  parties  d'un  vaste  plan  admirablement  ordonné.  La  foi  de 
l'auteur  .soit  dans  la  science,  soit  dans  la  religion,  était  si 
ferme,  que  son  influence  a  préservé  beaucoup  d'ecclésiastiques 
d'étroitesse  théologique,  et  beaucoup  d'étudiants,  d'athéisme. 
Ils  voyaient  en  lui  un  homme  pour  lequel  l'étude  de  la  science 
et  l'adoration  de  Dieu  étaient  également  un  devoir  '. 

'  L'Allemagne  aura  sans  doute  très  prochainement  une  traduc- 
tion de  «  Création.»  Je  suis  heureux  de  pouvoir  annoncer  qu'une 
édition  française  est  sous  presse,  et  paraîtra  vraisemblablement 
avant  la  fin  de  l'année,  chez  Arthur  Imer,  éditeur  à  Lausanne. 


70  VIE   ET  TRAVAUX 

Je  sens  toul  ce  (jue  cet  exposé  des  travaux  de  mon  ancien 
maître  a  d'incomplet.  Pour  vous  le  présenter  tel  qu'il  a  été, 
il  aurait  fallu  n'être  pas  séparé  de  lui  par  TAtlantiijue  et  par 
trente-six  années  d'éloignemenl.  J'ai  dû  faire  parler  beau- 
coup ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  le  voir  et  de  l'entendre 
en  Amérique.  J'aurais  voulu  pouvoir  vous  le  faire  entendre 
lui-même  bien  davantage  dans  sa  correspondance  avec  ses 
amis,  pour  faire  appi'écier  l'excellence  de  son  caractère  qui 
ne  ressort  que  très  imparfaitement  de  ces  pages.  Sage,  fidèle, 
dévoué,  exact,  haliile  dans  ses  recherches,  capable  d'ensei- 
gner, inspii-ateur,  il  était  également  disposé  à  s'engager  dans 
des  investigations  longues  et  fatigantes,  comme  la  mensura- 
tion d'un  groupe  de  sommets  de  montagnes  et  la  préparation 
de  tableaux  pour  les  météorologistes,  ou  à  faire  connaître  les 
résultats  de  ses  études  dans  un  cours  populaire,  ou  devant 
des  instituteurs,  ou  dans  une  conversation  ou  dans  une  série 
de  livres  scolaires.  Jamais  il  ne  paraissait  penser  à  lui-même, 
mais  toujours  à  son  sujet  et  à  ses  auditeurs.  Il  s'inquiétait  peu 
de  la  renommée,  mais  beaucoup  de  l'étude  de  la  nature  et 
de  l'éducation  de  l'homme. 

Le  D""  Murray  a  relevé  «  sa  coui'toisie  pleine  de  dignité,  qui 
donnait  tant  de  grâce  à  ses  manières  avec  tous,  avec  ses  collè- 
gues dans  les  sciences,  avec  ses  inférieurs  dans  la  société, 
avec  les  enfants,  qui  instinctivement  l'aimaient  et  se  con- 
fiaient en  lui;  sa  gracieuse  hospitalité,  qui  répandait  son 
charme  doux  el  magnétique  sur  toutes  les  réunions  de  so- 
ciété rassemblées  sous  son  toit;  sa  vie  de  famile,  dans 
laquelle  la  nature  filiale  la  plus  dévouée  avait  apporté  la 
richesse  et  la  grâce  des  affections  domestiques  ;  cette  délica- 
tesse de  sentiment  qui,  pénétrant  ses  études  scientifiques, 
projetait  sur  ses  qualités  solides  une  auréole  comme  celle 
dont  le  soleil  colore  ses  chères  montagnes  de  la  Suisse; 
cette  absolue  sincérité  de  cœur,  qui  revêtait  toute  sa  vie  in- 
tellectuelle et  spirituelle  d'une  clarté  semblable  à  celle  du 
soleil;  sa  modestie  qui,  sans  oubUer  jamais  sa  dignité  person- 
nelle, se  rencontrait  sur  les  hauts  sommets  de  la  science, 
comme  dans  les  devoirs  quotidiens  de  la  vie.  » 

On  peut  lui  appUquerce  qu'il  disait  lui-même  du  professeur 
J.-H.  Coffin,  dans  le  Biograpincal  Memoir,  qu'il  lut,  en  1874, 
devant  l'Académie  nationale  des  sciences:  «  L'intelligence, 
ce  puissant  instrument  pour  acquérir  des  connaissances, 


d'arnold  GuroT.  71 

pour  lire  la  sagesse  de  Dieu  dans  le  grand  livre  de  l'univers^ 
n'est  pas  tout  dans  l'homme.  Sa  nature  aspire  plus  haut  que  le 
monde  fini  que  les  sens  nous  révèlent,  et  la  mesure  de  son 
excellence  morale  nous  est  donnée  par  le  degré  d'intimité 
qu'il  entretient  avec  la  source  céleste  de  toute  perfection.  » 

Sa  mort  a  été  entourée  par  les  survivants  *  de  sa  famille 
demeurant  auprès  de  lui  à  Princeton.  Avant  de  rendre  le 
dernier  soupir,  ses  yeux  ohscurcis  s'ouvrirent  tout  à  coup 
tout  grands  avec  un  regard  d'admiration  et  de  ravissement, 
comme  si  une  vision  héatifique  avait  resplendi  sur  lui,  et  c'est 
ainsi  que  son  esprit  passa  dans  ce  royaume  invisible,  dont  il 
devait  avoir  un  rayon  lorsqu'il  s'envola  d'ici  lias.  Ses  nom- 
breux élèves,  les  institutions  auxquelles  il  avait  fourni  un 
piécieux  concours,  tout  le  public  cultivé  des  Étals-Unis,  se 
sont  associés  au  deuil  de  sa  famille  et  du  Collège  de  Princeton. 

Avec  Agassiz,  il  avait  puissamment  contribué  au  dévelop- 
pement des  études  scientifiques  en  Amérique,  aussi  com- 
prend-on que  sa  perte  y  ait  été  sentie,  comme  l'avait  été 
celle  de  son  ami.  Plus  connu  des  Suisses,  Agassiz  a  été  plus 
honoré  de  ceux-ci,  qui  lui  ont  érigé,  dans  le  cimetière  de 
Mont-Auburn,  à  Canibiidge,  comme  monument,  un  bloc  de 
granit  du  glacier  de  l'Aar,  qui  rappelle  ses  brillantes  décou- 
vertes sur  les  glaciers.  Nous  ne  demandons  pas  aux  Suisses 
qui  aui'ont  appris  à  connaître  Guyot,  d'envoyer  à  Princeton 
un  bloc  erratique,  pour  le  dresser  sur  sa  tombe.  Mais  nous 
espérons  qu'ils  lui  conserveront,  dans  leur  cœur,  un  souve- 
nir respectueux  ;  mieux  encore,  nous  espérons  que,  puisant 
un  exemple  dans  son  intérêt  pour  l'éducation  de  la  jeunesse, 
ils  voudront  faiie  quelque  chose  pour  que  les  milliers  d'élè- 
ves de  nos  écoles,  à  tous  les  degrés,  arrivent  à  posséder  un 
enseignement  plus  ou  moins  analogue  au  sien,  s'inspirant  du 
même  esprit  et  se  propageant  par  des  moyens  analogues;  ce 
sera  lui  dresser,  dans  les  cœurs  des  enfants  de  notre  patrie, 
un  monument  impérissal)le;  l'amour  est  plus  fort  que  la 
mort,  et  la  reconnaissance  affectueuse  n'est  qu'un  des  rayons 
lumineux  de  la  charité  qui  dure  éternellement! 

'  11  avait  perdu,  en  18S1,  les  deux  so?urs  qui  lui  restaient  : 
]\Imes  Grandpierre  et  Sandoz. 


LE  GLOBE 

JOURNAL  GÉOGRAPHIQUE 


ORa^NE 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  DE  GENÈVE 


TOME  VINGT-QUATRIÈME 


Quatrième  Série  —  Tome  IV 


BULLETIN 


GENÈVE 

LIBRAIRIE      R.     BURKHARDT 

SUCCESSEUR    DE    TH.    MUELLER 

2,  place  Molard,  -2 

1885 


IVo     t. 


BULLETIN 


EXTRAIT 

DES  PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Session  1884-1885. 


SÉANCE  DU  14  NOVEMBRE  1884. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

M.  le  Président  annonce  que  le  cours  de  géographie  sera 
de  nouveau  donné  par  M.  le  prof.  Rosier;  il  commencera  en 
janvier;  le  sujet  en  sera  le  bassin  oriental  de  la  Méditerranée. 
—  La  Société  de  Berne,  Vorort  de  l'Association  des  Sociétés 
suisses  de  géographie,  pour  cette  année,  a  fait,  à  la  tin  d'août, 
à  ses  sœurs  de  Genève,  Saint-Gall  et  Hérisau,  une  réception 
amicale  et  gracieuse.  MM.  Lulhy,  D-"  Keller,  D""  Pétri,  Lan- 
dolt,  Faure,  Rohner,  Mulhaupt  et  Moser  y  ont  donné  des 
communications  utiles  et  intéressantes.  Genève  a  été  choisi 
comme  Vorort  pour  la  prochaine  session,  qui  aura  lieu  en 
1886.  Dès  lors,  une  nouvelle  Société  de  géographie  s'est  fon- 
dée à  Aarau.  Le  Président  lui  souhaite  la  hienvenue  dans 
l'Association. —  Il  paie  un  ti'il)ut  de  regrets  bien  mérités  à  la 
mémoire  de  M.  le  D*"  v.  Hochstelter,  M.  H.,  et  à  celle  de  M.  le 
prof.  Hornung,  M.  E. 

M.  Ed.  Kunkler  est  admis  comme  membre  etTectif. 

M.  Rocbette  pré.senle  le  compte  rendu  tinancier;  confor- 
mément au  rapport   de  MM.   Ad.  de  Morsier  et  Edmond 


4  BULLETIN. 

iMassip,  vérificateurs  des  comptes,  il  lui  est  donné  ilécliar,i:e 
de  sa  gestion  avec  renierciemenls. 

M.  Faure  rapporte  sur  les  volumes  reçus  par  la  bibliothè- 
que, et  sur  les  périodiques  dont  le  nombre  s'est  élevé,  dans 
les  dernières  années,  de  45  à  103. 

Le  Président  présente  un  don  de  caries  anciennes  de 
M.Victor  Forel,de  iMorges,el  fait  appel  à  des  dons  semblables. 
Puis,  prenant  la  parole  pour  .sa  coihmunication  annoncée, 
M.  de  Beaumont  attire  d'abord  l'attention  de  la  Société  sur 
les  événements  de  l'Indo-Cbine,  et  parle  des  établissements 
français  d'Obock  et  de  Tadjoura,  signalant  le  retour  de 
M.  Soleillet,  l'explorateur  du  Choa  et  du  pays  des  Gallas. 

M.  de  B.  relève  ensuite  l'importance  qu'a  prise  la  décou- 
verte de  M.  Savorgnan  de  Brazza,  du  cours  de  l'Alima, 
rivière  que,  selon  lui.  Ton  pourrait  bien  appeler  la  Savor- 
gnan, en  l'honneur  du  vaillant  exploi'ateur.  Il  mentionne  la 
multiplication  des  stations,  créées  par  Stanley,  le  long  du 
Congo. —  A  cette  occasion,  il  exprime  ses  regrets  pei'sonnels 
d'avoir  vu  le  plan  de  l'Association  internationale  africaine, 
modifié  à  l'ouest  par  le  Comité  d'études  du  Congo,  tandis 
qu'à  l'est,  de  Zanzibar  au  Tanganyika,  l'Association  poursuit 
son  œuvre  en  se  tenant  fidèlement  attachée  aux  résolutions 
de  la  Conférence  de  Bruxelles  de  1877. 

Il  signale  la  prise  de  possession  par  l'Angleterre,  de  Zeïlali 
et  de  Berbera,  sur  la  côte  des  Somalis,  dans  le  golfe  d'Aden. 

Dans  l'Amérique  du  Sud,  M.  de  Beaumont  relève  surtout 
les  travaux  du  D""  Thouar,  à  la  recherche  des  restes  de  l'ex- 
pédition du  D'  Crevaux,  massacré  par  les  Indiens  Tobas.  En 
Asie,  ceux  de  Prjewalsky  et  de  notre  compatriote,  M.  Moser. 
—  Il  rappelle,  à  l'occasion  du  dépai't  de  Genève  de  M.  de 
Seylï,  Tintéressante  communication  que  celui-ci  a  faite  à  la 
Société  sur  la  catastrophe  de  Ki-akatau.  Il  mentionne  les  tra- 
vaux de  M.M.  Oswald  Heer,  Nordenskiokl  et  Alphonse  Favre, 
sur  les  régions  polaires  et  sur  l'extension  de  l'époque 
glaciaire,  travaux  qui  permettent  de  supposer  que  le  refroi- 
dissement des  terres  boréales  date  de  la  période  tertiaire.  .A 
l'hémisphère  austral,  les  observations  feraient  croire  à  l'exis- 
tence, dans  l'océan  Pacifique,  d'un  grand  continent  qui  se 
serait  effondré,  ne  laissant  de  traces  que  dans  les  îles  qui 
peuplent  cette  mer  immense. 


PROCES-VERBAUX.  5 

Passant  à  la  géographie  technique,  M.  de  Beaumont  rap- 
pelle la  solution  donnée,  à  Washington,  h  la  question  du 
méridien  initial,  à  laquelle,  depuis  dix  ans,  il  a  voué  le  plus 
vif  intérêt.  La  France  et  le  Brésil  n'ont  pas  reconnu  la  com- 
pétence du  Congrès,  auquel  n'assistaient  que  des  délégués 
des  gouvernements,  et  non  pas,  comme  cela  avait  été  résolu 
à  Venise,  des  savants  pris  dans  toutes  les  branches  des  scien- 
ces intéressées  à  la  question.  Il  exprime  la  crainte  que  la 
pression  exercée  en  faveur  du  méridien  de  Greenwich 
n'aboutisse  au  statu  quo. 

La  Société  remercie  M.  de  Beaumont  de  cette  revue  géo- 
graphique, dont  ce  qui  précède  n'est  qu'un  court  résumé. 

M.  Faiire  dit  quelques  mots  des  acquisitions  allemandes 
faites  depuis  la  séance  d'avril,  cà  la  côte  occidentale  d'Afrique, 
de  l'embouchure  du  fleuve  Orange  jusqu'au  cap  Frio,  sur 
une  ligne  de  côte  de  1230  kilom.  et  une  largeur  de  100  kil.; 
du  territoire  de  Togno,  dans  le  golfe  de  Guinée,  entre  les 
deux  districts  des  possessions  anglaises  de  Cape  Coast  Castle 
et  de  Lagos,  ainsi  que  de  celui  du  Cameroon,  important  au 
point  de  vue  du  développement  des  relations  commerciales 
avec  l'intérieur;  les  découvertes  scientifiques  dans  la  direction 
des  sources  du  Bénoué.  d'où  revient  Robert  Flegel,  et  du  lac 
Liba,  connu  seulement  d'après  les  renseignements  fournis 
par  des  indigènes  en  profiteront  aussi.  —  Plus  importante 
que  ces  acquisitions  est  la  réunion  de  la  Conférence  qui 
s'ouvre  le  lo  courant  à  Berlin,  et  à  laquelle  seront  repré- 
sentés presque  tous  les  États  civilisés  des  deux  mondes. 
Depuis  le  Congrès  de  Vienne,  en  I8I0,  on  n'avait  pas  vu 
une  réunion  semblable.  C'est  à  Vienne^  que  fut  inscrite,  pour 
la  première  fois  dans  un  traité  international,  l'abolition  de  la 
traite  des  nègres,  et  quoiqu'elle  ait  dispai-u  de  la  côte  occi- 
dentale d'Afrique,  la  Conférence  de  Berlin  ne  manquera  pas 
d'introduire  dans  ses  décisions  une  clause  relative  à  la  sup- 
pression de  la  traite  à  l'intérieur  du  continent.  C'est  à 
Vienne  aussi  que  fut  posé  le  principe  de  la  libre  navigation 
des  fleuves  qui  se  jettent  dans  les  océans,  comme  continua- 
tion des  mers  dans  lesquelles  la  liberté  de  navigation  venait 
d'être  reconnue  ;  la  Conférence  de  Berlin  proclamera,  nous 
l'espérons,  le  principe  de  la  libre  navigation  du  Congo.  La 


6  HULLETIN. 

Suisse  n'étant  pas  une  puissance  maritime,  n'est  pas  repi'c- 
senlée  à  celte  grande  asseml)lée;  mais  nous  n'oublierons  pas 
que  c'est  à  un  Suisse,  (îenevois,  membre  de  la  Société  de 
géographie,  à  M.  G.  Moynier,  que  revient  l'honneur  d'avoir 
déposé,  dans  son  mémoire  sur  Lu  question  du  Congo,  pré- 
senté à  l'Institut  de  droit  international,  le  germe  de  l'arbre 
dont  la  Conférence  de  Berlin  assurera  la  croissance,  et  h 
l'ombre  duquel  se  développeront  les  relations  pacifiques  des 
savants,  des  commerçants  et  des  philanthropes  avec  les  indi- 
gènes, dans  l'Afrique  centrale  équatoriale. 


SÉANCE  DU  28  NOVEMBRE  1884. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Le  Président  communique  la  démission  de  M.  Bornand,  et 
présente  MM.  Hoffmann,  pasteur,  et  Emile  Chaix,  qui  sont 
admis  comme  membres  effectifs,  à  l'unanimité. 

Il  donne  ensuite  la  parole  cà  M.  le  prof,  Alphonse  Favre,  qui 
a  bien  voulu  faire  une  communication  sur  la  Carte  du  phé- 
nomène erratique  du  revers  nord  des  Alpes  suisses,  dont  il  a 
fait  présent  à  la  Société. 

Cette  carte  à  l'échelle  du  Vasnoon  présente,  sous  des  cou- 
leurs différentes,  sept  bassins  glaciaires  :  ceux  de  l'Isère,  de 
l'Arve,  du  Rhône,  de  l'Aar,  de  la  Reuss,  de  la  Linth  et  du 
Rhin,  ce  dernier  dépasse  les  limites  de  la  carte  en  s'étendanl 
au  delcà  du  lac  de  Constance,  il  en  est  de  même  de  celui  du 
Rhône  qui  ne  s'est  arrêté  qu'à  Lyon. 

Le  terrain  glaciaire,  argile  avec  blocs  erratiques,  est  repré- 
senté par  des  traits  horizontaux.  Les  blocs  erratiques  eux- 
mêmes  sont  marqués  par  des  points  rouges  et  les  moraines 
par  des  lignes  de  la  même  couleur. 

En  certains  endroits,  les  dépôts  de  blocs  erratiques  sont 
très  considérables;  c'est  le  cas  à  Monthey,  à  Morschach,  etc. 
Malheureusement  ils  ont  été  l'objet  d'une  exploitation  qui  en 
a  fait  disparaître  un  grand  nombre,  comme  par  exemple  à 
l'entrée  de  la  vallée  de  l'Areuse  où  il  en  existait  naguère  un 
dépôt  énorme. 


PROCES-VERBAUX.  7 

Pour  arrêter  celte  disparition,  MM.  B.  Studer,  L.  Soret  et 
A.  Favre,  adressèrent,  en  1867^  un  appel  aux  Suisses  en 
faveur  de  la  conservation  de  ces  blocs.  Cet  appel  fut  entendu 
non  seulement  en  Suisse, mais  aussi  à  l'étranger,  et  MM.  dian- 
tre et  Faisan  publièrent  leur  i)el  ouvrage  sur  les  anciens  gla- 
ciers de  la  partie  moyenne  du  bassin  du  Rhône. 

Quant  aux  moraines,  il  en  existe  de  très  nombreuses  et  de 
très  puissantes,  surtout  dans  les  environs  de  Thoune  et  de 
Berne,  ainsi  qu'en  Argovie. 

Il  y  a  grand  intérêt  à  rechercher  les  blocs  déposés  le  plus 
haut  par  les  glaciers  en  mouvement;  ils  marquent  la  plus 
grande  extension  d'un  glacier,  en  même  temps  que  sa  plus 
grande  épaisseur.  Ainsi^  dans  la  vallée  de  l'Arve,  on  en 
trouve  à  2000  mètres,  sur  le  mont  Lâchât,  au-dessus  du 
pavillon  de  Bellevue;  puis,  à  1800  mètres,  sur  le  mont  Joly, 
à  une  distance  de  10  kilom.,  ce  qui  donne,  pour  le  glacier, 
une  pente  de  20  7ou  !  ^  '^  Pointe  d'Andey,  ils  sont  à  1665  mè- 
tres; la  distance  étant  de  35  kilom.,  et  la  différence  d'altitude 
de  135  mètres,  la  pente  était  de  4  7oo  seulement.  Au  mont 
Salève  les  blocs  sont  à  1308  mètres,  la  distance  de  20  kilom. 
et  la  pente  de  17  "/no- 

Le  glacier  du  Rhône  a  déposé  des  blocs  sur  le  Salève 
à  1308  mètres,  au  Chasseron  à  1352  mètres,  au  Chasserai 
à  1306  mètres,  ce  qui  montre  qu'il  y  avait  entre  le  Salève  et 
le  Chasserai-,  sur  une  distance  de  150  kilom.,  une  immense 
plaine  de  glace  à  pente  presque  insensible.  On  trouve  des 
blocs  au  Colombier  sur  Culoz.  à  1200  mètres,  el  au  Molard 
de  Don,  au  N.-O.  de  Belley.  à  1100  mètres. 

La  masse  de  glace  étant  beaucoup  plus  considérable,  les 
glaciers  d'alors  cheminaient  plus  vile  que  ceux  d'aujourd'hui. 
Ceux  du  Groenland  avancent  de  19  m.  en  24  h.  La  grandeur 
et  le  nombre  des  moraines  déposées  par  les  anciens  glaciers 
peuvent  donner  une  idée  de  la  puissance  de  ceux-ci. 

La  différence  entre  les  bassins  glaciaires  el  les  bassins 
hydrographiques  était  très  grande.  Le  glacier  du  Rhône, 
par  exemple,  était  si  puissant  qu'il  arrêtait  celui  de  l'Aar;  il 
avait  envahi  une  partie  de  la  vallée  de  la  Grande-Emme, 
dans  laquelle  on  trouve  des  blocs  provenant  du  Valais.  11 
avaU^  pour  affluents,  des  glaciers  qui  descendaient  des  mon- 


b  BULLETIN. 

tagnes  voisines  du  lac  de  Brienz.  A  l'ouesl,  il  traversait  le 
col  de  Jougne  euraulres  encore,  et  s'étendait  dans  le  Jura 
français,  jusqu'à  Ornans  près  de  Besançon,  où  Ton  rencontre 
des  blocs  du  Valais,  déjà  signalés  par  Deluc  en  1782.  Plus 
tard  on  en  a  reconnu  la  présence  jusque  sur  les  bords  du 
Dessoubre.  L'altitude  du  glacier  était  telle,  qu'il  passait  par- 
dessus les  cols  et  recouvrait  les  plateaux  du  Jura,  sauf  dans 
la  partie  S.-O.  de  la  cbaine  où  les  cols  sont  plus  élevés.  Le 
Jura  avait  aussi  ses  glaciers  qui  descend  «ient  vers  celui  du 
Rliône,  portant  des  blocs  jurassiens,  tandis  que  le  glacier  du 
Rhône  apportait  au  Jura  des  blocs  erratiques  du  Valais.  Celui 
du  Rhin  a  emmené  des  blocs  des  Grisons  jusque  sur  la  rive 
gauche  du  Danube. 

Dans  le  tableau  suivant  sont  réunies  quelques  observations 
relatives  à  l'ancien  glacier  de  la  Reuss  qui  s'étendait  du  Saint- 
Gothard  au  Rliin  : 


LOCALITÉS 

Niveau 
snpéricur 
des  traces 
du  glacier. 

Niveau 

de  la  vallée 

voisine. 

3_2 

S  S 

"?.   61) 

Mètres. 

à 

5 

Différence     II 
de  hauteur 
des  traces 
glaciaires. 

Mètres         Mètres. 

KlloiL. 

Mètres. 

Wyttenwasser- Stock  ' 
Eeeberg  ' 

3084 

1360 

1360 

1080 

900 

800 

525 

500 

2190 
437 
437 
417 
409 
366 
330 
323 

894 
923 
923 
663 
491 
434 
195 
177 

45 
13 

7 
30 
26 
11 

6 

1724 

0 
280 
180 
100 
275 
25 

38  "/oo 

0 
40 

6 

4 
25 

4 

Gotthardli  ^ 

Rossberg  * 

Lindenberg^ 

Làgern  ® 

Reinerberg  ' 

Boltenberg  * 

'  Les  eaux  de  ce  glacier  passent  à  R 
'  Au-dessus  de  Fluelen. 

éalp. 

3  Sur  la  crête  du  Rigbi,  en  face  de  F 

luelen. 

■*  A  l'E.  du  sommet  du  Righi. 

5  Au  S.-E.  du  lac  de  Halhvyl. 

6  A  l'E.  de  Baden. 

"•  Au  N.  de  Brugg. 
8  A  l'O.  de  Bottstein. 

PROCÈS- VERBAUX.  9 

Des  applaudissements  lémoignent  à  M.Favre  du  vif  iolérôt 
avec  lequel  la  Société  a  suivi  sa  communication.  Le  prési- 
dent l'en  remercie  et  rappelle  que  c'est  à  des  Suisses,  Venetz, 
de  Charpentier,  Agassiz,  E.  Desor,  qu'est  due  l'étude  du 
transport  des  blocs  erratiques. 

M.  Favre  ajoute  à  ces  noms  celui  d'Arnold  Guyot  qui,  à 
ce  genre  d'étude  avait  voué  iieaucoup  de  sagacité  et  de 
persévérance.  La  carte  qu'il  a  tracée  du  phénomène  errati- 
que, déposée  au  Musée  de  Princeton  (New-Jersey),  et  dont 
une  copie  a  été  communiquée  à  M.  Favre,  présente  des  dif- 
férences importantes  avec  celle  de  ce  dernier.  Les  mémoires 
remarquables  présentés  par  A.  Guyot,  à  la  Société  helvétique 
des  sciences  naturelles,  sont  malheureusement  trop  peu 
nombreux. 

M.  Favre  signale  encore  l'intérêt  qu'il  y  a  cà  bien  connaître 
la  provenance  des  roches.  Près  de  Soleure  se  trouve  un  bloc 
de  61,000  pieds  cubes  d'arkésine  du  Valais,  qui  a  fait  un 
voyage  d'environ  200  kilomètres.  Les  porphyres  rouges 
épars  dans  le  terrain  amené  par  le  glacier  du  Rhône,  vien- 
nent des  assises  de  rochers  qui  dominent  la  cascade  de  Pis- 
sevache.  Dans  une  partie  de  l'Argovie,  au  contraire,  les 
porphyres  viennent  de  la  vallée  de  Maderan. 

Plusieurs  des  assistants  adressent  à  M.  Favre  des  questions 
auxquelles  il  répond  avec  beaucoup  de  bienveillance. 

Le  Président  exprime  le  désir  qu'une  demande  soit  adres- 
sée aux  gouvernements  cantonaux  pour  qu'ils  fassent  ins- 
crire au  cadastre  les  principaux  blocs. 

M.  Favre  répond  qu'il  a  adressé  une  demande  à  M.  le  Co- 
lonel Siegfried,  chef  de  l'État-major  fédéral,  pour  que  les 
blocs  erratiques  fussent  inscrits  sur  les  caries  au  Viooooo;  ^u 
Vsoooo  6t  au  Vîsooo-  Quant  à  la  conservation  des  blocs,  il  y  a 
des  communes  qui  ont  pris  des  mesures  préservatrices,  Bou- 
dry  par  exemple,  et  Soleure,  qui  a  dans  son  voisinage  une 
colline  couverte  de  230  blocs  au  moins.  En  Savoie,  les  pré- 
fets et  les  sous-préfets  n'ont  pas  d'autorité  sur  les  communes 
pour  empêcher  la  destruction  des  blocs  ;  la  loi  projetée  à 
cet  effet  n'a  pas  été  adoptée  par  le  Sénat.  Les  blocs  du  Salève 
ont  été  en  partie  exploités  pour  la  construction  du  chemin 
de  fer  ;  cependant,  sur  le  Petit  Saléve,  ils  ont  été  respectés. 


10  BULLETIN. 

La  question  de  deux  périodes  glaciaires  n'est  pas  encore 
résolue.  On  a  cru  trouver  des  traces  de  deux  épocjnes,  à  la 
Dranse,  dans  le  fait  qu'au-dessous  des  graviers,  on  voit  de 
l'argile  avec  des  cailloux  polis  et  striés.  Mais  dans  le  glacier 
actuel  de  l'Allée  Blanche,  on  trouve  des  moraines  indiquant 
un  avancement  du  glacier,  en  1817,  puis  un  l'ctrail  marqué 
par  des  cailloux  roulés  ;  si  un  nouvel  avancement  se  pi-oduit, 
il  se  formera  une  nouvelle  moraine  sur  ceux-ci^  sans  qu'on 
puisse  voir  dans  cet  avancement  une  nouvelle  époque  gla- 
ciaire. C'est  surtout  aux  découvertes  de  Oswald  Heer  et  de 
Escher,  à  Wetzikon,  qu'on  a  rattaché  la  distinction  entre 
deux  époques  glaciaires.  En  Angleterie  et  en  Amérique  on 
en  distingue  encore  davantage. 

M.  le  missionnaire  Creux,  assistant  à  la  séance,  le  Prési- 
dent l'invite  à  dii'e  quelques  mots  de  la  par-lie  du  Transvaal 
septentrional,  où  travaille  la  mission  romande. 

M.  Creux  fait  espérer  à  la  Société  qu'il  pourra  donner 
prochainement  une  communication  développée,  comme 
l'a  fait,  il  y  a  trois  ans,  son  collègue,  M.  Paul  Berlhoud. 
Pour  aujourd'hui,  et  vu  l'heure  avancée  de  la  séance,  il  se 
borne  à  quelques  noies  sur  les  différents  noms  donnés  aux 
Goamba  par  leurs  voisins,  Basulo,  Zoulous,  etc.,  et  sur  les 
noms  (les  mois  de  l'année  en  langue  goamba  ;  en  voici  un 
résumé  : 

1.  Le  nom  de  Goamba  leur  vient  probablement  des  tii- 
bus  de  Basuto,  qui  les  ;ivoisinent,  et  qui,  les  entendant  jurei- 
par  Goamba,  le  premier  homme  selon  eux,  leur  en  ont 
donné  le  nom. 

2  Celui  de  Thonga  leur  est  donné  par  les  Zoulous  et  signi- 
lie  les  esclaves,  les  vaincus,  en  goamba,  ma^/o/t^a,  les  nations 
vaincues  par  les  Zoulous.  Ce  sont  les  mêmes  Batoka  dont 
Livingstone  parle  dans  son  ouvrage  :  Le  Znmbèze  et  ses 
(Clients,  et  qu'il  loue  beaucoup  pour  leur  générosité.  Les 
noms  que  nous  trouvons  dans  ce  livre  confirment  cette 
hypothèse. 

3.  Mahlengwe,  au  nord  du  Limpopo  :  Plus  doux. 

4.  Miiidongwe,  nom  donné  à  une  tribu  par  les  Portugais, 
les  Tchopi. 

o.  Balickwana,VeiïU  blancs;  on  les  retrouve  partout. ils  se 


PROCÈS-VERBAUX.  11 

font  passer  pour  Znulous,  ils  en  parlent  la  langue,  ils  en 
portent  le  costume,  ils  ont  longtemps  été  leurs  soldats. 

D'après  tout  ce  que  j'ai  vu,  je  puis  donner  mon  assenti- 
ment à  ce  que  dit  Erskine  : 

«  Les  Tonga  sont  une  race  qui  peut  se  développer  et  qui 
se  développe.  Ils  considèrent  la  guerre  comme  un  état  anor- 
mal qui  doit  êti-e  évité  ou  terminé  le  plus  tôt  possible  ;  ils 
dilTèrent  en  cela  des  Zoulous,  plus  sauvages,  qui  regardent 
cet  état  comme  une  vocation  et  méprisent  les  arts  de  la  paix. 

«  N'aimant  pas  la  discipline  militaire,  préférant  être  gou- 
vernés par  de  petits  chefs  qui  se  font  obéir  plus  par  influence 
morale  que  par  force,  peu  de  tribus  deviendraient  plus 
susceptibles  d'être  influencées  par  l'instruction  des  mission- 
naires. » 

Quant  aux  noms  des  mois  en  goamba  : 

Janvier,  Nsnngnti  :  (Ko  sungula)  les  rivières  commencent 
à  se  remplir. 

Février j  Mhandhe,  perche  ou  poteau  :  Les  gens  ivres  du 
kanyi,  sont  obligés  de  s'appuyer  contre  les  perches  pour  ne 
pas  tomber. 

Mars,  Nmibandlela  :  L'herbe  cache  les  chemins  que  l'on  a 
faits  pour  aller  cherchei*  des  kanyi,  fruits  dont  on  fait  du 
cidre. 

Avril,  AJodyetsihi  :  Que  peut-on  vous  offrir?  Tant  il  y  a  à 
manger;  c'est  le  mois  de  l'abondance  :  maïs  vert,  patates, 
arachides,  courges,  pois  lubeiciileux,  etc. 

Mai,  Hukura  :  Signification  inconnue. 

Juin,  Tsingembe:  Froid. — Tchingembe:  Mois  de  la  froidure. 

Juillet,  Ko  Maya  bahlayi  :  Que  ceux  qui  savent  compter  le 
fassent  !  Impossible  de  connaîlie  exactement  ce  mois,  tant  il 
i-essemble  à  la  fin  du  précédent  et  au  commencement  du 
suivant.  A  la  fin  de  la  discussion  on  dii'a  :  Ko  hlaya  bahlayi. 

Août,  Hlangula  timbale  :  Il  commence  à  faire  assez  chaud 
\)0\iv  essuyer  les  crevasses  {Ww.)  que  le  froid  de  l'hiver  a  ci-eu- 
sées  aux  pieds  et  aux  mains.  Il  est  à  noter  que  ce  froid  est  très 
rarement  au-de.ssous  de  -f-8°  à  10°  centigrades. 

Septembre,  ^dhali,  ou  Ndhata.  Je  viens.  Les  gens,  enten- 
dant siffler  le  vent,  croient  qu'on  les  appelle  et  répondent  : 
Je  viens. 


12  BULLETIN. 

Octobre  :  Sec  et  très  chaml.  Vent  chaud  cl  lirnlant,  pré- 
(iiist'ur  tle  la  pluie.  Le  vent  dit  :  Woti,  Won. —  Maivaicana  est 
le  nom  de  ce  mois. 

Norenibre,  Xiiaiiyannana  :  Petits  oiseaux.  Moment  où  l'on 
en  voit  un  gi'and  nomlire  sortir  du  nid. 

Décembre,  Nyanyankulu:CiVi)>  oiseaux.  C'est  le  mois  où  les 
petits  aiglons  et  les  éperviers  se  montrent  et  se  font  entendre. 


SEANCE  DU  12  DÉCEMBRE  1884. 
Présidence  de  M.  H.  Eouthuxier  de  Beau.mont. 

Le  Président  rapporte  que  le  règlement  revisé  sera  pré- 
senté à  la  prochaine  séance.  Il  rappelle  que,  dans  Tassemhlée 
générale  de  l'Association  des  Sociétés  suisses  de  géograpliie, 
tenue  en  août  à  Berne,  Genève  a  été  choisi  comme  Vorort 
pour  1886.  Il  propose  d'adjoindre  au  Bureau  une  commis- 
sion pour  s'occuper  des  affaires  du  Vorort.  MM.  Massip,  Kun- 
kler,  Freundler,  D*"  Perrière  et  Raoul  Gautier  sont  proposés 
pour  en  faire  partie,  et  des  pleins  pouvoirs  sont  donnés  au 
Président  pour  compléter  la  commission,  en  cas  de  refus  de 
la  part  des  membres  sus-mentionnés. 

M.  E.  Martine  est  présenté  comme  membre  etïeclif  et 
admis  à  l'unanimité. 

La  parole  est  donnée  à  M.  F.  de  Morsier  pour  une  com- 
munication sur  le  voyage  du  /)■■  Oscar  Lenz,  à  travers  le 
Maroc,  l'Atlas  et  le  Sahara,  jusqu'à  Timbouctou  (voir  p.  19}. 

Le  Président  présente  un  ouvrage  nouveau  :  Les  habitants 
de  Surinam,  don  du  prince  Roland  Bonaparte. 

M.  Alexis  Demaffeij  rapporte  avoir  rencontré,  dans  ses 
explorations  minières  au  Venezuela  et  au  Barabouk  deux 
gisements  analogues.  Le  filon  aurifère  de  la  mine  du  Callao 
est  extrêmement  riche.  Ce  gisement  de  diorite  décomposée 
est  formé  d'une  masse  argileuse,  onctueuse,  mais  la  dureté 
en  augmente  avec  la  profondeur.  Dans  deux  plateaux  de 
même  niveau,  il  a  étudié  deux  couches  aurifères,  l'une  prés 
de  la  surface,  l'autre  à  4  et  10  mètres  de  profondeur.  Au 
Sénégal,  une  formation  toute  semblable,  avec  une  disposi- 


PROCES- VERBAUX.  13 

lion  analogue,  s'est  offerte  à  lui,  à  Keniéba;  seulement  la 
seconde  couche  était  à  8  ou  10  mètres. 

MM.  de  Beaumont  et  Welter  posent  à  M.  Demaiïey  quel- 
ques questions  relatives  à  la  formation  géologique  qu'il  vient 
de  mentionner;  puis  le  Président  le  remercie  de  sa  commu- 
nication. 


SEANCE  DU  26  DECEMBRE  1884. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Le  Président  rappelle  le  projet  de  règlement  que  le  Bureau 
a  envoyé  à  tous  les  membres,  pour  qu'ils  pussent  l'examiner 
avant  la  séance;  lui-même  en  avait  fait  un,  de  son  côté.  11 
demande  si  la  Société  veut  nommer  une  Commission  pour 
examiner  les  deux  projets,  ou  discuter  le  projet  du  Bureau. 
M.  de  Budé  demande  que  les  deux  projets  soient  soumis  à 
une  commission.  M.  Humbert  estime  que  cette  demande  ne 
mène  à  rien;  la  Société  se  retrouverait  en  présence  du  troi- 
sième projet  que  pourrait  rédiger  une  commission,  dans  la 
position  où  elle  est  en  présence  du  règlement  préparé  par 
le  Bureau;  tous  les  membres  ont  eu  ce  dernier  entre  les 
mains  depuis  36  heures,  temps  plus  que  suffisant  pour  l'exa- 
miner et  se  faire  une  opinion  à  son  sujet. 

M.  Moynier  explique  que  le  Bureau  a  fait  le  travail  que 
pourrait  faire  une  commission.  La  Société  est  régie  de- 
puis 1877  par  un  règlement  qui  a  fait  tomber  en  désuétude 
celui  de  1859.  Depuis  1877,  quelques  adjonctions  on  dû  être 
faites  pour  répondre  à  de  nouveaux  besoins  ;  il  s'agissait  de 
les  coordonner  avec  les  articles  du  règlement  de  1877.  Le 
Bureau  a  examiné  le  travail  de  M.  de  Beaumont,  dans  lequel 
celui-ci  réintroduit  beaucoup  de  dispositions  du  règlement 
de  1859;  quelque  vénérables  qu'elles  fussent,  le  Bureau  n'a 
pas  jugé  qu'il  y  eût  lieu  de  les  faire  revivre,  la  Société  les 
ayant  déjà  éliminées  en  1877.  Une  Commission  ne  pourrait 
faire  un  travail  plus  valable  que  celui  du  Bureau,  que  si  elle 
pouvait  être  composée  de  membres  connaissant  les  besoins 
de  la  Société,  mieux  que  ceux  auxquels  l'administration  a  été 


14  BULLETIN. 

confiée,  et  dont  quelques-uns  font  partie  du  Bureau  depuis 
plusieurs  années. 

Sur  la  proposition  de  M.  Lesseré,  la  Société  décide  de  dis- 
cuter, article  par  article,  le  projet  de  règlement  présenté  par 
le  Bureau.  Après  délibération,  il  est  adopté  avec  quelques 
adjonctions  portant,  que  l'admission  des  membres  et  l'élec- 
tion du  Bureau  se  font  au  scrutin  secret,  et  que  les  membres 
oui  le  droit  d'introduire  aux  séances  les  personnes  étranu^è- 
res  à  la  Société,  en  en  prévenant  le  Président. 

M.  de  Beaumont  communique  qu'il  a  composé  la  commis- 
mission  du  Vororf,  de  MM.  Massip,  Kunkler,  D""  Dufresne,  et 
MarcMicheli;  MM.  Raoul  Gautier,  D'"  Perrière,  et  Freundler, 
n'ayant  pas  accepté  d'en  faire  partie. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  F.  de  Morsier,  pour  la 
suite  de  sa  communication  sur  le  voi/age  du  Z)'  Lenz  (voir 
p.  19). 


SÉANCE  DU  9  JANVIER  1885. 
Présidence  de  M.  le  D'  Dufkesne,  vice-présidenl. 

Avant  de  faire  procéder  aux  élections,  M.  Dufresne  lit  l'ar- 
ticle du  règlement  qui  s'y  rapporte.  Puis  il  donne  communi- 
cation d'une  lettre  de  M.  H.  Boutbillier  de  Beaumont  qui, 
rappelant  qu'il  préside  la  Société  depuis  sa  fondation,  en 
mars  i8o8,  soit  depuis  près  de  27  ans,  décline  sa  réélection 
et  demande  que  la  Société  appelle  à  la  pi'ésidence  un  autre 
de  ses  membres.  Au  reçu  de  cette  lettre,  M.  Dufresne,  devan- 
çant les  intentions  de  la  Société,  a  fait  une  démarche  offi- 
cieuse auprès  de  M.  de  Beaumont,  mais  celui-ci  lui  a  dit  que 
sa  décision  était  définitive,  et  a  exprimé  nettement  le  désir 
qu'il  ne  fût  pas  fait  auprès  de  lui  de  nouvelles  instances  pour 
l'en  faii'e  revenir. 

M.  Humbert  comprend  qu'après  plus  d'un  quart  de  siècle 
de  travail  pour  la  Société,  M.  de  Beaumont  désire  être 
déchargé  de  ses  fonctions. Lois  de  la  fondation  de  la  Société, 
plusieurs  de  ceux  auxquels  M.  de  B.  proposa  d'en  faire  par- 
tie, lui  firent  de  nombreuses  objections,  mais,  avec  une  vue 
nette  des  choses  et  des  avantages  qui  pouvaient  en  résulter 


PROCÈS- VERBAUX.  15 

pour  Genève  el  pour  le  pays,  il  persévéra  dans  son  projet;  il 
a  réussi,  et  tous  ceux  qui  ont  profilé  de  la  Société  lui  en  sont 
reconnaissants.  L'influence  exercée  par  les  séances,  par  le 
Globe,  par  le  cours  donné  sous  les  auspices  de  la  Société, 
s'est  étendue.  Dans  ces  conditions,  il  est  du  devoir  de  tous 
les  membies  d'exprimer  leur  gratitude  à  M.  de  Beaumont 
qui,  il  faut  Tespérer,  en  renonçant  cà  ses  fonctions  de  prési- 
dent, demeurera  néanmoins  assidu  aux  séances,  auxquelles  il 
continuei-a  à  apporter  des  communications.  M.  Humbert 
propose  que  la  Société  décerne  à  M.  de  Beaumont  le  titre  de 
Président  honoraire. 

MM.  F.  de  Morsier,  Paul  Ghaix,  G.  de  CandoUe  et  d'autres 
appuient  cette  proposition,  en  exprimant  le  désir  que  le 
diplôme  de  Président  honoraire  rappelle  que  M.  de  Beau- 
mont a  été  le  fondateur  de  la  Société. 

La  proposition,  mise  aux  voix,  est  adoptée  à  l'unanimité 
des  membres  présents.  Un  diplôme  spécial  sera  rédigé  par 
les  soins  du  Bureau,  el  accompagné  d'une  lettre,  que  les  mem- 
bres de  la  Société  seront  invités  à  signer  avant  qu'elle  soit 
remise  à  M.  de  Beaumont. 

Les  élections  du  Bureau  ont  lieu  ensuite,  au  Scrutin  secret. 

Sont  élus  : 

Président,  M.  le  D""  Ed.  Dufresne,  ancien  vice-président. 
Vice-Président,  M.  le  professeur  Paul  Ghaix. 
Secrétaire  général,  M.  A   de  Morsier. 
et  MM.  G.  RocHETTE. 

G.  MOYNIER. 

R.  Gautier. 
Gh.  Fauke. 

M.  Dufresne  remercie  de  l'honneur  que  la  Société  lui  fait 
en  l'appelant  à  la  présidence;  il  y  voit  l'expression  du  désir 
que  la  vice-présidence  devienne  comme  un  stage  aux  fonc- 
tions de  président  désormais  annuelles. 

Le  Bureau  présente  comme  membre  honoraii-e,  M.  le 
prof.  Alphonse  Favre,  qui  est  élu  à  l'unanimité. 

Le  Pi'ésident  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  Emile  Ghaix, 
remerciant  de  son  admission  comme  membre  etTectif. 

La  fin  de  la  communication  de  M.  F.  de  Morsier,  est,  vu 
l'heure  avancée,  ajournée  à  la  prochaine  séance. 


16  BULLETIN. 

SÉANCE  DU  23  JANVIER  1885. 

Présidence  de  M .  le  D'  Dufresne  . 

Le  Président  donne  lecture  de  la  lettre  suivante,  rédigée 
parle  Bureau  et  signée  parla  plupart  des  membres  de  la 
Société  : 

Monsieur  Henry  Bouthillier  de  Beaumont,  président  hono- 
raire de  la  Société  de  géographie  de  Genève. 

iMonsieur  le  Président, 

Dans  sa  séance  du  9  courant,  après  avoir  entendu  la  lec- 
ture de  la  lettre  par  laquelle  vous  déclinez  votre  réélec- 
tion comme  président  etTectif,  la  Société  de  géographie  de 
Genève,  prenant  en  considération  les  services  importants 
que  vous  lui  avez  rendus,  comme  fondateur  d'abord,  puis, 
comme  président  pendant  plus  de  20  années,  a  décidé,  à 
l'unanimité  des  membres  présents,  de  vous  décerner  le  titre 
de  Président  iionoraire. 

Les  soussignés,  membres  de  la  Société,  désireux  de  vous 
donner  aussi,  en  leur  nom  personnel,  un  témoignage  de  leur 
estime  et  de  leur  reconnaissance,  saisissent  l'occasion  que 
leur  offre  l'envoi  de  votre  diplôme  de  Président  honoraire, 
pour  y  joindre  l'expression  de  leur  gratitude  quant  au  passé, 
le  vœu  que  vous  continuiez  à  la  Société  votre  précieuse 
sympathie,  et  l'assurance  de  leur  considération  très  distin- 
guée. 

Genève,  le  23  janvier  188o. 

Il  la  remet  à  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont,  ainsi  que 
le  diplôme  de  président  honoraire,  voté  dans  la  précédente 
séance.  M,  de  Beaumont  remercie  du  diplôme  et  des  expres- 
sions affectueuses  de  la  lettre  ;  puis  il  fait  un  résumé  de 
Thistoire  de  la  Société,  de  ses  débuts  à  l'époque  actuelle  ;  il 
donne  l'assurance  que  son  intérêt  pour  la  Société  ira  en 
grandissant,  et  offre  aux  membres  actuels  ses  services  auprès 
de  ses  amis  à  l'étranger. 


PROCES-VERBAUX.  17 

M.  Dufresne  communique  une  leilre  de  M.  le  prof.  Al- 
phonse Favre,  remerciant  la  Société  du  titre  de  membre 
honoraire  qu'elle  lui  a  décerné. 

Il  est  ensuite  procédé  à  l'élection,  au  scrutin,  de  MM.  Alexis 
Lombard,  L.  Ferrière,  pasteur,  et  Slreckeisen-Moultou  qui 
sont  admis  comme  membres  effectifs  à  l'unanimité. 

Le  Président  fait  part  à  la  Société  de  son  intention  de 
donner  chaque  fois,  au  début  de  la  séance,  les  informations 
géographiques  venues  à  sa  connaissance  pendant  la  quin- 
zaine, une  Société  de  géographie  lui  paraissant  devoir  être 
tenue  au  courant  des  faits  qui  se  rattachent  aux  éludes  qu'elle 
poursuit.  Il  commence  par  un  rapprochement  entre  les  faits 
sismiques  du  siècle  passé,  et  ceux  dont  l'écorce  terrestre  est' 
actuellement  le  théâtre.  Au  18"^  siècle,  pendant  cinq  mois, 
se  produisirent  des  secousses  dont  la  plus  forte  causa  la  des- 
truction de  Lisbonne,  et  se  fit  sentir  dans  la  plus  grande 
partie  de  l'Europe,  et  jusqu'en  Amérique.  Actuellement,  les 
secousses  ont  commencé  il  y  a  deux  mois:  Genève,  Turin, 
l'Andalousie,  l'Angleterre  ont  été  ébranlées,  et  le  phénomène 
n'est  pas  terminé.  Il  y  a  là,  pour  l'étude  du  travail  qui  se 
produit  dans  les  conditions  géologiques  du  globe,  des  faits 
que  les  sisraologisles  doivent  prendre  en  considération.  — 
M.  de  Parville,  l'auteur  du  bulletin  scientifique  du  Corres- 
pondant et  du  Journal  des  Débats,  a  rapporté  qu'un  glaçon 
fiottant  a  été  trouvé  dans  la  mer  de  Baffin,  avec  le  cadavre 
d'un  des  hommes  de  l'équipage  de  la  Jeannette;  le  vêtement 
portait  le  nom  de  Noros.  Ce  glaçon,  d'après  M.  de  Parville, 
aurait,  de  l'embouchure  de  la  Lena  à  la  mer  de  Baffin,  tra- 
versé la  mer  libre  du  pôle.  —  M.  A.  de  Morsier  a  extrait  une 
note  sur  les  nouvelles  explorations  du  nord  de  l'Alaska,  des 
numéros  des  27,  28  et  29  octobre  1884  du  San-Francisco 
Daily  Report;  en  voici  le  résumé  :  Le  lieutenant  Georges 
M.  Stoney,  de  la  marine  des  États-Unis,  accompagné  de  t'en- 
seigne Purcell,  d'un  chirurgien  et  d'un  équipage  de  huit 
hommes  seulement,  est  parti  de  San-Francisco,  le  13  avril 
dernier,  dans  le  schoonerOM/<rt/rt67?a,  deo4  tonneaux,  et  y  est 
revenu  le  25  octobre.  Dans  ces  quelques  mois  il  a  exploré 
une  contrée  qui  n'avait  pas  encore  été  visitée.  Il  aurait,  en 
effet,  remonté,  sur  une  longueur  d'environ  400  milles,  un 

LE    GLOBE,    T.    XXIII,    1885.  2 


18  BULLETIN. 

grand  (leiive  (jiiise  jette  d;ins  le  Uotham  inlet,  haie  de  Kotze- 
bue,  imiiiédiatenient  au  iioi-d  du  cercle  arctique,  fleuve  qu'il 
aurait  nommé  le  Putnam,  en  mémoire  de  Putnam,  mort  à  la 
recherche  de  la  Jeannette.  Il  aurait,  d'après  le  journal  cité, 
reconnu  deux  lacs,  trouvé  une  montagne  de  jade,  minéral 
fort  rare,  des  gisements  d'or  et  de  houille.  Le  (leuve  abonde 
en  saumons,  le  pays  est  bien  boisé,  le  climat  chaud  et  agréable 
pendant  les  mois  d'été.  Il  serait,  paraît-il,  possible  d'établir 
des  communications  par  tei-re  avec  l'Océan  Glacial,  par  la 
voie  du  Yukong,  du  Putnam  et  de  la  rivière  découverte  par 
le  lieutenant  Ray,  qui  se  jette  dans  la  mer  arctique  au  cap 
Barrow. 

M.  Dufresne  mentionne  ensuite  l'expédition  envoyée  dans 
le  massif  des  montagnes  du  Minnesota,  à  la  recherche  des 
sources  du  Mississipi,  an  lac  Itaska,  à  lo78  pieds  d'altitude. 
Puis,  les  voyages  des  Scandinaves,  des  Espagnols  et  des  Por- 
tugais, avant  el  après  Colomb,  à  Terre-Neuve,  au  cap  Breton, 
au  Labrador,  etc.  Enfin,  il  présente  à  la  Société  des  docu- 
ments belges,  mis  obligeamment  à  sa  disposition  par  M.  G. 
Moynier,  et  renfermant,  outre  l'exposé  des  travaux  de  l'As- 
sociation internationale,  au  Congo,  la  première  carte  des 
limites  du  bassin  du  Congo  et  de  ses  affluents,  dans  lequel 
devra  être  établie  la  liberté  de  navigation  et  de  commerce, 
décidée  par  la  Conférence  africaine. 

M.  le  D''  Lombard  exprime  à  M.  le  Président  les  remercie- 
ments de  la  Société  pour  ces  informations. 

M.  Humbert  ajoute  à  celles  relatives  à  la  nouvelle  donnée 
par  M.  de  Parville,  que,  d'après  le  journal  anglais,  Nature,  le 
capitaine  du  navire  qui  a  découvert  le  glaçon  poilant  les  res- 
tes de  Noros,  est  arrivé  à  Philadelphie,  où  il  a  donné  une 
description  détaillée  de  ce  qu'il  a  trouvé,  entre  autres  des 
documents  qui  étaient  auprès  du  cadavre. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  F.  de  Morsier  pour  la 
fm  de  sa  communication  sur  le  voyage  du  B'  Lenz  (voir 
ci-après). 

M.  H.  de  Beaumont  oppose  à  l'opinion  de  Lenz,  sur  le 
mirage,  ses  souvenirs  de  la  Russie  méridionale^  où  le  phéno- 
mène du  mirage  se  présente  fréquemment  dans  les  endroits 
où  il  y  a  une  dépression  du  sol.  Mais  il  faut  distinguer  entre 
le  phénomène  de  réflexion  et  celui  de  réfraction. 


PROCES-VERBAUX.  19 

M.  G.  Sarasin  serait  plutôt  de  l'avis  du  D''Lenz,  d'après 
l'expérience  qu'il  a  faite,  en  1856,  dans  la  région  des  Cliotts. 

Un  matin,  à  6  heures,  il  fui  témoin  d'un  phénomène  de 
mirage  très  faible,  qui  ne  pouvait  être  attribué  à  la  chaleur 
de  l'atQiosphère,  puisque  la  journée  était  trop  peu  avancée  ; 
quelques  arbres  seulement,  au  bord  des  Cholts,  paraissaient 
renversés  sous  un  angle  très  petit. 

M.  Humberl  estime  qu'il  ne  faut  pas  appliquer  à  d'autres 
parties  du  désert  les  observations  faites  par  le  D'  Lenz,  sur  la 
route  qu'il  a  suivie  de  Tendouf  àTimbouctou.  D'une  manière 
générale^  il  pense  que,  dans  le  mirage,  il  y  a  deux  éléments 
à  distinguer,  l'objectif  et  le  subjectif,  c'est-à-dire  le  mirage 
réel,  et  celui  qui  est  dû  h  l'état  de  l'individu  qui,  par  suite  de 
l'effet  du  soleil,  de  l'éblouissemenl  des  yeux,  etc.,  peut  voir 
dans  le  mirage  plus  qu'il  n'y  a  réellement.  Aussi  est-il  bon 
de  ne  pas  se  bâter  de  conclure,  et  d'être  réservé  à  l'égard  de 
ce  que  d'autres  disent  avoir  vu.  Ce  principe  peut  s'appliquer 
également  aux  effets  du  simoun,  racontés  par  les  voyageurs. 

M.  le  prof.  Chaix  rappelle  la  description  de  voix  d'appel, 
de  sons  étranges,  faite  par  un  écrivain  arabe  du  11"^  siècle, 
qui  s'était  rendu  au  Niger  à  travers  le  désert,  avant  la  fonda- 
tion de  Timbouclou. 

M.  Weller  cite  les  critiques  faites  de  l'ouvrage  de  Lenz, 
qui  aurait  causé  une  déception  aux  savants,  surtout  aux  géo- 
logues. Mais  l'explorateur  ayant  profité  de  la  fraîcheur  des 
nuits,  pour  traverser  le  Sahara,  ne  pouvait  guère  faire  d'ob- 
servations géologiques  sur  cette  région. 


Le  foijage  du  D'' Oscar  Lenz  à  Tinibouctou,  à  travers  le  Maroc, 
l'Atlas  et  le  Sahara. 

On  connaît  le  projet  du  grand  voyageur  de  Humboldt 
pour  l'exploration  du  massif  de  l'Atlas,  projet  que  les  cir- 
constances d'alors  ne  lui  permirent  pas  d'exécuter. 

Déjà  avant,  et  bientôt  après  lui,  des  explorateurs  plus  heu- 
reux, surtout  anglais  et  allemands,  y  avaient  dirigé  leurs  pas 
aventureux.  S'en  étonnerait-on,  quand  on  sait  que  ce  massif 
de  l'Atlas  présente,  sur  une  surface  dont  on  ne  soupçonnait 
pas  encore,  aloi's,  toute  l'étendue,  des  hauteurs  inexplorées, 


20  BULLETIN. 

enveloppées  de  nuages,  couvertes  de  neiges  persistantes  et, 
peut-être  même,  de  véritables  glaciers^  tandis  que  sa  hase 
vient  mirer  ses  forêts  d'orangers  et  de  dattiers  dans  les  eaux 
de  la  mer.  Ajoutons-y  les  récits  fabuleux  sur  les  mœurs  de 
populations  féroces,  où  se  rencontre  celte  race  d'hommes, 
antéi'ieure  à  l'époque  de  l'invasion  arahe,  race  signalée  par 
le  D""  Lenz,  sous  le  nom  bien  connu  de  berbères.  Il  passe 
presque  sous  silence  la  dénomination  si  connue  des  Toua- 
regs, généralement  reconnus  pour  berbères;  il  semblera 
pourtant  les  désigner  dans  ces  peuplades  farouches  habitant 
au  sud  de  l'Atlas,  chez  lesquelles  l'homme  porte  le  visage 
voilé,  tandis  que  la  femme,  forte  et  fière,  laisse  voir  le  sien 
à  découvert. 

Nous  apprendrons  avec  notre  voyageur,  à  démêler  les 
traits  moraux  de  ces  populations,  en  même  temps  que 
ceux  de  leurs  visages,  et  à  rétablir  à  leur  égard  la  vérité, 
quand  la  tradition  les  aura  peints  trop  en  noir.  Nous  verrons 
([ue  le  fanatisme  et  la  haine  du  nom  chrétien  sont  ici  dans 
leur  terre  de  prédilection,  avec  des  traits  qui  se  retrouvent 
pourtant  ailleurs,  chez  les  autres  musulmans,  tels  que  les 
Wehabites  en  Arabie  et  les  Turcomans  du  Bokara.  Nous 
passerons  sous  silence  les  villes,  déjà  visitées  et  décrites  par 
des  voyageurs  européens^  telles  que  Tanger,  Téluan,  Fez, 
Sela,  Rabat,  Maroc  ou  Marakesch,  ancienne  capitale  de  l'em- 
pire du  Maroc. 

Abordons, avec  le  voyageur  allemand  Oscar  Lenz^les  pre- 
miers contreforts  de  l'Atlas,  pour  pénétrer  ensuite  au  delà 
d'une  de  ses  nombreuses  lignes  de  partage  des  eaux  (12  à 
1,300""  au-dessus  de  la  mer),  sur  la  ligne  des  oasis  et  mysté- 
rieuses cités  de  Tamesloht,  de  Amsmiz,  de  Seksaua,  et  de 
Tarudan;  ici  commence  réellement  le  voyage  dans  l'inconnu, 
avec  toutes  ses  péripéties  et  aventures  plus  ou  moins  péril- 
leuses. Nous  pourrions  diviser  la  matière  de  nos  récits,  et  du 
sujet  qu'ils  comportent,  en  les  partageant  en  sections  géogra- 
phiques successives. 

I.  D'abord  le  revers  nord  des  penles  de  l'Atlas  où  se  trou- 
vent encore  des  habitants  plus  ou  moins  façonnés  à  la  vie  de 
populeuses  cités. 

II.  Ensuite,  arrivés  à  la  ligne  du  partage  des  eaux,  nous 


PROCES-VERBAUX.  21 

rencontrerons  des  populations  plus  clairsemées.  L'élément 
arabe  y  est  refoulé  par  les  Berbères  (Kabyles),  ceux-ci  se 
reconnaissant  à  leur  vie,  non  sous  la  tente  du  nomade,  mais 
dans  leur  douair,  leur  maison  d'argile.  Toutefois  si  le  kabyle 
de  l'Atlas  est  sédentaire  comme  habitant  une  maison,  il  est 
encore  nomade,  en  ce  sens  que  celte  maison  précaire  se 
déplace  continuellement.  Ici  commence  l'usage  du  costume 
de  cotonnade  bleue,  d'origine  anglaise,  adopté  par  les  deux 
sexes.  Ce  pays,  appartenant  de  droit  à  l'empire  du  Maroc, 
mais  en  fait  insoumis,  est  dans  un  état  de  soulèvements  et  de 
contestations  renaissants  à  tout  propos. 

III.  Après  vient  le  territoire  berbère  pur,  non  seulement 
insoumis,  mais  libre  et  reconnu  pour  tel.  C'est  là  que  les 
voyageurs,  ne  pouvant  se  réclamer  d'aucune  protection 
reconnue,  sont  exposés  aux  extorsions  et  peuvent  se  trouver 
victimes  de  partis  qui  les  oppriment  par  simples  représailles 
envers  ceux  qui  les  auraient  tolérés  ou  protégés.  Ilerh  en  est 
la  première  ville.  Le  souverain  en  est  Sidi-Husseim,  dit  Sidi- 
Hescham  du  Wad-Nun. 

IV.  Enfin  vient,  tout  à  fait  au  .sud,  le  vrai  désert  de  sable, 
VAreg,  pays  de  la  soif,  terre  des  Touaregs  purs,  hommes  voi- 
lés, femmes  sans  voiles,  mais  il  ne  faut  pas  s'attendre  à  les 
rencontrer  dans  la  portion  la  plus  occidentale  du  désert  de 
l'areg.  Ici  le  costume  d'élofïe  bleue  est  de  règle,  mais,  hélas, 
l'importation  anglaise  fait  disparaître  l'ancien  tissu  originaire 
du  Soudan,  tissé  par  des  négresses.  On  ne  peut,  dit  Leiiz, 
rien  voir  de  plus  fin,  et  en  même  temps  de  plus  solide,  que  ce 
tissu  indigène  devenu  une  rareté.  On  peut  dire  en  résumé 
que,  tandis  que  dans  les  premières  parties  de  son  voyage, 
Lenz  a  rencontré  des  dilïicullés  venant  des  hommes,  dans 
cette  dernière,  il  s'est  trouvé  en  face  d'obstacles  venant  de 
la  nature  du  climat  et  du  sol.  Il  est  du  reste  difficile  de  trou- 
ver, dans  cette  succession  de  régions,  un  guide  plus  sûr,  plus 
véiidique,  plus  modeste,  plus  instruit,  plus  consciencieux  et 
plus  intrépide  en  même  temps,  que  le  D""  Lenz.  Docteur!  ce 
titre  n'est  pas  usurpé,  car,  dans  l'Orient  mahométan,  tout 
voyageur  européen  est  nolciis,  volens,  consacré  médecin,  et 
ce  n'est  souvent  pas  pour  lui  une  sinécure. 

Par  exemple,  Lenz  ayant  donné  de  la  quinine  au  caïd  de 


22  BULLETIN. 

Mesquin,  indisposé,  celui-ci  le  fit  appeler  le  lendemain  au 
point  du  jour,  ayant  une  de  ses  femmes  gravement  indispo- 
sée et  désirant  le  consulter  pour  elle.  Quand  on  connaît  dans 
quel  isolement  absolu  vivent  les  femmes  au  Maroc,  principa- 
lement celles  d'une  certaine  position  sociale,  on  doit  com- 
prendre combien  cette  requête  du  caïd  dut  surprendre  Lenz; 
il  était  en  tout  cas  de  la  plus  baute  prudence  d'y  apporter  le 
sérieux  et  d'y  affecter  le  désintéressement  le  plus  absolu.  Le 
cérémonial  de  la  consultation  fut  arrêté  publiquement,  la 
veille  au  soir,  dans  un  conseil  de  famille.  En  conséquence, 
dit  Lenz,  quelques  parents  du  caïd  vinrent  me  chercher  et, 
accompagné  de  mon  interprète,  je  fus  introduit  dans  une  des 
cours  de  la  Kasbab  (citadelle),  puis  parut  un  vieil  eunuque, 
dont  les  yeux  étaient  soigneusement  bandés;  c'était  le  gar- 
dien du  harem  qui  nous  introduisit  alors,  par  une  suite  de 
cours  et  de  passages,  devant  un  grand  bâtiment  dont  la 
porte,  bardée  de  fer,  était  soigneusement  vérouillée;  après 
qu'il  en  eût  ouvert  successivement  toutes  les  serrui-es,  il 
nous  fit  entrer  dans  un  vestibule  où  une  esclave  noire  m'ap- 
porta une  vieille  chaise  en  roseau  à  moitié  disloquée,  de 
fabrique  européenne,  dont  l'histoire,  depuis  son  origine  jus- 
qu'au moment  où  elle  est  venue,  d'aventures  en  aventures, 
échouer  ici,  serait  curieuse  à  connaître.  L'entrée  proprement 
dite  de  Tapparlement-  féminin  me  resta  totalement  inter- 
dite. Bientôt  apparut,  accompagnée  d'une  esclave,  une  dame 
marocaine  d'âge  moyen,  lichement  vêtue,  le  visage  pas 
entièrement  voilé,  mais  portant  simplement  un  mince  ban- 
deau blanc  entourant  sa  bouche,  bandeau  qu'elle  soulevait 
un  peu  avec  ses  doigts  chargés  de  riches  bijoux,  (juand  elle 
voulait  parler  ;  elle  se  plaignit  alors  à  moi  de  vives  douleui's 
au  sein  gauche,  et  ceci  prenait  une  tournure  sérieuse.  Me 
souvenant  des  instantes  recommandations  de  mon  interprèle 
Hadj'Ali,  de  ne  pas  froisser  la  susceptibilité  ombrageuse  des 
mahométans,  je  conseillai  à  la  malade,  sans  me  permettre 
un  examen  de  visu  quelconque  de  la  partie  atïectée,  des 
frictions  locales  d'espiit  campliré,  remède  que,  dans  les  cas 
embarrassants,  je  prescrivais  contre  tonte  affection  doulou- 
reuse quelconque;  la  malade  ne  païut  pas  satisfaite  ainsi,  et 
il  fallait,  pensait-elle,  en  venir  à  sonder, au  moins  par  le  tou- 


PROCÈS-VERBAUX.  23 

cher,  la  place,  cause  de  si  poiunanles  douleurs;  dans  celle 
intenlion,  la  malade  s'empara  de  ma  main  et  la  posa  sur  la 
partie  douloureuse;  prenant  alors  mon  grand  sérieux  je  pré- 
sentai le  cas  comme  des  plus  graves,  mais  assurai  en  môme 
temps  que  le  remède  prescrit  aurait  raison  du  mal,  tellement 
son  efficacité  était  reconnue  et  sanctionnée  par  mille  exem- 
ples heureux;  ce  n'était  pas  facile  d'exprimer  tout  cela  au 
travers  du  truchement  d'un  intei'piète,  mais  la  dame  qui 
épiait,  dans  une  attente  fiévreuse,  l'expression  de  mon  regard 
et  le  sens  des  paroles  sorties  de  ma  bouche,  parut  enfin  ras- 
surée et  promit  d'exécuter  ponctuellement  mes  oi-donnances. 
Je  fus  bien  content  d'être  sorti  ainsi  de  cette  situation  un 
peu  critique.  La  dame  disparut,  accompagnée  de  sa  suivante, 
l'eunuque  aux  yeux  bandés  reparut,  m'escorta  hors  de  la 
maison,  referma  soigneusement  la  porte  bien  gardée,  d'au- 
tres personnages  s'emparèrent  de  nous  et  je  regagnai  finale- 
ment ma  tente. 

Nous  avons,  prononcé  tout  à  l'heure  le  nom  d'un  des 
compagnons  de  voyage  du  D'  Oscar  Lenz,  le  Hadj'Ali-Bu- 
laleb.  Il  faut,  en  raison  de  son  rôle  et  de  son  importance,  le 
nommei'  en  têle  de  la  compagnie  de  notre  voyageur,  telle 
qu'elle  se  trouve  composée  au  moment  du  départ  de  la  ville 
de  Maroc.  Api'ès  lui,  fier,  comme  nous  le  dirons  plus  loin,  de 
ses  anciennes  relations  avec  feu  l'émir  Abd-el-Kader,  venait 
Grislobal  Bénilès,  deuxième  interprète,  engagé  dès  Tanger. 
Je  lui  avais,  dit  Lenz,  au  moment  de  partir  de  celle  ville, 
déclaré  franchement  les  ri.sques  et  périls  de  l'enlreprise,  ainsi 
que  ma  ferme  résolution  de  ne  me  laisser  arrêter  par  rien, 
et,  une  fois  en  roule,  de  pousser,  coule  (|ue  coule,  vers  le 
pays  rêvé  :  Timbouclou;  mais  en  même  temps  que  je  per- 
sistais à  tout  risquer  pour  l'alleindre,  j'étais  bien  décidé  à 
me  mellie  dors  et  déjà,  par  ma  franchise,  à  l'abri  des  repro- 
ches de  mes  associés,  si  l'affaire  devait  mal  toui-ner.  Bénilès 
déclara  qu'il  agissait  en  pleine  connaissance  des  dangers  à 
affronter,  et  qu'il  ne  me  quitterait  pas  quoi  quMl  pût  arriver. 
Juif  espagnole  ce  que  je  crois,  il  est  connu  au  Maroc  sons  le 
nom  arabe  de  Mdallali,  et  comme  il  parle  l'arabe  maugrebin 
en  perfection,  qu'il  est  parfaitement  au  courant  des  usages 
et  de  la  manière  de  vivre  de  ce  pays,  il  passera  sans  difTicullé 


24  lUTLLETIN. 

pour  ce  (jii'il  se  donne,  c'est-à-dire  poui'  un  croyant  malio- 
métan.  Un  troisième  compagnon  s'est  associé  à  nous,  dit 
Lenz,  dés  la  ville  de  xMaroc:  c'est  un  jeune  scliérif,  parent  du 
sultan  régnant  par  son  oncle  Muley-Ali,  il  est  natif  de  Tafila- 
let  et  s'appelle  Muley-Acliniid;  le  goût  des  voyages  est  l'uni- 
que niolif  pour  lequel  il  s'est  attaché  à  nous  pour  une  bonne 
partie  du  trajet.  Comme  il  s'est  montré,  pendant  notre  séjour 
à  Mai'oc.  un  hrave  et  utile  compagnon,  et  qu'en  tant  que 
schérif,  il  peut  m'ètre  très  utile,  sa  compagnie  ne  peut  que 
me  faire  grand  plaisir;  à  nous  quatre  nous  formons  l'élément 
notable  ou  la  haute  société  de  la  caravane  et  nous  mangeons 
ensemble.  Comme  cuisinier,  nous  avons  à  notre  solde  Sidi 
Mohamed  Ben  Dschilul,  que  j'ai  engagé  à  Fez;  il  a  montré 
une  grande  ardeur  au  début  du  voyage  et  pi'omis  de  me 
suivre  partout  où  j'irais.  Deux  jeunes  garçons  Muhamed  et 
Anhamid  Faraschi,  l'accompagnent  et  sont  chargés  de  la 
manœuvre  et  du  service  des  tentes  ;  Anhamid  est  un  né- 
grillon de  13  à  14  ans.  Nous  avons  enfin,  pour  soigner  nos 
bêtes  (deux  chevaux,  deux  chameaux,  un  mulet  et  deux 
ânes),  Muley-Ali,  Hadj'Muhamed  et  Kaddur.  Nous  veri'ons 
successivement  et  alternativement  s'accroître  ou  se  réduire 
ce  personnel  de  la  troupe,  tant  hommes  que  bêles,  selon  les 
circonstances  et  les  événements  survenus.  De  toutes  les  per- 
sonnes nommées  ici,  les  deux  interprètes  Hadj'Ali-Butaleb 
et  Cristobal  Bénites,  puis  Kaddur,  ont  seuls  accompli  le 
voyage  dans  son  enliei".  Les  voyageurs  étaient  tous  bien 
armés,  mais,  sauf  le  D""  Lenz,  ils  n'avaient  que  les  armes  à  feu 
du  pays. 

Durant  la  première  partie  du  voyage  et  jusqu'à  la  ville 
de  Maroc,  des  gardes  au  nombre  de  deux  ou  en  plus  grand 
nombre,  se  relevaient  de  poste  en  poste  ou  plutôt  d'étapes 
en  étapes,  en  vertu  du  privilège  du  tirman,  pour  assurer  la 
sécurité  du  voyageur;  avec  les  gardes  était  toujours  attachée 
comme  conséquence,  la  ration  journalière  exigible  pour 
hommes  et  bêtes,  et  cette  redevance  était  le  plus  souvent  la 
source  d'affreuses  oppressions  opérées  par  ces  gardes  nom- 
més magazini.  mv  les  populations;  impossible  à  elles  d'y 
échapper,  la  loi  étant  formelle,  obligatoire  et  absolue  en 
faveur  de  tout  voyageur  étranger  pourvu  du  firman.  En 


PROCES-VERBAUX.  25 

vain^  poussé  par  la  commisération,  Lenz  essayait-il  de  payer 
sa  dépense,  l'impôt  n'en  n'était  pas  moins  rigoureusement 
prélevé  et  entrait  alors  dans  la  poche,  sinon  dans  le  gosier 
des  magazini.  A  dater  du  départ  de  Maroc,  ce  tribut  obliga- 
toire prenait  fin,  à  la  grande  satisfaction  de  noire  voyageur; 
il  se  garda  bien  d'en  réclamer  la  continuation  qui,  la  plupart 
du  temps,  lui  aurait  été  octroyée  en  vertu  des  firmans  particu- 
lièrement flatteurs  du  sultan  maugrebin.  Un  firman  du  grand 
seigneur  de  la  Sublime  Porte  ottomane  dont^  si  nous  ne  nous 
trompons,  s'était  muni  notre  voyageui',  était  réservé  pour 
les  grandes  occasions,  et  son  action  semblait  posséder  une 
autorité  incontestée.  C'est  ici  qu'il  faudrait  entrer  avec  le 
D'"  Oscar  Lenz  dans  des  considérations  qui  nous  initieraient 
à  certains  côtés  encore  tr-ès  mal  connus  de  la  politique  des 
États  musulmans.  Je  fis,  la  veille  de  mon  départ,  raconte-t-il, 
une  visite  d'adieux  au  gouverneur  de  la  ville  de  Maroc,  je  ne 
pouvais  rien  lui  dire  de  bien  précis  sur  mes  projets  et  plans 
de  voyage  ultérieurs,  ce  qui  l'eût  alors  obligé,  en  vertu  de  la 
lettre  firman  du  sultan,  de  me  protéger  et  de  se  déclai"er 
lesponsable  de  ma  personne  ;  cela  ne  lui  eût  nullement  con- 
venu, et  ainsi  nous  nous  séparâmes  également  satisfaits  l'un 
et  l'autre,  lui,  de  me  voir  les  talons,  moi,  que  par  un  excès 
de  zèle  officiel,  il  ne  se  soit  pas  mis  en  travei-s  de  mes  plans 
ultérieurs. 

C'est  ici,  avons-nous  dit,  que  commence  proprement  le 
voyage  avec  toutes  ses  péripéties  et  tout  son  imprévu;  il 
faudra  savoir,  selon  l'occasion,  ou  bien  payer  d'audace  devant 
une  difficulté  inattendue,  ou  bien  filer  doux.  C'est  en  cela  que 
brille  essentiellement  notre  voyageur  ;  ne  vous  attendez  pas 
à  le  voir  parler  haut  et  ferme  à  toute  occasion  et  à  tout  pro- 
pos; il  connaît  son  monde  et  a  appris,  en  fréquentant  le 
quartier  des  juifs  dans  les  villes  du  Maugreb,  à  savoir  revêtir 
à  propos  la  contenance  soumise,  humble  quoique  digne,  qui 
réussit  souvent  à  dénouer  pacifiquement  les  complications 
les  plus  désespéi'ées. 

Ces  pauvres  Israélites  du  Maroc  sont  dans  une  situation  en 
apparence  des  plus  précaires  et  des  plus  difficiles  ;  très 
influents  quoique  très  méprisés  dans  les  villes,  mais  réduits 
à  la  condition  la  plus  abjecte,  hors  de  l'influence  tutélaire  du 


26  BULLETIN. 

pouvoir  régiiliei'  clans  les  oasis  isolées  de  rinléiieuf. Lequar- 
lier  des  Juifs,  nommé  MeUah,A\\  Maroc,  est  tantôt  comme 
à  Rome,  un  vrai  getlo,  assujetti  aux  plus  repoussantes  humi- 
liations, tantôt  il  l'enferme  une  confrérie  puissante,  habile 
et  rusée,  exploitant,  à  son  profil  la  place  où  elle  a  su  se  créer 
(les  amis  et  des  protecteurs,  altentive  à  ne  pas  adronter 
l'opinion  publique,  toujours  implacable  en  fait  de  pratique 
religieuse.  Le  juif  acceptera  la  dernière  place  dans  la  société 
extéiieure  et  la  soumission  la  plus  abjecte  au\  exigences  de 
la  rue,  jusqu'à  y  marcher  pieds  nus,  selon  l'ordonnance  qui 
lui  interdit  le  port  des  chaussures,  mais  dans  l'intérieur  de 
sa  demeure,  délabrée  et  sordide  au  dehors,  il  s'entourera  de 
tous  les  raffinements  du  luxe  le  plus  immodéré,  surtout  chez 
la  partie  féminine  de  la  famille;  mais,  en  dehors  des  villes, 
sa  situation  est  déplorable  et  intolérable.  C'est  parmi  cette 
nation  tant  décriée  et  si  souvent  persécutée,  que  Lenz  réussit 
à  se  créer  des  amis,  et  c'est  chez  elle  qu'il  pi'end,  dans  l'oc- 
casion, des  leçons  de  prudence  et  de  patience.  Mais  il  est  une 
autre  clas.se  de  protecteurs  dont  Oscar  Lenz  utilise  au  besoin 
largement  le  crédit,  ce  sont  les  Hadjis  tant  ré\évé^  en  Orient, 
et  auxquels  de  longs  voyages  ont  acquis  une  réputation  non 
seulement  de  sainteté  mais  aussi  d'autorité. 

Le  territoire,  au  delà  et  au  sud  de  la  première  chaîne  de 
l'Atlas,  est  partagé  entre  une  ligne  d'oasis,  ou  de  villes  et  de 
tribus,  rivales  d'intérêt  et  d'influence,  mais  qui,  de  sang  ber- 
bèi'e,  en  face  des  souverains  régnants  de  sang  aral>e, forment 
dans  l'occasion,  une  confédéralion  momentanée,  prête  à 
prendre  les  ai'mes  clans  un  intérêt  commun,  à  soutenir  des 
prétentions  collectives,  et  à  faire  respecter  les  libertés  locales 
contre  toute  atteinte  provoquée  par  Tambilion  ou  la  jalousie 
du  souverain  de  nom.  Il  faut  ici  que  l'autorité  officielle  mau- 
grébine  apprenne  à  compter  avec  une  population  enhardie 
par  la  distance,  et  endurcie  par  l'usage  d'une  indépendance 
réelle  séculaire  dont  elle  connaît  les  avantages  et  dont  elle 
sait  exploiter  les  profits. 

Ce  sont  généralement  des  terres  arrosées  pauvrement,  un 
.sol  ingrat  à  ensemencer  partiellement,  à  force  de  bras;  des 
troupeaux  de  vaches,  brebis,  chèvres,  qu'il  faut  surveiller 
contre  les  coups  de   main ,  constituent  souvent  la   seule 


PROCÈS-VERBAUX.  27 

richesse  de  ce  pays  déshérilé.  Ces  tribus  rivales  vivent  entre 
elles  de  surprises  et  de  rapines,  pour  l'acquisition  de  ces 
troupeaux,  mais  vienne  une  réquisition  brutale  des  gouver- 
neurs pour  le  sultan,  alors  ces  luttes  intestines,  d'oasis 
à  oasis,  s'apaisent,  et  l'intérêt  les  unit  un  moment  contre 
l'ennemi  commun;  que,  par  exemple,  le  sultan  de  Maroc, 
inquiété  par  les  plaintes  des  ambassades  étrangères,  veuille 
mettre  ordre  aux  malversations,  aux  attaques  et  aux  meur- 
tres dont  auront  éié  victimes  quelques  voyageurs  d'Europe, 
qu'il  exige  la  livraison  des  coupables,  qu'il  envahisse  la  tribu 
suspecte  avec  ses  soldats,  voilà  la  guerre  allumée,  et  pour 
longtemps,  dans  le  pays,  sans  profits  pour  les  voyageurs  qui 
n'en  seront  que  plus  délestés  à  Tavenir,  sans  profit  non  plus 
pour  les  tribus  envahies,  aux  dépens  desquelles  les  soldats 
exaspérés  se  payent  en  troupeaux,  sans  satisfaction  effective, 
enfin,  pour  le  sultan  plus  ou  moins  victorieux,  mais  auquel 
la  victoire  a  coûté  cher;  l'indiscret  voyageur  européen,  cause 
de  tout  le  mal,  est  maudit  de  tous. 

Ce  sont  dans  les  petites  villes  ou  cantons  du  revers  de 
l'Allas,  où  nous  allons  bientôt  pénétrer,  tels  que  Tamesloth, 
]Vad-Nfys,  Amsmiz,  Seksana,  Bibuan,  Emnislah,  Tarudan, 
que  le  voyageur  Lenz,  tout  en  étudiant  la  géologie  du  pays, 
devient  un  politique  accompli  pour  conjurer  tous  les  obsta- 
cles qui,  jour  par  jour,  viennent  s'opposer  au  progrès  de  sa 
marche  et  à  l'accomplissement  de  ses  projets.  Négociations, 
souvent  longues  et  scabreuses,  pour  l'octroi  de  la  place  et 
du  teriain  où  il  puisse  dresser  ses  lentes,  ou  bien  pour  l'en- 
trée dans  la  kasbah  d'une  des  villes,  à  l'abi'i  des  insultes  de  la 
population,  pour  la  permission  d'en  vi>iter  les  marchés*où  il 
devra  s'approvisionner;  telle  est  la  vie  de  chaque  jour;  quel- 
quefois l'esprit  public  de  la  petite  cité  ou  de  la  tribu  se  pique 
d'honneur,  se  paye  de  générosité,  par  jalousie  pour  la  tribu 
voisine,  prend  parti  pour  les  voyageurs  malmenés,  maltraités 
ou  menacés  ailleurs,  jusqu'à  leur  offrir  gratis  provisions  et 
protection  pendant  leur  séjour,  cherchant  à  les  retenir  le 
plus  longtemps  possible,  à  recueillir  des  nouvelles  des  pays 
lointains  et  des  événements  politifjues  à  sensation;  on  pour- 
rait parfois,  en  écoutant  les  réflexions  pleines  de  sens  des 
naïfs  quoicjue  sauvages  auditeurs,  se  croire  dans  la  boutique 


28  BULLETIN. 

(rmi  harbier  d'Espagne,  de  Sancho-Pansa  ou  do  Fi.garo.  Les 
récils  concernant  l'émir  Ahd-el-Kader,  suivant  la  couleur 
politique  des  participants  à  Tentrelien,  avaient  surtout  le 
don  d'exciter  rinlérèl  passionné  des  auditeurs.  Iladj'Ali,  en 
effet,  avait  autrefois  vécu  dans  la  faveur  et  la  confiance 
intime  de  cet  illustre  partisan  découronné;  il  en  avait  épousé 
la  cause  et  servi  la  politique  et  les  intérêts  religieux  et  parti- 
culiers ;  la  sentence  d'exil  d'Algérie  qui  avait  frappé  l'ex-émir 
pesait  également  encore  aujourd'hui  sur  son  ami  Hadj'Ali, 
qui  accompagnait  le  D*"  Oscar  Lenz,  et  le  prestige  dont  il  était 
entouré  influait  sur  l'accueil  que  l'on  faisait  à  la  caravane. 

Plus  les  voyageui's  s'avancent  au  sud,  sur  le  revers  méri- 
dional de  l'Atlas,  plus  le  caractère  général  de  la  scène,  en  ce 
qui  concerne  hommes  et  choses,  s'accuse  avec  des  traits  sai- 
sissants et  inaccoutumés  aux  regards  des  Européens.  Arrivés 
au  delà  de  la  petite  ville  de  Tamesloth,  nous  y  dressâmes 
nos  tentes,  raconte  le  D""  Lenz;  c'était  un  site  abondant 
en  oliviers  et  en  dattiers,  dont  la  population  était  très  clair- 
semée; la  chaleur  était  déjà  forte,  environ  28°  cenligr.  à 
l'ombre  à  midi;  mes  compagnons  furent  saisis  ici  d'une 
impression  de  malaise  et  d'anxiété  à  laquelle  je  cédai  bientôt 
moi-même,  ensorte  que,  quand  l'obscurité  survint,  nous 
organisâmes  d'un  commun  accord,  comme  commandés  ins- 
tinctivement, un  service  de  garde;  une  moitié  de  la  troupe 
devait  dormir  pendant  que  l'autre  moitié  veillerait,  les  armes 
chargées;  quelques  rôdeurs  attirés  peut-être  parla  simple 
curiosité,  ayant  signalé  leur  présence,  furent  accueillis  avec 
des  formalités  d'un  caractère  tellement  brusque,  que  je  crai- 
gnis i^uelque  malheur,  résultat  d'une  dispute,  mais  le  schérif 
de  la  localité,  forcément  averti  par  là  de  notre  présence,  se 
piqua  d'honneur  et,  bien  disposé  à  notre  égard,  crut  de  son 
devoir  de  nous  honoi-er  d'une  diffa  (souper  d'hôtes);  mais 
nos  gens,  encore  sous  l'impression  des  alarmes  précédentes, 
demandèrent  que  les  porteurs  participassent  avec  eux  aux 
aliments  offerts,  dans  la  crainte  que  nous  courussions  le  ris- 
que d'être  empoisonnés;  ces  précautions,  peut-être  injurieu- 
ses, étaient  toutefois  justifiées  par  le  fait  que,  récemment  un 
voyageur  avait  succombé  ici  au  poison.  Ce  Tamesloth  jouit 
en  effet,  paraît-il,  d'une  fort  mauvaise  réputation.  Je  passai 


PROCÈS-VERBAUX.  29 

la  nuil  sans  fermer  l'œil;  l'appel  incessant  des  garde  à  vous 
de  nos  sentinelles  m'en  empêchèrent,  et  à  peine  le  sommeil 
sembla-t-il  enfin  réclamer  ses  droits,  qu'on  vint  m'appeler 
pour  mon  tour  de  garde,  et,  jusqu'au  matin  je  dus  accomplir 
mon  service,  le  fusil  sur  l'épaule.  Dès  lors  j'adoptai  le  cos- 
tume mauresque  et  l'on  ne  me  connut  plus  que  sous  le  nom 
de  Hakim-Omar-ben  Ali;  Hakim  est  le  litre  en  usage  pour 
désigner  l'homme  de  science,  et  il  est  affecté  tout  particuliè- 
rement aux  médecins.  J'étais,  en  effet,  censé  un  employé  au 
service  médical  de  Constantinople;  on  sait  que  les  médecins, 
employés  dans  l'armée  régulière  du  sultan  de  Turquie,  sont 
un  peu  pris  dans  toutes  les  nations,  etj'étais  en  conséquence 
sous  ce  litre  et  sous  ce  costume  aussi  parfaitement  en  règle 
que  faire  se  pouvait. 

Passons  rapidement  sur  la  description  de  la  chaîne  d'oasis 
successives,  trop  souvent  misérables  d'apparence,  quelquefois 
riches,  plantureuses  et  prospères,  d'ailleurs  tantôt  hostiles  ou 
méfiantes,  tantôt,  au  contraire,  prévenantes  et  hospitalières; 
tels  sont  Wad-NfyS;  \is\[ée  par  Eooker,  Amsmiz,  Wad-el-Mel, 
Darakimacht,  Mzugi  Seksaua  à  l'accueil  hospitalier,  Imint- 
janut,  riche  vallée,  puis,  sui-  le  versant  méridional  de  la 
plaine,  Ait-Musa,  Bibuan,  Emnislah,  Tarudan.  A  Darakimacht 
(600"  au-dessus  de  la  mer),  la  vue  des  hautes  croupes  nei- 
geuses de  l'Atlas  est  grandiose  et  lestaure  l'âme  du  voyageur 
épuisé  d'une  longue  chevauchée,  pour  se  trouver  transporté 
le  soir  devant  sa  tente  confortalile,  et  pour  y  respirer,  en  face 
de  ce  tat)leau  sublime,  la  fraîcheur  du  soir.  La  tente,  dans  ces 
conditions,  offre  une  retraite  nocturne  qui  tranche  favorable- 
ment avec  les  murs  sordides  d'une  kasbah  de  petite  ville, 
fourmillant  de  vermine,  où  le  voyageur  est  parfois  très  heu- 
reux d'être  admis  et  protégé  contre  les  assauts  d'une  popu- 
lation féroce  et  portée  aux  excès. 

Bibuan,  nommé  tout  à  l'heure,  nous  avait  été  indiqué,  dit 
Lenz,  comme  plus  propi-eà  la  traversée  du  col  qui  porte  son 
nom,  qu'un  passage  plus  direct,  mais  où  nos  bêtes  chargées 
de  ballots  n'auraient  pu  passer,  et  même  le  col,  censé  relati- 
vement praticable,  était  loin  d'être  facile  à  franchir,  il  exi- 
geait, au  contraire,  de  fré(|uents  arrêts  et  de  fré(juents 
remaniements  des  charges  qui,  mal  équilibrées,  dépassaient 


30  BULLETIN. 

très  souvent  l'espace  laissé  libre  des  deux  côtés  de  rétroil 
couloir.  A  celte  occasion,  je  dus  déplorer  d'avoir,  faute  d'ex- 
périence, suivi  le  conseil  d'employer  des  chameaux  pour  le 
li'ans[)orl    partiel  de  mes  bagages,  au  travers  de  l'Atlas; 
j'eusse  beaucoup  mieux  fait  de  les  remplacer  par  des  ânes 
ou  des  mulets  qui,  ici,  sont  bien  plus  appréciés  et  pratiques. 
Nous  avions  passé  devant  une  vieille  construction  en  ruine 
portant  le  nom  de  Dar-es-Sultaii.  Cette  construction  était 
attribuée  h  un  ci-devant  sultan  du  Maroc,  voulant  se  créer  un 
point  fortifié  comme  garantie  contre  les  attaques  des  féroces 
Sclieluh,  dont  les  razzia  étaient  fréquentes;  une  faible  gar- 
nison, logée  dans  ce  château,  suffisait  pour  la  sécurité  des 
environs;  il  ne  faut  pas  la  confondre  avec  une  autre  construc- 
tion se  dressant  un  peu  plus  avant,  et  couronnant  de  sa 
muraille  d'argile  rougeâtre  une  cime  de  rochers  isolée;  les 
gens  du  pays  nomment  celte  ruine  Quasr-er-Rumi,pdirce  que 
son  âge,  déjà  reculé,  la  fait  attribuer  aux  Romains.  Que  les 
Romains  aient  pénétré  anciennement  jusqu'ici,  cela  est  incon- 
testable, mais  cela  ne  suffit  pas  pour  établir  le  caractère 
romain  de  la  muraille  en  question  ;  quant,  aux  Portugais, 
autrefois  maîtres  du  Maroc,  il  est  fort  douteux  qu'ils  soient 
jamais  venus  jusqu'ici.   Une  troupe  de  scheluh,  bien  mon- 
tés et  bien  armés,  avait  été  chargée  de  nous  observer;  l'un 
des  cavaliers  était  un  scheich.  Le  bruit  de  notre  voyage  avait 
déjà  pénétré  dans  les  vallées  latérales.  Nous  fûmes  conduits 
par  eux  auprès  d'une  source  dont  l'eau  fraîche  et  claire  for- 
mait sous  un  arganun  aimable  petit  lac.  Nous  fîmes  là  notre 
déjeuner,  auquel  les  scheluh  s'associèrent,  bon  signe  pour 
nous,  car,  quand  on  a  rompu  le  pain  avec  quelqu'un,  c'est 
déjà  l'indice  d'un  bon  accord;  ce  n'est  déjà  plus  un  ennemi  si 
l'on  ne  peut  pas  encore  l'appeler  un  ami.  Cet  endroit  est 
d'ailleurs  signalé  comme  lieu  de  repos  pour  les  caravanes  en 
passage  et,  effectivement,  pendant  que  nous  mangions  un 
morceau,  une  petite  caravane  apparut  sur  le  chemin.  Elle  fit 
alors   route   avec  nous  pour  le  passage  de  la  montagne; 
c'étaient  des  Berbères  de  la  plaine,  en  route  pour  le  Wad-Sus. 
Nous  formions  ainsi  un  convoi  bien  armé  et  assez  nombreux 
pour  se  faire  respecter;  cette  rencontre  nous  fit  plaisir,  et 
ce  n'était  pas  sans  cause.  Le  scheich  des  scheluh,  en  prenant 


PROCÈS- VERBAUX.  31 

congé  de  nous,  nous  avertit  que  nous  étions  attendus  à  un 
certain  passage  dangereux,  par  un  autre  parti  de  scheluh,  qui 
se  proposaient  de  nous  dévaliser,  mais  qu'il  aviserait  à  ce  qu'il 
ne  nous  arrivât  rien  de  fâcheux.  Reconnaissants  du  bon  pro- 
cédé, nous  prîmes  alors  congé  du  scheich  bienveillant  des 
scheluh,  qui  disparut  avec  son  escorte  dans  une  vallée  laté- 
rale pendant  que  nous  continuâmes  notre  rouleau  sud.  Pré- 
voyant de  nouvelles  difficultés  pour  franchir  les  mauvais  pas 
sur  notre  route,  je  me  décidai  à  louer  deux  mulets  pour  sou- 
lager mes  chameaux  rendus,  auxquels  j'enlevais  le  plus 
pesant  du  bagage,  ne  leur  laissant  à  porter  que  les  objets 
moins  lourds,  tels  que  literie,  batterie  de  cuisine,  etc.;  j'y 
trouvais  aussi  l'avantage  de  l'assistance  de  deux  combattants 
de  plus  en  cas  d'attaque,  chaque  mulet  réclamant  un  conduc- 
teur, et  les  scheluh,  possesseurs  des  mulets  loués,  n'étant 
pas  hommes  à  se  les  laisser  voler  sans  les  défendre.  Un  effet 
de  l'insécurité  des  grands  chemins  dans  ces  passages  de 
l'Atlas,  c'est  le  fait  fi'appant  que  les  centres  de  population 
doivent  être  cherchés  dans  les  endroits  les  mieux  cachés  et 
retirés  des  vallées  latérales,  c'est  là  une  des  causes  qui  con- 
tribuent à  la  désolation  appai'ente  du  pays  aux  yeux  du  voya- 
geur inexpérimenté.  Arrivés  enfin  au  sommet  du  passage  et 
au  partage  des  eaux  de  cette  partie  de  la  chaîne  de  l'Atlas, 
haute  d'environ  1200  mètres  au-dessus  de  la  mer,  nous  nous 
trouvons,  dit  Lenz,  dans  une  contrée  en  apparence  absolu- 
ment déserte  ;  des  vestiges  de  villages,  détruits  ou  abandon- 
nés, se  voyaient  partout;  la  contrée  était  d'ailleurs  d'une 
grande  beauté  et  la  soirée  splendide;  on  y  respirait  une 
atmosphère  bienfaisante,  et  l'on  pouvait  se  croire  transporté 
dans  un  site  des  Alpes  suisses;  les  plus  hauts  pics  neigeux  de 
la  chaîne  glacée  se  montraient  à  l'est  et  se  distinguaient  net- 
tement dans  l'atmosphère  diaphane  qui  les  baignait;  mais 
quel  contraste  entre  ce  spectacle  grandiose  et  la  scène  de 
désolation  qui  nous  environnait;  partout  des  traces  de  rapine 
et  de  pillage  menaçant  la  sécurité  des  paisibles  caravanes  de 
commerce. 

C'était  le  14  mars.  Tel  est  ce  passage  de  Bibuan  qui  exige 
un  détour  du  droit  chemin.  Le  D""  Lenz  n'est  pas  le  pi-emier 
qui  l'ait  franchi;  d'autres  Européens  l'ont  connu  et  pratiqué 


32  BULLETIN. 

plus  anciennement,  tels  que  le  Danois  H(ist,  en  1781,  l'An- 
glais William  Lemprière,  en  1789.  La  descente  au  sud,  beau- 
coup plus  raide  que  la  pente  nord,  est  encaissée  entre  de 
vertigineux  précipices;  la  conséquence  en  fut  que  les  deux 
chameaux  durent  rester  en  arrièrejusqu'au  lendemain, sous  la 
garde  de  deux  hommes.  La  scène,  dit  Lenz,  était  d'une  grande 
beauté,  des  champs  cultivés  alternant  avec  des  forêts  en  for- 
maient le  premier  plan  sous  le  nom  de  Wad-Sus;  dans  le 
fond,  se  présentait,  sous  forme  d'une  deuxième  chaîne,  une 
muraille  élevée  qu'on  pourrait  appeler  VAnti-Atlas.  En  des- 
cendant, on  ne  pouvait  refuser  son  admiration  aux  pauvres 
animaux  succombant  sous  leur  charge,  et  se  démènent  avec 
une  adresse  et  une  persévérance  admirables  au  travers  des 
escarpements  où  ils  devaient  se  frayer  un  passage  ;  en  se 
retournant  du  côté  de  la  pente  qu'on  venait  de  descendre, 
on  pouvait  en  apprécier  toutes  les  difficultés  et  s'applaudir 
d'en  avoir  atteint  l'extrémité  sans  avoir  essuyé  d'avarie;  peu 
•  à  peu  les  escarpements  s'adoucirent  devant  nos  pas,  et  la 
petite  ville  d'Emnislah  apparut.  Peut-être  dans  quelques 
dizaines  d'années,  des  touristes  engagés  au  travers  des  pas- 
sages de  l'Atlas  les  franchiront-ils  avec  le  même  sans-gêne 
et  la  même  facilité  que  nous  les  voyons,  de  nos  jours  déjà,  se 
lancer  dans  les  sommités  de  l'Hymalaya  et  du  Caucase; 
alors  la  description  que  nous  venons  de  faire  des  difficultés 
de  la  traversée  de  l'Atlas  ne  soulèvera  que  le  rire,  mais  ces 
difficultés  n'en  sont  pas  moins  réelles  aujourd'hui  et  le  seront 
sans  doute  encore  pour  un  certain  temps. 

Heureusement  que  les  deux  caravanes  réunies  formaient 
lin  ensemble  respectable,  car  nos  voyageurs  se  trouvaient  de 
nouveau  engagés  dans  un  pays  en  proie  aux  razzia  fréquen- 
tes. Nous  rencontrons,  raconte  Lenz,  un  cavalier,  dont  l'ori- 
gine noble  se  reconnaît  à  sa  monture  et  à  ses  vêtements. 
C'était  le  fils  du  scheich  des  Howara.  11  examina  notre  bande, 
questionna  quelques  hommes  de  notre  suite  puis  s'éloigna; 
il  reparut  au  bout  d'une  demi-heure,  entama  un  nouvel 
entretien  puis  disparut  dans  le  bois.  Que  pouvaient  signifier 
ces  démarches?  Évidemment  notre  caravane  était  signalée, 
et  ce  jeune  scheich  était  envoyé  en  reconnaissance.  Notre 
train  nombreux  et  bien  armé  lui  en  imposa-t-il  ?  La  présence, 


PROCÈS-VEKBAUX.  33 

au  milieu  de  nous,  d'un  schén'flui  inspira-t-elle  des  scrupules? 
bref  il  ne  reparut  plus.  Nous  commençâmes  à  respirer  plus 
librement  à  la  vue,  à  peu  de  dislance,  des  premières  maisons 
de  Tarudan,  mais  notre  satisfaction  était  trop  hâtive;  rien  de 
plus  perfide,  rien  de  plus  mal  famé  effectivement,  que  les 
abords  immédiats  de  Tarudan;  ils  sont  la  retraite  de  tout  ce 
qu'il  y  a  de  pillards  et  de  brigands  de  grand  chemin,  de  la 
pire  espèce;  c'est  un  ramassis  de  vagabonds  qui  ne  vivent 
que  de  pillages  et  de  coups  de  mains;  malheur  ici  aux  petites 
caravanes  isolées;  aussi  marchions-nous  en  convoi  serré, 
avec  flanqueurs,  sondant  le  terrain  à  droite  et  à  gauche,  fouil- 
lant tout  buisson  suspect,  et  précédés  d'avant  et  d'arrière- 
gardes.  Évidemment  des  yeux  bien  ouverts  nous  épiaient  de 
loin,  étudiant  toutes  nos  démarches  ;  un  désordre  ou  une 
négligence  les  eussent  portés  à  nous  attaquer;  nous  ne 
fûmes  entièrement  rassurés  qu'une  fois  dans  les  murs  de  la 
cité,  le  15  mars. 

Toute  cette  portion  de  l'itinéraire  d'Oscar  Lenz  n'est  con- 
sidérée par  lui  que  comme  une  fuite  en  pays  ennemi;  impos- 
sible de  faire  des  observations  scientifiques  un  peu  précises, 
tout  instrument  manié  ou  observé  aurait  fait  naître  la 
défiance  et  provoqué  les  hostiUtés.  Le  bruit  qu'un  chrétien 
faisait  partie  d'une  caravane  en  route  était^  en  effet,  accueilli 
partout  comme  une  insulte  déguisée,  c'était  le  son  d'une 
cloche  d'alarme  répandant,  sur  toute  la  ligne  du  passage  des 
voyageurs,  son  avertissement  sinistre  et  croissant  en  intensité 
de  moment  en  moment;  ces  détails  doivent  excuser  le  voya- 
geur, si  ses  renseignements  scientifiques  et  géographiques 
ne  sont,  à  beaucoup  d'égards,  que  superficiels  et  incomplets, 
vu  la  diflîcullé  de  faire  des  observations  et  de  prendre  des 
notes  sans  soulever  des  soupçons.  Avec  la  pente  sud  de 
l'Atlas  nous  voyons  diminuer  la  présence  des  dépôts  de  grès 
rouge,  que  viennent  remplacer  des  schistes  argileux,  des 
quartzites  redressées,  puis,  ici  et  là,  des  filons  métallifères  de 
nature  diverse. 

On  s'est  souvent  demandé  si  l'Atlas  renfermait  de  vérita- 
bles glaciers;  on  répond  généralement  que  non,  et  Oscar  Lenz 
n'en  peut  effectivement  citer  aucun  exemple,  non  plus  que 
de  véritables  moraines,  mais  ce  serait  trop  préciser  que  d'en 

LE    GLOBE,   T.    XXIII,    1885.  3 


34  BULLETIN. 

conclure  que  la  chaîne  centrale  ne  puisse  renfermer  de  véri- 
taliles  glaciers.  Il  n'y  a  dans  TAllas  que  peu  de  forêts  com- 
pactes, proprement  dites  ;  les  arbres  y  sont  plutôt  à  l'état 
clairsemé.  Les  maisons  se  construisent  toujours  en  argile 
battue.  La  mauvaise  humeur  des  bouigeois  de  Tariidan, 
chatouilleux  à  l'endroit  de  la  religion,  après  avoir  risqué  de 
soulever  une  émeute  où  le  sang  aurait  coulé,  la  caravane  de 
Lenz  étant  bien  décidée  à  vendre  chèrement  sa  vie,  fat  heu- 
reusement apaisée  par  l'intervention  du  caïd  et  du  schérif  de 
la  place,  qui  tlnii-ent  par  s'intéresser  au  sort  des  voyageurs. 
Il  se  trouvait  heureusement  alors,  en  ville,  un  délégué  du 
sultan  souverain,  chargé  d'y  traiter  une  question  concernant 
l'administration  du  Wad-Sus;  celui-ci,  à  la  vue  du  firman 
de  son  maître,  comprit  qu'il  devait  le  faire  respectera  tout 
prix,  et  le  schérif  Hadj'Aii,  après  en  avoir  conféré  avec  lui, 
trouva  que  le  plus  court  pour  atténuer  Teffet  des  soupçons, 
était  de  confesser  franchement  la  qualité  de  chrétien  du  doc- 
teur, et  TefTet  désiré,  dit  celui-ci,  fût  obtenu,  on  convint 
que,  tout  chrétien  que  j'étais,  le  fait  d'avoir  été  médecin  au 
service  du  sultan  de  Constantinople,  qui  me  déclarait  tel, 
celui  d'être  muni  d'un  firman  du  sultan  de  Maroc,  que  son 
envoyé  garantissait  vrai,  enfin  que  l'assistance  prêtée  par 
un  schérif  tel  que  Hadj'Aii,  méritaient  une  considération 
particulière.  Quelques  scheich  des  Howara  furent  curieux  de 
voir  Lenz  et  vinrent  lui  rendre  visite,  à  cause  de  la  notoriété 
des  rapports  de  son  compagnon  avec  leur  émir  Abd-el-Kader; 
d'autre  part,  l'émir  ou  Amil  des  Mtuga  du  nord  de  l'Atlas,  et 
ses  gens,  pour  ne  pas  rester  dans  l'ombre  et  pour  faire  valoir 
leur  crédit,  se  vantaient  de  procurer,  par  leur  influence^  une 
escorte  au  voyageur,  pour  pénétrer  au  midi  du  pays  de  Sidi- 
Hescham,  très  redouté  et  puissant  personnage;  cette  escorte 
serait  une  nombreuse  caravane  de  commerce,  devant  visiter 
prochainement  un  grand  marché  tenu  chez  Sidi-Hescham. 
Tandis  qu'on  en  attendait  l'arrivée,  toujours  annoncée  puis 
difîérée,  un  schérif  de  Tafilalet  se  présenta  comme  en  route 
pour  le  Wad-Nun,  offi'ant  de  voyager  avec  Lenz,  en  joignant 
leurs  deux  escortes.  Le  conflit  de  ces  prétentions  rivales  avait 
l'avantage  de  rehausser  l'importance  du  voyageur  européen 
et  de  lui  créer  des  partisans  dans  cette  entreprise  périlleuse, 


PROCÈS-VERBAUX.  35 

d'où  dépendait  l'issue  de  tout  le  voyage.  Les  diverses  tribus 
qui  se  disputaient  aussi  l'honneur  de  le  protéger  se  promet- 
taient bien,  sous  le  masque  de  cette  protection,  soit  de  mettre 
à  profit  toute  occasion  d'exactions,  soit,  tout  au  moins,  de 
îe  surveiller  et  de  l'espionner.  Tarudan,  par  sa  position  et'par 
ies  prétentions  des  intérêts  rivaux,  en  cherche  de  prestige  à 
exercer  et  d'avantages  cà  conquéi-ir,  se  trouve  ainsi  jouir,  à 
certains  égards,  de  prérogatives  exceptionnelles.  C'est  aussi 
un  théâtre  d'anarchie  où  plusieurs  races  mélangées  permet- 
tent difficilement  au  voyageur  qui  ne  fait  que  passer,  de 
bien  se  reconnaître;  c'est  ici,  qu'entre  Maures,  Arabes,  Kaby- 
les et  Berbères,  les  analogies  et  les  contrastes  s'accusent  ou 
s'effacent  alternativement  aux  yeux  de  l'observateur  peu 
exercé,  mais  ce  que  l'on  peut  avancer  avec  un  peu  plus  de 
certitude,  c'est  que  ces  mélanges  donnent  aussi  naissance  à 
toute  une  classe  d'hommes,  dont  le  métier  s'exerce  le  même 
€ù  qu'ils  se  transportent,  à  cette  population  errante  vivant  de 
représentations  théâtrales,  et  connus  sous  le  nom  de  char- 
meurs, de  jongleurs,  de  saltimbanques,  de  montreurs  de 
singes,  d'éléphants,  de  chameaux,  de  dromadaires,  de  rhino- 
céros, de  girafes,  d'autruches,  d'avaleurs  de  poignards,  de 
couteaux,  de  charbons  ardents  et  de  serpents  venimeux,  etc. 
En  définitive,  dit  Lenz,  la  honte  de  paraître  au  grand  mar- 
ché de  Sidi-Hescham  en  compagnie  d'un  de  ces  abomina- 
bles chréliens,  fit  avorter  toutes  les  ouvertures  de  voyage  en 
commun  et  un  chemin  de  traverse  moins  en  vue,  mais  sous  la 
main  du  scheich  desKabyles-Schtuga,Sidi-Ibrahïm  déjà  ren- 
contré par  nous  au  col  de  Bibuan,  nous  fut  recommandé.  Ce 
territoire,  grâce  à  des  canaux  soigneusement  entretenus 
aux  dépens  de  la  petite  rivière,  affluent  du  Wad-Sus,  était 
riant  et  fertile  en  orge  et  en  olives;  notre  escorte  com- 
posée de  brigands  de  grand  chemin,  armés  jusqu'aux  dents, 
prêts  à  lout,  et  bien  familiarisés  avec  tous  les  accidents  de 
terrain,  propres  à  la  surprise,  nous  servait  de  bouclier 
contre  toute  mauvaise  rencontre.  L'escorte  prétendit  plus 
tard  nous  avoir  évité  une  attaque  de  cent  brigands  qui  comp- 
taient nous  dévaliser,  propos  vrai,  ou  simulé  pour  nous  arra- 
cher un  cadeau.  Toute  chance  de  danger  disparue,  elle  nous 
i-emit  à  deux  hommes  de  la  tribu  des  Ulad,  Saïd  et  Rumla, 


36  ^  BULLETIN. 

qu'un  accord  avec  notre  ami,  le  calife  de  Tarudan,  nous  avait 
préparés;  là  nous  rejoignîmes  la  grande  route  et  la  caravane 
de  Tarudan,  qui  avait  eu  lionte  de  nous,  et  qui  nous  atten- 
dait maintenant,  qu'elle  n'avait  plus  à  rougir  de  nous  devant 
témoins;  deux  autres  surprises  nous  y  attendaient  :  la  vue 
éloignée  de  la  mer  se  présentant  à  nos  regards,  puis  une 
végétation  luxuriante  et  véritablement  tropicale,  grâce  à 
l'abondance  des  eaux  du  Wad-Raz.  Nous  dûmes  passer  le 
soir  même  le  tleuve  qui,  si  nous  avions  renvoyé  au  lende- 
main, aurait  enflé  par  la  pluie  qui  s'annonçait  ;  nous  attei- 
gnîmes le  lendemain  un  pont  atribué,  selon  toute  apparence 
avec  raison,  aux  Romains. 

Arrivons  enfin  dans  les  États  de  Sidi  Hussein,  succes- 
seur des  souverains  Sidi  Heschara,  en  dehors  de  la  domi- 
nation nominale  marocaine;  c'est  ici  que  commence  l'usage, 
pour  les  deux  sexes,  de  l'universelle  cotonnade  bleue,  de 
fabrique  anglaise  ou  flamande;  Lenz  est  le  premier  Euro- 
péen ayant  réussi  à  pénétrer  dans  la  première  ville  de  cet 
état  Ilelir.  On  peut  bien  dire  que  c'est  au  firman  du  sultan 
du  Maroc  qu'il  doit  d'avoir  pu  s'y  rendre  et  en  sortir  en 
vie,  mais  que  de  peines  et  de  cérémonies  pour  y  assurer  sa 
sécurité  pendant  qu'il  y  séjourne  et  pour  la  permission  d'en 
partir;  cadeaux  exigés,  envoyés,  acceptés,  puis  refusés  comme 
trop  mesquins,  etc.;  puis  Sidi  Hussein  me  demande,  dit 
Lenz,  une  déclaration  par  écrit,  dans  laquelle  je  reconnaissais 
que,  dans  l'intérieur  de  ses  États,  j'avais  joui  de  la  plus 
grande  sûreté  personnelle,  et  qu'il  ne  pouvait  être  respon- 
sable de  tout  ce  qu'il  pourrait  m'arriver  en  dehors  de  sa 
sphère  d'action.  Je  lui  remis  en  conséquence  la  déclaration 
demandée,  mais  il  me  la  renvoya  bientôt,  désirant  qu'elle  fût 
cachetée.  J'avais  un  petit  morceau  de  cire  à  cacheter,  mais 
point  de  cachet  ;  heureusement  qu'un  vieux  bouton  d'uni- 
forme français,  portant  un  aigle  en  effigie, se  découvrit  quel- 
que part  et  fit  l'office  de  cachet  ;  nous  croyions  être  au  bout, 
quand  de  nouveau  on  me  renvoie  la  lettre  pour  qu'elle  soit 
revêtue  d'un  autre  cachet;  la  cire,  en  effet,  n'est  pas  usitée 
au  Maroc;  il  fallut  trouver  une  autre  espèce  de  colle.  Enfin 
parut  l'homme  désigné  comme  notre  guide;  le  moment  de 
notre  départ  coïncidant  avec  la  présence  d'un  grand  concours 


PROCES-VERBAUX.  ni 

de  marchands,  attirés  par  le  marché  habituel,  ne  fut  pas  sans 
importance  pour  nous,  en  ce  qu'il  soumettait  le  souvei-ain  du 
pays  à  une  espèce  de  contrôle  public,  dont  l'opinion  ne  lui  per- 
mettait pas  d'exactions  par  trop  noires  auxquelles  sa  politique 
douteuse  semblait  bien  l'avoir  disposé.  Le  voisinage  de  la 
grande  ligne  de  passage  pour  Timbouclou  attirait  aussi  ici  un 
grand  mouvement  de  bêles  à  louer,  à  vendre  ou  à  acheter  et 
l'élève  du  chameau  y  amenait  une  industrie  florissanle.  Si  la 
principauté  de  Sidi  Hussein  est  une  des  plus  petites  de  la 
chaîne  d'oasis,  son  souverain  y  jouit  d'une  influence  généra- 
lement reconnue;  il  la  doit  partie  à  son  caractère  personnel, 
partie  à  sa  descendance  d'une  famille  impériale  qui  régna 
jadis  au  Maroc,  sous  le  nom  du  grand  saint  vénéré  de  Sidi- 
Muhanied-ben-Musa,  dont  le  tombeau  attire,  de  nos  jours 
encore,  un  grand  concours  de  visiteurs  dévots.  Le  Wad-Nun, 
allié  des  Sidi-Hescham,  est  aujourd'hui  indépendant  de  fait  et 
ne  paye  plus  aucun  tribut  au  sultan  du  Maroc.  Les  héritiers 
de  Sidi-Hescham  s'estiment  plus  légitimes  prétendants  au 
trône  du  Maroc  que  la  branche  actuellement  régnante  des 
Mnley-Hassan.  Le  scheich  du  Wad-Nun  a  plus  d'une  fois  retenu 
des  voyageurs  européens  comme  prisonniers  pendant  de  lon- 
gues années,  ou  ne  les  a  relâchés  que  contre  payement 
de  forts  'buts,  par  exemple,  W.  Buttes,  Anglais  retenu  pri- 
sonnier pendant  huit  ans,  de  1866  à  1874.  Il  fallut  l'habileté 
persévérante  du  consul  espagnol  de  Mogador,  Don  José  Alva- 
rès  Peréz,  qui  obtint  sa  délivrance  contre  27,000  duros,  payés 
par  l'Espagne  au  scheich  du  Wad-Nun,  somme  dont  le  sultan 
du  Maroc  dut  rembourser  une  bonne  partie. 

Il  serait  monotone  d'entrer  dans  la  narration  de  tous  les 
incidents,  plus  ou  moins  critiques,  qui  se  répètent  dans  le 
cours  du  voyage;  nous  n'en  citerons,  en  conséquence,  que 
les  traits  principaux.  La  petite  ville  de  Fum-el  Hassan,  aussi 
appelée  Tirgi,  nous  arrêtera,  parce  que,  dans  ses  environs, 
se  retrouvent,  en  caractères  plus  marqués,  des  pierres  pétro- 
glyphiques,  soit  dessins  de  date  incertaine,  représentant  des 
animaux,  et  parce  que  le  chef  de  ce  pays  possède  une 
notoriété  spéciale,  par  son  caractère  et  son  influence;  il  se 
nomme  Scheich-Ali.  Quoiqu'il  en  coûtât  à  Lenz  de  renoncer 
au  séjour  préféré  du  bivouac,  sous  la  tente,  en  rase  campagne, 


38  BULLETIN. 

celte  mesure  lui  élail  imposée  parla  pruilence, et  c'était  dans 
rintérieur  de  la  ville,  et  dans  une  maison  même  du  clief 
Sclieicli-Ali,(iu'il  était  plus  sûr  pour  lui  de  prendre  logement. 
Le  chef  était  absent  de  sa  personne,  mais  par  respect  pour 
lui,  la  foule,  rassemblée  devant  sa  porte  à  la  nouvelle  de  l'ar- 
rivée d'un  chrétien,  n'osa  pas  la  franchir.  Un  voyageur  et 
rabbin  juif,  du  nom  de  Mardochée,  s'était  déjà  acquis  une 
certaine  renommée  en  envoyant  à  Paris  des  empreintes  des 
dessins  pétroglyphiques  deTirgi  et  d'ailleurs,  reproduisant  la 
figure  de  rhinocéros,  d'éléphants,  de  chacals,  de  chevaux, 
d'autruches,  de  girafes,  accompagnés  d'ornements  de  fantai- 
sie ;  ceux  de  ces  dessins,  vus  par  Lenz,  sont  peu  accusés,  tra- 
cés sur  un  calcaire  bleuâtre,  avec  un  instrument  pointu, 
plutôt  en  points  successifs  qu'en  traits  continus.  On  rencontre 
encore  ici,  à  Tirgi,  sur  une  éminence  de  500  mètres  au-des- 
sus de  la  mer,  une  ruine  qu'on  ne  peut  envisager  que  comme 
un  reste  de  construction  romaine. 

L'arrivée  et  la  vue  du  fameux  Scheich-Ali  ne  firent  que 
confirmer  sa  renommée  d'homme  considérable,  autant  par 
l'expression  des  traits  de  sa  figure,  de  son  regard  et  de  toute 
sa  démarche  que  par  sa  conduite  à  l'égard  des  voyageurs. 
L'examen  accoutumé  des  firmans  et  Tinterrogation  préalable 
de  l'interprète  de  Lenz,  eurent  leur  succès  habituel  auprès 
de  cet  homme  d'âge  avancé  et  de  conduite  lûservée;  c'était 
un  vrai  patriarclie;  il  se  montra  sympathique  aux  plans  du 
docteur  et,  tout  bien  pesé,  examiné  et  vérifié,  il  déclara  le 
voyage  à  Timbouctou  praticable,  natui'ellement  avec  la  suppo- 
sition préalable  qu'il  en  réglerait  les  conditions  et  en  assu- 
rerait, par  son  intervention,  la  sécurité  dans  une  certaine 
limite  et  jusqu'à  une  certaine  distance.  Grand  moment  pour 
Lenz  qui  voit  enfin  s'entr'ouvrir  l'horizon  qui  cache  encore 
son  rêve;  mais,  moment  anxieux  aussi,  car  le  détail  de  tant 
de  précautions  à  prendre  et  de  conflits  à  prévoir  et  à  éviter, 
inspire  à  bon  nombre  des  compagnons  du  docteur,  la  pensée 
et  la  résolution  de  se  séparer  de  lui.  En  sorte,  qu'en  définitive, 
Lenz  reste  seul  avec  ses  deux  interprèles,  avec  Kaddur  et 
avec  le  petit  négrillon  Faraschi.  Comment  se  recruter  à  nou- 
veau et  compléter  son  personnel?  Un  certain  Mohamed, 
venu  on  ne  sait  d'où,  et  qui  s'était  ici  montré  diligent  pour 


PROCÈS- VERBAUX.  39 

procurer  au  voyageur  des  moutons  et  autres  provisions  de 
ménage,  otlVait  bien  d'aller  plus  loin  avec  Lenz.  Il  s'était 
sauvédu  Maroc  poui-  échapper  au  service  militaire,  et  sa  vue 
n'inspirait  guère  confiance,  mais  en  fait  il  se  montra  diligent, 
actif  et  entendu  dans  tout  ce  qui  concernait  les  voyages,  et 
Scheich-Ali  conseilla  de  l'emmener.  Ce  Scheich-Ali,  dit  Lenz, 
me  prenait-il  sérieusement  pour  ce  que  j'étais  censé  être,  un 
médecin  turc,  j'en  doute,  mais,  sans  s'en  préoccuper,  il  ne 
s'attacha  qu'à  nous  faciliter  les  préparatifs  du  voyage.  Dans 
les  intervalles  nous  faisions  connaissance  avec  sa  maison, 
nouvellement  construite,  et  avec  son  joli  et  riche  jardin.  Si 
notre  confiance  en  cet  homme  ne  nous  trompe  pas,  nous 
arriverons  au  but,  et  je  ne  puis  croire  que  ce  Scheich-Âli  se 
moque  de  nous.  Bénites,  qui  dit  se  connaître  en  nommes  et 
surtout  en  arabes,  assure  aussi  que  c'est  une  bonne  foi'- 
lune  pour  nous  d'avoir  fait  sa  connaissance,  mais  jusqu'où 
compte-t-il  nous  accompagner  de  sa  personne,  c'est  ce  qui 
n'est  pas  encore  clair  à  nos  yeux  et  ce  serait  perdre  son 
temps  que  de  le  sonder  sur  ce  point  tant  qu'il  ne  s'en  expli- 
que pas. 

Le  départ  de  Tirgi  a  lieu  le  matin  du  17  avril;  les  voya- 
geurs sont  accompagnés  d'Anamid  (ou  Anhamid),  espèce 
d'intendant  et  de  ministre  de  la  maison  de  Scheich-Ali,  et  en 
même  temps  son  neveu.  On  a  derrière  soi,  à  distance,  la  vue 
de  rAnli-Allas,  et  l'on  se  trouve,  dès  ici,  en  plein  désert  de 
Sahara,  sur  la  zone  septentrionale  de  la  Hamada.  Le  Wad- 
Sémenet  passé,  nous  amène  au  Wad-Draa.  Le  terrain  est 
couvert  de  petits  cailloux,  alternant  avec  des  couches  redres- 
sées de  quarzite,  confinant  au  Wad-Draa.  Le  thermomètre 
marque  30°  cent,  au  milieu  du  jour.  L'eau  est  un  peu  sau- 
mâtre;  des  chèvres  donnent  un  lait  excellent,  et  foi-ment  de 
riches  li'oupeaux  aux  mains  des  Kabyles  de  diverses  tribus 
qui  ont  souvent,  entre  eux,  des  noises  pour  la  possession  de 
ces  troupeaux  et  de  leurs  riches  pâturages.  Aussi  la  garde  du 
camp,  la  nuit,  tient  en  éveil  nos  vedettes,  et  des  coups  de  feu 
d'alarme  s'échangent  ici  et  là  de  temps  en  temps.  Scheich- 
Ali  est  retenu  de  sa  personne,  occupé  ailleurs  à  la  moisson 
de  ses  orges  pendant  le  jour,  mais  regagnant  notre  camp 
chaque  nuit.  Aussi  ne  manquons-nous  ni  de  grains  ni  de 


40  BULLETIN. 

viande,  dont  il  est  généreux,  ayant,  il  est  vrai,  vécu  de  notre 
cuisine  pendant  que  nous  occupions  sa  maison,  à  Tirgi. 
Nous  en  fimes  autant  le  19  avril,  pour  deux  vauriens  de  ber- 
bères kabyles  de  Ait-Tatta;  ceux-ci  reconnaissants  de  notre 
accueil  et  de  nos  cadeaux  de  sucre,  de  Ihé  et  de  bougies,  nous 
avouèrent  qu'ils  avaient  eu  des  vues  sur  notre  caravane,  en 
route  pourTenduf,  avec  un  scliérif  et  un  chrétien,  porteur,  di- 
sait-on, d'une  quantité  d'or,  mais  notre  vue^  celle  de  notre  pro- 
tecteur Scheich-Ali  leur  inspii-aient  de  toutes  autres  pensées 
et  nous  n'aurions  rien  cà  craindre  ni  rien  à  soufTrir  à  leur 
occasion,  ni  de  leur  fait.  Toutefois  les  coups  de  fusils  et  les 
signaux  d'alarme  allaient  leur  train  chaque  nuit,  et  elles 
n'auraient  pas  été  tolérables  sans  la  présence  de  notre  bonne 
étoile,  le  Scheich-Ali.  Sa  société,  ainsi  que  celle  d'un  pauvre 
taleb,  chargé  de  toutes  ses  écritures,  nous  procurèrent  des 
soirées  relativement  tranquilles.  En  attendant,  ie  même  doute 
plane  toujours  sur  les  projets  du  chef:  tantôt  il  va,  dit-on, 
nous  quitter  et  regagner  ses  pénates,  tantôt  il  ne  s'éloigne 
avec  ses  chameaux  que  pour  les  ramener  prochainement, 
chargés  de  nouvelles  marchandises. 

La  clialeur  va  croissant,  les  mouches  sont  très  incommodes, 
les  alarmes  continuelles,  tout  cela  réuni  affecte  gravement  la 
santé  des  voyageurs  et  même  des  chameaux  dont  il  faut  abat- 
tre l'un  et  dont  la  blessure  de  l'autre  menace  de  s'aggraver. 
Le  23  avril,  la  nouvelle  se  répandit,  dit  Lenz,  que  des  lettres 
étaient  arrivées  à  Scheich-Ali  de  la  part  de  Sidi-Husseim,  le 
chef  et  seigneur  des  Sidi-Hescham.  Mon  compagnon,  Hadj'Ali, 
dont  l'indisposition  avait  tout  à  coup  augmenté,  me  raconta 
que  Sidi-Husseim  avait  insinué  ou  donné  Tordre  à  notre 
ami  et  protecteur  Scheicii-Ali  de  nous  escorter  un  certain 
espace  de  pays  du  désert,  puis  de  s'y  défaire  de  nous,  et  que 
les  dépouilles  sei'aient  alors  partagées.  Je  me  refusai,  au  pre- 
mier moment,  à  ajouter  foi  à  celte  nouvelle  que  je  considé- 
rai comme  une  simple  manoeuvre  du  timide  Hadj'AU  qui, 
depuis  un  certain  temps,  n'était  plus  l'homme  sûr  et  déter- 
miné du  commencement,  et  qui  voulait  par  là  ébranler  ma 
résolution  et  me  faii'e  renoncer  à  mes  projets.  Cependant,  le 
jour  suivant,  Scheich-Ali  lui-même  confirma  la  réalité  de 
l'envoi  d'un  pareil  écrit,  mais  se  hâta  d'ajouter  qu'il  ne  pou- 


PROCES- VERBAUX.  41 

vait  même  se  décider  à  répondre  à  une  pareille  offre  hon- 
teuse, et  qu'il  se  bornerait  à  renvoyer  les  messagers.  Quant 
à  moi,  ajoute  Lenz,  je  demeurai  fermement  convaincu  qu'aussi 
loin  que  s'étendrait  l'influence  de  Scheich-Ali  rien  de  fâcheux 
n'arriverait  ni  aux  miens,  ni  à  moi-même;  cependant  Sidi- 
Husseim,  muni  de  ma  déclaration  par  écrit  qu'il  m'avait  pro- 
tégé pendant  tout  le  parcours  sur  son  territoire,  pouvait  vis- 
à-vis  du  sultan  du  Maroc  repousser  loin  de  lui  toute  respon- 
sabilité. Je  suis  fermement  persuadé  qu'il  nous  avait  fait  suivre 
secrètement  pour  se  débarrasser  de  nous,  au  delà  des  limites 
de  son  territoire,  et  que  la  circonstance  seule  de  notre  ren- 
contre providentielle  des  gens  de  Scheich-Ali  fut  la  cause  à 
laquelle  nous  dûmes  de  lui  avoir  échappé.  Ce  Sidi-Husseim 
revient  aujourd'hui  à  la  charge  pour  tâcher  d'accomplir  son 
premier  projet  avec  l'aide  de  Scheich-Ali.  Celui-ci  s'est  con- 
duit en  homme  d'honneur;  son  intérêt  était  de  se  prêter  aux 
insinuations  de  Sidi-Husseim,  leurs  rapports  politiques  et 
commerciaux,  de  voisinage  et  d'affaires,  le  mettant  plus  ou 
moins  sous  sa  dépendance  ;  néanmoins  rien  ne  put  ébranler 
la  loyale  détermination  de  Scheich-Ali  ;  il  renvoya  les  mes- 
sagers sans  réponse  et  déclara  qu'aussitôt  ses  moissons  ren- 
trées, il  m'accompagnerait  de  sa  personne  jusqu'à  Tenduf,  et 
arrivés  là,  il  y  aviserait  pour  me  trouver  le  moyen  de  pour- 
suivre ma  route.  Ma  confiance  en  lui  était  telle  que  je  ne  me 
laissai  en  rien  troubler  par  les  terreurs  et  les  angoisses  de 
mes  gens. 

On  attend  bientôt  la  grande  caravane  annuelle,  Kaffa-el- 
Kébir,  à  son  retour  de  Timbouctou  à  Tenduf.  Elle  avait  été 
pillée  les  années  précédentes  à  plusieurs  reprises.  Scheich- 
Ali  y  a  des  intérêts  engagés  et,  selon  les  nouvelles  qu'il  en 
recevra  de  son  parent  et  associé  là-bas^  il  décidera  de  se  ren- 
dre en  pei'sonne  à  Timbouctou  ou  non.  Le  27,  les  premiers 
avant-coureurs  de  la  grande  caravane  apportent  la  bonne 
nouvelle  qu'elle  a  passé  le  désert  sans  dommages.  C'est  à 
Tenduf  que  les  divers  membres  et  détachements  de  la  cara- 
vane se  séparent,  chacun  regagnant  sa  destination  particu- 
lière, pour  s'y  reformer  l'année  suivante.  Mes  gens,  dit 
Lenz,  et  à  leur  tête  l'indécis  Hadj'Ali  se  résolvent  mainte- 
nant à  leur  destinée  inévitable  ;  ils  voient  que  rien  ne  me 


42  BULLETIN. 

fera  l'enoncor  à  mon  plan  ;  d'ailleurs,  le  moment  du  retour 
en  arrière  es!  passé,  il  esi  trop  tard  et  la  saison  ti'op  chaude 
pour  aiïroritcr  les  déserts.  En  roule  donc  pour  sortir  enfin 
du  Wad-Draa.  J'ai  remonté  mes  équipages,  et  mon  train  est 
aujourd'hui  en  état  d'aller  plus  loin. — Les  trous  creusés  dans 
le  sable,  demeures  provisoires  des  bergers,  méritent  à  peine 
le  nom  de  maisons,  mais  on  y  soutîi'e  pourtant  moins  de  la 
chaleur  qu'à  ciel  ouvert. 

Cependant  on  nous  apprend, de  source  sûre, que  des  émis- 
saires de  l'exécrable  Sidi-Hiisseim  nous  attendent  du  côté  de 
Tekna,  pour  nous  arrêter;  ce  mot  de  Tekna,  prononcé  à 
llerh  devant  des  témoins,  n'est  pas  tombé  à  terre  et  ramène 
la  meule  sur  nous.  Vu  la  réputation  des  gens  de  Tekna,  les 
complices  à  un  coup  de  main  n'y  manqueraient  pas;  il  ne 
faut  donc  pas  mépriser  cet  avis.  Pauvre  Hadj'Ali,  le  voilà 
retombé  dans  toutes  ses  transes. 

Le  groupe  d'oasis  du  Wad-Draa  a  une  population  serrée 
et  on  porte  le  nombre  de  ses  ressortissants  au  delà  de  200,000 
âmes;  ils  sont  en  rapports  commerciaux  avec  le  Soudan  et 
Timbouctou  et  ce  commerce  est  de  conséquence;  en  outre, 
leur  sol  produit  des  dattes  et  des  cultures  maraîchères.  Les 
dattes  de  ^^'ad-Draa  passent  au  Maroc  immédiatement  après 
celles  de  Tafilalet  et  y  donnent  lieu  à  une  forte  exportation. 
Mais  la  culture  des  grains  ne  suffit  pas  à  la  consommation 
locale  et  on  doit  en  importer  dans  les  oasis.  Il  faut  nous  ap- 
provisionner d'eau  à  un  puits  du  Wad-Merkala,  car  d'ici  jus- 
qu'à Tendu f  nous  n'en  trouverons  plus.  Nous  passons  les 
bizarres  conformations  de  terrain  et  de  rochers  de  ce  Wad- 
Merkala  qui  y  forment  un  dépôt  à  peu  près  horizontal.  A  ces 
terrains  succèdent  les  déserts  pierreux  désignés  au  Sahara 
sous  le  nom  de  Hamada;  ici  cependant,  on  y  rencontre  en 
masse  de  ces  jolis  petits  cailloux  quartzeux  qui  tiennent  de 
Tagate;  entre  eux  croissent  quelques  tiges  de  gazon,  des 
fleurs,  des  acacias  et  autres  espèces  épineuses,  dont  les  cha- 
meaux se  régalent  faute  de  mieux.  On  trouve  quelques  espè- 
ces de  baies  bonnes  à  manger  et  un  bois  que  les  habitants 
mâchent  pour  se  nettoyer  les  dents.  Il  ne  manque  que  l'eau 
pour  converlii-  cette  longue  plaine  en  oasis  plantureuses.  Quant 
aux  gazelles,,  elles  la  hantent,  mais  hors  de  la  portée  des  ar- 


PROCÈS-VERBAUX.  43 

mes  à  feu.  Les  gens  du  pays  y  surprennent  les  chacals  dans 
leurs  trous  et  s'en  nourrissent;  celle  viande  assaisonnée 
avec  du  beurre  se  laisse  manger.  Des  lézards  d'une  longueur 
prodigieuse  el  des  serpents,  donl  quelques-uns  passent  pour 
venimeux,  habitent  aussi  la  Hamada  ;  on  y  trouve  quelques 
fossiles. 

S  mai.  Arrivée  à  Tenduf;  son  oasis,  entourée  de  plantureux 
dattiers,  brille  de  loin  au  milieu  de  l'interminable  Hamada, 
si  longue  à  traverser  pour  nous  autres  Européens.  L'Arabe, 
pour  lequel  le  temps  n'a  aucune  valeur,  aime  au  contraire 
celte  marche  monotone  mesurée  à  l'allure  tranquille  et  lente 
des  chameaux  ;  son  flegme  s'accommode  parfaitement  de 
celte  existence  sans  distractions  excitantes,  il  plaint  au  con- 
traire le  genre  de  vie  tendu  et  toujours  en  mouvement  de 
l'Européen  qui,  à  ses  yeux,  est  une  infirmité  ;  il  en  résulte 
un  manque  de  sympathie  entre  le  voyageur  et  l'habitant  du 
pays.  Lenz  était  le  pi^emier  Européen  qui  fut  jamais  arrivé  à 
Tenduf  ;  aussi  avec  quelle  orgueilleuse  satisfaction  en  étu- 
diail-il  la  forme  des  maisons  et  leurs  habitants.  La  compagnie 
de  Scheich-Âli,  qui  avait  pris  les  devants  pour  lui  préparer 
un  accueil  favorable,  lui  valut  une  part  dans  les  acclamations 
de  bienvenue  qui  saluaient  ce  chef  bien-aimé.  En  vain  le  cri 
de  El-Kafiru  (le  mécréant),  retentissait-il  parfois  au  milieu 
de  la  jubilation  générale,  il  était  bien  vite  étoufTé.  Mon  inter- 
prète, Hadj'Ali,  a  le  bonheur,  raconte  Lenz,  de  trouver  ici 
un  confrère  distingué,  un  scbérif  arabe  de  grande  renommée, 
avec  lequel  il  a  un  long  conciliabule  ;  il  s'agissait  d'établir 
d'une  manière  irréfutable  (ju'Hadj'Ali  était  réellement  un  pa- 
l'ent  d'Abd-el-Kader  dont  le  nom  est,  ici  aussi,  en  grande 
considération  ;  comme  le  dit  schérif  avait  autrefois  connu 
personnellement  l'émir,  il  lui  était  facile  de  s'assurer  de  la 
véracité  des  assertions  de  Hadj'Ali.  Celui-ci  se  trouvait 
avoir  en  sa  possession  un  vieux  document  qui  le  désignait 
comme  initié  à  une  confréi'ie  sacrée,  les  Abd-et-Kader-Dchi- 
lali.  Il  en  avait  usé  à  Tarudan  pour  recruter  une  quantité  de 
membres  à  la  secte,  entre  autres  le  schérif  de  la  ville  qui, 
dans  son  zèle,  aurait  voulu  engager  mon  interprèle  à  s'éta- 
blir à  Tarudan  el  lui  avait  même  proposé  sa  sœur  en  ma- 
riage. Le  même  succès  attendait  Hadj'Ali  ici  à  Tenduf;  non 


44  BULLETIN. 

seulement  le  schérif,  mais  encore  plusieurs  des  membres  les 
plus  considérés  de  la  ville  furent  persuadés  qu'il  était  un 
personnage  de  haute  importance  et  inlluence.  Je  dirai  ici,  en 
passant,  que  bien  que  Hadj'Ali  invoquât  à  tout  propos  son 
privilège  de  schérif,  la  famille  d'Ahd-el-Kader  n'est  pas  Sclm- 
rafa,  le  titre  de  Marabout  est  personnel  à  Abd-el-Kader  seul; 
on  sait  que  les  familles  de  Schurafa  descendent  de  Mahomed 
et  forment  ainsi,  en  quelque  sorte,  une  noblesse  religieuse 
héréditaire,  tandis  qu'au  contraire  le  litre  de  Marabout  dési- 
gne un  personnage  distingué  par  sa  science  religieuse. 

Tout  n'est  pas  contre  les  pauvres  voyageurs  de  la  troupe 
d'Oscar  Lenz.  A  côté  des  tablatures  il  y  a  aussi  les  caresses 
du  destin,  disons  plutôt  les  secours  de  la  divine  Providence. 
Non  seulement  les  succès  de  l'interprète  Hadj'Ali  et  son  in- 
lluence tournent  au  profit  des  voyageurs  si  éprouvés,  mais 
ils  font  d'autres  heureuses  rencontres.  Ils  trouvent  parfois 
quelque  génie  tutélaire  sous  une  forme  et  un  extérieur  où 
on  ne  l'aurait  pas  deviné;  encore  ici  à  Tenduf,  Lenz  tombe 
sur  un  de  ces  personnages  de  bon  secours,  propre  à  tout, 
qui  ne  doute  de  rien  et  qui,  par  de  petits  travaux  et  de  pe- 
tites industries,  sait  toujours  se  tirer  d'affaire  et  rendre  de 
petits  services  dans  la  maison  ;  de  même  qu'à  Tirgi  s'était 
présenté  l'ex-déserteur  Sidi-Mohamed  comme  domestique 
momentané,  ici  à  Tenduf  c'est  un  Tunisien  du  nom  de  Hadj- 
Hassan  qui  a  su  se  rendre  indispensable;  cet  homme,  aven- 
turier par  caractère,  avait  couru  par  tout  le  monde;  les  mes- 
sageries maritimes  françaises  l'avaient  une  fois  emmené  jus- 
qu'au cap  de  Bonne-Espérance,  puis  devenu  bachi-bosouk 
dans  l'armée  turque,  pendant  la  guerre  avec  la  Russie,  il  avait 
tenu  garnison  en  Arménie  ;  licencié  à  Tunis  il  avait  entrepris 
des  voyages  pour  son  propre  compte  et  il  se  trouvait  ainsi 
arrivé  ici  à  Tenduf,  après  être  tombé  entre  les  mains  de  gens 
d'Ail-Tata  qui  l'avaient  dévalisé  au  Wad-Draa.  Quoique  Has- 
san, outre  l'arabe  et  le  turc,  parlât  encore  un  peu  italien,  an- 
glais et  français,  celui-ci  très  couramment,  qu'il  eût  vécu 
avec  beaucoup  d'Européens  durant  son  aventureuse  carrière, 
j'ai  rarement  rencontré  dans  ma  vie,  dit  Lenz,  un  Arabe  aussi 
foncièrement  et  rigoureusement  fanatique  que  cet  homme, 
et  qui  accomplit  avec  une  conscience  aussi  scrupuleuse,  ses 


PROCÈS- VERBAUX.  45 

prières  et  dévotions  journalières.  Il  m'offrit  de  me  suivre 
dans  tout  mon  voyage,  retour  de  Timbouctou  par  le  Sénégal 
compris.  Là,  pensait-il,  il  se  fixerait  soit  comme  soldat  au 
service  de  la  France,  soit  comme  négociant  ;  c'est  un  homme 
serviable,  propre  à  tout,  excellent  cuisinier  en  particulier, 
mais  d'une  violence  ou  vivacité  rare. 

Comme  il  paraît  que  ni  Scheich-Ali,  ni  aucun  de  ses 
parents  ne  fera  route  avec  nous  (quoique  le  premier  et  le 
schérif  de  la  ville  prennent  grande  part  à  nos  projets  de 
voyage),  ils  nous  ont  amené  un  vieux  personnage  comme  un 
guide  éprouvé  et  expérimenté,  le  meilleur  qu'ils  puissent 
nous  recommander  pour  le  trajet  de  Tendu f  à  Arouan  ;  il  au- 
rait déjà  visité  Timbouctou  une  f)0*  de  fois,  quelquefois  tout 
seul  chargé  de  lettres  ;  quelles  que  fussent  nos  hésitations  de 
confier  notre  sort  à  un  seul  homme  âgé  qui  pouvait  mourir 
en  chemin  et  qui  demandait  un  prix  considérable,  il  n'y  avait 
pas  d'autre  parti  à  prendre  et  nous  l'engageâmes  ;  une  partie 
du  prix  devait  lui  être  payé  d'avance,  le  reste  à  l'arrvée  à 
Arouan  où  nous  aurions  à  nous  pourvoir  d'un  autre  guide 
pour  Timbouctou.  Tendîtf  e9<t  une  ville  moderne  et  ouverte 
qui  ne  date  que  d'une  trentaine  d'années,  composée  de  100  à 
ISO  maisons  d'argile,  petites,  à  un  seul  étage  et  formant  un 
carré.  C'est  une  des  grandes  lignes  de  communication  pour 
Timbouctou  ;  la  population  est  en  majorité  berbère  ;  grand 
commerce  de  dattes,  poudre,  tabac,  coton,  résine,  qu'on  y  im- 
porte contre  marchandises  du  Soudan,  esclaves  noirs,  plumes 
d'autruche,  or,  ivoire,  etc.  Nous  avons  déjà  dit  que  c'était 
ici  que  se  rassemblait  la  grande  caravane  Kaffa-el-Kébir, 
composée  de  quelques  milliers  de  chameaux  et  quelques 
centaines  de  conducteurs.  Elle  a  été  plusieurs  fois  détroussée 
pendant  ces  dernières  années; elle  part  deTenduf  d'ordinaire 
en  décembre  ou  janvier,  pour  revenir  en  mai  ou  juin.  La  va- 
leur de  ses  marchandises  dépasse,  dit-on,  sept  cent  cinquante 
mille  francs.  Cette  évaluation  est  un  peu  trop  haute  aujour- 
d'hui attendu  que  le  commerce  avec  Timbouctou  a  déchu 
ces  dernières  années.  Mon  projet,  quand  je  partis  de  Maroc, 
était  de  m'adjoindre  à  une  caravane  pour  accomplir  le  grand 
voyage  de  Timbouctou;  l'idée  de  faire  ce  trajet  seul  avec  quel- 
ques hommes  me  paraissait  alors  trop  hasardeux.  Mais  j'eusse 


46  nULLETIX. 

été  réduit  à  attendie  la  prochaine  caravane  Imita  neuf  mois, 
éventualité  qui  m'était  proposée  sérieusement  par  Scheicli- 
Ali,  si  je  ne  voulais  tenter  le  voyage  isolément.  Celui-ci  me 
facilita  les  mesures  à  prendre  pour  le  voyage.  Elles  com- 
prennent d'abord  les  sacs  et  ballots  de  charge,  la  manière  de 
les  attacher  pour  éviter  que  le  chameau  se  blesse  par  le  frot- 
tement des  cordes,  et  que,  faute  de  place  suffisante,  le  cava- 
lier ne  souffre  trop  d'une  position  forcée;  elles  comprennent 
ensuite  l'approvisionnement  d'eau  pendant  la  traversée  du 
désert  et  les  précautions  à  prendre  pour  que  les  seaux  la 
conservent  à  l'abri  de  l'évaporation  et  de  la  corruption,  il 
faut  surveiller  le  goudronnage  des  vases  destinés  à  transpor- 
ter cette  eau  si  précieuse.  Enfin,  on  doit  se  procurer  les  vê- 
tements convenables  pour  cette  portion  du  trajet  pendant 
lequel  il  faut  surtout  bien  proléger  les  ouvertures  du  visage 
contre  les  infiltrations  des  sables  du  désert  si  nuisibles  aux 
organes  des  hommes  et  des  animaux. 

Des  précautions  contre  toute  distribution  et  emploi  abusif 
d'eau  sont  nécessairement  exigées;  Lenz  n'osait  s'en  servir, 
que  pres(|ue  en  cachette,  pour  sa  propreté  pei'sonnelle,  il 
devait  ménager  la  susceptibilité  de  ses  gens  qui  jugeaient  ces 
soins  une  luxueuse  fantaisie;  dans  sa  conviction,  les  berbères 
Touaregs  ne  se  lavent  jamais  au  désert,  ce  qui  contribue  aux 
maladies  des  yeux  si  fréquentes  et  si  souvent  incurables. 
Lenz  traite  de  fable  l'histoire  d'un  second  estomac  dont  se- 
raient doués  les  chameaux  et  où  ils  conserveraient  une  pro- 
vision d'eau  pour  s'en  servir  quand  l'eau  naturelle  vient  à 
manquer.  C'est  un  conte  de  fée  qui  donne  une  couleur  fan- 
taisiste aux  récits  de  voyages  au  désert  et  par  lequel  tant  de 
récits  palpitants  ont  abusé  de  la  créduHté  du  lecteur.  Il  ne 
faut  pas  compter  sur  les  produits  de  la  chasse  au  désert;  du 
gibier  s'y  rencontre  bien  à  l'occasion,  mais  hors  de  portée, 
et  le  temps  d'ailleurs  est  trop  précieux  pour  le  consacrer  à  la 
chasse.  La  viande  séchée  au  soleil,  les  conserves  et  surtout 
le  thé  et  le  café  sont  des  ressources  qu'on  ne  saurait  trop 
apprécier.  Dans  ce  voyage  périlleux  de  30  jours,  de  Tenduf 
à  Arouan,  Lenz  ne  rencontra  qu'un  seul  vivant.  Nous  en 
relèverons  successivement  quelques  incidents.  Le  caractère 
général  du  sol  commence  à  revêtir  ici  sa  forme  spécifique, 


PROCÈS-VERBAUX.  47 

les  dunes  ;  la  dune  associée  à  la  hamada  a  un  caractère  so- 
lennel et  présente  un  spectacle  grandiose,  pas  un  être  vivant 
en  vue,  point  d'oiseaux,  point  de  serpents,  point  de  gazelles, 
pas  même  d'insectes  ;  solitude  absolue.  Quant  aux  hommes, 
dit  Lenz,  leur  vue  n'est  pas  désirable,  et  notre  guide,  auquel 
Scbeich-Ali  avait  fait  la  leçon,  ne  nous  permit  pas  pendant 
les  premières  marcbes  de  dresser  notre  tente  de  jour,  sa 
couleur  blanche,  visible  de  loin,  aurait  pu  donner  l'éveil  à  la 
cupidité  des  rôdeurs  du  désert.  Le  12  mai,  nous  arrivons  au 
point  où  se  réunissent  les  deux  routes  des  caravanes  venant 
de  Tenduf  et  de  Tafilalet;  Heu  suspect  et  dangereux  entre  tous 
à  cause  des  détrousseurs  de  caravanes  qui  s'y  donnent  ren- 
dez-vous en  certains  moments.  Les  mesures  de  prudence 
sont  de  rigueur. 

Toujours  les  dunes  avec  accompagnement  de  fossiles  (cri- 
noïdes  et  coraux),  puis  de  gypse,  plus  loin,  en  descendant  un 
peu,  le  sable  est  pur  et  tendre,  nos  montui"es  y  enfoncent 
jusqu'au  genou.  Nous  approchons  d'un  puits  nommé  Bin- 
bel-Ahbas,  bien  connu  des  caravanes,  auquel  nous  trouve- 
rions enfin  de  l'eau  pour  renouveler  le  contenu  de  nos  outres. 
Mais  notre  guide,  désireux  avant  tout  d'éviter  toute  rencontre 
accidentelle,  préfère  nous  faire  faire  un  détour  pour  l'éviter; 
sa  connaissance  parfaite  des  lieux  lui  signale,  dans  un  endroit 
écarté  et  enfoncé,  un  lieu  où  nous  trouvons  de  l'eau  en  sufiB- 
sance  pour  renouveler  notre  provision  et  étancber  la  soif  de 
nos  chameaux. 

C'est  à  Igidi  que  le  singulier  phénomène  des  sables  sonores 
s'est  présenté  à  nous.  Figurez-vous  les  accords  d'une  trom- 
petle  souterraine  sonnant  par  intervalles.  Ce  bruit  sourd  en- 
tendu dans  la  solitude  ne  laisse  pas  que  de  troubler  celui  qui 
le  perçoit  et  qui  n'est  point,  comme  on  pourrait  le  supposer, 
le  jouet  d'une  illusion.  Le  phénomène  bien  connu  de  la  sta- 
tue de  Memnon  en  Egypte,  visitée  par  de  Humboldt,  a  été 
quelquefois  cité  à  l'appui  de  la  réalité  du  sable  sonore.  Le 
D'  Lenz  s'attache  à  analyser  ces  phénomènes  de  l'action  du 
mouvement  de  l'air  dans  les  cavités  de  certains  sables 
quarizeux,  rendues  sonores  dans  un  certain  état  de  chaleur 
et  faisant  l'office  de  tuyeaux  d'orgue.  Ce  sont,  tour  à  tour, 
des  grognements,  des  ronflements,  des  soupirs,  des  gémis.se- 


48  BULLETIN. 

ments,  enfin  le  roulement  du  tonnerre  qui  s'en  échappent. 
L'ébranlement  artificiel,  produit  dans  ces  masses  de  sable  par 
le  passage  d'une  caravane,  en  modifie  les  conditions  et  est 
une  des  causes  agissantes  du  phénomène  ;  la  rupture  d'équi- 
libre des  couches  de  sable,  la  sécheresse  du  climat,  la  qualité 
dominante  du  quartz  pur,  en  sont  d'autres  ;  cependant  tout 
n'est  pas  explicable  par  là  ;  pourquoi  Igidi  a-t-il  le  privilège 
des  sables  sonores,  tandis  que  tant  d'autres  locahlés  qui,  par 
leurs  caractères  et  leur  situation  y  auraient  en  apparence  les 
mêmes  droits,  n'en  ont  pas  ? 

Nous  passâmes  encore,  dit  Lenz,  la  nuit  du  15  mai  au 
milieu  de  ces  dunes  ;  le  matin  suivant  nous  poussâmes  plus 
loin  pour  nous  sortir  aussi  vite  que  possible  de  ces  masses 
de  sable,  et  etîectivement  nous  les  eûmes  bientôt  mises  der- 
rière nous.  La  scène  changea  du  tout  au  tout; le  sol,  haut  de 
370"  au-dessus  de  la  mer,  se  couvre  de  grains  feldspathi- 
ques,  bientôt  s'y  ajoutent  des  galets  de  granit  et  de  por- 
phyre et,  dans  le  lointain,  s'aperçoivent  les  montagnes  d'où 
ils  proviennent;  elles  surgissent  à  droite  et  à  gauche,  isolées, 
hautes  de  300  à  400"°;  leur  présence  inattendue,  au  beau 
milieu  du  Sahara,  ne  laisse  pas  que  de  surprendre.  Nous 
avions  devant  nous,  au  sud,  faisant  suite  à  Igidi,  le  pays  nommé 
El-Églab  ;  ici  nous  changeons  de  direction  vers  l'est.  Bientôt 
l'alarme  se  répand  parmi  nos  hommes,  causée  par  la  vue 
éloignée  de  chameaux  en  marche  et  qui  pis  est,  par  des  tra- 
ces fraîches  de  pas  de  chevaux.  De  là  à  y  voir  une  bande  de 
brigands  il  n'y  avait  pas  loin,  notre  guide  Mohamed  nous 
cacha  derrière  des  rochers  pour  se  porter  seul  en  avant  à  la 
découverte  ;  malgré  sa  vue  extraordinairement  perçante,  il 
ne  put  rien  découvrir  de  suspect,  ni  voir  les  cavaliers  qui 
devaient  avoir  croisé  notre  route  à  peu  d'intervalle,  peut- 
être  la  veille.  Quant  aux  chameaux  entrevus  ils  devaient 
avoir  passé  le  matin  même  à  courte  dislance  de  nous,  ce  que 
nous  donnait  à  connaître  l'agitation  évidente  des  nôtres  qui 
s'arrêtaient  de  paître  et  flairaient  l'air  toujours  dans  la  même 
direction.  Il  fallait  entendre  discuter  parmi  nos  gens  toutes 
les  éventualités  possibles  et  toutes  les  combinaisons  les  plus 
ingénieuses.  Quelle  pouvait  être  la  tribu  des  cavaliers? 
Étaient-ils    des  Tekna  ou   bien   des   Ait-Tatta  ?   Combien 


PEOCÈS-VERBAUX.  49 

étaient-ils?  Quand  avaient-ils  passé?  Quel  chemin  avaient-ils 
pris,  etc.,  etc.?  C'est  surprenant  de  voir  avec  quelle  perspica- 
cité exercée,  ces  natures  vierges  savent  déduire,  des  incidents 
les  plus  simples,  les  inductions  les  plus  Ingénieuses.  Le  plus 
préoccupé  de  tous  était  notre  guide  Mohamed  qui  répondait 
de  notre  sûreté  devant  son  maître  le  Scheich-Ali. 

La  crainte  persistante  de  mauvaises  rencontres  compli- 
quait la  marche  de  nos  voyageurs.  Dans  l'areg  l'eau  ne  man- 
que pas  et  la  formation  géologique  du  sol  se  prête  à  la  pré- 
sence de  puits  servant  de  ligne  de  marche  aux  voyageurs 
dans  ce  désert;  mais  la  faiblesse  de  la  petite  caravane  du 
D"  Lenz,  le  peu  d'hommes  en  état  de  se  défendre  qui  la  com- 
posait, obligeait  à  beaucoup  de  détours  pour  éviter  ces  puits 
où  les  détrousseurs  de  caravanes  pouvaient  se  rencontrer. 
Cette  marche,  en  traçant  des  courbes,  ajoutait  à  la  fatigue; 
hommes  et  chameaux  y  succombant,  on  s'arrêta  toute  la  jour- 
née du  22  mai  aux  puits  de  Tarmanant,  Bin-Tar manant.  On 
convint  alors  de  ne  plus  marcher  que  de  nuit;  le  guide 
se  dirigeait,  disait-il,  d'après  une  étoile  qui  conduisait  im- 
manquablement à  Arouan  dont  elle  marquait  la  direction, 
mais  ce  moyen  seul  ne  suffisait  pas,  il  savait  s'aider  d'une 
foule  de  petits  signes  indicateurs  dont  sa  mémoire  gardait  le 
souvenir. 

Pour  supporter  la  marche  de  nuit  prolongée  sur  cette  lon- 
gue chaîne  de  stations  à  travers  Tareg,  il  faut  dormir  de 
jour,  ce  à  quoi  le  D""  Lenz  ne  pouvait  s'accoutumer  ;  les  gens 
du  pays  dorment  sur  leurs  chameaux.  Ceux-ci  marchent  sur 
une  ligne,  les  uns  attachés  à  la  suite  des  autres,  et  il  suffit 
que  l'homme  de  tête  veille.  La  visite  des  salines  de  Taudeni 
m'aurait  intéressé,  dit  Lenz,  à  cause  du  commerce  de  sel  qui 
motive  de  fréquentes  caravanes  entre  cette  ville  et  Arouan, 
de  là  ce  sel  se  transporte  jusqu\à  Timbouctou  ;  mais  la  crainte 
des  mauvais  coquins  qu'attirent  toujours  le  passage  de  ces 
caravanes  fit  un  devoir  à  noli-e  guide  Mohamed  de  nous 
faire  éviter  ce  site  où  l'on  trouve  aussi  d'anciens  petits  us- 
tensiles en  pierre  polie  de  formes  diverses,  datant  évidem- 
ment de  l'âge  de  la  pierre.  Le  soir  du  29  mai  nous  quittâmes 
la  région  des  puits  duWad-Teli  pour  marcher  en  droite  ligne 
sur  Arouan.  Pendant  la  nuit  notre  excellent  serviteur  Hadj'- 

LE    GLOBE,   T.   XXIII,    1885.  4 


50  BULLETIN. 

Hassan  disparaît  d'une  manière  inexplicable.  Esl-il,  en  dor- 
mant, tombé  de  sa  monture,  s'est-il  tué  en  tombant,  ou  a-t-il 
perdu  nos  traces,  aurait-il  succombé  à  une  vengeance  de 
Mobamed  qui  ne  l'aimait  pas?  Nous  l'attendons  pendant 
vingt  beures,  tirons  des  coups  de  fusils  ;  tout  est  inutile.  C'est 
une  grande  perte  pour  moi,  car  je  pouvais  m'entretenir  avec 
lui.  Le  3  juin,  jour  important,  marquant  par  la  rencontre 
d'un  bomme,  le  seul  aperça  depuis  26  jours,  savoir  depuis 
notre  départ  de  ïenduf.  C'était  aux  puits  de  l'areg  Unan  ;  il 
faisait  partie  de  nomades  qui  y  faisaient  paître  leurs  cha- 
meaux. La  chaleur  est  forte  et  le  séjour  sous  la  tente  intolé- 
rable de  jour.  Le  5  juin  l'areg  se  couvre  {ïalfa,  mauvais 
fourrage  pour  les  chameaux;  6  juin,  soHtude  absolue,  absence 
de  tout  objet  pouvant  attirer  le  regard  sur  celte  plaine  inter- 
minable d'alfa,  200"  au-dessus  de  la  mer  (42°  C);  presque 
pas  de  mirage  proprement  dit;  la  satisfaction  de  savoir 
Arouan  près  de  nous  se  lit  sur  tous  nos  visages,  mais  sur- 
tout sur  celui  du  guide  Mohamed  qui  triomplie  d'avoir  su 
nous  conduire  sains  et  saufs  jusqu'ici,  au  travers  des  mille 
dangers  que  présente  le  désert  depuis  Tenduf;  le  9  juin,  jour 
de  repos;  10  juin,  nous  espérons  atteindre  Arouan  aujour- 
d'hui, d'autant  plus  que  notre  provision  d'eau  tire  à  sa  fin; 
il  faut  envoyer  un  homme  à  celte  ville  pour  nous  en  appor- 
ter. Arouan  se  compose  de  100  h  150  maisons  disséminées 
sans  ordre,  Mohamed  nous  y  précède,  porteur  de  lettres  de 
recommandations  pour  le  schérif,  principal  personnage  de 
l'endroit,  puis  à  son  retour,  nous  y  faisons  notre  entrée. 

Nous  ne  saurions  assez  louer  l'habilelé  de  Mohamed 
comme  guide,  c'est  à  lui,  après  Scheich-Ali,  que  nous 
devons  la  vie  ;  nous  n'avons  point  fait  de  mauvaises  ren- 
contres; tous  les  domestiques  ont  été  fidèles,  servia blés  et 
empressés  ;  nous  avons  toujours  eu  de  l'eau  potable,  du  four- 
rage passable  et  souvent  abondant,  ce  qui  fait  qu'aucun  de 
nos  neuf  chameaux  n'a  succombé,  malgi'é  les  blessures  de 
plusieurs  ;  en  un  mot,  sauf  l'incident  tragique  et  regrettable 
concernant  Hadj'  Hassam,  on  peut  dire  que  le  voyage  a  élé 
admirablement  bien  combiné  et  exceptionnellement  heu- 
reux et  favorisé.  Quant  aux  illusions  de  la  Fata  Morgana, 
tant  souvent  citée,  avec  ses  apparitions  illusoires  de  lacs,  vil- 


PROCÈS- VERBAUX.  51 

les,  châteaux,  vaisseaux,  jardins,  etc.,  fermant  l'horizon  ou 
suspendus  dans  les  nuages,  à  peine  en  pouvons-nous  parler 
ou  citer  quelques  rares  exemples  appi-ochant  de  ces  descrip- 
tions; on  peut,  en  grande  partie,  les  renvoyer  à  leurs  auteurs, 
les  conteurs  arabes,  imbus  des  rêves  fantastiques  de  l'Orient. 
Tout  ce  que  je  peux  dire  avoir  vu  sous  ce  rapport,  sont  quel- 
ques apparitions  d'arbres  suspendus  en  l'air  et  quelques  fla- 
ques d'eaux  imaginaires  autour  ou  au-dessus  de  l'horizon. 
En  fait,  celui  qui  saura  opposer  aux  effets  de  la  chaleur,  sans 
aucun  doute  sensible  et  oppressante,  du  courage,  du  sang- 
froid  et  de  l'empire  sur  son  imagination  surexcitée,  sera  peu 
ou  point  accessible  à  ces  tableaux  et  apparences  imaginaires, 
dont  les  récits  exagérés  ont  tellement  rempli  la  tête  des  voya- 
geurs. Comme  preuve  qu'il  sut  toujours  conserver  sa  tête 
en  possession  d'elle-même,  Lenz  cite  que,  souvent,  après  les 
devoirs  et  travaux  prescrits  accomplis,  il  a  pu  jouer,  dans  sa 
tente  surchauffée,  des  parties  d'échecs  avec  Hadj'  AU  et  Béni- 
tes. Si,  dit-il,  d'un  côté,  mon  voyage,  un  peu  trop  retardé, 
avait  donné  le  temps  à  la  saison  chaude  de  nous  atteindre, 
circonstance  défavorable  pour  un  voyage  au  désert,  d'autre 
part  ce  relard  avait  l'avantage  que  les  bandes  de  détrous- 
seurs de  grand  chemin  qui  assiègent  et  infectent  le  voisinage 
des  puits,  à  l'époque  régulière  du  passage  des  caravanes, 
avaient  regagné  leurs  domiciles. 

La  vie  animale,  sans  faire  défaut,  ne  procura  pas  au  voya- 
geur, amateur  d'histoire  naturelle,  tout  le  charme  qu'il 
s'était  promis  d'un  voyage  en  plein  désert;  les  troupeaux  de 
bœufs  sauvages,  de  gazelles  et  d'antilopes,  entre  autres,  tout 
en  s'olTrant  à  la  vue,  ne  permettent  guère  l'exercice  et  le 
plaisir  de  la  chasse;  mais  l'air  qu'on  respire  dans  le  désert 
est  si  exceptionnellement  salubre  qu'on  n'y  connaît  à  peu 
près  point  de  maladies,  sauf  les  maux  d'yeux,  dont  l'absence 
de  propreté  est  la  principale  cause.  On  ne  saurait  trop 
recommander  aussi,  comme  précaution  hygiénique,  l'usage 
des  bains  de  sable  surchautTé  des  dunes  ;  c'est  une  vraie 
volupté  et  un  véritable  délice  de  se  plonger  dans  ce  sable 
quarlzeux  si  pur  et  si  propre.  Le  désert  est  beau,  très  beau, 
en  dépit  de  la  chaleur  et  des  dunes;  rien  que  sa  solitude  a 
quelque  chose  de  grandiose  et  de  sublime,  comme  l'insonda- 


52  BULLETIN. 

Me  océan.  Un  lever  de  soleil,  en  plein  désert,  ou  un  doux 
clair  de  lune,  présentent  un  charme  inexprimable,  une  incom- 
parable beauté,  et  font  naître  des  sensations  inimaginables. 
Pour  acheter  de  telles  jouissances  privilégiées,  l'homme  sen- 
sible au  grand  et  au  l)eau,  ne  reculera  pas  devant  quehjues 
dangers  incontestables,  et  conservera,  sa  vie  durant,  le  sou- 
venir des  jours  passés  en  plein  Sahara,  comme  des  temps 
les  plus  heureux  pour  son  corps  et  son  âme.  Il  semblerait 
que  nous  dussions  arrêter  ici  la  relation  du  voyage  d'Oscar 
Lenz  par  celte  explosion  d'enthousiasme,  échappé  de  sa 
bouche  en  l'honneur  de  la  majesté  du  désert  de  Sahara. 
Cependant  le  lecteur  a  droit  à  une  terminaison  plus  effective 
de  cette  partie  du  moins  de  l'expédition  dont  le  but  était 
l'arrivée, tant  désirée,  à  Timbouctou.  Nous  céderons  donc,  en 
prolongeant  le  récit  jusqn'<à  cet  épisode  marquant,  au  désir 
supposé  du  lecteur. 

La  vue,  l'existence  et  le  séjour  d'Arouan  composent  tout 
ce  qu'il  y  a  en  même  temps  de  plus  triste  et  de  plus  impor- 
tant; important,  comme  siège  d'un  grand  entrepôt  commer- 
cial et  d'un  moyen  de  communication  indispensable,  entre  les 
populations  du  désert  de  Sahara  au  nord,  et  les  tribus  du 
riche  et  fortuné  Soudan,  au  midi;  triste  par  sa  situation  en 
plein  désert,  sans  distractions  d'aucune  sorte  pour  les  yeux 
ou  pour  l'esprit,  sans  arbres,  sans  eau  visible,  sans  montagnes 
et  sans  jardins;  si  l'areg  est  le  pays  de  la  soif,  Arouan  est  la 
métropole  du  sable.  Terrain,  dunes,  murs  de  maisons,  tout  est 
jaune,  couleur  du  sable,  qui  colore  même  l'air  desséché  qu'on 
y  respire;  quand  j'ai  ditsaiw  mw,  j'ai  eu  soin  d'ajouter  appa- 
rente à  la  vue,  car  Araouan  est  la  ville  la  plus  riche  en  eau  du 
Sahara  occidental  ;  on  ne  peut  cependant  lui  donner  le  nom 
d'oasis  car  cette  eau  ne  s'y  révèle  par  aucun  signe  quelcon- 
que de  végétation  où  puisse  mordre  la  dent  du  chameau. 
L'eau  si  abondante  y  est,  en  effet,  partout  enfouie  et  cachée 
dans  les  profondeurs  du  sol,  creusé  de  mille  puits  bien  four- 
nis et  alimentés.  Quant  aux  maisons,  rien  de  plus  monotone 
que  leur  forme  identique  ;  ce  sont  de  grands  cubes  de  terre, 
sans  ouvertures  au  dehors,  à  l'exception  d'une  porte.  A  l'in- 
térieur il  y  a  une  cour  vaste,  carrée  aussi,  et  sur  laquelle 
donnent  les  appartements;  on  corrige  ce  triste  aspect  des 


PROCÈS-VEEBAUX.  53 

murs  par  des  ornements  faits  de  la  même  argile  hleuàlre- 
L'obscurité  des  maisons  est  le  seul  remède  contre  d'innom- 
brables mouches. 

Le  schérif  d'Arouan,  Sidi  Anhamid-bel-Arib,  vieillard  de 
quatre-vingt-deux  ans,  qui  partage  l'influence  avecleScheich 
des  Kabyles-Bérabich,  nous  fit  assigner  une  maison;  il  logea 
aussi  nos  hétes  et  leur  donna  la  nourriture  et  des  gardiens. 
J'ai  parlé  de  mouches  innombrables  ;  le  terme  n'est  pas  exa- 
géré, elles  existent  ici  par  milliards  de  milliers  et  font, 
d'Arouan  et  de  son  séjour,  un  véritable  enfer.  Sa  position 
sans  jardins,  sans  aucune  production  agricole  quelconque, 
rend  Arouan  absolument  tributaire  de  Timbouctou  distant  de 
200  kilom.  En  fait  de  viande  on  y  trouve  quelques  miséra- 
l)les  volailles  et  une  race  de  moutons  du  Soudan  sans  toison. 
L'honnête  Schérif  voulant,  dit  Lenz,  me  traitei*  le  soir  de 
mon  arrivée,  ne  pût  trouver  qu'un  peu  de  riz  et  de  la  viande 
de  chevreau  séchée.  Son  accueil  n'en  fut  pas  moins  fort  ami- 
cal bien  qu'il  ne  se  fit  aucune  illusion  sur  ma  qualité  de  chré- 
tien. La  population  de  Kabyles-Bérabich,  auxquels  se  mêlent 
quelques  tribus  nègres,  était  aussi  bien  disposée  à  mon 
égard.  Les  Touaregs,  qui  ne  se  trouvent  pas  bien  éloignés, 
vivent  en  mauvaise  intelligence  avec  elle  ;  ce  sont  eux  dont 
la  rencontre  peut  inquiéter  les  voyages  pour  Timbouctou. 
C'est  ici  que,  il  y  a  une  30^  d'années,  le  malheureux  et  intré- 
pide voyageur  major  Laing,  fut  assassiné  ;  cet  événement  a 
laissé,  ici  comme  à  Timbouctou,  des  souvenirs  très  vivants 
encore. 

On  ne  sera  pas  surpris  qu'Arouan,  la  métropole  dessables, 
comme  nous  l'avons  désignée,  soit  exposé  aux  ouragans  re- 
doutables du  désert,  désignés  ailleurs  sous  le  nom  de  -St- 
moitn,  et  appelés  ici  Dschaui.  Le  15  juin  on  en  ressentit  un 
de  toute  violence  ;  il  s'annonça  par  des  maux  de  tête,  une 
irritabilité  extrême  et  des  rêves  agités  et  angoissés  ;  enfin,  il 
arriva,  chassant  le  sable  en  flots  épais,  qui  bientôt  couvrirent 
tous  les  objets ,  comme  une  forte  chute  de  neige  ;  le  sable 
pénètre  partout,  jusque  dessous  les  verres  des  montres;  le 
nez,  les  yeux,  la  bouche  et  les  oreilles  en  sont  remplis.  Le 
vent  dura  une  demi-heure  à  peine;  malheur  à  ceux  qui  sont 
surpris  en  plein  air  par  le  Dschaui,  hommes  et  chameaux 


54  BULLETIN. 

n'ont  autre  chose  à  faire  qu'à  se  coucher  le  visage  contre 
terre  tournant  le  dos  à  sa  direction  ;  heureusement,  sa  durée 
moyenne  ne  dépasse  guère  une  dizaine  de  minutes.  Quant 
aux  récifs  de  caravanes  entières  ensevelies  sous  le  sable,  c'est 
une  fable  que  tout  contredit.  Sans  doute,  il  peut  en  résulter 
la  perle  d'une  caravane,  si,  perdant  son  chemin,  elle  ne 
retrouve  pas  de  puits,  elle  est  exposée  à  périr  de  soif,  car  le 
sable  a  bien  vite  pénétré  les  outres  et  anéanti  leur  contenu. 
Quelquefois  aussi  l'ouragan  ensevelit  un  puits  sous  une 
couche  de  sable.  C'est  là  ce  qui  peut  arriver  de  pire. 

De  petites  pierres  d'origine  animale,  qui  se  trouvent  dans 
le  corps  d'une  espèce  d'antilope,  se  vendent  très  cher,  dès 
ici  et  dans  tout  l'Orient,  comme  contre-poison. 

Le  désir  de  déloger  de  cet  horrible  Arouan  rend  Lenz  fa- 
cile dans  ses  marchés  pour  remonter  sa  caravane  avec  des 
chameaux  frais  ;  tout  le  reste  de  son  avoir  ;  passe  avec  les 
cadeaux  qu'on  ne  peut  refuser,  surtout  en  sucre,  thé  et  café. 
Le  brave  guide  Mohamed  les  avait  bien  gagnés;  c'est  par  lui 
que  la  première  nouvelle  de  l'arrivée  de  Lenz  à  Timbouctou 
est  parvenue  en  Europe,  cet  honnête  Mohamed  ayant  attendu 
à  Arouan,  jusqu'au  retour  de  Timbouctou  des  hommes  qui  y 
avaient  escorté  Lenz  et  dont  ils  rapportaient  un  témoignage 
écrit  de  son  heureuse  arrivée.  Lenz  est  le  second  Européen 
qui  ait  visité  Arouan.  Le  départ  eut  lieu  le  2.5  juin.  La  tradi- 
tion de  déserts  hantés  par  les  lions  n'est  guère  plus  exacte 
que  celle  sur  les  effets  du  mirage  et  du  simoun.  Rien  de 
plus  rare  actuellement  que  le  lion  du  Sahara  méridional. 
C'est  seulement  à  une  joui-née  de  Timbouctou,  à  El-Assouad, 
que  Lenz  en  reconnaît  une  trace  distincte  et  évidente  ;  mais 
les  aigles,  vautours  et  autres  carnassiers  y  abondent  ;  une  es- 
pèce soulage  les  chameaux  des  vers  qui  les  tourmentent  en 
s'établissanl  sur  leur  croupe  où  ils  leur  donnent  la  ciiasse. 
La  date  du  1"  juillet  1880  restera  inoubliée  chez  Lenz  comme 
marquantlejonrdeson  arrivée  au  but  rèwéTinibouctou.Ce&l 
sous  l'escorte  d'un  jeune  scheich  El-Bakay,  neveu  du  célèbre 
schérif  El-Bakay,  de  Barth,  que  Lenz  accomplit  les  dernières 
étapes  du  voyage.  Une  foule  composée  en  général  de  cu- 
rieux bien  disposés  envei's  lui,  se  porte  à  sa  rencontre  et 
l'escorte  avec  des  signes  de  jubilation  dans  la  ville  célèbre 


BIBLIOGRAPHIE.  00 

OÙ  n'étaient  parvenus  avant  lui  que  les  Européens  Paul  Im- 
bert,  major  Laing,  Caillé  et  Barlli. 

Puisque  le  Maroc  a  fait  le  sujet  principal  du  début  du 
voyage  de  Lenz,  arrêtons-nous  y  encore  un  instant,  en  ter- 
minant, car  c'est  un  monde  que  le  Maroc  étudié  dans  son 
histoire  et  dans  son  rôle  politique  bien  déchu  aujourd'hui. 
Le  temps  de  sa  splendeur  brille  encore  aux  yeux  de  l'archéo- 
logue; il  retrouve,  avec  Lenz,  son  influence  s'étendant  bien 
au  delà  de  ses  limites  actuelles,  car  ce  sont  ses  frontières 
du  passé  qui  ont  fait  sa  grandeur;  on  devra  en  rechercher 
les  traces,  bien  au  sud  du  Maroc  moderne,  jusqu'cà  Timbouc- 
tou  où  le  mot  de  Maure  se  prononçait  encore  naguère.  — 
Sang  mauresque,  usages  mauresques,  style  mauresque,  meu- 
bles et  armes  mauresques  ;  vous  les  retrouvez  partout.  Le 
Maure  est  la  race  aristocratique  par  excellence,  il  a  le  teint 
plus  clair,  la  taille  mieux  dessinée,  l'esprit  plus  prompt  que 
les  autres  races  qui  lui  disputent  encore  le  sol  du  nord  de 
l'Afrique.  Est-il  réellement  sorti  du  mélange  de  l'Arabe  avec 
le  vrai  nègre  aux  cheveux  crépus,  aux  joues  saillantes,  au 
nez  aplati  ? 

Quant  aux  anciens  maîtres  du  sol,  le  berbère  confondu  ici, 
distinct  là, du  Kabyle,  mais  dont  le  Targi,  le  Touareg  féroce  et 
fier,  se  réclame,  Lenz  ne  s'occupe  pas  de  l'étude  de  leur 
histoire,  étude  difficile  et  compliquée  que  nous  ne  nous  sen- 
tons pas  nous-mêmes  de  force  à  entreprendre.       F.  de  M. 


BIBLIOGRAPHIE 


Carte  des  voies  de  communications  de  l'empire  d'Allemagne, 
destinée  à  donner  une  vue  d'ensemble  de  toutes  les  voies  fer- 
rées, des  principales  routes,  et  des  lignes  de  paquebots,  par 
Edouard  GiEBLER.  (Eduard  Gœbler's  Verkehrskarte  des 
Deutschen  Reichs.) 

La  Société  a  reçu  de  M.  E.  Gtebler  une  carte  de  l'empii-e 
d'Allemagne,  d'environ  70  centimètres  sur  60,  dressée  par 
lui  et  éditée  par  l'Institut  géographique  de  Leipzig.  Le  but 
de  cette  carte  est  pratique,  elle  est  destinée  aux voyageuis  et 


56  BIBLIOGRAPHIE. 

commerçants;  c'est  donc  à  ce  point  de  vue  qu'elle  doit  être 
considérée. 

L'auteur  a  distingué  par  des  traits  de  forces  difTérenles  les 
lignes  importantes,  sui"  lesquelles  on  trouve  des  communica- 
tions régulières  et  rapides,  et  les  lignes  secondaires.  Cela  ne 
se  fait  pas  en  général,  et  M.  Giebler  a  eu  raison  de  le  faire. 
Bien  souvent  un  voyageur,  croyant  abréger  une  distance, 
s'engage  sans  le  savoir  dans  un  labyrinthe  de  lignes  secon- 
daires où  les  trains  sont  lents,  où  les  iioraires  ne  concordent 
pas,  si  bien  qu'il  arrive  une  demi-journée  après  le  train  qui, 
tout  en  faisant  un  détour,  a  suivi  une  ligne  importante.  Un 
autre  avantage  pratique  de  celte  cai'te,  c'est  qu'en  indiquant 
tous  les  points  de  jonction  des  lignes,  quelque  insignifiants 
qu'ils  puissent  être  sous  tous  autres  rapports,  l'auteur  facilite 
beaucoup  au  voyageur  la  consultation  des  guides  et  surtout 
de  ces  publications  volumineuses  dans  le  genre  du  Hent- 
schel's  Telegraph.  La  même  chose  est  à  remarquer  en  ce  qui 
concerne  les  roules,  quoique  cela  ait  moins  d'importance 
pour  des  étrangers. 

Les  détails  topographiques,  et  surtout  les  montagnes,  dis- 
paraissent un  peu  trop  sous  la  grande  quantité  des  noms  et 
sous  l'enluminure.  Il  est  aussi  à  regretter  que  l'auteur,  qui  a 
trouvé  le  moyen  de  rendre  si  clairement  cet  énorme  réseau 
d'environ  37,000  kilomètres  de  voies  ferrées,  n'ait  pas  indi- 
qué d'une  manière  particulière  et  visible,  le  réseau  de  navi- 
gation intérieure.  Il  y  a  plus  de  13,000  kilomètres  de  rivières 
navigables  et  de  canaux  en  Allemagne;  il  n'y  a  même  aucun 
pays  qui  possède  un  système  de  navigation  intérieure  plus 
complet  que  la  Prusse,  et  cela  avec  10  canaux  seulement, 
dont  la  longueur  totale  n'est  que  de  .385  kilomètres.  La  carte 
ne  le  laisse  malheureusement  pas  soupçonner. 

L'auteur  indique  les  lignes  de  paquebots  parlant  des  ports 
principaux,  Bremen,  Hambourg,  Lùbeck,  Stettin  et  Danzig, 
ou,  plus  exactement,  de  Bremerhafen,  de  Kuxhaven,  de  Tra- 
vemûnde,  de  Swinemûnde  et  de  Neufahrwasser,  car  la 
dimension  toujours  croissante  des  vaisseaux,  a  obligé  toutes 
ces  villes  commeiçantes  à  se  créer  des  ports  auxiliaires  plus 
facilement  abordables.  Quelques  chitîres  de  durée  des  trajets 
sont  intéressants;  ainsi  l'on  se  rend  de  Kuxhaven  à  Londres 


BIBLIOGRAPHIE.  57 

en  33  ou  36  heures,  de  Bremerhafen  à  New-York  en  10  ou 
12  jours,  et  à  la  Nouvelle-Orléans  en  24  jours,  de  Kuxhaven 
à  Rio-Janeiro  en  26  jours,  de  Breraen  à  Sidney  en  4S  jours. 
Le  prix  de  la  carte  de  M.  Gaebler  est  de  3  marks,  c'est-à- 
dire  de  3  fr.  75  centimes.  Emile  Chaix. 

Proceedings  of  the  Royal  Geographical  Society  (de  Londres). 

]\°  de  «Juin  1884.  Notes  sur  la  géographie  physique  et 
historique  de  l'Asie  Mineure,  prises  pendant  des  voyages  de 
1879  à  1882,  par  le  colonel  sir  Charles  W.  Wilson,  avec  car- 
tes. —  En  mars  1879,  le  gouvei-nement  anglais  établit  en 
Asie  Mineure  des  consuls  militaires,  pour  surveiller  l'intro- 
duction des  réformes,  d'après  la  convention  anglo-turque. 
M.  Wilson,  consul  général,  nous  donne  ici  le  résultat  de  leurs 
travaux  au  point  de  vue  géographique. 

Marche  avec  chameaux  de  Berber  à  Korosko,  en  1863,  pai- 
le  lieutenant-colonel  J.-A.  Grant,  avec  carte.  —  Ces  notes  du 
compagnon  de  Speke  out  encore  deraclualilé,  car  le  pays  et 
la  manière  d'y  voyager,  n'ont  pas  changé  depuis  22  ans. 

Juillet.  Revue  annuelle  des  progrès  de  la  Géographie,  par 
le  right  hon.  Lord  Aberdare,  pr-ésident  de  la  Société. 

Voyages  dans  le  nord-ouest  de  l'Arabie  et  le  Nedj,  par  Char- 
les M.  Doughty,  avec  carte.  Récit  de  périlleux  voyages  effec- 
tués de  1876  à  1878.  M.  Doughty,  en  ne  cachant  pas  sa  dou- 
ble qualité  d'anglais  et  de  chrétien,  a  souvent  couru  de 
grands  dangers  parm.i  des  populations  musulmanes  fanati- 
ques. —  Il  a  rapporté  de  précieux  renseignements. 

Août.  Voyage  et  ascensions  dans  l'Himalaya,i^diV  W.  W.Gra- 
ham.  —  Ce  voyageur  a  eu  pour  compagnons  trois  de  nos 
compatriotes,  Joseph  Imboden  d'abord,  puis  Emile  Boss  et 
Ulrich  Kautîmann.  M.  Boss,  de  Grindehvald,  s'est  tout  parti- 
culièrement distingué  et  a  reçu  de  la  Société  le  Back  prize. 
M.  Graham  et  lui  sont  parvenus  jusqu'à  une  altitude  plus  éle- 
vée de  1,700  pieds  qu'aucune  ascension  antérieure. 

Un  voyage  dans  l'intérieur  de  l'Ashanti,  par  le  capitaine 
Brandon  Kirby,  avec  carte.  —  Nous  y  relevons,  entre  autres, 
le  fait  intéressant  que  l'usage  des  sacrifices  humains  aurait 
cessé  à  Coomassie,  grâce  à  l'influence  anglaise. 


58  «IliLIOGRAPHIE. 

Explorations  dans  le  voisinage  des  monts  Roraima  et  Kitke- 
nam  dans  la  Guyane  anglaise,  par  Henri  Whitely,  avec  carie 
et  cro(iiiis. 

Septembre.  Les  régions  du  haut  Oxus,  par  Robert  W\- 
chell.  —  Celte  communication,  les  notes  qui  l'accompagnent, 
et  la  discussion  qui  l'a  suivie,  sont  intéressantes,  car  elles 
nous  parlent  d'une  partie  de  l'Asie  qui,  jusqu'à  ces  dernières 
années,  était  encore  inexplorée  et  fort  peu  connue. 

Sept  années  de  voyages  dans  la  région  à  l'est  du  lac  Nyassa, 
par  le  rev.  W.  P.  Johnson,  aveccai'te.  —  On  y  trouvera  beau- 
coup de  détails  sur  le  pays  et  ses  habitants. 

Octobre.  Un  voyage  de  Mombasa  aux  monts  Nolara  et 
Kasigao,  par  le  commandant  C.  E.  Gissing  R.  N.,  vice-consul 
à  Mombasa,  Afrique-Orientale,  avec  carte.  —  Description  in- 
téressante de  l'aspect  du  pays,  de  son  sol,  de  ses  productions 
et  des  mœurs  et  coutumes  des  diverses  tribus  indigènes.  Il 
est  malheureux  que  les  incursions  des  Masai  qui  ont  dépeu- 
plé certains  districts,  y  rendent  l'élève  des  l)estiaux  et  tout 
essai  de  culture,  impossibles. 

Les  dernières  explorations  de  M.  C.  Winnecke  dans  le  ter- 
ritoire nord  de  l'Australie  du  sud,  avec  carte.  —  Parti  de 
l'Australie  du  sud,  M.  Winnecke  est  parvenu  aux  Goyder's 
Pillars,  centre  du  continent  australien.  Le  pays  a  une  certaine 
analogie  avec  l'Arabie,  il  faut  se  servir  de  chameaux  pour 
traverser  ses  espaces  déserts,  sablonneux,  et  sans  eau  douce. 

Les  observations  hydrographiques  faites  par  Pcxpédition  de 
Nordenskiold  au  Groenland  en  188S,  par  Alfred  Hamberg.  — 
Procès-verbaux  de  la  section  de  géographie  de  la  British  As- 
sociation, réunie  à  Montréal  en  1884^  !'■'  partie. 

IVoA'embre.  La  division  territoriale  du  littoral  africain, 
par  Sir  Rawson  W.  Rawson,  avec  cartes.  —  Article  ti'ès  in- 
structif de  géographie  politique.  En  résumé,  le  littoral  afri- 
cain présente  une  longueur  totale  de  16,718  milles  dont 
10,057  appartiennent  encore  aux  natifs  et  6601  sont  occupés 
par  les  Européens,  savoir  :  Angleterre,  2017,  France  2339, 
Portugal,  1960,  Espagne,  35,  Allemagne,  270ntaHe,  40?  Les 


BIBLIOGRAPHIE.  59 

points  (Fin terroga lion  qui  accompagnent  ces  deux  derniers 
chiffres,  s'expliquent  par  les  circonstances  actuelles. 

Voyage  de  Mozaîubique  aux  lacs  Shirica  et  Amaramba,  par 
H.  E.  O'Neill,  l''^  partie. 

L'Expédition  du  Capitaine  Elliot,  de  l'Association  interna- 
tionale du  Congo,  à  la  Vallée  du  Kwilu-Niadi,  ou  Quilou- 
Niari,  d'après  l'orthographe  française. 

Les  travaux  du  D"  Giissfeldt  dans  les  Andes. 

Procès-verbaux  de  la  section  géographique  de  la  British 
association,  réunie  à  Montréal  en  1884,  suite  et  fin.  Nous  y 
relevons  :  Expériences  arctiques  au  cap  Barroïc,  nord  de 
l'Alaska,  par  le  lieutenant  P.  H.  Ray,  de  la  marine  des  États- 
Unis,  avec  carte,  et  Découvertes  récentes  dans  le  nord  du 
Groenland  et  dans  la  terre  de  Grinnell,  par  le  lieutenant 
A.  W.  Greely,  de  la  marine  des  État-Unis,  avec  carte. 

Décembre.  Discours  d'ouverture  de  la  session  de  1884- 
188d,  par  le  right  hon.  Lord  Aberdare. 

A  travers  le  pays  des  Masai  jusqu'au  Victoria  Nyanza,  par 
Joseph  Thomson,  avec  carte.  —  On  lira  avec  intérêt  le  récit 
de  celte  périlleuse  expédition  dans  le  pays  des  redoutables 
Masai;  par  son  sang-froid  et  son  savoir-faire,  M.  Thomson  a 
pu  la  mener  à  bonne  fin,  malgré  mille  difficultés  et  de  grands 
dangers,  sans  perdre  un  seul  homme  de  sa  petite  troupe, 
sans  tuer  un  seul  indigène. 

Voyage  de  Mozambique  aux  lacs  Shirwa  et  Amaramba,  par 
Henry  E.  O'Neill  avec  croquis  et  carte  ;  2"^  et  G""  parties.  — 
Ce  voyage,  quoique  moins  palpitant  que  le  précédent,  a  une 
grande  importance  géographique;  il  décrit  une  contrée  qui 
restait  encore  inexplorée,  quoique  la  côte  soit  occupée  parles 
Portugais  depuis  bientôt  quatre  siècles. 

Nous  voyons  dans  les  Notes  que  M.  O'Neill,  qui  est  consul 
anglais  à  Mozambique,  est  de  retour  d'un  voyage  à  Blanlyre, 
par  la  voie  du  Zambèze  et  du  Shiré;  il  est  revenu  à  Quilli- 
mane  par  une  route  en  partie  nouvelle. 

«Fanvier  1HS5.  Notes  sur  un  voyage  par  terre,  à  travers 
la  partie  sud  de  Formose,  de\Takow  au  cap  sud,  en  1873,  par 
M.Beazeley,  avec  carte.  —  Kécit  d'une  expédition  entreprise 


GO  OUVRAGES    REÇUS. 

en  vue  de  la  construction  du  phare  du  cap  sud.  Il  est  précédé 
d'une  description  sommaire  de  fîle.  L'attention  est,  en  ce 
moment,  tournée  surtout  vei's  le  nord,  sur  Tamsui  etKelung, 
mais  les  détails  et  renseignements  que  donnent  ces  notes 
n'en  sont  pas  moins  utiles  et  intéressants. 

Découverte  de  la  vraie  source  du  Mississipi,  par  le  capitaine 
Willard  Glazier,  avec  plan. 

Une  recherche  des  anciennes  colonies  de  Northmen  et  de 
Portugais  dans  P Amérique  du  Nord,  par  R.  G.  Haliburton, 
avec  carte.  Article  de  géographie  historique  d'un  grand  inté- 
rêt; nous  \  voyons,  entre  autres,  que  les  Northmen  navigant 
d'Islande  au  Groenland,  puis  de  là  au  Labrador,  Skraellings- 
land,  en  croyant  suivre  toujours  les  rivages  d'Europe,  et  sans 
se  douter  qu'ils  découvraient  un  nouveau  continent,  abordè- 
rent, dès  l'an  994,  sur  la  côte  ouest  de  Terre-Neuve,  où  ils 
trouvèrent  de  la  vigne  sauvage  et  qu'ils  appelèrent  Vinland. 

Notes  géographiques  de  la  Commission  de  délimitation  des 
frontières  de  l'Afghan,  par  le  major  S.  H.  Holdich.  Description 
du  nord-est  du  Beluchistan  entre  Quetta  et  Nushki. 

A.  de  M. 


OUVRAGES  REÇUS 

De  juin  à  décembre  1884. 


PERIODIQUES  ET  PUBLICATIONS  DE  SOCIETES 

Petermann's  Mittheilungen,  1884, N»"  6àl2. — Ergànzungs- 
hefte,  N°^  75,  76. 

Société  royale  de  géographie  de  Londres.  Proceedings 
and  monlhly  Record  of  Geography,  1884,  N°"  6  à  12. 

Société  de  géographie  de  Paris.  Compte-rendu  des  séan- 
ces, 1884,  N»^  10  à  19.  —  Bulletin,  N<«  1  à  4. 

Société  de  géographie  de  Berlin.  Zeitschrift,  t.  XIX,  1884, 
N"  ±  — Yerhandlungen,  t.  XI,  1884,  N»^  2  à  o. 


OUVRAGES  REÇUS.  61 

Société  de  géographie  de  Vienne.  Mittheilungen,  t.  XVII, 
J884,  N*>^  5  à  12. 

Société  impériale  de  géographie  de  Russie.  Bulletin,  1884, 
t.  XX.  N"^ 2  à  5. 

Société  itaHenne  de  géographie.  Rome.  Bulletin,  t.  XXVIII, 
1884,N»'6àl2.— Terzo  congresso  geografico  internazionale, 
tenuto  a  Venezia,  Roma,  1884,  gr.  in-8'',  665  pages. 

Société  de  géographie  de  Madrid.  Bulletin^  t.  XVI,  1884, 
N"^  3  à  6,  t.  XVII,  1884,  N»^  1  à  5.—  Congreso  espanol  de 
geografia  colonial  y  mercanlil.  Madrid,  1884,  in-8°,  t.  II, 
371  pages. 

Société  de  géographie  de  Lisbonne.  Bulletin,  1884,  N°=  6 
à  9.  —  Expediçao  scientifica  a  Serra  da  Estrell'a  era  1881. 
Lisboa,  1883,  in-4",  3  fasc.  —  C.  Magelhaes,  Le  Zaïre  et  les 
contrats  de  l'Association  internationale,  in-8°,  32  pages. 

Société  néerlandaise  de  géographie.  Amsterdam.  Tijd- 
schrift,  2""'  série,  N°^  5  à  10;  Afdaling  2. 

Société  de  géographie  de  Berne.  Jahresbericht  1883-1884. 

Société  de  géographie  de  la  Suisse  orientale.  Saint-Gall. 
Mittheilungen,  1884,  N"^  2  et  3. 

Société  royale  belge  de  géographie.  Bruxelles.  Bulle- 
tin, 1884,  N''^  2  à  5. 

Société  royale  de  géographie  d'Anvers.  Bulletin,  1883, 
N°  6;  1884,  N"«  1  à  3.  Mémoires,  t.  II,  Anvers,  1883,  in-S», 
245  pages. 

American  geograpliical  Society.  Bulletin,  1883,  N°^  5  et  6; 
1884,  N"^  1  et  2. 

Smithsonian  Institution.  Annual  Report  for  the  year  1881. 

Société  de  géographie  commerciale  de  Paris.  Bulletin,  t.  VI, 
N»'  7  à  9. 

Société  de  géographie  commerciale  de  Bordeaux.  Bulle- 
lin,  1884,  N°=ll  à  24. 

Société  de  géographie  de  Lyon.  Bulletin,  1884,  N"^  1  à  6. 

Société  de  géographie  de  Marseille.  Bulletin,  1884^  N°^  4 
à  12. 

Société  de  géographie  du  Nord.  Douai.  Bulletin,  1883, 
N°'  38  à  40;  1884,  N"^  3  à  5. 

Société  de  géographie  de  Lille.  Bulletin,  1884,  N»"  6  à  12. 

Société  de  géographie  de  Toulouse.  Bulletin,1884,  N^'S  à  12. 


62  OUVRAGES    REÇUS. 

Société  (le  géographie  de  l'Ain.  Bourg,  Bulletin,  1884, 
No"  3  à  5. 

Société  languedocienne  de  géographie.  Montpellier,  Bulle- 
tin, 1884,  N"  1. 

Société  normande  de  géographie.  Rouen.  Bulletin,  1884, 
mars  à  juin. 

Société  de  géographie  de  l'Est.  Nancy.  Bulletin,  1884, 
N"^  1,  2,  4. 

Société  de  géographie  de  Rochefort.  Bulletin,  1884,  N°'  3 
et  4. 

Société  de  géographie  de  la  province  d'Oran.  Bulletin, 
N"^  20  et  21. 

Société  de  géographie  delà  province  de  Gonstantine.  Bul- 
letin, 1884,  N»"  2  et  3. 

Société  de  géographie  de  Tours.  Revue,  1884,  N"^  3  à  iO. 

Société  de  géographie  commerciale  du  Havre.  Bulletin, 
1884,  N"  1. 

Institut  égyptien.  Bulletin,  N»  4,  1883. 

Société  archéologique  de  l'Orléanais.  Bulletin,  N"'  118 
à  120.  Mémoires,  t.  XVIII  et  Atlas. 

Société  de  géographie  de  Leipzig.  Mittheilungen,  1*^  und 
2*«  Abtheilungen. 

Société  de  géographie  de  Halle  a/S.   Mittheilungen,  1884. 

Société  de  géographie  de  Munich.  Jahresbericht,  1882- 
1883. 

Société  de  géographie  de  Brème.  Deutsche  geographische 
Blâtter,  t.  VII,  1884,  N»^  3  et  4. 

Catalogue  de  l'exposition  argentine,  avec  carte.  Brème, 
1884,  in-8°,  79  pages. 

Société  de  géographie  de  Thuringe.  lena.  Mittheilungen, 
1884,  N»^  1  à  3. 

Société  de  géographie  de  Francfort  s/M.  Beitrâge  zur  Sta- 
listik.  Vierter  Band,  3*'"'  Hefl. 

Société  d'histoire  et  d'archéologie  de  Stettin.  Baltische 
Studien,  N"^  1  à  4. 

Société  physico -économique  de  Kônigsberg.  Schriften, 
24"^  année,  1883,  l''  et  2'°«  parties. 

Société  des  sciences  naturelles  d'Elberfeld.  VI*''  Jahres- 
bericht. 


OUVRAGES    REÇUS.  G3 

Société  géographique  roumaine.  Bucliarest.  Bulletin,  1884. 
N"^  1  et  2. 

Société  de  géographie  commerciale  d'Opporto.  Bulletin, 
1884,  N°^  6  à  8. 

Institut  géographique  de  la  République  Argentine.  Buenos- 
Ayres.  Bulletin,  N°^o  à  7,  9  à  M. 

Société  de  géographie  de  Québec.  Bulletin,  N°  3. 

Institut  canadien.  Toronto.  Proceedings,  N"^  1  et  2. 

Société  d'anthropologie  de  Paris.  Bulletin,  1884,  N°2et  3. 

Société  d'ethnographie.  Paris,  Actes,  1884,  N°  1.  Bulletin, 
N°  53. 

Société  asiatique.  Paris.  Journal,  1884,  N"^  1  et  2. 

Société  d'anthropologie  de  Vienne.  Mittheilungen,  1884, 
N°«  2  et  3. 

Société  américaine  d'anthropologie.  Washington.  1884, 
Constitution,  in-8o,  15  pages.  Transactions,  vol.  II.  in-8°, 
211  pages. 

Observatoire  impérial  de  Rio-de-Janeiro.  Bulletin,  1883; 
Annales,  t.  II,  1882.  Rio-de-Janeiro,  1883,  in-4». 

Meteorological  Society.  Quarterly  Journal,  avril  à  octobre. 

iMeteorological  Office.  Officiai,  61.  A  barometer  manual  for 
the  use  of  the  Seamen.  London,  1884,  41  pages. 

Institut  vénitien  des  sciences,  lettres  et  arts.  Alti.  T.  I, 
G"»  série,  liv.  4  à  12  ;  t.  II,  liv.  1  et  2. 

Institut  historico-géographique  et  ethnographique  du  Bré- 
sil. Revista  irimensal,  t,  XL VII,  1"  et  2'°*  parties.  Rio-de-Ja- 
neiro. 1883,  in-S",  674  pages. 

Section  genevoise  du  Club  Alpin  suisse.  Écho  des  Alpes^ 
1884,  N-  2  et  3. 

Société  franco-hispano-portugaise.  Bulletin,  1884,  N"  1. 
Statuts  et  règlement. 

Zeitschrift  fur  wissenschaftliche  Géographie,  t.  V,  1884, 
N»«  1  et  2. 

Bureau  topographique  de  Saint-Pétersbourg.  Mémoires, 
XXXIX. 

Revue  maritime  et  coloniale.  Paris.  1884,  N"^  4,  6,  8,  9, 12. 

Revue  de  géographie  de  L.  Drapeyron,  VU"*  année,  N"  12; 
VIII"'^  année,  N°^  1  à  6. 

Revue  internationale  de  géographie.  Paris.  N°^  103  à  110. 


64  OUVRAGES   REÇUS. 

Moniteur  des  consulats,  N°'  250  à  282. 

Moniteur  des  colonies,  N""  21  à  52. 

Afrique  explorée  et  civilisée,  1884,  N"'  7  à  12. 

Revue  savoisienne,  1884,  N"**  4  à  1  2. 

Exploration,  N»^  384  à  414. 

Esploratore.  Milan.  1884,  t.  VIII,  N""  6  à  12. 

Cosmos  de  Guido  Gora.  1884,  t.  VIII,  N<"  2  à  4. 

Oesterreichische  Monatschrift  fur  den  Orient.  1884.  N°=  6 
à  12. 

Deutsche  Kolonial-Zeitung,  N"'  Ma  24. 

Mouvement  géographique,  N"'  5  à  21. 

Notice  to  marineers,  N^'  164-497. 

Société  vaudoise  des  sciences  naturelles,  N"  90. 

Société  des  études  indo-chinoises  de  Saigon.  Bulletin,  1883, 
N»"  3  et  4. 

Indisch  Aardrijkskundig  Genootschap.  Tidjschrift.  N"  4. 

Société  de  géographie  et  d'ethnographie  de  Turin.  Girco- 
lare  e  statuto  provvisorio.  Torino.  1884,  in-4«,  7  pages. 

Deutsche  Rundschau  fur  Géographie  und  Statistik.  VII""^  an- 
née, N"  1. 

Académie  nationale  des  sciences  de  Gordoba.  Bulletin. 
T.  VI,  N°^  2  et  3. 

Riebeck'sche  Niger  Expédition.  Mittheilungen.   N°^  1  et  2. 

Statistisches  Handbuch  der  K.  Hauptstadt  Prag  fur  das 
Jahr  1882. 

DONS  d'auteurs  ET  AUTRES 

Elisée  Reclus.  Nouvelle  géographie  universelle.  Liv.  529 
à  560.  (Don  de  l'auteur  M.  E.) 

Vivien  de  Saint-Martin.  Nouveau  dictionnaire  de  géogra- 
phie universelle.  Liv.  25.  (Don  de  Fauteur  M.  H.) 

José  Ricart  Giralt.  El  porvenir  de  Espana  en  El  Sahara. 
Barcelona.  1884,  in-8,  26  p.  et  carte. 

Arthur  de  Glarapède.  Quatre  semaines  sur  la  côte  de  Ghine. 
Genève,  1884,  in-12,  100  pages.  (Don  de  Fauteur.) 

(La  suite  au  prochain  tiuméro.) 


Mo    ». 


BULLETIN 


'    EXTRAIT  ^ 

DES  PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Session  1884-1885. 


SÉANCE  DU  13  FEVRIER  1885. 
Présidence  de  M .  le  D''  Dufresne  . 

A  l'occasion  de  la  mort  du  colonel  Roudaire,  le  Président 
rappelle  la  notoriété  que  cet  officier  s'est  acquise,  d'abord 
par  ses  travaux  géodésiques  dans  le  sud  de  l'Algérie,  puis 
par  l'exploration  des  Cliotts,  et  par  le  projet  d'y  faire  péné- 
trer les  eaux  de  la  Méditerranée  en  ouvrant  le  seuil  de 
l'isthme  de  Gabès.  Combattu  à  divers  points  de  vue,  ce  pro- 
jet allait  néanmoins  recevoir  un  commencement  d'exécution 
par  la  création  d'un  port  à  Gabès,  amorce  du  futur  canal 
destiné  à  relier  la  Méditerranée  aux  Chotts,  lorsque  la  mort 
est  venue  surprendre  son  promoteur.  Toutefois  M.  Ferdi- 
nand de  Lesseps  a  annoncé  que  l'idée  de  Roudaire  n'est 
point  abandonnée;  un  officier,  M.  Landas,  partisan  du  projet, 
a  demandé  et  obtenu  de  pouvoir  suivre  aux  travaux  du  port 
de  Gabès.  Le  ministre  de  la  guerre  le  lui  a  accordé. 

Le  projet  de  l'isthme  de  Gabès  amène  M.  Dufresne  à  faire 
une  courte  revue  des  nombreux  percements  d'isthmes  pro- 
posés ou  déjà  entrepris  :  de  l'isthme  de  Corinthe,  de  celui  de 
Panama,  du  canal  de  Nicaragua,  de  l'isthme  de  Krah,  et 

LE    GLOBE,    T.    XXIV,    1885.  5 


66  BULLETIN. 

surtout  du  canal  de  la  Floride  ;  autour  de  cette  presqu'île  la 
navigation  est  très  dangereuse,  les  primes  d'assurance  sont 
fort  élevées,  et,  en  creusant  un  canal  de  220  kilom.  pour 
230,000,000  de  francs,  la  distance  serait  abrégée  de  1100  ki- 
lomètres. 

D'après  une  lettre  de  Constantinople,  communiquée  à 
M.  Dufresne,  cette  ville  vient  d'être  pourvue  d'eaux  prises 
aux  sources  de  Derkos,  à  50  kilom.,  au  moyen  d'un  canal 
qui  en  amène  chaque  jour  20,000  mètres  cubes;  plus  tard 
cette  quantité  pourra  être  portée  au  double. 

Les  sources  du  fleuve  Jaune  viennent  d'être  découvertes 
par  Prjewalski  qui  publiera  sans  doute  les  résultats  de  son 
voyage. 

Les  Proceedings  de  la  Société  de  géographie  de  Londres 
renferment,  dans  leur  dernier  numéro,  un  rapport  sur  un 
voyage  de  quatre  années  à  travers  le  haut  Thibet,  l'Himalaya 
et  les  montagnes  de  l'Inde,  que  M.  Dufresne  signale  à  l'atten- 
tion de  la  Société. 

Il  présente  la  publication  de  M.  Dutreuil,  de  Rhins  :  le 
Congo  français,  qui  rend  compte  des  travaux  de  Savorgnan 
de  Brazza  pour  mettre  en  communication  l'Atlantique  et  le 
Congo  moyen  par  l'Ogôoué  et  l'Alima.  Stanley  préconise  la 
création  d'un  chemin  de  ferle  long  des  cataractes  du  Congo; 
mais  les  terrasses  qui  supportent  le  plateau  central  africain 
opposent  à  ce  projet  de  sérieux  obstacles. 

La  bibliothèque  a  reçu  deux  volumes  sur  la  Chine  méri- 
dionale, traduction  de  Across  Chryse,  de  Colquhoun,  et  les 
Voyages  dans  l'Yémen,  de  M.  Renzo  Manzoni  ^  Passionné 
pour  les  voyages,  le  neveu  du  grand  romancier,  après  avoir 
visité  le  Maroc  et  formé  le  projet  d'aller  à  Timbouctou,  se 
rendit  à  Aden  et  traversa  quatre  fois  l'Arabie  heureuse,  qu'il 
explora  avec  soin.  Son  volume  imprimé  avec  luxe  est  accom- 
pagné d'illustrations,  de  plans  et  de  cartes. 

Lecture  est  donnée  d'une  lettre  de  M.  le  missionnaire 
Paul  Berthoud,  membre  correspondant  de  la  Société. 

M.  le  professeur  Chaix  fait  ensuite  une  communication  sur 

'  El  Yémen,  tre  anni  uell'  Arabia  felice,  Roma  tipografia  Eredi 
Botta  1884. 


PROCES- VERBAUX.  67 

l'Archipel  de  la  Nouvelle  Guinée,  de  la  Nouvelle  Bretagne  et  de 
la  Nouvelle  Irlande,  où  les  Allemands  vont  établir  des  colo- 
nies. 

La  Nouvelle  Guinée  fut  découverte  en  1528  par  Alvaro  de 
Saavedra  qui,  lui  trouvant  une  certaine  ressemblance  avec  la 
Guinée  africaine,  lui  donna  le  nom  qu'elle  porte  aujourd'hui. 
Les  premiers  noms  attribués  à  ces  parages  sont  espagnols,  ce 
qui  ne  doit  pas  nous  étonner,  les  Espagnols  ayant  colonisé 
les  Philippines.  C'est  à  eux  entre  autres  que  nous  devons  le 
nom  de  détroit  de  Torrès.  Dampier  toucha  à  la  Nouvelle 
Guinée  en  1700;  Cook  en  1770,  Dumont  d'UrvilIe  en  1827. 
Dès  lors  les  colons  australiens  de  Queensland  en  ont  fait  une 
exploration  plus  complète  pour  demeurer  maîtres  du  détroit 
de  Torrès.  Celui-ci  est  large  sans  doute;  néanmoins  il  est  rendu 
dangereux  par  les  écueils  madréporiques  qui  y  causent  de 
fréquents  naufrages.  Les  huîtres  perlières  y  abondent,  aussi 
la  pêche  des  perles  et  de  la  nacre  de  perle  y  est-elle  devenue 
importante. 

La  partie  S.-E.  de  la  Nouvelle  Guinée  (dont  i\I.  Chaix  a 
dressé  une  carte  embrassant  la  Nouvelle  Bretagne  et  la  Nou- 
velle Irlande)  a  été  explorée  par  Owen-Slanley,  qui  v  a  trouvé 
une  chaîne  de  montagnes  de  12,000  à  14^000  pieds.  De  son 
côté,  le  capitaine  Moresby  a  découvert,  entre  la  Nouvelle 
Guinée  et  les  îles  D'Entrecasteaux,  un  passage  important  qu'il 
a  nommé  China  Strail,  qui  présente  beaucoup  plus  de  sécu- 
rité que  celui  de  Torrès  et,  à  ce  titre,  est  d'une  importance 
majeure  pour  les  relations  de  l'Australie  orientale  avec  la 
€hine  et  le  Japon.  Moresby  a  continué  l'exploration  de  la 
partie  orientale  de  la  Nouvelle  Guinée. 

Quant  à  la  Nouvelle  Bretagne,  découverte  pai-  Dampier  en 
1699,  ce  sont  des  explorateurs  allemands  qui  nous  l'ont  faii 
connaître.  Cette  île  égale  la  Suisse  en  étendue,  et  la  supeifi- 
cie  de'la  Nouvelle  Irlande  dépasse  un  peu  celle  de  la  Savoie. 
Ensemble  elles  ont  de  2500  à  2600  lieues  carrées.  La  situa- 
lion  en  est,  il  est  vrai,  équatoriale,  mais  le  climat  en  étant 
maritime  et  les  vents  alizés  y  régnant  régulièrement,  les 
colons  européens  n'y  seraient  pas  exposés  à  l'influence  dépri- 
mante des  climats  tropicaux  continentaux.  Les  ports  y  sont 
nombreux;  les  forêts  superbes;  les  eucalyptus,  les  palmiers  y 
abondent;  le  sol  est  fertile.  Les  montagnes  n'y  dépassent 


68  BULLETIN. 

guère  4000  pieds;  elles  sont  d'oiigine  volcanique;  des  diffé- 
rents cônes,  les  uns  sont  éteints,  les  autres  encore  en  acti- 
vité. En  1878,  un  volcan  surgit  dans  un  îlot  et  vomit  une 
telle  quantité  de  pierres  ponces,  que  toute  la  partie  S  -E  du 
détroit  en  fut  obstruée.  Deux  des  volcans  sus-mentionnés 
portent  les  noms  de  Mère  et  de  Père  (tlie  Molher  and  the 
Father);  le  premier  h  3000  pieds,  le  second  4000  p.;  auprès 
d'eux  s'en  trouvent  d'autres  aussi  en  activité. 

Revenant  à  la  Nouvelle  Guinée,  M.  Chaix  rappelle  que  la 
partie  N.-O.  appartient  à  la  Hollande  qui,  toutefois,  n'y  a  pas 
encore  établi  de  colonies.  L'île  entière  a  40,000  lieues  car- 
rées, c'est-à-dire  une  superficie  égale  à  celle  de  la  France  et 
de  l'Angleterre  réunies.  Les  premières  colonies  anglaises, 
fondées  surtout  pour  garantir  celles  de  Queensland,  ont  été 
créées  dans  une  partie  de  Tîle  complètement  plate,  où  les 
rivières  charrient  une  quantité  considérable  de  limon,  où  le 
rivage  est  changeant,  malsain,  et  où,  de  plus,  les  indigènes 
sont  mal  disposés.  Pour  s'assurer  le  passage  du  China  Strait, 
les  Anglais  ont  pris  possession  de  la  partie  S.-E.  de  l'île. 

M.  le  prof,  de  CandoUe  rapporte  que,  d'après  le  Bulletin  de 
la  Société  nationale  d'agriculture  de  France,  la  Nouvelle  Gal- 
les du  Sud  a  souffert  récemment  d'une  extrême  sécheresse, 
qui  a  eu  pour  conséquence  des  pertes  énormes  en  bestiaux; 
les  squelettes  d'animaux  domestiques  et  sauvages  se  rencon- 
traient en  maints  endroits;  la  ville  de  Sydney  a  passé  trois 
jours  sans  une  goutte  d'eau  potable. 

M.  Faure  offre  à  la  Société  une  copie  de  la  Carte  des  bas- 
sins erratiques,  dressée  par  x\rnold  Guyot,  pour  le  musée  de 
Princeton,  et  indique  ce  en  quoi  elle  se  distingue  de  celles  de 
MM.  Alphonse  Favre,  Faisan  et  Chantre.  La  provenance  des 
moraines  et  la  nature  des  roches  qui  les  caractérisent  y  sont 
marquées.  Il  annonce  aussi  la  constitution,  à  Neuchâtel,  d'une 
Société  de  géographie,  d'une  centaine  de  membres,  qu'il 
espère  voir  bientôt  admise  dans  l'Association  des  Sociétés 
suisses  de  géographie.  Il  communique  une  lettre  de  M.  Paul 
Berthoud  relative  à  la  mort  d'Oumzila  et  aux  conséquences 
qui  peuvent  en  résulter  pour  la  mission  des  Ma-Goamba. 
L'heure  est  trop  avancée  pour  donner  encore  lecture  d'une 
lettre  de  M.  Jeanmairet,  compagnon  de  M.  Coillard  dans 
l'expédition  du  Zambèze.  D'après  cette  lettre,  on  peut  espé- 


PROCÈS-VEEBAUX.  69 

rer  que  le  bruit  apporté  à  Genève  de  la  mort  de  la  nièce  de 
M.  Coillard  n'est  pas  fondée.  Le  roi  de  Lialui  a  été  détrôné 
par  ses  sujets,  qui  lui  ont  donné  un  successeur;  celui-ci 
paraît  favorable  aux  missionnaires.  A  la  date  du  28  octobre, 
M.  Coillard  se  disposait  à  passer  le  Zambèze  pour  le  remon- 
ter avec  des  bateaux  envoyés  par  le  nouveau  roi. 


SEANCE  DU  27  FÉVRIER  1885. 
Pi'ésidence  de  M.  le  D""  Dufeesne. 

M.  Barthélémy  Chadebec,  présenté  par  le  Bureau,  est  élu 
membre  effectif  à  l'unanimité. 

Le  Président  donne  lecture  d'une  lettre  de  la  Société  de 
géographie  de  Manchester  qui  demande  à  entrer  en  rapport 
d'échange  avec  la  nôtre.  Adopté. 

Il  paie  un  juste  tribut  de  regrets  à  la  mémoire  de  M.  Dupuy 
de  Lôme,  inventeur  des  vaisseaux  à  hélice,  qui  ont  acquis  leur 
réputation  dès  la  guerre  de  Crimée,  et  des  ballons  à  hélice, 
dirigeables  dans  un  air  calme.  Si  un  jour,  à  Taide  des  aéros- 
tats, on  réussit  à  atteindre  le  pôle  nord,  une  partie  de  la 
gloire  lui  en  reviendra. 

Le  lieutenant  Rogozinski  vient  de  faire  l'ascension  du 
mont  Cameroun.  Burton  y  était  monté  en  1860,  et  Comber 
en  1878.  Parti  de  la  côte  le  8  décembre  1884,  Rogozinski  a 
atteint  le  sommet  en  cinq  jours,  en  passant  par  des  tempéra- 
tures très  diverses.  A  Bota,  le  thermomètre  indiquait  38°  à 
10  heures  du  matin;  au  sommet  (14,000  pieds),  il  marquait 
4°,  et  l'explorateur  trouva  des  oiseaux  gelés,  ce  qui  indique 
un  froid  plus  grand  pendant  la  nuit. 

M.  Dufresne  revient  sur  le  voyage  de  quatre  années  à  tra- 
vers.le  grand  Thibet  par  un  explorateur  indigène  pour  le 
gouvernement  de  l'Inde.  Il  rappelle  les  voyages  de  Marco 
Polo,  de  Hue  et  de  Gabet,  du  métropolitain  Chrysanthu.s,  en 
1712,  à  travers  l'Asie  centrale  jusqu'à  Lhassa,  où  il  eut  la 
bonne  fortune  d'être  traité  en  hôte  par  le  Dalaï  Lama  qui  le 
combla  de  présents  et  le  renvoya  aux  Indes  avec  une  bril- 
lante escorte,  Prjewalski,  dans  un  premier  voyage,  a  pénétré 
dans  quelques  localités  du  Thibet.  Actuellement,  il  .se  dispose 


70  BULLETIN. 

à  rentrer  dans  ce  pays  par  la  Mongolie.  Le  Pandit,  au  service 
(lu  gouvernemenl  anglais,  reçut  l'ordre  de  traverser  le  Thi- 
bet  par  Lhassa.  Il  partit  de  Dar.jilling,  sanatorium  des  méde- 
cins de  Calcutta,  en  avril  1878  et  arriva  en  septembre  à  Lhassa, 
où  il  fut  retenu  pendant  une  année.  S'adjoignant  comme 
marchand  à  une  caravane  de  Mongols,  il  pénétra  jusqu'à 
Sachy,  en  Mongolie,  puis  revint  sur  ses  pas  jusqu'à  Dar- 
chembo,  mais  sans  pouvoir  rentrer  directement  dans  l'Inde 
anglaise.  Il  dut  retourner  à  Lhassa  et  traverser  des  passages 
très  élevés  (12,000  à  15,000  pieds).  A  Darchembo,  ville  fron- 
tière de  la  Chine,  du  Thibet  et  de  l'Inde  anglaise,  il  fut  reçu 
par  la  mission  catholique  qui  fit  parvenir  de  ses  nouvelles  aux 
Indes.  Obligé  de  remonter  sur  les  hauts  plateaux  de  l'Hima- 
laya, il  eut  l'occasion  de  traverser  les  sources  des  grands 
fleuves  Irawaddi  et  Brahmapoutra.  Au  bout  de  quatre  années 
de  voyage,  il  rentrait  à  Darjilling  ayant  fait  2800  milles  de 
marche,  et  confirmé  les  renseignements  fournis  par  Hue, 
Gabet  et  Prjewalski. 

M.  le  prof.  Chaix  fait  ressortir  les  résultats  importants  de 
ce  voyage  à  une  altitude  moyenne  de  lo,000  pieds.  La  posi- 
tion des  sources  du  fleuve  Bleu  devra  être  modifiée;  il  y  en  a 
deux,  l'une  à  l'est,  l'autre  à  l'ouest.  Le  Pandit  a  traversé  trois 
rivières  considérables  formant  le  Kin-sha-Kiang.  D'après  ses 
indications,  les  sources  de  celui-ci,  qui  n'est  que  le  cours  supé- 
rieur du  Yang-tsé-Kyang,  sont  notablement  à  l'ouest,  dans 
une  région  pleine  de  petits  lacs  et  à  la  latitude  du  lac  Lob. 
Prjewalski,  qui  a  suivi  le  même  itinéraire,  a  obtenu  pour 
Suit-tschou,  un  résultat  presque  identique.  Le  Pandit  a 
séjourné  dans  une  ville  monacale  où^  sur  4.300  habitants,  il  y 
a  2o00  lamas.  L'abbé  David,  y  a  vu  de  la  neige  en  juin.  Dans 
la  région  parcourue  par  le  Pandit  sont  les  sources  du  Mé- 
kong, de  la  Salouen  et  de  l'Irawaddi.  Ce  dernier  ne  vient  pas 
du  Thibet;  la  masse  de  ses  eaux  provient  de  ce  que,  dans 
tout  son  cours,  il  appartient  au  régime  des  pluies  tropicales; 
le  Brahmapoutra.  dont  le  Tsambo  forme  le  cours  supérieur, 
ne  reçoit  pas  non  plus,  du  Thibet  sec  et  froid,  la  quantité 
d'eau  qu'il  roule,  il  la  doit  surtout  à  la  mousson  du  S.-O., 
dont  il  subit  l'influence  dès  son  arrivée  aux  frontières  de 
rinde. 

La  parole  est  donnée  à  M.  Aloïs  Humbert  pour  une  com- 


PROCES-VERBAUX.  71 

rnunication  sur  l'Archipel  des  Maldives,  remarquable  par 
l'étonnante  régularité  de  ses  récifs  annulaires,  composés  eux- 
mêmes  d'autres  atolls  qui  se  subdivisent  en  écueils  de  la 
même  forme,  dépassant  à  peine  le  flot  de  leurs  roches 
brisées.  Le  premier  voyageur  qui  en  ait  parlé,  Ibn  Batouta, 
les  visita  en  1340  et  y  épousa  la  fille  d'un  des  visirs  du  sultan. 
Les  Portugais  les  redécouvrirent  en  1506,  mais  ne  fournirent 
que  de  maigres  renseignements.  En  1601  François  Pyrard, 
de  Laval,  y  séjourna,  et  ses  observations  furent  publiées  en 
1611.  Horsburgh  etOwen  s'y  rendirent  en  1832,  et  après  eux 
le  commandant  Moresby  et  le  lieutenant  Powell  les  explorè- 
rent avec  soin  et  publièrent  une  carte  dont  M.  Humbert  a 
exposé  un  exemplaire  dont  il  fait  présent  à  la  Société.  Des 
extraits  du  rapport  de  Moresby  ont  paru  dans  le  journal  de 
la  Société  royale  de  géographie  de  Londres.  L'article  Ma(- 
dive  Islands,  dans  Hunter,  Impérial  Gazetter  of  India,  con- 
tient des  données  exactes  sur  la  structure  des  atolls,  et  dans 
Structure  and  distribution  of  coral  reefs,  de  Darwin,  on 
trouve  des  documents  originaux  qui  lui  ont  été  communi- 
(|ués  par  Moresby. 

M.  Humbert  décrit  ensuite  cet  Arcbipel  aux  milliers  d'îles, 
leur  structure  généralement  ovale  ou  circulaire,  avec  un 
pourtour  de  coraux.  En  dehors,  la  pente  est  abrupte,  à 
l'intérieur  la  profondeur  est  uniformément  de  30  à  35  bras- 
ses; en  quelques  endroits  même  de  25  à  30  brasses  seule- 
ment. Cependant  Darwin  a  remarqué  que  les  atolls  du  sud 
ont  des  lagunes  plus  profondes  que  ceux  du  nord.  Les  Cha- 
gos  sont  noyées,  ce  qui  confirmerait  l'hypothèse  de  Darwin, 
d'un  affaissement  des  terres  de  la  partie  méridionale  de 
cette  l'égion. 

M.  Humbert  passe  rapidement  en  revue  le  climat,  la  végé- 
tation, la  faune  dans  laquelle  il  signale  spécialement  l'abon- 
dance, de  rats,  contre  lesquels  les  habitants  ne  peuvent 
garantir  leurs  denrées  qu'au  moyen  de  constructions  sur 
pilotis;  les  ressources  des  indigènes  dans  la  pêche  et  dans  le 
commerce  des  cauris  expédiés  à  Ceylan  et  en  Angleterre, 
d'où  ils  sont  envoyés  à  la  côte  de  Guinée  où  ils  servent  de 
monnaie.  Le  nombre  des  îles  babitées  est  de  175;  celui  des 
habitants  de  l'Archipel  n'est  pas  bien  connu;  les  estimations 
varient  entre  20,000  et  200,000. 


72  BULLETIN. 

M.  Humbert  fournit  encore  des  renseignements  sur  le  gou- 
vernement, la  religion,  la  langue,  le  commerce,  et  mentionne 
en  terminant  un  article  du  journal  de  la  Société  de  géogra- 
phie de  Londres  de  1872,  sur  les  Laquedives,  et  la  constriic- 
lion  d'un  piiare  sur  Minicoy,  entre  les  Laquedives  et  les 
Maldives. 

Le  Pi'ésident  remercie  M.  Humbert  de  son  intéressante 
communication  et  du  don  de  la  carte  de  l'Archipel  des  Mal- 
dives. 

M.  Welter  fait  remarquer  que  la  flore  des  Maldives  ne 
diffère  pas  beaucoup  de  celle  de  l'île  Keeling.  Il  présente  une 
carte  d'Afrique  de  1706,  dont  le  centre  est  couvert  de  noms, 
et  où  sont  indiqués  les  établissements  des  Dieppois  à  la  côte 
de  Guinée,  avant  les  explorations  des  Portugais. 


SÉANCE  DU  13  MARS  188o. 

Présidence  de  M.  le  D'"  Dufresne. 

Le  Président  rapporte  que  le  cours  donné  pai"  M.  le  prof. 
Rosier  vient  de  se  terminer.  Le  succès  de  cet  enseignement 
s'est  maintenu,  et  l'on  peut  espérer  qu'il  sera  repris  l'au- 
tomne prochain. 

Le  Bureau  a  pris  en  main  les  affaires  du  Vorort,  et  de- 
mandé au  Conseil  fédéral  le  subside  de  1000  francs  accordé 
par  les  Chambres  à  l'Association  des  sociétés  suisses  de 
géographie.  Dès  qu'il  l'aui-a  reçu  il  en  informera  la  Société 
de  Berne,  demeurée  chargée  de  la  question  du  manuel  d'en- 
seignement pour  la  géographie,  et  qui  ouvi-ira  un  concours  à 
cet  effet. 

M.  Dufresne  présente  deux  cartes  nouvelles  de  l'Afrique 
équatoriale,  dressées  depuis  la  Conférence  de  Berlin.  L'œu- 
vre de  celle-ci  permet  d'espérer  d'heureux  résultats  pour  la 
science  et  la  civilisation  de  cette  partie  de  l'Afrique.  Les  dif- 
ficultés relatives  à  la  délimitation  des  territoii'es  de  la  France, 
du  Portugal  et  de  l'État  libre  du  Congo,  ont  pu  être  résolues 
à  l'amiable.  La  carte  de  Kiepert,  à  grande  échelle,  indique 
ces  limites  d'une  manière  plus  précise  que  celle  donnée  par 
le  Mouvement  géographique  de  Bruxelles;  en  revanche,  celle- 


PROCÈS-VERBAUX.  73 

ci,  s'étendant  d'un  océan  à  l'autre,  a  permis  d'y  marquer  la 
nouvelle  possession  que  l'Allemagne  vient  d'acquérir  à  l'ouesi 
de  Zanzibar,  avec  Condoa  pour  centre. 

L'expédition  de  J.  Thompson,  de  Mombas  au  Victoria- 
Nyanza,  par  le  pays  des  Masaï,  a  bien  réussi  malgi'é  les  ob- 
stacles suscités  par  les  Masaï,  par  le  relief  du  sol  dans  la 
région  du  Kénia,  et  par  l'insalubrité  de  certaines  parties  du 
pays  traversé. 

Le  séjour  de  Jobnston  à  différentes  altitudes  du  Kilimand- 
jaro, lui  a  permis  de  faire  une  étude  assez  complète  de  la 
météorologie,  de  la  flore  et  de  la  faune  de  ce  massif  volcani- 
que dont  les  deux  cônes^  le  Kibo  et  le  Kimaouenzi,  ont,  l'un 
18,800  pieds,  et  l'autre  16,250. 

Il  s'est  formé  h  Yokohama  une  société  d'études  composée 
de  savants  et  d'élèves  revenus  d'Europe,  qui  se  proposent  de 
substituer,  dans  l'écriture,  les  caractères  latins  aux  caractè- 
res japonais.  Il  y  a  aussi  au  Japon  un  mouvement  prononcé 
contre  l'introduction  de  lettres  chinoises  dans  l'écriture  japo- 
naise; il  procède  de  l'antagonisme  toujours  plus  marqué 
entre  le  Japon  et  la  Chine. 

M.  le  D""  H.  Lombard  senior  fait  une  communication  sur  le 
climat  des  États-Unis  d'après  la  carte  du  D"  Denison  \ 

La  climatologie  des  Étals-Unis  de  l'Amérique  du  Nord  a 
fait  l'objet  de  nomhreuses  recherches.  Déjà  en  1837  M.  Lobin 
Blodget  a  publié  un  gros  volume  accompagné  de  nombreuses 
cartes  météorologiques  sur  la  distribution  de  la  température 
et  de  la  pluie  pour  chaque  saison  ainsi  que  pour  l'année 
entière.  Ce  travail  a  été  continué  dans  les  rapports  du  dixième 
recensement  opéré  en  1880.  L'on  y  trouve  une  série  com- 
plète de  cartes  météorologiques  construites  par  M.  Henry 
Ganett.  Enfin  le  travail  que  je  mets  sous  vos  yeux  a  été  publié 
en  1884  par  le  D""  Charles  Denison  de  Deuver  dans  l'État  du 
Colorado;  auteur  de  plusieurs  ouvrages  de  climatologie  médi- 
cale, et  en  particulier  quant  à  l'influence  thérapeutique  des 
altitudes  sur  les  malades  atteints  de  phtisie  pulmonaire. 

Les  cartes  du  D''  Denison  sont  au  nombre  de  cinq.  La  pre- 


r    '  D''  Charles  Denison's  seasonal    climatic   map  of  the  United 
States.  Folio.  Chicago,  1884 


74  BULLETIN. 

mière  donne  la  répartition  annuelle  de  la  nébulosité,  de  la 
température,  de  la  pluie  et  de  la  direction  des  vents. 

Il  y  en  a  quatre  autres  qui  montrent  la  répartition  trimes- 
trielle de  la  température  et  de  la  nébulosité  pour  les  quatre 
saisons.  Ces  caries  sont  déduites  des  observations  du  Bureau 
central  dans  136  stations  météorologiques. 

Le  premier  objet  qui  frappe  les  regards  dans  la  carte  prin- 
cipale :  c'est  la  coloration  d'un  rouge  plus  ou  moins  foncé  qui 
correspond  à  la  nébulosité;  celle-ci  est  exprimée  par  des 
chiffres  rouges  qui  correspondent  à  la  clarté  du  ciel  et  à  l'in- 
tensité des  nuages. 

Les  courbes  qui  traversent  la  carte  dans  tous  les  sens  font 
connaître  la  répartition  de  la  température  et  constituent  les 
isothermes. 

Les  lignes  poinlilléeis  désignent  la  quantité  annuelle  des 
pluies. 

Des  flèches  de  diverses  formes  font  connaître  la  direction 
des  courants  aériens;  ainsi  que  leur  degré  de  sécheresse  ou 
l'humidité. 

L'hypsométrie  a  aussi  trouvé  place  dans  cette  pléiade  de 
documents  météorologiques  qui  complètent  l'immense  travail 
du  D"'  Denison,  et  comprend  encore  le  résumé  des  observa- 
lions  qui  ont  été  faites  dans  les  136  stations  établies  par  le 
gouvernement  fédéral. 

Essayons  maintenant  de  résumer  les  faits  contenus  dans 
les  cartes  du  savant  climatologiste.  Mais  auparavant  nous 
devons  faire  une  remarque  préliminaire  ;  c'est  que  le  climat 
des  États-Unis  est  plus  froid,  à  latitude  égale,  que  celui  de 
l'Europe.  C'est  ainsi  qu'à  New-York  avec  une  latitude  de 
40°  42'  l'on  n'a  qu'une  température  annuelle  d'à  peine  11° 
(10°,56);  tandis  qu'à  Naples  dont  la  latitude  nord  est  à  peu 
près  la  même  (40°50')  la  moyenne  annuelle  est  de  16°,33.  A 
Boston,  sous  une  latitude  de  42°  21'  la  température  moyenne 
ne  dépasse  pas  9°, 39;  tandis  qu'à  Marseille  qui  est  d'un  degré 
plus  au  nord  que  Boston,  c'est-à-dire  43°  18',  la  moyenne 
annuelle  est  de  14°, 61. 

Ce  n'est  pas  seulement  sur  les  côtes  orientales  que  le  climat 
est  plus  froid  qu'en  Europe;  mais  aussi  dans  l'intérieur  du 
continent.  C'est  ainsi  que  dans  le  Wisconsin  et  le  Minnesota 
la  température  moyenne  ne  dépasse  pas  7°,  tandis  qu'à  lati- 


PROCÈS- VERBAUX.  75 

tude  à  peu  près  égale,  elle  est  à  Turin  et  à  Milan  de  11°, 7  et 
de  12°, 8. 

Cela  dit,  examinons  la  carte  du  D""  Denison  et  signalons 
tout  d'abord  la  forte  nébulosité  qui  occupe  le  nord-ouest, 
principalement  dans  la  région  des  lacs;  on  observe,  en  outre, 
un  ciel  moins  nébuleux  sur  toute  la  côte  orientale  et  dans  la 
partie  septentrionale  de  la  côte  occidentale.  Mais  presque 
partout  ailleurs,  c'est-à-dire  dans  les  régions  centrales,  le  ciel 
est  presque  toujours  serein  et  sans  nuages.  En  sorte  qu'on 
peut  diviser  les  États-Unis  en  deux  zones  à  peu  près  égales: 
l'une,  située  à  Test,  est  plus  ou  moins  nébuleuse;  l'autre,  qui 
comprend  tout  le  centre  et  les  régions  occidentales,  jouit  d'un 
ciel  habituellement  dépourvu  de  nuages.  La  seule  exception 
est  le  nord-ouest  dans  les  États  de  l'Orégon  et  de  Washington. 

En  ce  qui  regarde  la  température,  les  courbes  isothermes 
forment  un  contraste  parfait  entre  le  nord  et  le  midi.  En  effet 
tandis  que  la  courbe  de  4°, 44  traverse  tout  le  continent  au 
nord,  celle  de  21°, il  se  rencontre  en  Californie  et  sur  toutes 
les  côtes  du  golfe  mexicain;  l'on  trouve  même  en  Floride  une 
température  moyenne  de  23°,89. 

Dans  les  régions  moyennes  et  centrales,  les  courbes  iso- 
thermes sont  très  accidentées,  elles  oscillent  entre  10°  et 
12°, 78. 

La  quantité  des  pluies  suit  à  peu  près  la  même  marche  que 
la  nébulosité.  Dans  le  nord-est,  elle  atteint  1101""°;  dans  le 
nord-ouest  elle  dépasse  1323""".  Dans  les  régions  méridionales, 
où  la  nébulosité  est  peu  prononcée,  les  pluies  sont  néanmoins 
très  abondantes  et  atteignent  la  proportion  de  1630™". 

Mais  les  parties  centrales  avec  leur  ciel  clair  n'ont  que  des 
pluies  rares  qui  dans  certaines  localités  ne  dépassent  pas 
^54°'°'. 

Ainsi  donc,  l'on  observe  tous  les  extrêmes  d'humidité  et 
de  sécheresse  dans  les  différentes  régions  du  continent  nord- 
américain;  exactement  comme  nous  l'avons  signalé  pour  la 
température. 

Si  nous  quittons  maintenant  la  carte  où  sont  réunis  les 
documents  annuels  et  que  nous  consultions  celles  des  quatre 
saisons^  nous  ferons  les  remarques  suivantes  : 

1°  L'hiver  est  très  nébuleux  dans  tout  le  nord  et  l'est  du 
continent,  ainsi  que  dans  le  nord-ouest;  l'atmosphère  y  est 


76  ^  BULLETIN. 

claire  dans  les  régions  centrales.  Le  froid  y  est  très  rigou- 
reux dans  le  nord,  puisqu'on  y  trouve  les  courbes  de  —  9°,44 
et  de  —  6°,67.  Les  premières  dans  le  Dakota  et  le  Minnesota, 
les  secondes  traversent  le  Maine,  Michigan,  Dakota  et  arri- 
vent à  l'État  de  Washington  sur  la  côte  nord-ouest.  Les  iso- 
thermes de  —  1°,11  et  de  1°,67  occupent  les  États  du  nord 
et  une  partie  de  ceux  du  sud.  Celles  de  4°, 44  traversent  la 
Caroline  du  nord  et  le  Tennessee  et  remontent  ensuite  vers 
le  nord  jusqu'à  l'Orégon. 

Les  isotiiermes  de  7°,22,  de  10°,00  et  de  12°,78  sont  spé- 
ciales aux  États  du  centre  et  du  sud,  tandis  que  celles  de 
15°, oO  et  de  21°, 11  traversent  la  Floride;  mais  ne  dépassent 
pas  le  milieu  et  l'extrémité  de  cette  presqu'île. 

Comme  on  le  voit,  l'hiver  est  très  froid  dans  le  nord  et  le 
centre  des  États-Unis;  il  est  tempéré  et  même  chaud  dans  les 
régions  méridionales.  Le  ciel  est  nébuleux  au  nord  et  à  l'est; 
il  est  clair  dans  le  centre  du  continent  où  la  pluie  est  très 
peu  abondante. 

20  L'efe  est  très  chaud,  puisqu'il  n'y  a  point  d'isotherme  au- 
dessous  de  lo°,.56  et  que  celles  de  23°,89  et  même  de  27°,22 
se  rencontrent  à  l'est  et  au  midi.  Le  ciel  est  remarquable- 
ment clair,  et  la  sécheresse  extrême  dans  les  régions  centrales 
et  occidentales,  où  l'on  ne  compte  que  127°"°  de  pluie  dans 
toute  l'année.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  côtes  méridio- 
nales, où  les  pluies  estivales  sont  fréquentes  et  où  la  quan- 
tité annuelle  atteint  1523°"". 

3°  Le  printemps  est  assez  tempéré  et  le  ciel  peu  nébuleux, 
surtout  dans  les  régions  centrales;  toutes  les  côtes  sont  hu- 
mides. 

40  Vautomne  est  déjà  froid  dans  le  nord,  puisque  l'iso- 
therme descend  jusqu'à  —  3°,89  et  1°,11.  Mais  au  midi,  la 
température  reste  assez  élevée  avec  des  isothermes  de  15°,54 
et  même  de  20°, 11.  L'atmosphère  est  très  nébuleuse  dans  le 
nord,  surtout  dans  la  région  des  lacs;  tandis  que,  au  centre  et 
à  l'ouest,  le  ciel  est  presque  toujours  clair,  sauf  dans  l'extrême 
nord-ouest.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  l'automne  est  con- 
sidéré comme  la  saison  la  plus  favorable.  L'on  y  trouve  des 
périodes  souvent  assez  longues  marquées  par  une  douce 
température  et  par  un  ciel  clair;  aussi  sont-elles  désignées 
comme  un  été  indien  (indian  summer).  Les  pluies  sont  rares. 


PROCÈS- VERBAUX.  77 

surtout  au  centre,  tandis  qu'au  nord  il  en  tombe  une  assez 
forte  proportion. 

Résumé.  Les  détails  qui  précèdent  sont  venus  confirmer- 
notre  appréciation  de  climat  extrême,  aussi  bien  pour  le  froid 
et  la  chaleur  que  pour  la  nébulosité  et  la  sécheresse  ;  la  pre- 
mière ayant  son  maximum  au  nord  el  à  l'est  ;  la  seconde  dans 
les  régions  centrales  où  il  ne  tombe  presque  pas  de  pluie, 
tandis  qu'elle  est  abondante  au  nord  et  au  midi. 

Nous  avons  vu  que  les  côtes  du  golfe  mexicain  et  surtout 
celles  de  la  Floride  avaient  un  climat  fort  agréable  pendant 
l'hiver;  ce  qui  les  a  fait  rechercher  comme  très  favorables 
aux  personnes  atteintes  d'anémie,  de  névralgie  et  de  phtisie 
pulmonaire. 

En  outre,  les  régions  montueuses  du  centre  sont  mainte- 
nant fréquentées  par  de  nombreux  malades  qui  viennent  res- 
pirer un  air  dilaté,  sec  et  froid. 

C'est  à  Denver,  le  Davos  américain,  dans  le  Colorado  et  à 
l'altitude  de  2033  mètres  que  le  D-"  Denison  à  institué  un 
sanatorium  pour  les  phtisiques.  Il  a  obtenu  par  ce  séjour 
hivernal  un  grand  nombre  de  guérisons  ou  tout  au  moins 
d'amélioration  durable. 

Le  climat  extrême  des  États-Unis  exerce  une  influence  très 
prononcée  sur  la  constitution  de  ses  habitants  d'origine  euro- 
péenne, qui  ne  tardent  pas  à  perdre  leur  embonpoint,  leurs 
cheveux  bouclés  et  le  coloris  du  visage  de  leur  pays  natal; 
remplacés  par  le  teint  mat  qui  fait  reconnaître,  à  première 
vue,  le  Yankee,  quoiqu'il  descende  d'un  anglo-saxon  ou  d'un 
Scandinave.  Ses  cheveux  lisses  et  son  long  cou  contribuent 
encore  à  cette  transformation  qui  n'est  pas  bornée  aux  carac- 
tères physiques  et  qui  s'étend  également  aux  quahtés  morales 
et  développe  chez  ces  colons  du  nouveau  monde  une  acti- 
vité dévorante  et  une  impressionabilité  presque  maladive, 
qu'il  est  permis  d'attribuer,  en  partie  du  moins,  à  l'influence 
d'un  climat  extrême  avec  des  alternatives  de  froid  ou  de 
chaleur  accompagnées  d'une  grande  sécheresse. 

Il  n'est  pas  dès  lors  difficile  de  comprendre  pourquoi  la 
Providence  a  permis  qu'une  population  énergique  et  déjà 
civilisée  vînt  remplacer  des  premiers  habitants  de  ce  vasie 
contingent  où  tout  se  développe  sur  une  échelle  grandiose  : 

Où  l'on  voit  surgir  des  villes  immenses  là  où  en  1830  il  n'y 


78  BULLETIN. 

avait  que  70  habitants,  remplacés  maintenant  par  plus  de 
riOO.OOO. 

Où  l'on  voit  l'une  des  plus  grandes  rivières  du  monde,  le 
Père  des  Eaux  comme  l'appellent  les  Indiens. 

Où  l'on  trouve  une  cascade  plus  grande  qu'aucune  autre 
sur  la  surface  du  globe. 

Où  il  existe  de  vastes  cavernes  sur  un  parcours  de  plu- 
sieurs lieues  avec  des  rivièi-es  et  des  lacs  peuplés  de  poissons 
aveugles. 

Où  l'on  voit  les  plus  gros  et  les  plus  vieux  arbres  du  monde 
entier,  puisqu'ils  atteignent  et  dépassent  même  une  centaine 
de  mètres. 

Où  surgissent  au  centre  d'un  parc  immense  les  plus  hauts 
geysers  et  de  nombreuses  sources  d'eau  bouillante. 

On  comprend  dès  lors  que  les  habitants  d'un  pays  qui 
compte  autant  de  merveilles,  dont  la  population  s'accroît  si 
rapidement,  puissent  s'écrier  je  suis  citoyen  de  la  grande 
république  américaine,  avec  le  même  orgueil  qui  animait  les 
citoyens  de  cette  autre  république  lorsqu'ils  disaient  :  civis 
romanus  sum. 

Le  Président  remercie  M.  Lombard  de  ce  travail  intéres- 
sant qui  résume  d'énormes  volumes;  il  applique  les  obser- 
vations présentées,  au  tempérament  des  Américains  du  nord 
et  du  sud,  et  à  l'influence  que  le  climat  exerce  sur  leurs  habi- 
tudes sociales. 

M.  Alexandre  Lombard  demande  si  les  cultures  aux  États- 
Unis  n'ont  pas  modifié  le  climat  comme  c'a  été  le  cas  au 
Canada  ? 

M.  le  D'"  Lombard  répond  que,  d'après  les  recensements, 
certaines  maladies,  les  fièvres  d'accès,  par  exemple,  disparais- 
sent avec  des  cultures  bien  établies.  Mais  il  est  difficile  de 
dire  si  le  climat  a  été  changé.  Les  résultats  ne  portent  pas 
sur  une  période  assez  longue. 

M.  Aloïs  Humbert  se  rappelle  avoir  vu,  dans  le  journal 
Nature,  que  dans  l'ouest  des  États-Unis,  dans  la  Nevada 
entre  autres,  le  climat  a  été  modifié. 

M.  le  prof  Chaix  présente  une  communication  sur  l'ou- 
vrage de  M.  Edouard  Na ville  :  The  store-citij  of  Pithom  and 
the  route  of  the  Exodus,  publication  de  VEgypt  Exploration 
Fund,  avec  13  planches  et  2  cartes. 


PROCÈS-VERBAUX.  79 

Dans  ce  volume  sont  résumés  les  résultats  des  fouilles  et 
découvertes  les  plus  récentes  de  notre  compatriote  sur  l'em- 
placement de  la  ville  des  Juifs  de  Pithom.  Il  est  écrit  dans  un 
anglais  irréprochable  et  accompagné  de  planches  et  d'hiéro- 
glyphes dont  l'honneur  revient  à  M"^  Naville.  Des  deux  car- 
tes adjointes  à  l'ouvrage,  celle  du  Wadi-Tumilat  est  due  à 
M.  Chaix. 

En  1798  et  1799,  M.  Lepère,  ingénieur  français,  explora 
l'ancien  canal  du  Nil  à  Suez;  il  fit  un  nivellement  le  long 
duquel  il  trouva  des  traces  oblitérées  de  ce  travail.  Des  mon- 
ticules indiquaient  l'emplacement  d'antiques  cités  ;  Heroopo- 
lis,  Pithom,  Serapeum,  Clusma,  port  sur  la  mer  Rouge.  Vers 
le  N.-E.,  M.  Naville  distingua  un  de  ces  monticules,  le  Tell  el 
Maskutah,  colline  de  la  statue,  où  il  trouva  un  monolithe 
présentant  trois  têtes  réunies,  un  roi  entre  deux  divinités.  La 
construction  du  canal  d'eau  douce,  conjointement  aux  tra- 
vaux destinés  à  mettre  en  communication  les  deux  mers,  fit 
découvrir  d'autres  débris,  entre  autres  un  second  monolithe, 
puis  deux  sphinx  ;  il  n'était  pas  difficile  de  supposer  qu'il 
pouvait  y  avoir  eu  là  une  avenue.  Les  monuments  avaient 
été  enlevés  et  placés  au  musée  d'Ismaïlia.  Néanmoins  l'idée 
de  M.  Naville  d'explorer  l'emplacement  de  Tell  el  Maskutah 
fut  une  heureuse  inspiration. 

Une  carte  représente  le  plan  des  fouilles.  Une  muraille  de 
briques  crues  de  8"°  d'épaisseur,  entoure  une  vaste  enceinte 
carrée.  A  deux  mètres  fut  trouvé  un  nouveau  monolithe 
avec  une  inscription,  un  cartouche  du  roi  Nectanébo,  d'une 
dynastie  égyptienne  ;  puis  un  temple  avec  des  inscriptions  et 
des  statues,  des  bas-reliefs;  plus  loin  encore,  quantité  de 
chambres  toutes  semblables  entre  elles,  sans  portes  ni  fenê- 
tres, des  magasins  ou  greniers,  mais  comblés  de  débris 
comme  si  l'on  avait  voulu  faire  disparaître  ces  cavités. 
M.  Naville  en  a  exploré  un  petit  nombre  et  y  a  trouvé  des 
fragments  d'inscriptions,  de  sculptures;  on  pourrait  y  décou- 
vrir encore  d'autres  statues.  Les  inscriptions  étant  impar- 
faitement exécutées  et  oblitérées,  il  a  été  difficile  de  les 
déchiffrer;  celles  des  tombes  étaient  dédicatoires  ou  votives; 
l'une,  entre  autres,  à  un  personnage  en  office,  un  gardien  du 
temple  de  Thom  et  conservateur  des  magasins.  Au  reste  le 
nom  de  Thom  se  retrouvait  dans  toutes,  ce  qui  indiquait  à 


80  BULLETIN. 

M.  Naville  qu'il  était  bien  sur  l'emplacement  de  Pilhom,  dans 
le  nome  de  Thoumat.  Au  temps  des  Ptolémées  elle  porta  le 
nom  de  Heroopolis,  mais  le  nom  de  Hero  a  précédé  l'usage 
de  la  langue  grecque.  A  la  fin  du  volume  sont  deux  inscrip- 
tions en  latin,  nommant  Maximien  et  Septime  Sévère.  L'in- 
scription la  plus  importante  n'a  pas  moins  de  28  lignes;  elle 
loue  Ptolémée  Philadelphe  et  Arsinoé.  Le  roi  venait  de  faire 
ouvrir  une  branche  du  canal;  il  avait  fondé,  une  ville  du  nom 
d'Arsinoé,  à  peu  près  vers  le  milieu  de  l'isthme  et,  plus  au 
sud,  sur  la  côte  éthiopienne  de  la  mer  Rouge,  une  ville  de 
Ptolémaïs  Tfiérôn  dont  les  colous  devaient  chasser  en  Ethio- 
pie les  éléphants  de  guerre  des  haras  royaux.  Une  route  con- 
duisait par  deux  embranchements  vers  la  mer  Rouge  d'une 
part,  et  vers  Péluse  de  l'autre.  Les  données  géologiques  sur 
l'extension  de  la  mer  Rouge ,  sont  d'accord  avec  la  géogra- 
phie historique  telle  qu'elle  ressort  des  indications  fournies 
par  Ptolémée  et  l'itinéraire  d'Antonin. 

Le  Président  adresse  h  M.  Chaix  les  remerciements  de  la 
Société  et  le  prie  de  vouloir  bien  ultérieurement  entretenir 
celle-ci  de  l'ouvrage  de  M.  Naville  sur  le  Livre  des  morts,  en 
cours  de  publication. 

M.  Dufresne  présente  à  la  Société  M.  Fritz  MûUhaupt,  de 
Berne,  auteur  d'une  proposition  sur  la  formation  d'une  orga- 
nisation centrale  chargée  de  relier  entre  elles  les  sociétés  de 
géographie  et  de  propager  les  résolutions  prises  dans  les 
congrès  internationaux.  M.  Mùllhaupt  en  offre  quelques 
exemplaires  à  la  Société. 

La  parole  est  donnée  à  M.  Faure  pour  lire  son  Rapport 
sur  la  session  de  l'Association  des  sociétés  stnsses  de  géogra- 
phie à  Berne,  eu  1884  : 

Appelé  par  le  Bureau  à  faire  rapport  sur  la  session  de 
l'Association  des  sociétés  suisses,  à  Berne,  en  août  de  l'année 
dernière,  sans  avoir  d'ailleurs  eu  le  mandat  d'y  représenter 
notre  Société,  je  devrais  commencer,  par  égard  pour  l'an- 
cien Vorort  et  pour  les  sociétés  suisses  représentées  à 
Berne,  par  des  excuses  sur  le  long  délai  apporté  à  la  présen- 
tation de  ce  rapport.  Il  n'a  pas  tenu  à  nous  que  votre  Société 
fût  nantie,  dès  le  commencement  de  novembre  passé,  soit 
(les  travaux  accomplis  par  l'Association,  soit  des  questions 
renvoyées  à  notre  examen  comme  nouveau  Vorort,  soit 


PROCÈS- VERBAUX.  81 

enfin  delà  réception  fnilernelle  que  nous  avait  préparée  nos 
amis  de  Berne,  et  des  agi-éments  qu'ils  nous  ont  procurés  à 
la  fin  de  chacune  des  journées  de  travaux.  Quelque  étrange 
que  puisse  leur  paraître  le  fait  de  la  présentation  tardive  de 
ce  rapport,  ils  comprendront  que  ce  délai  n'a  eu  pour  cause 
ni  un  manque  d'intérêt  de  votre  part  poui'  les  affaires  de 
l'Association,  ni,  de  la  part  du  rapporteur,  un  oubli  de  leurs 
bons  procédés. 

Qu'il  me  soit  permis  de  relever,  dès  le  début,  l'empresse- 
ment du  précédent  Vorort  à  prendre  en  mains  les  affaires  qui 
lui  avaient  été  transmises  par  la  session  tenue  à  Zurich  en 
août  1883.  En  efl'et,  dès  le  18  octobre  de  la  même  année,  son 
Bureau  prenait  connaissance  des  travaux  de  Zurich  et  des 
questions  qui  lui  incombaient  désormais,  et  il  en  préparait  la 
solution.  Je  signalerai  en  particulier  les  démarches  à  faire 
pour  obtenir,  de  la  part  de  la  Confédération,  une  subvention 
en  faveur  de  l'Association  des  .sociétés  suisses  de  géographie, 
mandat  dont  il  s'est  acquitté  de  la  manière  la  plus  sage,  et 
aussi  la  plus  heureuse,  puisqu'à  la  suite  du  mémoii-e  qu'il  a 
présenté  au  Conseil  fédéral,  à  l'appui  de  cette  demande, 
l'Assemblée  fédérale  a  accordé  à  notre  Association  une  sub- 
vention de  1000  francs.  —  Je  mentionnerai  encore  l'étude  de 
la  question  de  la  composition  d'un  ouvrage  de  géographie  à 
Cusage  des  écoles  et  des  familles  de  la  Suisse,  et  celle  de  la 
confection  de  bonnes  cartes  et  de  reliefs,  à  un  prix  modique 
pour  les  élèves  des  écoles,  sur  lesquelles  j'aurai  à  revenir, 
et  qui,  comme  la  première,  furent  abordées  sans  délai  par  le 
Vorort,  et  confiées  cà  quelques-uns  des  membres  de  la  Société 
de  Berne,  pour  être  élaborées  en  vue  de  l'assemblée  géné- 
rale que  celle-ci  devait  recevoir.  Bon  exemple  pour  nous, 
qui  avons  à  racheter  le  temps  pour  l'étude  des  questions  que 
nous  a  léguées  la  session  de  Tannée  dernière.  Nous  pourrons 
profiter  aussi  de  l'exemple  de  Berne  quant  à  la  préparation 
du  programme  de  l'Assemblée  générale  que  nous  aurons  à 
noire  tour  l'année  prochaine. 

Dans  la  session  de  1882,  à  Genève,  le  programme  était 
extrêmement  chargé,  tellement  que,  dès  8  heures  du  matin 
jusqu'à  6  et  même  7  heures  du  soir,  les  travaux  absorbaient 
toutes  les  heures  de  chaque  journée,  et  qu'il  n'était  pas  pos- 

LE    GLOBE,    T.    XXIV,    1885.  6 


82  BULLETIX. 

silile  de  se  cécréer.  La  nuil  seule  nous  était  accoi'dée  pour 
recouvrer  ôe^  forces  en  vue  des  labeurs  du  lendemain. 

Plus  sages  que  nous  ne  l'avions  été,  nos  amis  de  I3ei"ne 
avaient  préparé  leur  programme  de  manière  à  ce  (\ne  les 
travaux  du  malin  et  ceux  de  l'après-midi  fussent  coupés  par 
3  heures  de  repos,  et  aucune  des  séances  ne  dépassait  2  V2  h-î 
celles  du  matin  duraient  de  9  h.  V2  ^  niidi;  celles  de  l'après- 
midi  ne  reprenaient  (ju'à  3  heures,  pour  se  terminer  à  o  h.; 
encore  ces  dernièi-es,  par  leur  nature  même,  étaient-elles 
destinées  à  i-eposer  des  labeurs  de  la  matinée.  Les  sujets  de 
l'exploration  de  Madagascar  par  M.  le  D'  Keller  de  Zurich, 
la  vie  et  les  travaux  d'A.  G.  en  Amérique  par  votre  rappor- 
teur, le  voyage  de  M.  H.  Moser  dans  l'Asie  centrale,  et  l'explo- 
ration du  Léman  par  M.  Messerly  ne  devaient  pas  provoquer 
de  discussion.  Et  après  5  heui'es,  il  restait  de  longues  heures 
pour  la  promenade  et  le  délassement  sur  la  terrasse  du  Casino 
ou  au  Musée,  où  le  Vorort  nous  avait  ménagé  la  jouissance 
d'excellents  concerts  de  la  Société  de  l'orchestre  de  la  ville 
de  JBerne.  Gomme  vous  le  voyez  le  programme  promettait 
l'agréable  en  même  temps  que  l'utile,  et  la  réalité  a  répondu 
à  ces  promesses. 

N'étant  allé  à  Berne  que  comme  simple  membre  de  notre 
Société,  je  n'ai  naturellement  pas  assisté  aux  séances  admi- 
nistratives des  délégués  chargés  d'un  mandat  spécial;  je  ne 
peux  donc  vous  rapporter  ce  qui  s'est  fait  dans  les  séances 
administratives  que  d'après  les  procès-verbaux  ;  encore  ne 
relèverai-je  de  ceux-ci  que:  l^le  l'apport  rédigé  par  le  secré- 
taire général,  M.  Reymond-le-Brun.  sur  l'activité  du  Yorort 
depuis  la  session  de  Zurich  (voy.  V*"  Jahresbericht,  p.  2 1 3-22 i)  ; 
2°  l'approbation  donnée  à  la  marche  suivie  par  le  Vorort  dans 
la  question  d'un  ouvrage  de  géographie  à  l'usage  des  écoles 
suisses;  3"  la  proposition  de  Saint-Gall  d'ajourner  a  deux  ans 
les  Assemblées  générales  jusqu'alors  annuelles  ;  4°  le  choix  de 
Genève  comme  nouveau  Vorort  pour  une  période  de  deux 
ans;  oMa  décision  d'après  laquelle  le  Vorort  doit  présenter  à 
l'Assemblée  générale  un  rapport  sur  son  activité  pendant  la 
dui'ée  de  ses  fonctions  ;  et  Vf  celle  en  vei'tu  de  laquelle,  le 
procès-verbal  renfermant  les  propositions  et  les  résolutions 
des  Assemblées  administratives  et  généi'ales  doit  être  vérifié 
et  signé  pendant  la  durée  de  la  session,  par  le  pi'ésident,  par 


PROCÈS-VERBAUX.  83 

deux  délégués  appartenant  à  d'autres  Sociétés  que  le  Vorort, 
et  par  le  secrétaire. 

Ces  résolulions  ont  nécessité  quelques  adjonctions  aux  sta- 
tuts et  l'èglements  de  l'Association. 

Dans  la  première  séance  de  travaux  proprement  dits,  le 
Président,  M.  le  D' Th.  Sluder,  professeur,  exposa  l'état  actuel 
des  connaissances  géographiques  et  les  questions  à  traiter  par 
l'Association.  Les  résolutions  adoptées  la  veille  parla  réunion 
des  délégués  furent  approuvées.  Puis  M.  Lûthy,  directeur  de 
l'exposition  scolaire  fédérale,  auquel  avait  été  confié  le  soin 
d'étudier  la  question  de  la  confection  de  cartes  et  de  reliefs 
pour  les  écoles,  lut  un  mémoire  détaillé,  témoignant  d'une 
connaissance  exacte  des  besoins  de  nos  écoles,  d'une  grande 
expérience  de  l'enseignement,  et  de  vues  justes  sur  lesmoyens 
à  employer  pour  répondre  aux  desiderata  signalés.  Après 
une  discussion  approfondie  du  sujet,  une  commission  fut 
chargée  de  coordonner  les  observations  présentées,  et,  du 
travail  de  celle-ci,  ressortit  la  résolution  de  demander: 

1°  Que  la  Confédération  fa.sse  confectionner  des  reliefs  de 
district  au  '/,,,,^,  et  subsidiairement  au  '/,,,,,; 

2"  Que  la  Confédération  fasse  éditer  de  petites  cai-tes  d'écoles 
dans  le  genre  des  cartes  reliefs  de  Leuzinger  et  des  cartes 
Wurster-Randegger  ; 

;j"  Que  la  Confédération  vende  ces  cartes  et  ces  reliefs  au 
prix  coûtant; 

4°  Que  la  Confédération  veille  à  ce  que,  dans  les  écoles  de 
recrues  d'instituteurs,  ceux-ci  soient  préparés  à  l'étude  de  la 
carte  topogi-aphique  et  à  la  to|)ographie,  de  manière  à  ce 
qu'ils  puissent  confectionner  eux-mêmes  des  cartes  et  des 
reliefs  pour  leur  enseignement  de  la  géographie  suisse. 

Le  mémoire  de  M.  Lùthy  nous  a  été  envoyé  pour  que  nous 
pussions,  comme  Vorort,  suivre  aux  résolutions  prises  à 
Eerne.  Malheureusement  le  laps  de  temps  pendant  lequel  les 
affaires  du  Yoroit  ont  été  suspendues  a  amené  M.  Luthy  à 
réclamer  son  travail.  Je  crois  cependant  qu'il  suffirait  d'une 
demande  de  notre  part  à  l'auteur  pour  en  obtenir  une  copie. 
Nous  en  avons  besoin  pour  l'accomplissement  de  notre  man- 
dat auprès  du  Conseil  fédéral. 

Vint  ensuite  la  question  du  livre  de  géographie  pour  l'école 
et  la  famille,  transmise  à  Berne  par  la  session  de  Zurich. 


84  BULLETIN. 

Le  Vororl  avait  cliai'gé  de  celle  étude  une  commission  com- 
posée de  M.  le  D""  Pétri,  prof,  à  l'Université  et  de  M.  l'inspec- 
teur Landoll;  leurs  vues  étaient  résumées  en  (pielques  pages 
impi'imées  et  remises  aux  assistants.  Celles  de  M.  le  D""  Pétri 
fuient  développées  avec  talent  par  l'auteur  présenta  la  séance, 
et  fournirent  matière  à  une  discussion  nouri-ie.  M.  F^andoll 
n'ayant  pas  pu  y  assister,  son  exposé  demeure  à  titre  de  docu- 
ment entre  les  mains  de  la  Société  de  Berne,  qui  reste  char- 
gée de  la  poursuite  des  éludes  à  ce  sujet.  Elle  se  propose 
d'ouvrir  à  cet  elTet  un  concours,  entre  les  géographes  des 
deux  parties  de  la  Suisse.  Le  manuscrit  le  meilleur  sera  cou- 
ronné par  le  jury;  s'il  est  en  allemand  on  le  fera  traduire  en 
français  à  l'usage  des  écoles  de  la  Suisse  romande,  si  au  con- 
traire c'est  un  manuscrit  français  qui  remporte  le  prix,  il  sera 
traduit  en  allemand  pour  les  écoles  des  cantons  de  langue 
allemande.  Qu'il  me  soit  permis  d'ajouter  que,  dans  la  séance 
de  raprès-midi  où  je  fus  appelé  à  exposer  la  méthode  par 
laquelle  notre  compatriote  A.  Guyot  a  renouvelé  l'enseigne- 
ment de  la  géographie  aux  États-Unis,  la  vue  des  manuels 
publiés  par  Guyot  a  pleinement  satisfait  les  membres  qui 
avaient  pris  pai't  à  la  discussion  du  matin,  et  que  M.  le  Pré- 
sident voulut  bien  exprimer  la  pensée  que  si  la  Commission 
du  Vorort  avait  eu  ces  ouvrages  sous  les  yeux,  ils  auraient 
certainement  facilité  son  Iravail,  et  l'espoir  que  l'Association 
et  ses  membres  s'etïorceraient  de  faire  connaître  le  système 
de  Guyot  et  d'en  faciliter  l'application  à  l'enseignement  dans 
les  écoles  de  notie  patrie.  Les  éditeurs  de  New-Yoï'k  ont  eu 
l'amabilité  de  donner  à  la  Société  de  géographie  de  Berne  et 
au  Département  de  l'instruction  publique,  dont  le  président^ 
M.  Gobât,  pi'end  un  grand  intérêt  à  la  réforme  de  Tenseigne- 
merit  de  la  géographie,  la  série  complète  des  manuels  de 
Guyot  depuis  V Introduction  insqa'â  la  Physical  Geographij,  en 
sorte  que  nous  pouvons  espérer  voir  prochainement  nos 
écoles  dotées  d'un  manuel  qui  bénéficiera  des  avantages 
offerts  par  ceux  "que  notre  compatriote  a  composés  pour  les 
élèves  des  écoles  des  États-Unis. 

Parmi  les  travaux  des  séances  du  matin  je  mentionnerai 
encore  le  mémoire  de  M.  Rohner,  de  Hérisau,  sur  l'établisse- 
ment de  Collections  géographiques  pour  les  écoles,  soit  pi"i- 
maires,  soit  secondaires  et  supérieures,  étude  très  solide, 


PROCÈS-VERBAUX.  85 

basée  sur  le  système  intuitif,  qui  réclame  pour  renseigne- 
ment, non  seulement  des  caries,  des  reliefs,  des  globes,  mais 
encore  les  objets  du  règne  minéral,  de  la  flore,  de  la  faune, 
des  produits  de  l'industrie,  et  pour  les  classes  supérieures, 
des  tableaux  géograpbiques  el  etbnographiques,  des  produits 
de  la  nature  et  de  l'art,  des  appareils  pour  la  géographie 
mathématique,  etc. 

La  discussion  cà  laquelle  donna  lieu  le  ti-avail  de  M.  Rohner 
fil  comprendre  que  la  question  n'était  pas  suffisamment  mûre 
poui'  qu'il  fût  possible  de  prendre  une  décision  immédiate, 
el  l'Assemblée  chargea  le  nouveau  Vorort  de  nommer  une 
commission  qui  aura  à  <■  examiner  le  mémoire  de  M.  Roliner 
dans  son  ensemble  et  dans  ses  détails,  pour  préparer  la  solu- 
tion de  la  question  dans  une  prochaine  session.  » 

Le  rapport  de  iM.  Frilz  Mûllhaupt  sur  la  formation  d'une 
organisation  centrale  chargée  de  relier  entre  elles  les  Sociétés 
de  géographie  el  de  propager  les  résolutions  faites  dans  les 
Congrès  internationaux,  fut  aussi,  après  discussion,  transmis 
au  nouveau  Yorort  pour  étude  ultérieure  plus  approfondie. 

Enfin  le  mémoire  de  M.  Messerly  sur  l'exploration  scienti- 
fique du  Léman  dont  l'auteur  n'était  malheureusement  pas 
à  la  réunion  de  Berne,  fut  également  l'envoyé  à  notre  Vor- 
ort, pour  renseignements  plus  détaillés  à  demandera  M.  Mes- 
serly en  vue  d'une  session  ultéi'ieure. 

Le  projet  d'exploration  à  Maihigascar  de  .M.  le  D""  Relier, 
privat-docent  à  Zurich,  lui  fournil  l'occasion  de  présenter  une 
élude  très  complète  des  connaissances  actuelles  de  celte  île, 
et  de  ce  qu'il  reste  à  y  explorer  au  point  de  vue  de  la  faune, 
de  l'ethnographie  et  de  ranthropologie,  ainsi  que  sous  le 
rapport  colonial  et  commercial.  M.  Relier  exposa  en  outre  les 
voies  et  moyens  qu'il  compte  adoi»ler  pour  la  réalisation  de 
son  projet,  el  exprima  l'espoir  que  l'Association  des  Sociétés 
suisses  de  géographie  lui  prêtera  son  appui  moral  auprès  des 
autorités  fédérales,  s'il  doit  s'adresser  à  elles  pour  exécuter 
son  dessein. 

Une  maladie  de  M.  H.  Moser  l'a  malheureusement  empêché 
de  venir  exposer  lui-même  à  Berne  ses  voyages  dans  l'Asie 
centrale;  l'Association  n'a  cependant  pas  été  complètement 
privée  de  la  communication  qu'elle  espérait  entendre.  Un  ami 
de  .M.  Moser,  M.  le  D*-  Nuesch,  de  Schafl'house,  voulut  bien 


86  BULLETIN, 

venir  lums  lire  le  l'écil  rédigé  par  le  voyageur.  Je  n'appren- 
drai i-ieii  aux  lecteurs  dei^  lettresdu  Turkeslan  publiées  parle 
Journal  de  Genève,  en  leur  disant  i|iie  cette  lecture  fut  une  des 
productions  les  plus  intéressantes  de  nos  séances  Vous  poiu- 
rez  d'ailleurs,  je  l'espère,  vous  procurer  la  satisfaction  délire 
l'ouvrage  entier  de  M.  Moser,  qui,  si  Je  suis  bien  informé, 
est  en  cours  de  publication  à  Paiis. 

Ce  rapport  est  déjà  bien  long  et  cependant  je  dois  men- 
tionner encore  l'espoir  donné  à  Berne,  et  réalisé  depuis  notre 
session,  de  voir  se  créer  à  Aarau  une  Société  de  géographie. 
Notre  Société  a  été  informée  de  cette  fondation,  et  le  Vorort 
fera  le  nécessaire  pour  l'attacber  à  l'Association  ce  nouveau 
membre.  —  Pas  n'est  besoin  de  revenir  sur  la  grâce  parfaite 
de  l'accueil  de  nos  amis  de  Berne.  Je  n'en  relèverai  plus 
qu'un  trait;  notre  seconde  soirée,  après  la  clôture  de  la  ses- 
sion, fui  lrout)lée  parla  pluie;  pas  moyen  de  la  passer,  comme 
la  veille,  sur  la  terrasse  du  Casino,  a  causer  amicalement  avec 
accompagnement  de  la  musique  de  l'orchestre.  Mais,  pendant 
le  souper,  voici  venir  une  invilation  du  dii-ecteur  de  celui-ci 
à  nous  rendre  au  Musée,  où  nous  lermintàmes  notre  soirée 
aux  accords  harmonieux  des  morceaux  les  mieux  choisis, 
parmi  lesquels  je  ne  signalerai  que  celui  du  Tour  du  monde 
en  musi(jue,  aimable  à-propos  pour  les  membres  des  Sociétés 
de  géographie.  Vous  pensez  bien  que  nous  ne  lui  refusâmes 
pas  nos  chaleureux  applaudissements.  Ce  futsous  l'impression 
d'une  vive  reconnaissance  pour  nos  amis,  qui  nous  avaient 
procuré  des  jours  si  utiles  parle  travail  accompli,  et  si  agréa- 
bles par  les  délassements  don!  ils  avaient  enti-emélé  nos  la- 
beurs, que  nous  leur  dîmes  adieu,  en  leur  donnant  rendez- 
vous  ici  pour  1886. 

Je  devrais  peut-être  demander  un  iiill  d'indemnité  à  notre 
Société  pour  avoir,  en  l'absence  de  son  délégué,  accepté  pour 
elle  la  charge  de  Vorort  en  vue  delà  prochaine  session.  Mais, 
outre  que  ce  choix  était  dicté  pas  le  règlement,  puisque  Saint- 
Gai!  et  Bernei  ayant  reçu  l'Assemblée  générale  en  1883  et 
iSS'i-,  c'était  à  notre  tour  de  la  recevoir  en  1886,  je  croirais 
faire  injure  à  vos  sentiments  pour  les  membres  des  Sociétés 
sœurs  de  la  nôtre,  en  doutant  de  votre  empressement  à  leur 
préparer  une  session  aussi  féconde  en  travaux  utiles  à  l'avan- 
cement de  la  science  que  nous  cultivons,  en  même  temps 


PROCÈS-VERBAUX.  87 

qu'agréable  par  les  délasseinenls  que  vous  saurez  leur  mé- 
nager. (Approbation.) 

M.  le  Président,  au  nom  de  la  Société,  remercie  iM.  Faure. 


SÉANCE  DU  27  MARS  1885 
Présidence  de  M.  le  D""  Dufresne. 

Le  président  présente  trois  ouvrages  donnés  à  la  Bihlio- 
tlièque  par  M.  G.  Moynier  :  la  nouvelle  édition  allemande  de 
la  Géographie  universelle  de  baWi,  mise  à  jour  et  illustrée, 
du  D'' J.  Cliavanne;  rOA'«e/^f.de  Scinveiger-Lerchenfeld,el  un 
volume  de  statistique  de  Euenos-Ayres  ;  puis  une  carte  de 
Chine  en  russe,  don  de  M.  Venukof  (M  C),  qui  a  bien  voulu 
l'accompagner  de  renseignements  sur  les  auteurs.  M.  Emile 
Chaix  aura  la  bonté  de  l'examiner  el  d'en  faire  un  compte 
rendu. 

M.  Dufresne  communique  des  nouvelles  de  l'expédition 
de  Serpa  Pinto,  de  l'océan  Indien  vers  la  partie  de  l'Afrique 
comprise  entre  la  colonie  de  Mozambi(iue  el  le  lac  B;in- 
gouéolo;  el  de  celle  de  Victor  Giraud,  arrivé  récemment  à 
Paris,  où  la  Société  de  géographie  lui  a  fait  un  bienveillant 
accueil.  Le  Bulletin  de  Marseille  donne  un  compte  rendu  de 
la  séance  de  la  Société  de  géographie  de  cette  ville  où 
M.  Giraud  a  raconté  son  exploration,  et  une  lettre  de  Zanzi- 
bar exposant  les  vicissitudes  éprouvées  par  le  voyageur 
depuis  son  arrivée  à  Karéma  ;  M;  Dufresne  en  donne  lecture. 

M.  le  professeur  Chaix  fait  rapport  sur  une  carte,  de  Mada- 
gascar publiée  par  les  Missions  catholiques,  et  due  à  M.  Gran- 
didier.  Le  premier  document  cartographique  que  nous  ayons 
de  Madagascar  est  du  comraodore  Owen,  qui  en  releva  la 
côte  occidentale  avec  lieaucoup  de  soin  et  siynala  la  l'ichesse 
qu'elle  oll're  par  une  série  de  bons  ports,  à  l'embonchure  de 
rivières  abondantes  en  eau.  La  côte  orientale  ne  fui  explorée 
que  plus  lard,  les  ports  n'y  abondent  pas.  Quant  aux  travaux 
à  l'intérieur,  autres  que  ceux  de  M.  Grandidier,  ils  se  tirent 
sans  grand  apparat  sous  les  auspices  des  Sociétés  missionnai- 
res des  Pères  jésuites  et  de  l'Angleterre,  qui  fournirent  des 


»0  RITLLETIN. 

reconnaissances  du  plus  haut  inlérêl.  L'orographie  de  la 
carie  fait  voir  que  les  chaînes  ne  sont  pas  disposées  symé- 
triquement; il  y  en  a  plusieurs  parallèles  à  la  côte;  la  plus 
orientale  est  heaucoup  plus  près  de  la  côte  que  du  centre  de 
l'île.  M.  Chaix  attire  particulièrement  Tattenlion  sur  la  pro- 
vince des  Betsiléos  soumis  par  les  Hovas,  mais  seulement 
après  des  années  de  guerre  dans  lesquelles  leurs  montagnes, 
forteresses  naturelles  aux  escarpements  abrupts,  leur  permi- 
rent de  prolonger  la  résistance  et  de  soutenir  des  sièges  qui 
coûtèrent  beaucoup  de  sang  aux  assaillants.  La  carte  a  de 
grands  mérites  de  clarté,  d'exécution,  d'élégance;  peut-être 
est-elle  un  peu  trop  remplie,  vu  l'ignorance  où  l'on  est 
encore  sur  certaines  pai'ties  de  l'île  inexplorées  jusqu'ici. 

M.  Humbert  ajoute  que  M.  Grandidier  a  décrit,  dans  de 
magnifiques  volumes,  la  faune  vivante  de  Madagascai-  et 
aussi  la  faune  éteinte;  il  a  trouvé  en  particulier  un  liippopo- 
tarae  fossile,  trouvaille  très  importante  au  point  de  vue  de 
l'histoire  zoologique  de  cette  île  où  l'hippopotame  ne  se  ren- 
contre plus.  Il  a  donné  aussi,  dans  une  livraison  spécialement 
géographique,  une  étude  de  cartographie  comparée  expo- 
sant les  progrès  faits  à  cet  égard, 

M.  Faiire  fait  une  communication  sur  les  explorations  dans 
le  district  de  Kimberley,  dans  la  partie  N-.O.  de  l'Australie. 

La  fondation  de  deux  Sociétés  de  géographie  en  Australie, 
à  Sydney  et  à  Melbourne,  prouve  le  besoin  que  les  colons 
ont  de  concentrer  les  données  géographiques  qu'ils  possè- 
dent déjà  sur  leur  continent  et  sui'  les  îles  et  archipels  dont  il 
est  le  centre,  afin  de  se  rendre  compte  de  ce  qui  est  déjà 
connu,  et  de  ce  qu'il  reste  à  faire  dans  le  champ  de  l'explo- 
ration. A  cet  égard  nous  leur  serons  bientôt  redevables  de 
renseignements  nouveaux  sur  la  Nouvelle-Guinée,  où  ils 
enverront  prochainement  des  expéditions.  Nous  leui'  devons 
déjà  des  détails  précieux  sur  les  ti'avaux  de  leurs  voyageurs 
dans  le  continent  australien  pendant  les  dernières  années, 
preuve  en  soit  les  extraits  d'un  mémoire  présenté  par 
J\I.  J.-A.  Pantonsur  le  district  de  Kimberley,  dans  la  séance 
d'ouverture  de  la  Société  australasienne  de  géographie  de 
Melbourne.  Le  N.-O.  de  l'Australie  fut  probablement  la 
première  partie  découverte  par  les  navigateurs  européens, 
mais  pendant  des  siècles  elle  resta  une  terra  incognita,  jus- 


PROCÈS- VERBAUX.  89 

qu'au  moment  où,  il  y  a  80  ans,  commencèrent  les  explora- 
tions de  Freycinet,  Baudin,  King,  Wickham  et  Stokes. 

En  18o5  le  gouvernement  envoya  une  expédition  bien 
équipée,  sous  la  direction  de  Gregory,  avec  le  baron  de  Mul- 
1er,  botaniste,  le  D""  Wilson,  naturaliste  et  géologue,  et  le  D'" 
Elsey,  médecin.  Le  résultat  de  cette  exploration  fut  la  décou- 
verte des  Plaines  de  Roe,  et  de  la  magnifique  région  de  pâ- 
turages de  la  Victoria  supérieure  ;  puis,  plus  au  sud,  des 
plaines  abondantes  en  fourrage  le  long  de  la  rive  occidentale 
de  Slurt  Creek,  que  Gregory  nomma  les  Plaines  de  Denison. 

En  1865  quelques  jeunes  colons  entreprenants,  de  Vic- 
toria, résolurent  de  s'y  établir;  ils  équipèrent  deux  vaisseaux, 
y  embarquèrent  4000  moutons,  et  se  dirigèrent  vers  la  nou- 
velle colonie.  Malheureusement  ils  avaient  compté  l'atteindre 
du  N.-O.  et  débarquèrent  au  havre  de  Cambden,  d'où  il  leur 
fut  impossible  de  pénétrer  à  l'intérieur.  Des  montagnes 
abruptes  leur  l)arraientle  chemin  de  tous  côtés;  un  de  leurs 
vaisseaux  échoua  sur  les  rochers;  après  avoir  réembarqué 
ce  qu'il  restait  de  leurs  moutons,  ils  revinrent  à  Victoria, 
sauf  quel(iue.s-uns  qui  s'établirent  à  Nichol  Bay,  où  ils  pros- 
pérèrent comme  éleveurs  de  moulons.  Mais  l'insuccès  de 
l'expédition  de  Cambden  Harbour  détourna  l'attention  de  ce 
point,  et  ceux  qui  s'y  seraient  rendus  peut-être,  se  portèrent 
comme  pionniers  vers  le  Queensland. 

En  1877,  Alexandre  Forrest,  parti  de  la  baie  de  Roebuck, 
suivit,  par  terre,  la  côte  jusqu'à  Beagle  Bay,  traversa  ensuite 
jusqu'à  la  rivière  Fitzroy  qu'il  longea  jusqu'à  la  chaîne  des 
monts  Léopold,  et  en  essayant  de  les  franchir,  il  atteignit  le 
bord  de  la  mer.  Il  dut  revenir  à  la  rivière  Fitzroy  et  décou- 
vrit un  de  ses  tributaires,  la  Marguerite;  continuant  sa  mar- 
che vers  l'est  il  alteignit  l'Ord,  qu'il  suivit  jusqu'à  son  con- 
fluent avec  le  Negri,  puis,  tournant  au  N.-E.,  il  rejoignit 
l'itinéraire  de  Gregory  au  confluent  de  la  Victoria  et  du 
Wickham.  Sur  son  rapport,  le  gouvernement  comprit  la 
valeur  de  ce  district  qu'il  nomma  district  de  Kiuiberley,  et 
prit  des  mesui'es  pour  l'occupation  du  pays. 

En  1882,  M.  Michel  Durack,  avec  M.  Pentacost,  conduisit 
une  expédition  qui  débarijua  sur  la  côte  nonl  du  golfe  de 
Cambiidge;  il  se  dirigea  vers  l'ouest  sur  une  longueur  d'une 
vingtaine  de  kilomètres, puis  au  sud,  jusqu'à  ce  qu'il  rencon- 


90  BULLETIN. 

Ira  une  rivière  venant  du  nord  qu'il  nomma  la  Durack.  Il  la 
remonta  sur  un  parcours  de  8  kilomètres,  et  la  traversa,  pour 
prendre  ensuite  une  direction  S.-E.  Jusqu'à  la  i-ivière  ipii  se 
jette  dans  le  golfe,  et  qu'il  nomma  la  Pentacoste.  Il  la  suivit 
à  travers  un  pays  très  rocailleux,  alleignit  les  contrefoi'ls 
du  mont  Cockhurn,  et  à  20  kilomètres  environ  de  celui-ci, 
arriva  au  bord  d'une  grande  rivière  (|u'il  nomma  la  Denham. 
Il  la  longea  sur  une  longueur  de  50  kilomètres,  entra  dans 
une  région  coUineuse,  couverte  de  pien-es,  et  herbeuse  en 
certains  endroits,  puis  il  rencontra  une  autre  grande  rivière 
qu'il  nomma  le  Bow. 

Une  autre  expédition  dirigée  par  O'Donnell  suivit  l'Ord,  du 
continent  du  Negri  jusqu'au  bras  oriental  du  golfe  de  Cam- 
bridge, revint  à  l'est  du  mont  Cockhurn  jusqu'à  l'Ord,  au- 
dessous  du  confluent  du  Bow  ;  mais,  chose  bizarre,  O'Oon- 
nell  ne  vit  pas  la  rivière  Denham  que  Durack  avait  décou- 
verte. 

Il  explora  alors  le  Bow,  qu'il  nomma  le  Fraser,  jusqu'à  sa 
source,  traversa  une  vaste  région  de  pcàturages,  arrosée  de 
rivières  et  de  l'uisseaux,  parmi  lesquelles,  la  rivière  Wilson, 
et  les  cours  d'eau  qu'il  suppose  être  les  sources  de  la  Mar- 
guerite et  de  la  Fitzroy. 

Que  ressort-il  des  nombreux  l'enseignements  fournis  par 
les  divers  explorateurs  susnommés,  sur  cette  partie  de 
l'Australie  occidentale?  La  côte  N.-O.  présente  une  ligne 
découpée,  avec  de  nombreuses  îles  et  des  bas-fonds  à  une 
assez  grande  distance  du  bord.  L'intérieur  parait  être  mon- 
tagneux, et,  quoiqu'il  y  ail  de  t)elles  vallées  et  de  riches 
plateaux  basaltiques,  il  semble  plus  propie  aux  plantations 
qu'à  l'élève  du  bétad,  car  le  sol  est  excellent  pour  la  culture 
de  la  canne  à  sucre  et  des  autres  végétaux  des  tropiques; 
Grey  en  compare  la  végétation  à  celle  de  l'île  de  France.  Le 
mont  Cockhurn,  à  la  tête  du  golfe  de  Cambridge,  est  un 
plateau  isolé,  olTrant  l'apparence  d'une  immense  fortification 
avec  de  nombreux  bastions. 

C'est  dans  cette  région  montagneuse  (|ue  prennent  leurs 
sources  les  principales  rivières  du  district  de  Kimherley.  le 
Fitzroy,  le  Linnard,  la  Marguerite,  l'Ord,  et  les  deux  grands 
cours  d'eau  découverts  par  Durack,  la  Denham  et  le  Bow. 
Au  nord  de  celui-ci  s'étendent  les  monts  Stephen  qui  forment 


PROCÈS- VERBAUX.  91 

la  ligne  de  partage  des  eaux  de  la  Glenelg,  du  Roe,  et  d'au- 
tres l'ivières  se  versant  dans  la  mer,  sur  la  côteN.-O.  et  dans 
le  golfe  de  Cambridge.  Grey  estime  à  1000™  l'altitude  des 
monts  Sleplien, 

Outre  les  teri-ains  propres  à  la  culture,  le  district  de  Kim- 
berley  renferme  aussi  des  parties  propres  au  pâturage,,  des 
plaines,  des  collines,  avec  une  herbe  analogue  aux  meilleurs 
fourrages  du  Qiieensland.  Entre  Beagle  Bay  et  le  Filzroy,  les 
paccages  sont  excellents.  De  la  baie  de  Roebuck  vers  l'Inté- 
rieur le  pays  est  presque  plat,  pauvre  par  places,  mais  géné- 
ralement boisé,  et  ari'osé  par  des  sources  naturelles,  et  par 
de  nombreux  puits  creusés  par  les  natifs.  Forrest  estime 
qu'à  5"  de  profondeur  on  peut  trouver  de  Teau  potable,  et 
que  le  fourrage  convient  paifaitement  pour  les  bestiaux  et 
les  moulons.  Le  long  des  rivièi-es  Linnard,  Méda,  May  et  Filz- 
roy s'étendent  des  plaines  couvertes  d'un  berbe  succulente, 
et  à  la  limite  de  ces  plaines  est  un  plateau  boisé  nommé  le 
Pindan,  qui  n^est  pas  encore' occupé  par  les  colons,  à  cause 
de  la  difficulté  à  élever  des  moutons  dans  cette  contrée,  mais 
qui  fournira  de  très  bons  pâturages  quand  on  y  aura  créé 
des  enclos. 

Forrest  et  Durack  font  des  bords  de  la  rivière  Marguerite 
des  descriptions  qui  rappellent  celle  des  pâturages  de  la 
Filzroy.  Forrest  rapporte  qu'il  traversa  le  20  juillet,  dans  une 
direction  E.-N,-E.,  un  pays  magnifique,  bien  a!-rosé,(le  pelits 
ruisseaux  coupant  son  itinéraire  presque  à  chaque  kilomètre. 
Bientôt  ils  arrivèrent  à  une  grande  rivière  au  bord  de 
laquelle  il  campa  le  reste  du  jour.  Du  haut  d'une  colline  il 
aperçut  devant  lui,  au  S.-S.-E.  et  au  S.-O.,  la  plus  belle  plaine 
herbeuse  (|u'il  eût  jamais  vue.  D'après  ses  calculs,  cette 
plaine, de  formation  granitique, comprend  un  million  d'acres, 
et  pourrait  nourrir  un  nombre  égal  de  moulons.  C'est  à  son 
avis  la  plus  belle  partie  de  l'Australie  occidentale.  «  Le  28 
juillet,»  dit-il,  •  nous  suivîmes  l'Ord,  sur  une  longuein-  de 
lo  kilomètres.  Nous  campâmes  dans  un  pâturage  splendide. 
Bien  arrosée  et  d'un  sol  fertile,  cette  partie  du  district  nour- 
rira une  quantité  démoulons;  elle  ne  paraît  pas  exposée 
aux  inondations  périodiques  des  parties  inférieures  de  la 
rivière  Fitzroy.»  Ces  plaines  ont  peu  d'arbres,  excepté  le  long 
des  cours  d'eau  (lui  les  traversent  dans  toutes  les  directions. 


92  BULLETIN. 

M.  Panloii  fait  remarquer  que  les  rivières  susmentionnées  ne 
sont  pas  des  fleuves  morts  comme  on  en  rencontre  tant  clans 
les  cartes  de  l'Australie,  mais  des  eaux  courantes,  profondes, 
navigables  sur  un «pai'cours  considérable  dans  la  saison  des 
pluies.  «  La  Glenelg,  «  dit  Grey,  «  a  des  îles  verdoyantes,  j'ai 
vu  beaucoup  de  rivières  en  Australie,  mais  aucune  qui  égale 
celle-ci  en  grandeur  ou  en  beauté.  »  Durack,  O'Donnel  et 
Carr  Boyd  ont  trouvé  sur  les  bords  de  l'Ord,  en  amont  de 
sa  jonction  avec  le  Negri,  des  sources  salées,  avec  de  grands 
dépôts  d'un  sel  pur,  lion  pour  l'usage  domestique. 

Quant  aux  ports  et  bavres  que  présente  la  côte,  le  premier 
qui  ail  quelque  importance  est  la  baie  de  Roebuck,  où  l'on  a 
découvert  récemment  un  bon  mouillage,  on  y  a  marqué 
remplacement  d'une  ville,  et  fait  les  levers  nécessaires  en 
vue  de  la  colonisation. 

A  110  kilomètres  plus  au  nord  est  Beagle  Bay,  qui  offre 
un  bon  abri  en  temps  ordinaire,  mais  n'est  pas  sûr  dans 
la  saison  des  cyclones. 

Vient  ensuite  l'île  de  Marie  dans  le  golfe  de  King,  vis-à-vis 
de  l'emplacement  de  la  ville  de  Derby.  Au  dekà,  la  côte  pré- 
sente une  succession  de  baies  piofondes  :  Secure  Harbour, 
Doubtful  Bay,  George  Water,  Hanover  Bay,  Cambden  Har- 
bour, etc., mais  un  coup  d'œil  jeté  sur  une  carte  fait  voir  que 
les  abords  de  cette  pai'tie  de  la  côte  sont  semés  de  rocbers, 
de  bancs  de  sable,  et  d'iles. 

Sur  la  côte  N.-E.,  le  golfe  de  Cambridge  pénètre  à  140  kil. 
à  l'intérieur,  on  peut  y  naviguer  jusqu'au  goulot  où  Durack 
débarqua  en  1882.  L'avantage  de  ce  bavre  est  que  le  golfe 
est  exempt  de  danger  jusqu'à  Port  Darwin  au  N.-E.  11  y  a 
dans  l'intérieur  du  golfe  de  bons  mouillages,  abrités  contre 
tous  les  temps.  Le  bras  oi'iental  a  été  exploré  et  s'étend  à 
plusieurs  kilomètres  au  delà  de  Tîle  Adolpbe.  où  les  sonda- 
ges indiquent  7  brasses  d'eau.  L'Ord  déboucbe  dans  ce  bras. 
Une  escouade  de  fonctionnaires  du  gouvernement  a  dû  faire 
le  i-elevé  de  la  partie  oiientale  du  district  de  Kimberley  et 
l'Ord  sera  remonté;  on  y  choisira  un  emplacement  pour  une 
ville,  le  golfe  de  Cambridge  devant  devenir  le  débouché  des 
districts  de  l'Ord  supérieur  et  de  la  Victoria. 

Les  voyageurs  s'accordent  à  dire  que  le  climat  de  cette 
partie  de  l'Australie  est  très  bon.  Grey  en  parle  comme  du 


PROCÈS-VERBAUX.  93 

plus  beau  climat  du  monde  ;  le  D' Elsey,  compagnon  de 
Gregory,  le  dit  plus  régulie?-  que  celui  d'aucune  des  parties 
exlralropicales'de  l'AusIralie.  L'expédition  d'O'Donnel  sur 
les  plateaux  souffrit  de  nuits  1res  froides  en  septembre;  trois 
nuits  de  suite  l'eau  gela.  Un  auti'e  voyageur  parcourut  celte 
partie  de  l'Australie  en  é!é  et  en  automne,  et  en  trouva  le 
climat  excellent,  en  sorte  qu'on  peut  admettre  que  sous  ce 
rapport,  le  district  de  Kimberley  égale  celui  des  autres  par- 
ties de  l'Australie  et  qu'il  l'emporte  sur  la  plupart  des  autres 
régions  tropicales. 

Jusqu'à  présent,  dit  M.  Panton,  on  n'y  a  introduit  qu'une 
petite  (juantité  de  bestiaux,  mais  on  doit  en  conduire  du 
Queensland  quelques  milliers  vers  les  pâturages  de  l'Ord. 
On  a  déjà  importé  plus  de  30.000  moutons  dans  le  bassin  de 
la  Filzroy  ;  il  paraissent  prospérer.  Quelques  troupeaux  ont 
souffert  d'une  espèce  d'oplitalmie;  mais,  d'après  le  rapport 
d'un  intendant  de  la  station  de  Delamare,  au  bout  de  quatre 
ans  on  n'a  pu  remarquer  aucune  détérioration  dans  la  qua- 
lité de  la  laine. 

Le  long  des  rivières  le  sol  est  extrêmement  riche,  et 
propre  à  la  culture  des  plantes  des  tropiques.  Pi'ès  de  Hano- 
ver  Bay,  et  au  bord  de  la  Glenelg,  le  terrain  basaltique  serait 
aussi  bon  que  celui  de  Maurice  pour  la  plantation  de  la  canne 
à  sucre.  Les  riches  savanes  de  TOrd,  de  la  Fitzroy  et  de  la 
Meda^  produiraient  du  colon  qui  est  indigène,  et  dans  les 
terrains  au  niveau  des  rivières,  le  riz  pourrait  être  cultivé 
avec  profit.  Grey  planta  près  de  Hanover  Bay  des  noix  de 
coco;  quand  il  partit,  les  jeunes  plantes  poussaient  déjà.  Les 
fruits  indigènes  sont  nombreux  et  supérieurs  à  ceux  de  TAus- 
tralie  méridionale;  il  y  a  deux  variétés  de  raisins,  quatre  de 
figues,  des  orangers  indigènes,  des  pruniers,  etc.  ;  les  fruits 
du  baobab  sont  employés  efficacement  contre  le  scorbut. 

La  géologie  du  district  est  encore  peu  connue.  Grey  a 
trouvé  des  parties  du  pays  de  formation  basaltique  et  des 
grès.  Ceux-ci,  qu'il  a  nommés  grès  anciens,  sont  déposés  en 
couches  presque  liorizontales,  probablement  mésozoïques. 

Forrest  mentionne  du  grès  dans  les  monts  Léopold,  et  du 
granit  au  N.  et  au  N.-O.  des  plaines  Nicholson  ;  Durack,  des 
schistes  avec  des  veines  de  quartz,  à  l'ouest  du  goulot  dans 
le  golfe  de  Cambridge,  puis  entre  la  Denliam  et  le  Bow,  et 


94  BULLETIN. 

sur  rOrd  su(3érieur  au  S.-E.  de  Black  Peak,  des  couches  de 
granil  et  des  schistes  avec  des  veines  de  quartz.  Saunders 
dit  avoir  trouvé  des  traces  d'or  sur^une  longueur  de  plu- 
sieurs kilomètres  le  long  de  l'Ord  supérieur.  O'Donnel  a  vu 
des  couches  de  granit  schisteux  et  dès  veines  de  quartz  dans 
les  monts  Osmands  à  Pouest  du  conduent  du  Negri.  M.  Pan- 
ton  croit  que  le  district  de  Kiniberley  renferme  de  Tor,  de 
l'antimoine,  de  l'argent,  du  cuivre  et  peut-être  de  l'étain. 

On  connaît  peu  jnsiju'ici  les  bois  de  ce  pays.  On  dit  cepen- 
dant que  les  plus  beaux  que  l'on  ait  découverts  sont  dans  les 
vallées  du  N.-O.,  le  long  de  la  Glenelg,  où  Grey  a  trouvé  des 
arbres  d'une  grandeur  gigantesque.  Des  sapins,  bons  pour  la 
construction  et  pour  des  mâts  de  vaisseau,  croissent  sur  les 
plateaux.  Le  rotang  abonde  à  l'intérieur  du  district;  ilya 
aussi  plusieurs  espèces  d'acacias,  et  un  arbre  à  feuilles  larges, 
ombreux,  ressemblant  au  châtaignier.  O'Donnel  n'a  trouvé 
le  pays  bien  boisé  que  sur  les  bords  de  quelques-uns  des 
cours  d'eau.  Il  a  vu  des  arbres  de  bois  de  campêche  de 
grande  taille;  quelques  troncs  avaient  2""  de  circonférence. 

Depuis  un  certain  nombre  d'années,  l'Australie  a  fait  de 
riches  récoltes  dans  la  pèche  des  huîtres  à  perles  sur  la 
côte,  du  cap  N.-O.  au  golfe  de  King.  Pendant  la  saison,  la 
baie  de  Roebuck  reçoit  beaucoup  de  petits  navires  qui  se 
livrent  à  cette  pêche.  Cussak,  le  port  de  celte  haie,  est  leur 
quartier-général.  D'après  M.  Panton,  l'huître  à  perles  se 
trouve  tout  le  long  de  la  côte  du  district  de  Kimberley. 
Autrefois  c'étaient  les  Malais  de  Macassar  que  Ton  employait 
comme  plongeurs,  maintenant  on  préfère  les  natifs  d'Aus- 
tralie. Les  plongeurs  travaillent  pendant  les  mois  d'été, 
après  quoi  ils  retournent  aux  stations  de  moulons  où  ils 
rejoignent  leurs  tribus,  ou  sont  employés  comme  pâtres, 
tondeurs,  etc.,  L'hollolhurie  Irepang,  ou  bêche  de  mer, 
abonde  sur  les  bancs  et  les  écueils  de  la  côte  ;  on  y  trouve 
aussi  des  toi'lues,  du  blanc  de  baleine,  etc. 

En  l'ésuraé,  le  district  de  Kimberley  offre  aux  colons  un 
champ  d'exploitation  aussi  fécond  que  les  autres  colonies 
australiennes,  et  d'après  M.  Panton,  quand  il  sera  relié  avec 
le  réseau  transcontinental  des  chemins  de  fer,  il  pourra  être 
appelé  la  Pei-le  des  antipodes. 

M.  le  prof.  Chaix,  dont  une  carte  d'Australie  était  exposée, 


PROCES- VERBAUX.  95 

avec  rindicalion  des  itinéraires  des  explorations  Jusqu'en 
1877,  a  été  heureux  de  voir  que  le  district  de  Kiniberley, 
par  sa  position  dans  la  région  des  pluies  tropicales^  par  son 
relief  montagneux,  et  pai-  la  nature  de  son  sol  est  propre  à 
une  industrie  agricole  un  peu  dilïérenle  de  l'élève  des  mou- 
tons qui  caractérise  les  colonies  de  l'est  du  continent.  Quant 
aux  rivières  qui  ne  tarissent  pas,  il  est  bon  de  s'assurer  que 
les  explorations  ont  été  f;iiies  en  toutes  saisons.  Car  le  fait 
qu'O'Donnel  ii'a  pas  vu  la  rivière  découverte  par  Durack 
pourrait  faire  supposer  que  celui-ci  l'avait  vue  dans  la  saison 
des  pluies.  Il  i-appelle  à  ce  sujet  la  déception  d'un  explora- 
teur qui,  parti  d'Adélaïde  et  arrivé  dans  la  région  du  lac 
Eyre,  n'y  trouva  qu'une  immense  plaine  couverte  d'un  sable 
blanc.  Les  colons  de  l'Austi'alie  occidentale  auxquels  sont 
dues  les  explorations  du  N.-O.  ont  fait  preuve  de  beaucoup 
de  persévérance.  La  colonie  dont  Peith  est  le  centre  n'a  pas 
eu  des  débuts  faciles.  La  rivière  des  Cygnes  avait  cliai-mé  les 
premiers  arrivants.  De  nombreux  émigrants  écossais  allèrent 
s'y  fixer,  mais  ils  eurent  de  grandes  déceptions,  et  ne  durent 
leur  prospérité  actuelle  qu'à  de  grands  sacrifices.  Parmi  eux 
les  trois  Gregory  et  les  deux  Forj-est  ont,  par  leurs  relevés, 
rendu  des  services  inappréciables. 

M.  Humbert  mentionne  l'ouvrage  de  lady  Baker  sur  l'Aus- 
tralie, ouvrage  qui  inspire  la  confiance,  cai-  il  est  écrit  sans 
parti  pris.  L'Australie  occidentale  semble  appelée  à  un  peu- 
plement lapide,  le  courant  de  l'émigration  de  la  Gr-ande- 
Brelagne  paraissant  se  détourner  un  peu  de  l'Amérique, 
pour  se  porter  vers  le  continent  australien.  M.  Humbert  fait 
^encore  remai-quer  la  marche  différente  du  mouvement  colo- 
nial en  Australie  et  en  Nouvelle-Zélande.  Dans  la  première, 
lieu  de  dépoi'tation  d'al)ord,  on  a  vu  s'organiser  successive- 
ment des  colonies  plus  ou  moins  indépendantes,  avec  leurs 
deux  Chambres,  le  gouverneur  seul  étant  nommé  par  la 
reine;  elles  ont  vécu  en  état  d'hostilité  au  point  de  vue  des 
taiifs,  puis  le  désir  de  se  fédérer  s'est  produit,  et,  tout  en 
conlinuanl  à  former  chacune  une  colonie  spéciale,  elles  ont 
trouvé  qu'il  leur  était  bon  d'avoir  un  lien  commun.  Dans  la 
Nouvelle-Zélande,  qui  élait  d'abord  une  colonie  d'essai,  on 
est  parti  de  funité  de  gouvernement; le  pays  a  été  divisé  en 
comtés;  chacun  de  ceux-ci  a  l)ienlôt  tenu  à  avoir  ses  corps 


96  BULLETIN. 

adminislralifs  et  politiques  ;  aujourcriuii  il  y  a  autant  de  par- 
lements que  de  comtés;  toutefois  il  y  a  un  parlement  natio- 
nal dans  lequel  tous  les  parlements  sont  représentés. 


SEANCE  DU  10  AVRIL  1885. 
Piésidence  de  M.  le  D""  Dufresne. 

Le  Président  paye  un  juste  tribut  de  regrets  cà  la  mémoire 
de  M.  Francis  Bf^rton  (M.  G.),  qui,  de  San-Francisco,  a  sou- 
vent envoyé  à  la  Société  des  communications  pour  le  Globe. 

Il  rappelle  la  réception  de  M.  Giraud  cà  la  Société  de  Paris, 
dans  une  séance  à  laquelle  a  assisté  M.  de  Traz,  qui  a  bien 
voulu  en  envoyer  un  compte  rendu  à  la  Société.  —  Lecture 
est  donnée  de  la  lettre  de  M.  de  Traz  et  d'une  partie  du 
compte  rendu  du  journal. 

M.  Faure  présente  les  deux  éditions  de  l'Atlas  de  poche 
de  Justus  Perthès.  La  première,  du  commencement  de  cette 
année,  a  bien  vite  été  suivie  d'une  seconde  dans  laquelle 
sont  déjà  indiquées  les  délimitations  des  possessions  françai- 
ses et  portugaises,  ainsi  que  celles  de  l'État  libre  du  Congo, 
telles  que  les  ont  fixées  les  traités  de  la  France  et  du  Portu- 
gal avec  l'Association  internationale,  et  les  limites  du  terri- 
toire auquel  s'étendront  les  stipulations  de  l'Acte  général  de 
la  Conférence  africaine  de  Berlin. 

M.  le  Président  Dufresne  fait  ensuite  une  communication 
sur  V Atlantide  à  l'occasion  du  poème  traduit  du  catalan  de 
Jacinto  Vedraguer. 

I 

Parmi  les  légendes  géographiques,  il  en  est  peu  de  plus 
célèbre  et  dont  la  durée  soit  plus  persistante  que  celle  de 
l'Atlantide.  Son  crédit  traditionnel  était  grand  dans  l'anti- 
quité, et  l'on  sait  quelle  renommée  lui  a  valu  la  mention  que 
lui  accorde  Platon  dans  le  Timée.  Le  seul  fait  de  ce  passage 
qui  lui  est  consacré  dans  le  célèbre  dialogue  atteste  la  place 
considérable  que  tenait  la  légende  dans  l'histoire  des  ori- 
gines du  monde. 


PROCES-VERBAUX.  97 

Souvenirs  du  paradis  terrestre  et  de  la  ciuite  originelle, 
souvenirs  du  déluge  et  des  grandes  catastrophes,  jusqu'à 
celui  de  la  tour  de  Babel;  il  y  a  des  traces  de  toutes  ces  tra- 
ditions dans  ce  l'écit  où  la  mythologie  et  ses  fables  cosmogo- 
niques  interviennent  aussi. 

Il  est  dit  dans  le  Tiinée  qu'un  peuple,  celui  des  Atlantes, 
avait  régné  sur  une  île  immense  qui  s'étendait  au  loin  dans 
l'océan,  au  delà  des  colonnes  d'Hercule.  Les  Atlantes  avaient 
conquis  l'Egypte  jusqu'à  la  Lybie,  l'Europe  méridionale  jus- 
qu'à la  mer  tyrrliénienne.  Les  peuples  en  deçà  de  ces  limites 
s'unirent  pour  leur  résister.  Les  Athéniens  devinrent  les  chefs 
de  la  coalition  et,  après  une  longue  lutte,  ils  demeurèrent 
vainqueurs.  Les  forfaits  des  Atlantes  provoquèrent  le  cour- 
roux céleste.  L'éruption  d'un  volcan  et  un  tremblement  de 
terre  détruisirent  leurs  demeures,  puis  un  déluge,  tel  que  les 
hommes  n'en  virent  jamais,  engloutit  celte  terre  de  l'Atlan- 
tide. Pour  nous,  modernes,  les  Canaries,  les  Açores,  Madère 
et  les  îles  du  Cap-Vert  seraient  comme  les  débris  et  les 
muets  témoins  du  continent  disparu. 

Platon  tenait  ce  récit  de  Socrate.  Critias,  dont  le  grand- 
père  était  contemporain  de  Solon,  l'avait  raconté  à  Socrate. 
Quant  à  Solon,  il  avait  recueilli  ces  souvenirs  auprès  des 
prêtres  de  Sais,  pendant  son  voyage  en  Egypte. 

Aristote  parle  d'une  grande  île  qu'il  a  nommée  Anthylla, 
située  à  plusieurs  journées  de  navigation  du  continent.  Les 
Carthaginois  qui  l'avaient  découverte  dissimulaient  avec 
soin  son  existence;  chez  eux  il  y  avait  peine  de  mort  pour 
qui  aurait  trahi  ce  secret. 

L'antiquité  livrerait  encore  d'autres  témoignages.  Le 
moyen  âge  de  même.  Mais  c'est  en  Espagne  et  dans  la  pénin- 
sule ibérique  que  les  souvenirs  de  l'Atlantide  s'affirment  avec 
le  plus  de  persévérance;  nous  en  trouvons  une  preuve  bien 
remarquable  dans  un  poème  récemment  publié  en  langue 
catalane.  L'auteur,  M.  l'abbé  Vedraguer,  est  né  dans  un  vil- 
lage proche  de  cette  ville  de  Vich,  située  dans  la  région 
montueuse  de  la  Catalogne,  qui  fut  au  début  de  ce  siècle  la 
patrie  du  célèbre  philosophe  Balmès.  C'est  en  l'année  1877 
que  M.  Vedraguer  présenta  son  œuvre  aux  Jeux  floraux  où 
elle  fit  sensation.  Ce  poème  est  en  dix  cbanls.  11  compte  au- 

LE    GLOBE,    T.    XXIV,    1885.  7 


98  BULLETIN. 

jourd'hui  plusieurs  éditions  et  des  traductions  en  diverses 
langues.  La  traduction  française  a  été  faite  par  M.  Albert  Sa- 
vine. 

L'objet  spécial  de  nos  travaux  ne  me  permet  pas  l'étude 
littéraire  approfondie  que  mériterait  l'œuvre  de  M.  Vedra- 
guer.  Il  y  aurait  à  apprécier  ici  un  mouvement  de  renaissance 
de  la  langue  et  de  la  littérature  catalanes,  connexe  de  celui 
qui  s'est  manifesté  il  y  a  quelque  trente  ans  en  Provence,  où 
nous  le  voyons,  dans  une  langue  sœur  de  celle  employée  par 
M.  Vedraguer,  produire  la  touchante  histoire  de  Mireille. 

Ce  poème  catalan  qui  chante  l'Atlantide  est  après  tout  une 
glorification  patriotique  de  l'Espagne.  L'auteur  suppose  que 
deux  vaisseaux,  l'un  vénitien,  l'autre  génois,  s'abordent  en 
mer  et  se  livrent  bataille.  Une  tempête  se  lève,  les  deux  na- 
vires sont  engloutis.  Seul,  un  jeune  marin  génois,  qui  n'est 
autre  que  Christophe  Colomb,  échappe  au  naufrage;  il  est 
recueilli  sur  la  rive  espagnole  par  un  vieillard  qui  lui  raconte 
les  destinées  de  la  mer  et  lui  fait  l'histoire  de  l'Atlantide. 

Hercule,  il  fallait  s'y  attendre,  est  le  héros  de  l'Atlantide. 
Le  poète  fait  arriver  le  géant  de  la  Fable  en  Espagne  par  les 
Pyrénées  incendiées.  Le  roc  de  Calpé  tombe  sous  les  coups 
de  sa  massue.  Gibraltar  est  ouvert.  Les  eaux  de  la  Méditer- 
ranée se  précipitent  sur  le  continent  atlantique  et  le  submer- 
gent. On  assiste  à  la  dernière  heure  de  ce  monde  mystérieux 
dont  la  souveraine,  la  reine  Hesperis,  est  transpoi'lée  par 
Hercule  en  Espagne.  En  touchant  la  terre  de  la  péninsule,  le 
héros  y  plante  le  rameau  d'or  qu'il  a  ravi  au  jardin  desHespé- 
rides.  Ce  rameau  devient  un  arbre  et  l'emblème  des  splen- 
deurs futures  de  la  presqu'île  lusitanienne. 

Au  terme  du  récit  Colomb  reparaît.  En  écoutant  le  solitaire 
il  pressent  un  nouveau  monde.  Agité  par  le  génie  des  décou- 
vertes, il  s'adresse  aux  États  maritimes  de  l'Europe,  sollicitant 
aide  et  subsides  pour  atteindre  son  but.  Gênes,  sa  patrie,  ne 
veut  rien  entendre,  pas  plus  que  Venise  et  le  Portugal.  En 
Espagne,  le  roi  Ferdinand  refuse  aussi.  Seule,  la  reine  Isa- 
belle est  propice.  A  la  suite  d'un  rêve  qui  i-emplit  son  âme 
des  sentiments  les  plus  favorables,  Isabelle  vend  ses  bijoux. 
Muni  de  cet  or,  Colomb  part  pour  le  Nouveau  3Ionde,  à  la 
découverte  des  pays  qui  doivent  porter  si  haut  la  puissance 
et  la  renommée  de  l'Espagne. 


PROCÈS-VERBAUX.  99 

En  présence  des  traditions  imposantes,  illustrées  par  ce 
poème,  il  est  permis  de  se  demander,  et  ici  nous  rentrons 
dans  le  domaine  de  la  géographie,  si  la  science  actuelle  au- 
torise à  croire  que  la  terre  de  l'Atlantide  a  existé,  et  s'il  est 
possible  d'interpréter  les  circonstances  qui  ont  pu  détermi- 
ner sa  disparition. 

Les  modernes  ont  proposé  une  foule  de  solutions.  Il  y  a  à 
faire  état  de  celle  du  P.  jésuite  Kircher,  le  fondateur  du  célè- 
bre musée  archéologique  du  Collège  romain.  Dans  un  Hvre 
paru  vers  1660,  et  qui  a  pour  titre  Le  monde  souterrain,  ce 
savant  religieux  émet  l'idée  que  ce  continent  fameux  était 
une  grande  étendue  de  terrains,  dont  les  Açores  et  les 
Canaries  faisaient  probablement  partie. 

Buffon  pensait  à  peu  près  de  même.  Bory  de  Saint-Vincent, 
naturaliste,  qui  eut  son  moment  de  célébrité,  il  y  a  cinquante 
ans,  s'est  approprié  le  sujet  de  l'Atlantide.  Il  développe  la 
théorie  du  P.  Kircher,  et  par  une  foule  de  détails  lui  commu- 
nique une  grande  force  de  probabilité;  il  s'empare  d'un  récit 
de  Diodore  de  Sicile  pour  faire  intervenir  dans  le  cataclysme 
les  eaux  de  la  mer  intérieure  du  Sahara  ou  mer  Tritonide. 
Cette  masse  d'eau  sous  l'impulsion  d'un  tremblement  de  terre 
aurait  rompu  ses  digues  et  contribué  à  la  submersion  de 
l'Atlantide  en  se  précipitant  dans  l'océan. 

Il  est  inutile  de  s'attarder  à  présenter  ici  toutes  les  hypo- 
thèses proposée.s.  Ces  prémisses  rappelées,  essayons  de  con- 
stater si  l'ethnographie  actuelle  permet  de  confirmer  ces 
théories  ou  tout  au  moins  d'en  accroître  la  probabilité. 

II 

Rien  de  moins  contesté  que  les  phénomènes  continus 
d'émergement  et  d'afîaissement  qui  modifient  si  profondé- 
ment les  contours  et  Félendue  des  terres  et  des  mers.  Si  la 
science  n'en  peut  encore  pénétrer  les  causes  multiples,  l'his- 
toii-e  du  globe  les  constate  à  cliaque  pas.  Certains  terrains 
s'aflaissent,  d'autres  s'élèvent.  Des  îles  surgissent  du  sein  des 
flots,  d'autres  se  relient  à  la  terre  ferme,  d'autres  dispa- 
raissent. 

Pour  ne  citer  que  quelques  faits  :  en  Italie,  à  l'entrée  du 
golfe  de  Naples,  dans  l'île  de  Capri,  un  des  palais  de  Tibère 


100  BULLETIN. 

est  actuellement  sous  l'eau.  Le  temple  de  Jupiter  Serapis,  coii- 
struitvers  le  commencement  de  notre  ère,  s'est  tour  à  lour 
aiïaissé  et  relevé.  A  Gaële,  le  sol  s'est  affaissé  de  9  mètres.  A 
Gihrallar,  l'ancien  temple  d'Hercule  est  recouvert  par  la 
mer.  A  Menton,  au  contraire,  mouvement  d'exhaussement 
considérable. 

En  Afrique,  les  célèbres  ports  de  Carthage,  d'Ulique,  de  , 
Bizerte  ont  disparu,  tandis  que  sur  les  bords  de  la  mer  Rouge 
et  du  golfe  de  Guinée,  on  constate  un  cordon  continu  d'ex- 
hanssements.  A  l'extrême  sud  de  l'Afrique,  le  soulèvement 
graduel  du  sol  amène  des  modifications  dans  le  régime  des 
eaux,  telles  que  certaines  rivières  se  dessèchent  graduelle- 
ment, au  point  de  menacer  de  stérilisation  certaines  parties 
de  la  colonie  du  Cap. 

En  France,  à  Saint-Jean  de  Luz,  des  maisons  qui  furent 
témoins  du  mariage  de  Louis  XIV,  sont  aujourd'hui  submer- 
gées, La  célèbre  abbaye  du  Mont  Saint-Michel  a  été  bâtie 
en  709,  à  dix  lieues  de  la  mer,  au  milieu  d'une  forêt  qui 
s'étendait  jusque  vers  les  îles  de  Jersey  et  Guernesey. 
Aujourd'hui  le  rocher  du  Mont  Saint-Michel  est  de  toutes 
parts  battu  par  les  flots.  Vous  voyez  une  infinité  de  phéno- 
mènes analogues  sur  les  côtes  de  Bretagne. 

En  Suède,  il  y  a  un  siècle  que  l'on  constate  l'exhaussement 
graduel  des  côtes  de  la  Baltique.  Il  a  été  calculé  que  les  sou- 
lèvements depuis  les  débuts  de  l'époque  historique  sont  envi- 
ron de  dix  mètres  par  siècle. 

En  Sibérie,  phénomènes  analogues  encore  plus  prononcés. 
Là,  des  terrains  qui  étaient  des  îles  se  trouvent  peu  à  peu  réu- 
nis au  continent. 

Le  marquis  de  Nadaillac,  dans  son  savant  ouvrage  sur 
l'Amérique  préhistorique,  constate  des  faits  d'exhaussement 
extraordinaires.  Sur  les  bords  de  la  baie  d'Hudson,  il  y  a  re- 
lèvement progressif  du  sol  ;  on  ne  peut  plu^  aborder  avec  de 
grandes  embarcations  les  postes  construits,  il  y  a  un  siècle, 
par  la  Compagnie,  à  l'embouchure  des  rivières. 

Fait  bien  curieux,  le  D'  Forster,  dans  une  réunion  récente 
de  l'Association  américaine  pour  l'avancement  des  sciences, 
démontrait  que  les  terrasses  successives  qui  bordent  les 
grands  neuves  et  les  grands  lacs  américains  ne  sont  pas  for- 
mées par  l'effort  des  eaux  brisant  des  obstacles,  mais  bien  par 


PROCÈS- VERBAUX.  101 

l'émergement  progressif  du  continent,  tantôt  ln'usrjue  et  vio- 
lent, tantôt  assez  tranquille  pour  que  les  alluvions  soient  dé- 
posées sur  ces  rives.  A  Chicago,  l'abaissement  du  niveau  du 
lac  et  de  son  émissaire  a  exigé  l'exhaussement  des  maisons; 
on  a  procédé  par  exhaussement  mécanique. 

Darwin  nous  apprend  que,  depuis  220  ans,  Valparaiso  s'est 
élevé  de  19  pieds  et  que,  depuis  un  temps  que  l'on  ne  peut 
supputer,  l'exhaussement  de  Lima  n'a  pas  été  moindre  de 
80  à  90  pieds. 

Le  même  Darwin  a  écrit  des  pages  bien  curieuses  sur  l'ac- 
tion des  vers  de  terre  dans  les  mouvements  du  sol.  Les  puis- 
santes assises  de  la  craie  sont  exclusivement  formées  de  cara- 
paces de  rhizopodes  infimes  dans  les  infiniment  petits.  Un  des 
membres  de  cette  Société  ne  nous  a-t-il  pas  démontré  la  for- 
mation de  groupes  d'îles  par  l'action  végétative  d'organismes 
vivants  au  fond  de  la  mer,  les  madrépores  des  îles  Maldives? 

Inutile  d'ajouter  que  Taclion  des  volcans  a  sa  grande  pari 
dans  la  formation  du  relief  terrestre,  par  conséquent  dans  ces 
oscillations  du  terrain. 

III 

Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  parlé  que  des  faits  contem- 
porains et  des  temps  historiques.  Nous  avons  déjà  constaté 
un  mouvement  d'oscillation  de  l'écorce  terrestre  qui  autorise 
bien  des  théories  et  bien  des  interprétations.  Mais  à  coup  sûr, 
tous  ces  phénomènes  d'affaissement  et  de  soulèvement  pro- 
voqués par  les  éruptions  volcaniques  ont  eu  une  importance 
bien  autrement  grande  dans  les  époques  préhistoriques,  en 
particulier  à  l'époque  quaternaire. 

A  ce  moment  de  la  vie  primitive  du  globe,  les  géologues 
nous  montrent  une  période  de  soulèvement  et  d'aggrégation. 
C'est  alors  que  la  France,  la  Scandinavie,  l'Angleterre,  for- 
ment un  vaste  continent  que  parcourent  librementles  grands 
pachydermes.  La  Manclie,  la  mer  du  Nuiil,  le  canal  Saint- 
George  n'existent  pas. 

A  celte  période  succède  une  période  d'atîaissement  et 
d'expansion  glaciaire.  La  Belgique,  la  Hollande,  une  grande 
partie  de  la  Scandinavie,  .sont  sul)mergées.  Les  géologues 
fournissent  des  preuves  de  ces  révolutions,  puis  un  mouve- 


102  BULLETIN. 

ment  contraire  ramène  le  continent  à  sa  forme  primitive  avec 
une  force  d'émergement  plus  considérable  encore;  enfin, 
après  des  séries  d'oscillations,  l'Europe  peu  à  peu  revêt  la 
forme  actuelle. 

Les  diverses  branches  des  sciences  naturelles,  interrogées 
chacune  à  son  tour,  apportent  des  témoignages  de  ces  aller- 
natives  de  l'évolution  de  notre  globe  avant  sa  constitution 
définitive,  si  tant  est  que  l'on  puisse  appeler  définitif  un  état 
capable  de  présenter,  même  en  pleine  période  historique, 
des  oscillations  telles  que  celles  dont  nous  parlions  tout  à 
l'heure. 

Nous  aimons  à  rappeler  ici,  à  propos  de  la  période  gla- 
ciaire la  mémoire  du  savant  botaniste  dont  la  Suisse  déplore 
la  perte  récente,  je  veux  parler  d'Oswald  Heer.  Sur  des  ques- 
tions encore  si  obscures,  si  litigieuses,  il  a  eu  le  mérite  de 
donner  à  la  science  des  résultats  qui  sont  d'une  importance 
majeure,  des  jalons  précieux  qui  permettront  aux  investiga- 
teurs futurs  plus  d'assurance  et  de  confiance  dans  leur  marche 
en  avant. 

Ces  recherches  du  botaniste  zurichois  sui'  les  migrations 
des  plantes  à  la  faveur  des  mouvements  des  glaciers,  ne  sont 
certes  pas  pour  décourager  les  géographes  qui  s'appliquent  à 
la  recherche  des  continents  disparus. 

IV 

Passons  à  un  autre  ordre  de  preuves. Les  oscillations  delà 
terre  et  les  révolutions  cosmiques  dont  nous  venons  de  par- 
ler, autorisent  assurément  l'hypothèse  de  rAllanlide;  nous 
allons  invoquer  maintenant  des  faits  ethnographiques  et  his- 
toriques dont  l'explication  est  bien  difficile,  si  l'on  n'admet 
pas  son  existence. 

Si  nous  cherchons  les  traces  des  premières  migrations  des 
Aryas,  nous  voyons  ces  hommes,  partis  du  fond  de  l'Asie,  enva- 
hir l'Inde,  la  Perse,  les  ditTérentes  régions  de  l'Europe.  Mais 
des  peuples  entiers  restent  étrangers  aux  Aryas  ainsi  qu'aux 
filiations  que  l'on  a  prétendu  en  faire  sortir.  L'origine  des 
Égyptiens  n'est  pas  tranchée.  Ils  s'affirmaient  autochtones  ; 
s'ils  avaient  été  d'origine  asiatique,  comment  le  cheval  qui 
ne  parait  chez  eux  que  sous  la  dix-huitième  dynastie,  com- 


PKOCÈS-VERBAUX.  103 

ment  le  chameau  importé  sur  le  Nil  vers  le  quatrième  siècle 
seulement  avant  notre  ère,  leur  seraient-ils  restés  si  longtemps 
inconnus  ? 

D'où  pouvait  sortir  cette  population  de  plusieurs  milliers 
d'habitants  isolés  dans  la  vallée  du  Nil,  sans  lien  avec  les  po- 
pulations voisines?  Même  question  pour  les  Berbères,  les 
Guanches,  les  Ibères,  les  Étrusques,  également  étrangers  à  la 
souche  aryenne,  et  dont  l'anthropologie  relève  chaque  jour 
les  caractères  communs.  Dans  toute  la  région  atlantique,  dit  le 
D""  Lagneau,  dans  les  Canaries,  en  Mauritanie,  si  différents  zoo- 
logiquement  du  reste  de  l'Afrique  dont  la  séparait  la  mer  du 
Sahara,  il  se  trouve  une  race  identique.  A  cette  race,  quel- 
ques savants  rattachent  les  Kabyles,  les  Corses,  certains  Bas- 
ques espagnols,  les  Troglodytes,  dont  les  ossements  ont  été 
recueillis  à  Gibraltar.  Tous  ces  peuples  ne  sortent-ils  pas 
peut-êlre  d'une  soucbe  commune,  et  ne  doit-on  pas  chercher 
leur  berceau  chez  les  Allantes? 

On  sait  les  grandes  ditïérences  qui  existent  entre  la  faune 
américaine,  la  flore  américaine  et  les  animaux  et  les  plantes 
de  l'ancien  continent;  il  n'en  avait  pas  toujours  été  ainsi; 
l'examen  des  fossiles  de  l'époque  quaternaire  conclut,  d'après 
M.  J.  Gaudry,  à  l'existence  de  communications  entre  l'Amé- 
rique et  l'ancien  continent.  Tous  ces  faits  ont  été  l'objet  d'in- 
vestigations minutieuses. 

Si  l'on  étudie,  dit  le  marquis  de  Nadaillac,  que  nous  suivons 
pas  à  pas  dans  cette  étude,  la  carte  géologique  d'Espagne  de 
M.  Colombet  de  Verneuil,  on  acquiert  la  preuve  de  l'existence 
préhistorique  de  fleuves  énormes.  Ces  fleuves  n'ont  pu  être  ali- 
mentés que  par  des  continents  disparus  dont  l'étendue  devait 
correspondre  au  volume  des  eaux  dont  l'on  signale  le  passage. 

Autre  ordre  d'idées.  Quand  les  Espagnols  arrivèrent  en 
Amérique,  ils  trouvèrent  certaines  populations  très  incultes, 
très  sauvages,  mais  aussi  beaucoup  d'autres  organisées  en 
sociétés  très  civilisées.  D'où  venaient  ces  peuples  si  divers  qui 
souvent  ne  se  connaissaient  pas  ?  Les  Incas  de  la  haute 
vallée  du  Pérou,  paraît-il,  n'avaient  jamais  eu  de  relations 
avec  les  Aztèques  du  Mexique. 

Il  n'y  a  que  deux  manières  de  l'expliquer.  —  Les  centres 
de  créations  différents  où  les  émigrations  d'hommes  parties 
des  anciens  continents. 


104  BULLETIN. 

Examinons  ces  deux  hypollièses. 

Très  célébrée  il  y  a  quelques  trente  ou  cinquante  ans^  la 
théorie  des  races  humaines  autochtones  est  singulièrement 
infirmée  aujourd'hui.  —  Les  travaux  d'Agassiz  conservent 
assurément  une  grande  valeur,  mais  il  faut  reconnaîti'e  que 
la  doctrine' de  la  pluralité  des  races  humaines  n'a  pas  tenu 
devant  les  recherches  plus  récentes  de  M.  de  Nadaillac  et 
surtout  devant  les  ingénieuses  et  patientes  analyses  compa- 
ratives de  M.  de  Quatrefages. 

Pour  admettre  la  théorie  autochtone  en  Amérique,  il  fau- 
drait que  la  race  américaine  fût  une,  et  qu'elle  présentent  un 
même  type  du  Canada  et  de  l'Alaska  aux  Pampas  de  la  Plata 
et  aux  déserts  de  la  Patagonie. 

Or  c'est  justement  le  contraire  qui  a  lieu;  nulle  part 
l'espèce  humaine  ne  manifeste  plus  de  variétés  distinctes. 
Le  naturaliste  d'Orbigny  affirme  qu'à  ses  yeux,  il  y  a  plus  de 
différences  entre  le  Patagon  et  le  Péruvien  qu'entre  un  Grec 
et  un  Éthiopien.  L'anatomiste  Vircjiow  dont  on  ne  suspec- 
tera pas  l'autorité,  établissait  naguère  la  pluraUté  des  races 
du  nouveau  monde;  ses  convictions  ont  été  ébranlées.  Des 
études  plus  approfondies,  des  collections  de  crânes  assemblés 
par  Morton,  ce  partisan  si  résolu  de  la  pluralité,  ont  tourné 
contre  leur  auteur. 

En  définitive  dans  les  deux  Amériques,  dans  des  conditions 
biologiques  et  climalériques  bien  différentes  de  celles  de 
l'ancien  monde,  avec  une  flore  différente,  avec  une  faune 
différente,  l'homme  est  en  fin  de  compte  parfaitement  sem- 
blable à  l'homme  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  par  ses  détails 
anatomiques  et  physiologiques,  par  ses  instincts,  par  son 
intelligence,  par  son  génie  créateur,  perfectible  et  par  ce 
caractère  progressif  qui  le  dislingue  des  autres  races  animales 
d'une  manièi'e  si  éminente. 

On  invoquera  l'exemple  des  animaux.  Il  est  certain  que 
malgré  les  analogies  et  les  types  identiques  signalés  dans  les 
fossiles  quaternaires  dont  nous  parlions  tout  à  l'Iieure,  il 
existe  des  différences  sensibles  entre  les  animaux  de  l'Ancien 
Monde  et  ceux  du  Nouveau,  ditïérences  jusqu'à  présent  irré- 
ductibles pour  la  science.  Mais  pour  le  moment  nous  ne  trai- 
tons que  de  l'homme  et  comme  nous  le  faisions  ressortir  il  y 
a  un  instant,  ces  différences  dans  la  forme  ne  sont  que  pour 


PROCÈS- VERBAUX.  105' 

manifester  avec  plus  d'évidence  l'unité  de  l'espèce  humaine 
et  sa  permanence. 

De  quels  pays  seraient  donc  les  colons  qui  ont  peuplé 
l'Amérique?  Les  émigrants  -n'ont  pu  partir  que  de  l'Asie  ou 
de  l'Afrique.  Les  invasions  des  Asiatiques  par  le  détroit  de 
Behring"  sont  dès  longtemps  connues.  Les  travaux  récents 
de  P.  Petilol  sur  la  langue  des  Esquimaux  ont  confirmé 
bien  des  inductions  antérieures. 

La  Chine  antique  a  connu  l'Amérique.  Les  savants  mo- 
dernes ont  discerné  ces  relations  par  l'élude  des  langues, 
par  celles  des  cosmogonies,  par  les  hiéroglyphes  ins^'its  sur 
les  monuments.  Chez  tous  les  peuples  de  l'Amérique,  le  ca- 
lendrier était  semhlable  et  le  moyen  dont  ces  peuples  se 
servaient  pour  indiquer  le  jour  et  l'année  est  identique  avec 
celui  des  Indous,  des  Thibétains,  des  Chinois  et  des  Japo- 
nais. Mais  comment  ces  Asiatiques  n'avaient-ils  pas  emmenés 
leurs  chevaux  dont  pour  eux  l'importance  était  incalculable 
et  s'ils  l'a-vaient  fait  comment  le  souvenir  du  noble  animal 
s'était-il  si  complètement  effacé  de  l'esprit  de  leurs  descen- 
dants qu'à  la  vue  des  chevaux  débarqués  par  Colomb  et  par 
Certes  ils  furent  frappés  de  terreur? 

Rien  de  plus  facile  à  accepter  que  l'existence  d'un  élément 
polynésien  chez  les  peuples  américains,  mais  si  les  Polyné- 
siens ont  pu  contribuei'^au  peuplement  de  l'Amérique,  leur 
civilisation  si  inférieure  ne  saurait  avoir  été  l'origine  de  celle 
que  les  Espagnols  conquistadores  ont  rencontrée  au  Mexique 
et  au  Pérou,  de  celle  dont  les  ruines  importantes  du  Chiapas 
et  du  Yucatan  proclament  l'éclat. 

Acceptons  l'arrivée  des  Asiatiques  et  celle  des  Polynésiens 
dans  le  Nouveau  Monde,  ne  contestons  pas  l'influence  des 
Asiatiques  sur  le  développement,  les  progrès,  les  concep- 
tions religieuses,  des  nations  les  plus  civilisées  de  l'Améri- 
que; mais  par  la  seule  venue  des  Asiatiques,  nous  ne  pou- 
vons expliquer  une  foule  de  rapports  que. l'on  démontre 
avoir  existé  entre  les  Égyptiens,  les  Phéniciens,  les  Carthagi- 
nois et  les  premiers  Américains. 

Je  voudrais  avoir  le  temps  de  citer  ici  avec  abondance  de 
norabi-eux  fragments  de  l'ouvrage  du  marquis  de  Nadaillac 
sur  l'Amérique  préliistorique  et  sur  la  période  qui  a  précédé 
la  conquête. 


106  BULLETIN. 

Nous  les  verrions  établir,  avec  l'aide  de  M.  de  Charencey, 
des  rapports  entre  la  langue  des  anciens  Basques  et  les  di- 
vers idiomes  américains,  à  commencer  par  ceux  du  Canada. 
Des  ressemblances  entre  les  noms  de  personnes  et  de  lieux 
aux  Canaries  et  à  Haïti  ne  sauraient  être  absolument  fortui- 
tes. Les  légendes  qui  concernent  Bouddha,  Odin  ou  Yatan 
présentent  des  analogies.  Ressemblances  constatées  dans 
les  usages  funéraires.  La  coutume  de  momifier  les  cadavres 
se  trouve  au  Mexique  et  au  Pérou  comme  en  Egypte  et  aux 
Canaries. 

Partout  Ton  voit  dans  ces  contrées,  déposées  auprès  du 
mort,  ses  armes  de  combat  avec  des  vivres  pour  l'aider  dans 
son  passage  à  la  vie  nouvelle  que  ces  hommes  si  divers  d'ori- 
gine attendent  avec  la  même  confiance. 

Dans  la  bouche  des  momies  des  cimetières  des  Incas  au 
Pérou  on  voit  la  même  pièce  de  métal  que  les  Égyptiens 
plaçaient  sur  la  langue  de  leurs  défunts. 

Des  fouilles  dans  le  New-Jersey  ont  révélé  un  marteau  en 
pierre  portant  le  Stcartika  ;  commenl  ce  signe  mystérieux  des 
Aryas  se  trouve-t-il  aux  États-Unis?  Plusieurs  anciens  monu- 
ments de  r Amérique  portent  des  trompes  d'éléphants;  où 
ces  hommes  avaient-ils  connu  l'éléphant  qui,  depuis  l'époque 
quaternaire,  n'avait  pas  vécu  sur  le  continent  américain? 

Il  est  évident  que  ni  les  Égyptiens,  ni  les  Ibères,  ni  les 
Guanches,  n'ont  traversé  tout  le  confinent  asiatique  pour  ga- 
gner le  détroit  de  Behring  et  passer  de  là  dans  l'Amérique. 
Il  faut  donc  qu'une  autre  roule  ait  été  possible,  nous  ne 
voyons  que  rAtlanlide  qui  puisse  justifier  cette  hypothèse  et 
ce  seraient  les  Atlantes  qui  auraient  été  les  premiers  occu- 
pants du  sol  américain. 

Les  Atlantes  ont  fourni  des  rejetons  nombreux.  Ce  que 
les  Ibères  et  les  Étrusques  ont  accompli  en  Europe,  d'au- 
tres rameaux  de  cette  race  féconde  ont  pu  le  faire  dans  le 
Nouveau  Monde.  Ni  les  uns  ni  les  autres  ne  connaissaient  les 
animaux  domestiques.  Les  Aryas,  leurs  successeurs  et  peut- 
être  leurs  vainqueurs,  les  ont  amenés  en  Europe  du  fond  de 
l'Asie.  Ces  animaux  sont  restés  inconnus  en  Amérique,  où 
les  peuples  issus  des  Atlantes  ont  élé  plus  lentement  et 
moins  profondément  modifiés  par  le  contact  de  la  civilisalion 
aryenne. 


PKOCÈS-VERBAUX.  107 

En  résumé  les  oscillations  du  globe  permettent  d'accepter 
l'hypothèse  d'un  continent  disparu.  Les  faits  géologiques  et 
zoologiques  l'autorisent.  Les  traditions  historiques  de  peu- 
ples nombreux  la  révèlent  et  il  n'est  guère  possible  d'expli- 
quer autrement,  avec  tous  les  indices  que  la  science  a  re- 
cueillis, le  peuplement  de  l'Amérique. 

Nous  devons  reconnaître  cependant  que  l'existence  de 
l'Atlantide  n'est  encore  que  probable.  Les  découvertes  ulté- 
rieures de  la  science  permettront  peut-être  de  pénétrer  des 
secrets  gardés  encore.  Nos  descendants  verront-ils  l'Atlantide, 
par  un  relèvement  semblable  à  son  affaissement,  reparaître  à 
la  lumière  pour  justifier  les  pressentiments  de  leurs  ancêtres? 

En  donnant  pour  quelques  instants  le  droit  à  l'existence  à 
l'île  mystérieuse,  nous  avons  usé  de  l'hypothèse  comme  pro- 
cédé scientifique,  tout  en  nous  défendant  de  solutions  aliso- 
laes,  que  l'état  actuel  de  la  science  ne  permet  à  personne. 
Nous  osons  croire  que  l'hypothèse  de  l'Atlantide,  en  éclairant 
d'une  manière  particulière  certaines  calégorJes  de  faits, 
permet  de  leur  donner  une  interprétation  plus  raisonnable 
et  plus  féconde  en  résultats. 

J'avoue  cependant  qu'en  préparant  cette  étude,  il  est  un 
préjugé  de  mon  intelligence  que  je  n'ai  pas  fait  taire  en  moi. 
Je  veux  parler  de  mon  adhésion  très  résolue  à  la  doctrine 
de  l'unité  de  l'espèce  humaine.  C'est  de  ma  part  une  question 
de  dignité.  Je  ne  renoncerais  pas  aisément  à  la  place  préémi- 
nente si  visiblement  attribuée  à  l'homme  au  milieu  des  mil- 
liers d'êtres  qui  peuplent  noire  planète.  Je  nesuispas  davan- 
tage disposé  à  décliner  la  part  de  responsabilité  qui  résulte 
pour  lui  de  cette  position  privilégiée. 

Dans  le  cours  de  cette  dissertation  il  devait  se  produire  un 
conflit  entre  quelques  vérités  affirmées  et  un  plus  grnnd 
nombre  de  points  demeurés  ofjscurs.  Le  conflit  était  inévita- 
ble, c'est  le  propre  de  la  science  de  ne  jamais  marcher  autre- 
ment, mais  j'ose  croire  qu'en  dernière  analyse  la  doctrine 
de  l'unité  de  la  race  liumaine  en  sort  intacte  et  fortifiée. 


M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont  estime  qu'il  n'est  pas  facile 
de  se  former  une  opinion  exacte  sur  les  continents  disparus, 
soit  dans  le  Pacifi(]iie,  soit  dans  l'Atlantique.  Les  eaux  et  les 
courants  marins  peuvent  avoir  amené  de  trèsgrands  change- 


108  BULLETIN. 

menls  dans  la  configuration  soil  ilii  fond  des  océans,  soil  des 
îles  (|ui  émergent  dii  sein  des  flots,  soit  des  continents  encore 
existants.  Mais  les  changements  peuvent  provenir  d'oscilla- 
tions, ou  de  mouvements  d'eau  très  considéi'ahles  dus  aux 
marées  ou  à  la  rotation  de  la  terre.  —  Quant  à  la  ques- 
tion ethnographique,  sans  doute  les  légendes  qui  s'y  rappor- 
tent sont  intéressantes;  cependant  c'est  par  le  nord  que,  de 
bonne  heure,  les  Occidentaux  sont  arrivés  en  Amérique. 
M.  de  Beaumont  croit  se  rappeler  que  la  question  a  été  tr-ai- 
tée  au  Congrès  des  Amér-icanistes  à  Madrid.  Quoi  qu'il  en 
soil,  il  remercie  M.  Dufresne  de  l'avoir  posée. 

M.  Alexandre  Lomijard  rappelle  les  communications  qu'il 
a  faites  à  la  Société  sur  les  relations  anciennes  qui  ont  existé 
entre  l'ancien  continent  et  le  Nouveau  Monde  par  l'Atlantide 
dont  les  Açores  seraient  un  des  restes. 

M.  le  professeur  Chaix  reconnaît  la  difficulté  de  trouver 
une  liaison  géographique  avec  une  tradition  poétique.  Les 
travaux  des  Jésuites  sur  la  question  du  peuplement  du  conti- 
nent américain  n'ont  pas  fait  faire  un  pas  vers  la  solution  du 
problème  posé  depuis  Colomb.  Une  tradition  du  moyen  âge 
avait  poussé  celui-ci  vers  un  pays  où  devaient  se  trouver  de 
brillantes  cités.  Les  cartes  espagnoles  de  l'Amérique  du  Sud 
font  mention  d'un  saint  irlandais,  Brandon,  parti  à  la  recher- 
che de  peuples  nouveaux.  Et,  dans  la  correspondance  de 
Colomb  avec  un  savant  milanais,  Angliiera,  chargé  parla  reine 
Isabelle  de  l'éducation  de  Don  Juan,  on  trouve  une  lettre  dans 
laquelle  cet  ami,  apprenant  la  découverte  de  Haïti,  est  per- 
suadé qu'il  s'agit  de  l'île  d'Anlila,  mentionnée  dans  les  tradi- 
tions du  moyen  âge.  —  Quant  à  l'hypothèse  de  l'unité  de  la 
race  humaine,  tous  les  faits  découverts  depuis  trente  ans 
sont  venus  la  corroborer. 

M.  Emile  Chaix  a  bien  voulu  examiner  la  carte  de  Chine, 
en  russe,  envoyée  par  M.  Venukof.  La  consultation  en  est 
difficile,  vu  la  différence  dans  la  prononciation  des  noms 
russes  et  allemands.  Dans  certaines  finales  le  g  disparaît, 
dans  le  corps  de  certains  noms  le  k  est  remplacé  par  un  :;, 
ou  bien  le  ho  final  devient  hé.  La  carte  contient  une  quantité 
de  noms,  beaucoup  de  détails  et  l'indication  des  stations 
pour  caravanes. 

Le  Président  fait  part  à  la  Société  de  la  présence  à  la  séance 


PROCÈS-VERBAUX.  109 

de  M.  ProsI,  revenu  de  longs  voyages,  et  de  l'espoir  de  l'en- 
tendre prochainement  faire  une  communication  sur  la  cara- 
vane de  La  Mecque. 

M.  Moynier  remet  à  la  Société  un  exemplaire  du  tirage  à 
part  qu'il  a  fait  faire  des  articles  sur  la  Conférence  africaine 
parus  dans  les  numéi'os  l,  3  el  4  de  V Afrique  explorée  et 
civilisée,  avec  une  carte  de  M.  le  professeur  Rosier.  —  Puis 
il  présente  une  carte  à  très  grande  échelle  de  la  partie  de  la 
Côte  d'Or  comprise  entre  le  Prah  et  le  Volta,  publiée  par  la 
Société  des  missions  de  Bcàle.  Des  cartons,  à  plus  petite 
échelle,  donnent  le  continent  africain,  la  côle  de  Guinée,  et 
le  cours  du  Volta  jusqu'à  Salaga. 


SÉANCE  DU  24  AVRIL  1885. 
Présidence   de  M.  le  D""  Dufresne. 

Le  Président  communique  une  lettre  de  M.  le  professeur 
Chaix  relative  à  la  mort  du  général  baron  de  Sonklar: 

Le  major  général  Karl  de  Sonklar  est  mort  à  Innsbruck, 
le  10  janvier  passé  dans  sa  69*  année.  Né  à  Weisskirch,  dans  le 
Banat  de  Temesvar,  élevé  à  l'école  militaire,  il  entra  en  1839 
dans  l'armée  autrichienne.  Il  montra  d'abord  ses  aptitudes 
littéraires  dans  quelques  brochures  sur  des  sujets  militaires. 
En  1845,  son  régiment  fut  transféré  de  Gratz  à  Innsbruck, 
séjour  qui  le  mit  aux  prises  avec  la  nature  alpestre.  Le  comte 
Coronini,  en  prenant  le  commandement  du  régiment,  fut 
bientôt  si  frappé  des  aptitudes  du  jeune  lieutenant,  qu'il  ob- 
tint de  l'empereur  dont  il  avait  éié  le  gouverneur,  que  l'in- 
struction de  l'archiduc  Ludwig  Victor  fût  en  partie  confiée  à 
Sonklar,  qui  conserva  ce  poste  de  1848  à  1857.  Il  devint 
alors,  et  pour  de  longues  années,  professeur  de  géographie 
à  l'école  militaire  de  Vienne  (Neustadt).  Il  y  cultiva  en  lil)erté 
sa  passion  pour  la  topographie,  passant  ses  vacances  dans  les 
Alpes  du  Tyrol  où  son  nom  était  populaire  pour  l'excellence 
et  pour  le  nombre  des  caries  qu'il  produisit. 

On  lui  dut,  ainsi  qu'à  Payer,  des  notions  exactes  sur  les 
glaciers  de  celle  région,  sur  la  position  des  neiges  éternelles, 
sur  tous  les  accidents  lopogiaphiques  des  cols,  sui-  l'hypso- 
mélrie.  En  1855,  Sonklar  ouvrit  la  série  de  ses  publications 


1 10  BULLETIN. 

sur  les  Alpes  autrichiennes  par  une  description  du  Gross 
Glockner.  En  1861,  suivit  une  carte  et  une  description  des 
glaciers  (Ferner)  de  l'Oetztlial,  en  18f36  une  description  de  la 
chaîne  des  Tauern  et,  en  1872,  une  description  des  glaciers 
du  Zillerthal.  Ne  se  hornantpas  à  des  monographies  Sonklar 
a  favorisé  renseignement  de  la  géographie  par  la  publication 
de  livres  employés  dans  toutes  les  écoles  sur  l'orographie. 
En  1879,  le  club  alpin  allemand  publia  un  volume  de  lui  sur 
les  observations  scientifiques  liées  aux  voyages  alpestres,  sur 
l'hydrographie,  l'orographie  et  l'action  glaciaire  des  Alpes. 

Puis  M.  Dufresne  fait  ressortir,  à  l'occasion  de  l'exploration 
de  Victor  Giraud,  le  fait  que  son  étude  principale  a  porté  sur 
la  région  comprise  entre  les  quatre  lacs  Nyassa,  Tanganyika, 
Bangouéolo  et  Moero. 

Une  nouvelle  éruption  volcanique  est  signalée  dans  l'île 
de  Java,  où  les  plantations  de  café  ont  beaucoup  soufîert; 
l'on  craint  que  le  nombre  des  victimes  ne  soit  considérable. 

Sur  la  ligne  des  chemins  de  fer  du  Canada  au  Pacifique, 
les  travaux  ont  été  i-epris  en  avril  188i,  à  2,000  mètres  dans 
les  Montagnes  Rocheuses,  et  ont  été  continués  sur  le  versant 
occidental  jusqu'à  la  rivière  Colombia.  Le  travail  a  été  très 
actif  de  Winnipeg  à  Port  Arthur  qui  se  trouve  au  centre  du 
continent,  à  égale  distance  de  l'est  et  de  l'ouest,  de  la  mer 
Glaciale  et  du  golfe  du  Mexique.  Dans  quelques  mois  on  ira 
de  Montréal  à  Winnipeg.  Le  point  d'arrivée  sur  le  Pacifique, 
vis-à-vis  de  Vancouver,  voit  déjà  des  édifices  s'élever,  des 
rues  se  dessiner  ;  la  ville  qui  se  crée  là  acquerra  une  grande 
importance,  par  le  vaste  gisement  houiller  qui  s'y  trouve,  et 
oùvient  s'approvisionner  San  Francisco  qui  n'a  rien  de  pareil. 

La  Société  de  géographie  de  Québec  a  dirigé  une  expé- 
dition vers  le  nord  du  Dominion,  et  fait  explorer  la  baie 
d'Hudson,  au  point  de  vue  du  mouvement  des  glaces  dans 
celte  mer  intérieure.  Une  autre  expédition  qui  durera  de 
quatre-vingts  à  cent  jours  doit  se  rendre  à  la  terre  de  Ru- 
pert  pour  en  étudier  les  montagnes. 

Depuis  187o,  chaque  année,  le  Danemark  envoie  dans  les 
régions  polaires  une  expédition.  Celle  de  1883  a  pour  mis- 
sion d'étudier,  au  Groenland,  les  terres  que  la  glace  n'occupe 
pas.  L'expédition  de  1883  qui  devait  explorer  la  côte,  va 
revenir  après  deux  ans  et  demi  d'absence. 


PROCÈS-VERBAUX.  111 

Les  États-Unis  portent  surtout  leur  attention  sur  l'Alaska. 

Dans  une  lettre  datée  de  Sydney  du  24  juin  1885,  le 
D'  Ledenfeld  donne  le  récit  d'une  ascension  du  pic  qui  pas- 
sait jusqu'ici  pour  le  plus  haut  des  Alpes  australiennes,  le 
Kosciusko  (7171  pieds),  et  annonce  qu'il  en  a  découvert  un 
plus  élevé  le  mont  Clarke  (7256  pieds).  Il  a  trouvé  la  limite 
de  la  végétation  arborescente  à  5900  pieds,  tandis  que  la 
limite  des  neiges  permanentes  est  à  6500  pieds. 

Le  Président  communique  encore  une  lettre  de  M.  Gus- 
tave Le  Bon  sur  le  Népaul,  publiée  par  la  Gazette  géogra- 
phique. 

Il  annonce  que  M.  Prost,  dont  une  communication  sur  la 
caravane  de  La  Mecque  était  à  l'ordre  du  jour,  est  empêché 
par  la  maladie  de  venir  la  faire. 

La  parole  est  donnée  à  M.  le  professeur  Chaix  qui  désire 
entretenir  la  Société  de  la  question  à  l'ordre  du  jour  : 

Les  Frontières  de  l'Afghanistan, 

L'année  dernière  M.  Chaix  a  parlé  des  frontières  de  la 
Perse  d'après  les  voyageurs  anglais.  Aujourd'hui  il  restrein- 
dra le  sujet  pour  pouvoir  le  traiter  plus  à  fond. 

La  Perse  ou  l'Iran  a  une  superficie  égale  à  cinq  fois  celle 
de  la  France;  c'est  un  corps  compact,  dont  la  frontière  est 
bien  définie;  d'un  côté,  la  mer;  d'un  autre,  des  chaînes  de 
montagnes  en  nombre  triple  et  quadruple,  et  formant  une 
forteresse  en  apparence  inexpugnable.  Mais  la  monarchie 
perse  n'a  existé,  à  proprement  parler,  qu'à  certains  mo- 
ments sur  la  totalité  de  ce  territoire. 

Au  centre  de  la  masse  du  plateau  se  trouvent  des  déserts 
couverts  d'une  couche  salée,  qui  sont  une  cause  d'isolement, 
d'où  il  résulte  que  la  Perse  est  scindée,  et  que  Hérat  et  Ispa- 
han  ont  deux  souverains  distincts;  l'est  du  plateau  appartient 
aux  Afghans  et  aux  populations  du  Beloudchistan,  l'ouest 
au  shah  de  Perse. 

La  frontière  septentrionale  entre  l'Afghanistan  et  le  Tur- 
kestan,  est  formée,  d'une  manière  générale,  par  des  monta- 
gnes dont  la  hauteur  varie,  de  l'est  à  l'ouest  jusqu'à  la  mer 
Caspienne.  Au  centre  se  trouve  Hérat,  à  l'ouest  de  laquelle 
la  limite  forme   une   courbe  convexe,  tandis  qu'à  Test  la 


112  BULLETIN. 

ligne  fronlière  forme  une  courbe  concave.  D'après  la  carie 
dressée  par  M.  Chaix,  certaines  parties  sont  encore  inexplo- 
rées. 

Dans  riiistoire  ancienne,  le  Khorassan  portait  le  nom  de 
Parlhie;  celle  contrée  est  montagneuse,  couverte  d'épaisses 
forêts.  Des  monls  Paropamisus  descendaient  les  rivières  qui 
donnèrent  leur  nom  aux  provinces  de  l'Ariane  et  de  la  Mar- 
giane.  Strabon  signale  les  Masdorani  entre  la  Margiane  et  la 
Parthie,  et  au.jourd'bui  on  en  retrouve  la  trace  dans  le  fort 
persan  de  Masdoran,  Le  Heri-Roud,  rivière  de  Hérat,  est 
l'ancien  Arius;  le  Mourgab  actuel  est  le  Margus  des  anciens, 
il  perd  ses  eaux  dans  le  désert  après  avoir  fertilisé  l'oasis  de 
Merw.  Antiochus  bâtit  l'Antiochia  Margiana,  décrite  par 
Strabon  comme  admirable,  c'était  un  vrai  paradis,  de  23 
lieues  de  tour. 

Du  côté  de  l'est,  la  ligne  de  défense  est  formée  par  six 
chaînes  de  montagnes  d'une  altitude  de  plus  de  10,000  pieds, 
avec  des  cols  de  3800  à  4000  pieds,  et  des  villes  à  une  hau- 
teur de  3200  à  3300  pieds;  l'élévation  moyenne  du  plateau 
est  de  4000  pieds.  Dans  le  Kafiristan,  les  montagnes  sont 
inaccessibles  (de  14,000  à  17,000  pieds).  Une  armée  d'inva- 
sion pénétrant  par  l'est  mettrait  un  temps  considérable 
pour  atteindre  le  plateau.  Timour,  parti  de  Balk,  avec  une 
armée  énorme,  mit  cinq  mois  jusqu'au  bord  de  l'Indus;  il 
fallut  un  temps  aussi  long  à  Nadir. 

De  Kaboul  à  Hérat  on  compte  huit  cols  accessibles,  mais 
pas  très  faciles,  dont  plusieurs  ont  été  franchis  par  Gengiskan 
et  Timour.  Les  cols  à  l'ouest  de  Hérat  sont  plus  accessibles, 
toutefois  c'est  par  Hérat  que  le  Turkestan  peut  être  envahi. 
—  Au  moyen  âge,  Aboul  Feda  rédigea  les  annales  des  expé- 
ditions des  différents  souverains  de  cette  région;  d'après  lui, 
les  Gasnévides,  dans  leurs  luttes  contre  les  Turcs  Seldjou- 
cides  au  delà  de  l'Oxus,  infligèrent  sans  succès  des  massacres 
épouvantables  aux  envahisseurs. 

L'état  des  x\fghans  doit  son  origine  à  un  épisode  de  l'in- 
vasion de  Nadir  en  Inde;  Delhi  fut  pillée,  son  trésor  emmené 
à  Khiva  où  Nadir  fui  assassiné  en  1747.  Le  général  de  la  ca- 
valerie, Achmed,  s'empara  de  la  caisse;  maître  de  l'ai'gent,  il 
le  fut  bientôt  des  soldats,  et  se  retira  à  Kandahar  et  devint  le 
fondateur  de  la  monarchie  de  l'Afghanistan.  En  1807,  la 


PROCÈS-VERBAUX.  113 

dynastie  déchue  tomba  dans  la  dépendance  des  Anglais;  le 
pouvoir  des  Afghans  s'étendait  au  sud,  sur  le  Beloudchistan, 
et  au  nord,  jusqu'à  l'Oxus,  sur  un  territoire  habité  par  des 
races  toutes  difTérentes. 

Quant  aux  relations  de  la  Russie  avec  l'Afghanistan,  elles 
sont  commerciales,  militaires  et  diplomatiques.  Le  commerce 
se  fait  par  caravanes  de  Samarkand,  et  Taschkend  à  Oren- 
bourg;  il  est  très  important,  et  la  Russie  en  favorise  de 
toutes  manières  le  développement.  Les  rapports  diplomati- 
ques remontent  à  l'année  1832  où  le  baron  de  Meyendorf 
fut  envoyé  à  Bokhara,  comme  premier  ambassadeur  chargé 
de  négocier  un  mode  de  vivre  entre  les  deux  peuples.  Enfin, 
quant  aux  relations  militaires,  déjà  en  1715,  sous  Pierre-le- 
Grand,  une  expédition  fut  conduite  par  un  chef  circassien  à 
l'est  de  la  mer  Caspienne,  mais  elle  fut  massacrée  avant 
d'arriver  à  Khiva.  Un  siècle  plus  tard,  le  gouverneur  d'Oren- 
bourg,  général  MouraviefT  fit  une  tentative  centre  celte  loca- 
lité, marché  d'esclaves  persans  enlevés  au  Khorassan  et 
russes  pris  dans  le  bassin  de  la  mer  Caspienne.  Un  hiver 
rigoureux  causa  la  perte  de  l'armée  russe.  Dès  lors,  la  Russie 
a  étendu  sa  conquête  du  lac  Aral  jusqu'à  Merw. 

Le  territoire  au  sud  de  Pendjdé  a  été  enlevé  par  les 
Afghans  à  un  peuple  de  race  persane,  c'est  un  pays  de 
plaine,  et  non  point  une  contrée  importante  au  point  de  vue 
mihtaire.  Les  positions  militaires  sont  au  sud,  aux  mains  des 
Afghans.  L'Angleterre  veut,  dit-elle,  arrêtei"  l'approche  des 
Russes,  sauver  l'Inde  du  danger  qui  la  menace!  C'est  une 
visée  qui,  portée  sur  la  frontière  entre  la  Bactriane  et  l'Af- 
ghanistan, est  d'une  grande  difficulté  militaire,  et  qui  peut 
conduire  à  des  catastrophes.  En  1838,  sous  Dost  Mohamed, 
favorable  d'ailleurs  aux  Anglais,  une  armée  s'empara  de 
Ghasna  et  de  Caboul.  Dost  Mohamed  fut  emmené  prisonnier 
aux  Indes;  sous  son  successeur,  le  shah  Soudja,  d'un  carac- 
tère faible,  et  jouet  des  Anglais,  les  Afghans  se  soulevè- 
rent, Alexandre  Bruce  fut  massacré  à  Caboul;  dans  la  retraite 
conduite  par  des  chefs  incapables,  tous  les  Anglais  périrent  à 
l'exception  d'un  seul.  Cliir  Ali  fui  traité  par  les  Anglais 
comme  l'avait  été  Dost  Mohamed.  M.  Chaix  estime  que  l'idée 
de  se  servir  de  la  faiblesse  d'un  chef  afghan  est  malheu- 

LE    GLOBE,   T.    XXIV,    1885.  8 


114  UULLETIN. 

reuse,  et  qu'en  général  il  vaut  mieux  ne  pas  aller  chez  les 
gens  les  défendre  malgré  enx.  Les  Afghans  sont  assez  forts 
pour  se  défendre  contre  les  Russes  et  contre  les  Anglais. 

A  quoi  ne  serait  pas  exposée  une  armée  pour  traverser  ce 
pays,  plaine  à  perte  de  vue  sans  une  goutte  d'eau;  ce  n'est 
qu'à  200  ou  1300  pieds  au-dessous  de  la  surface  du  sol  qu'on 
en  rencontre.  Si,  dans  la  guerre  d'Espagne  si  fatale  à  Napo- 
léon, des  officiers  anglais  ont  pu  trouver  un  hon  accueil  au 
milieu  même  des  districts  où  sévissait  la  guerre  de  guérillas, 
en  Afghanistan,  on  ne  trouvera  que  des  gens  fanatiques  et 
prêts  à  tuer  Anglais  aussi  bien  que  Russes  parce  qu'ils  détes- 
tent les  chrétiens.  (Applaudissements). 

M.  Dragomanof  ajoute  à  l'exposé  de  M.  le  professeur 
Chaix  que  le  premier  mouvement  d'expansion  de  l'influence 
russe  vers  le  Turkestan,  ne  provint  pas  de  l'État,  mais  de  la 
colonisation  et  d'expéditions  spontanées  d'émigrants  russes. 
L'État  chet'cha  à  empêcher  l'établissement  de  colonies  dans 
ces  terres  lointaines,  mais  il  fut  impuissant,  et  un  jour,  un 
général  fut  très  surpris  de  trouver  sur  un  plateau,  un  village 
russe,  de  paysans  grands-russiens  qui  lui  dirent  :  nous  som- 
mes ici  depuis  longtemps,  nous  nous  gouvernons  nous- 
mêmes,  et  nous  payons  l'impôt  au  sultan  turc  qui  nous  a 
permis  de  nous  installer  ici.  Ils  avaient  cherché  un  pays  où  il 
y  eût  plus  de  terre  et  moins  d'autorités. 

M.  Emile  Chaix  fait  ensuite  un  compte  rendu  d'articles 
publiés  dans  les  derniers  numéros  du  Bulletin  de  la  Société 
de  géographie  de  Saint-Pétersbourg,  sur  l'exploration  de 
Lessar  entre  le  Mourgab  et  le  Heri-Roud.  Les  cartes  anglaises 
indiquent  là  des  montagnes  beaucoup  plus  hautes  que  Lessar 
ne  les  a  trouvées.  D'après  lui,  le  pays  n'est  pas  afghan,  mais 
tu'rcoman.  La  chaîne  de  montagnes  ne  dépasse  pas  de  4  à 
5000  pieds  au-dessus  de  la  mer;  elle  a  un  grand  nombre  de 
passages  faciles  du  col  Ardévan  au  Karouan  Achan,  la  pente 
n'est  que  de  2  7o)  et  la  route  est  carrossable.  Plus  au  nord, 
une  autre  chaîne,  l'Elbirin-Kyr,  est  d'un  accès  si  facile  que 
le  voyageur  y  a  fait  30  kilom.  en  un  jour. 

L'Elbirin-Kyr  forme  une  ligne  de  démarcation  pour  le 
climat  et  la  végétation.  Au  nord,  il  y  a  de  l'herbe  et  des 
broussailles;  au  sud,  seulement  la  grande  herbe  des  steppes. 
Au  nord,  les  pâturages  peuvent  nourrir  les  bêtes  de  somme 


C0ERE8P0NDAXCE.  115 

d'une  armée  en  passage.  Entre  Pende,  Serakhs  et  Merw,  la 
carte  Lessar  indique  un  désert  sablonneux;  toutefois,  ce  n'est 
pas  un  désert  comme  le  Sahara  ;  le  sable  mélangé  d'argile 
est  ferme  et  couvert  de  broussailles.  Le  bord  des  rivières  est 
un  peu  cultivé;  on  y  trouve  des  traces  de  civilisation  ancienne 
plus  avancée  que  l'état  de  choses  actuel;  aussi  le  pays  n'est-il 
pas  difficile  à  traverser;  les  rivières  ont  de  Teau;  ailleurs, 
des  puits  permettent  d'en  lencontrer  à  10  ou  lo  mètres, 
et  en  conservent  toute  l'année  à  une  profondeur  de  4  mètres. 
Quant  à  la  population  elle  se  compose  de  deux  tribus  turco- 
manes,  les  Sariks  et  les  Salors,  l'une  riche  vivant  de  brigan- 
dage, l'autre,  pauvre. 

L^ccupation  de  Merw  a  été  réclamée  par  les  habitants 
eux-mêmes.  A  l'arrivée  de  Lessar  à  Pende,  le  notable  qui 
le  i-eçut  chez  lui,  et  qui  se  plaignait  beaucoup  des  briganda- 
ges des  Afghans,  fut  stupéfait  de  l'indifférence  témoignée 
par  le  voyageur;  habitués  à  être  recherchées  anciennement 
par  les  souverains  voisins,  ces  populations  s'étonnent  qu'on 
ne  les  prévienne  pas;  les  gens  qui  ont  quelque  chose  à 
perdre,  désirent  qu'il  y  ait  moins  de  brigandage,  et  qu'on 
puisse  faire  du  commerce.  Dès  que  les  Russes  occupèrent 
Merw  et  Tol-Otan  on  vit  apparaître  sur  les  routes  les  cara- 
vanes commerciales,  et  dans  les  pâturages  les  troupeaux  de 
bétail,  grâce  à  la  sécurité  que  la  présence  des  Russes  inspire 
aux  habitants. 

Le  Président  exprime  à  MM.  Chaix  les  remerciements  de 
la  Société,  et  déclarant  close  la  session  de  1884-1885,  il 
donne  rendez-vous  aux  membres  de  la  Société  à  la  reprise 
des  séances  le  second  vendredi  de  novembre. 


CORRESPO^NDANCE 

Monsieur  H.  Bouthillier  de  Beau-mont, 

Président  de  la  Société  de  Géographie  de  Genève. 

Cher  Monsieur, 
Vous  n'attendez  pas  que  je  vous  raconte  les  événements 
qui  serviront   bientôt  à  faire   l'histoire  du  Transvaal.   Le 


116  CORRESPONDANCE . 

moindre  essai  clans  ce  genre  serait  frappé  d'insuccès;  car 
ici,  sous  le  23«  parallèle  sud,  nous  vivons  très  loin  de  la  civi- 
lisation, et  la  barbarie  qui  sert  de  milieu  à  noire  existence 
actuelle,  nous  met  bien  en  retard  de  vous,  même  quand  aux 
nouvelles  de  nos  proches  voisins.  Par  le  télégraphe  en  effet, 
vous  êtes  plus  près  que  nous  de  Pretoria,  notre  capitale. 

Pour  venir  dans  les  Spelonken,  le  district  le  plus  septen- 
trional du  Transvaal,  nous  avons  dû,  mes  compagnons  de 
route  et  moi,  suivre  la  voie  qui  est  encore  la  plus  praticable 
aujourd'hui;  c'est-à-dire  que,  partis  de  l'Angleterre  sur  un 
navire  qui  toucha  Lisbonne  et  Le  Cap,  puis  vint  nous  débar- 
quer à  Durban  (Port-Natal),  nous  remontâmes  la  Natalie  avec 
les  chariots  à  bœufs,  et  traversâmes  tout  le  Transvaal,  en 
passant  par  Pretoria.  C'est  un  trajet  immense;  aussi  notre 
voyage  entier,  de  la  Suisse  aux  Spelonken,  nous  a-t-il  pris 
quatre  mois.  Nous  soupirons  après  le  moment  où  une  voie 
de  communication  sera  ouverte  par  Lorenzo-Marquès,  le 
port  de  mer  le  plus  rapproché  de  nous. 

La  physionomie  du  Transvaal  a,  dans  un  sens,  beaucoup 
changé,  durant  les  quatre  ans  démon  absence.  En  avril  1880, 
le  pays  était  en  bonne  voie  de  progrès;  l'agriculture  et  le 
commerce  prenaient  un  nouvel  essor;  l'immigration  euro- 
péenne augmentait  rapidement;  l'argent,  circulant  avec  plus 
d'abondance,  facilitait  d'autant  les  transactions;  et  tous  les 
colons  voyaient  l'avenir  sous  de-  couleurs  réjouissantes.  On 
commençait  à  mettre  en  application  une  loi  nouvelle  sur  les 
écoles,  laquelle  promettait  de  porter  une  instruction  élémen- 
taire, mais  solide,  jusque  dans  les  fermes  les  plus  reculées. 
Tout  cela  était  dû  au  régime  nouveau  d'alors^  le  régime  bri- 
tannique, qui,  malgré  des  fautes  de  divers  genres,  faisait  un 
bien  incontestable,  dont  le  pays  avait  un  besoin  ui-gent. 

Maintenant,  hélas  !  tout  cela  a  disparu,  et  le  Transvaal  est 
retombé  dans  son  ancienne  barbarie,  depuis  que  l'Angleterre 
l'a  rétrocédé  au  gouvernement  des  Bœrs.  En  Europe,  on  se 
fait  des  illusions  généreuses  à  l'égard  de  ceux-ci;  mais  les 
personnes  qui  visitent  le  Transvaal  sont  promptement  désen- 
chantées. Témoin  le  vénérable  directeur  de  la  Société  des 
Mi.-sions  de  Berlin,  que  j'ai  eu  dernièrement  l'avantage  de 
recevoir  à  ma  table.  Il  avait  eu  à  Berlin,  il  y  a  peu  de  mois, 
la  visite  du  président  de  la  république,  et  avait  été  réjoui  de 


CORRESPONDANCE.  117 

ses  dispositions  charitables.  Passant  à  Pretoria  il  y  a  quatre 
ou  cinq  semaines,  il  rendit  à  notre  magistrat  sa  visite  d'Eu- 
rope; mais  ce  fut  pour  être  désappointé,  en  constatant  la 
différence  que  le  retour  en  Afrique  avait  produite  dan?  l'atti- 
tude du  président. 

Un  autre  symptôme  fâcheux,  c'est  que  nous  voici  plus  loin 
que  jamais  de  voir  un  chemin  de  fer  unir  le  Transvaal  à  un 
port  de  mer.  En  effet,  on  n'a  pas  pu  mettre  à  flot  l'emprunt 
que  le  président  était  allé  émettre  en  Europe  en  vue  de  la 
construction  d'une  voie  ferrée  du  côté  de  la  Baie  Delagoa; 
et  le  comité  d'initiative  vient  de  se  dissoudre  en  Hollande. 
Les  Hollandais  et  les  Anglais  connaissent  trop  bien  le  genre 
de  notre  administration  pour  y  mettre  leur  confiance.  Nous 
payons  encore  un  fort  impôt  pour  servir  aux  Hollandais  les 
intérêts  de  l'emprunt  fait  en  1875,  dont  l'argent  a  été  entière- 
ment dilapidé.  Et  maintenant  le  pays  s'endette,  parce  que  le 
gouvernement  est  incapable  d'obtenir  le  payement  régulier 
des  impôts.  Il  est  vrai  que  rien  n'est  plus  difficile  à  gouverner 
que  les  Boers  du  Transvaal.  Le  Boer  n'aime  pas  la  loi,  a  en 
hoi-reur  de  payer  les  impôts,  et  montre  les  dents  si  on  les  lui 
réclame.  Les  employés  nommés  par  lui  n'osent  pas  le  mo- 
lester. Quelques  chiffres  vous  rendront  la  chose  évidente,  en 
comparant,  d'après  les  documents  officiels,  le  budget  des  re- 
cettes pour  {883  et  les  receltes  réalisées  dans  la  même  année. 

1883.  Budget.  Réalisé. 

Impôt  foncier  courant. . .  Liv.  st.    15,038  Liv.  st.  5,381 

Id.          arriéré...  .  38,09  i  .  0,358 

Railway-tax,  courant »  14,460  »  5,285 

Id.         arriéré....  .  28,197  »  5,928 

Droits  d'entrée .  40,000  .  3(3,039 

Droits  de  mutation »  30,000  »  20,011 

Impôt  sur  les  nègres .  75,000  »  25,671 

Liv.  st.  240,789    Liv.  st.  104,673 

Il  y  a  dans  ces^chiffres  officiels  un  manque  d'équilibre  fort 
grave,  qu'aucun  peuple  en  Euiope  ne  saurait  supporter.  Le 
budget  comptait  sur  une  recette  de  240  mille  livres  stei'ling 
(sans  parler  des  sources  moins  importantes  de  revenu)  ;  et 
le  gouvernement  n'a  pu  obtenir  que  les  deux  cinquièmes  de 


118  CORRESPONDANCE. 

celle  soiiime,  déjà  insuffisante  en  elle-même  pour  couvrir  les 
frais  de  TÉlal.  D'où  vienl  donc  cel  énorme  déficil  ? 

Les  coramerçanls  et  les  agents  d'atfaires  ont  payé  dûment 
leur  part  de  contrihutions  à  l'Étal,  puisque  les  droits  d'en- 
trée et  les  droits  de  mutation  sont  les  seuls  objets  dont  le 
chiffre  de  recette  ascende  presque  à  la  somme  budgétaire. 
Fait  curieux  pour  un  pays  agricole,  celte  source  de  revenus 
est  estimée  par  le  budget  à  une  somme  quadruple  de  celle 
qu'on  attend  de  l'impôt  foncier  annuel.  Mais  pour  qui  a  vécu 
dans  ce  pays,  la  chose  est  très  aisée  à  compi-endre.  Le  Boer, 
propriétaire  fonciei',Tait  les  lois,  et  comme  il  n'aime  pas  à 
débourser,  il  impose  d'autant  plus  les  commerçants  et  agents 
qui,  pour  la  plupart,  sont  venus  de  l'étranger.  On  en  voit  de 
toutes  les  nations;  des  Hollandais,  des  Allemands,  des  Arabes, 
des  Portugais,  beaucoup  de  Juifs,  mais  surtout  des  Anglais. 
Toutefois,  le  Boer  oublie  que  le  marchand  est  obligé  de 
renchérir  sa  marchandise  pour  se  récupérei-. 

Le  déficil  de  l'impôt  foncier  est  surtout  instructif.  D'abord 
il  y  a  de  l'arriéré  pour  une  somme  énorme,  égale  à  deux 
fois  et  demie  la  valeur  annuelle  de  l'impôt  lui-même.  En- 
suite il  est  évident  que  les  deux  tiers  des  propriétaires  ter- 
riens ont  négligé  leur  devoir,  puisque  un  tiers  seulement  du 
montant  de  l'impôt  annuel  est  entré  dans  les  coffres  de 
l'État.  Voilà  qui  prouve  trop  bien  que  le  Boer  du  Transvaal 
méprise  la  loi  quand  elle  l'atleinl. 

Les  recettes  de  l'année  ont  diminué  l'arriéré  d'un  sixième 
seulement  ;  et  comme  aux  cinq  sixièmes  restants  vienl  s'ajou- 
ter l'impôt  non  payé  dans  l'année,  soit  les  deux  tiers  de 
l'impôt  dû  annuellement,  cet  arriéré  s'augmente  dans  une 
proportion  énorme,  et  il  atteint  le  chiffre  de  Liv,  st.  41,400. 
Sous  ce  chef  donc,  le  nouveau  budget  a  dû  inscrire  une 
somme  huit  fois  plus  forte  que  la  dernière  recette  de  l'impôt 
foncier. 

Il  me  semble  qu'un  tel  désordre  touche  de  bien  près  à 
l'anarchie,  et  pourtant  nous  n'avons  pas  scruté  les  détails,  et 
nous  n'avons  parlé  que  d'un  seul  des  domaines  où  le  gou- 
vernement doive  étendre  son  administration.  Si  j'en  avais  le 
temps,  je  serais  obligé  de  vous  montrer  que  dans  d'autres 
domaines  c'est  pis  encore.  Il  faut  en  convenir,  notre  gouver- 
nement est  en  tout  cas  impuissant,  et  peut-être  incapable; 


CORRESPONDANCE.  119 

dans  le  Transvaal,  le  gouvernement  boer  s'est  toujours  mon- 
tré tel. 

Le  produit  de  la  capitation  sur  les  indigènes  n'a  atteint  que 
le  tiers  de  la  somme  prévue  par  le  budget.  Le  railway-tax  est 
aussi  très  significatif;  nous  payons  sous  ce  nom  l'impôt  qui 
sert  à  payer  à  nos  créanciers  néerlandais  leurs  intérêts;  il 
est  de  Liv.  st.  1.10.0  par  électeur,  étranger  ou  boer.  Il  y  a 
aussi  un  arriéré  considérable  sous  ce  chef  et,  en  général,  la 
proportion  entre  les  divers  chiffres  du  tableau  ci-dessus  est, 
quant  à  cette  taxe,  la  même  que  pour  l'impôt  foncier.  Mais 
cette  fois  les  Boers  ont  encore  moins  obéi  à  la  loi  ;  car  cette 
taxe  leur  est  plus  antipathique  qu'aucune  autre,  et  je  le  com- 
prends. On  peut  donc  inférer  sans  hésitation  que  le  produit 
réalisé  de  cet  impôt  a  été  fourni  en  grande  partie  par  les 
Européens  établis,  commerçants,  industriels  ou  autres. 

Ce  désordre  paraîtrait  avec  plus  d'évidence,  et  les  causes 
en  seraient  mieux  mises  au  jour,  si  nous  pouvions  enti-er 
dans  les  détails  et  poursuivre  notre  enquête  jusqu'au  bout. 
Mais  vous  en  seriez  bientôt  fatigué,  cher  Monsieur,  ainsi  que 
les  honorables  membres  de  la  Société  de  géographie  ;  car 
Técononiie  poUlique  du  Transvaal  ne  peut  intéresser  à  un 
haut  degré  que  les  habitants  du  pays.  Laissez-moi  toutefois 
vous  rappeler  la  relation  qu'il  y  a  eu  entre  ces  impôts  arrié- 
rés et  la  rétrocession  du  Transvaal  par  les  Anglais. 

L'administration  anglaise  s'était  rendue  impopulaire  sur- 
tout parce  qu'elle  exigeait  le  payement  régulier  des  impôts, 
et  qu'elle  s'efforçait  de  faire  régner  la  justice  dans  le  pays. 
Un  jour  un  Boer  refusa  net  de  payer  ce  qu'il  devait  à  l'Élat; 
mais  il  fut  poursuivi  par  le  gouvernement;  son  cheptel  fut 
saisi  et  mis  en  vente.  Le  Boer  prit  les  armes,  appela  ses  amis 
à  son  aide,  marcha  contre  l'huissiei"  public,  et  la  guerre  éclata. 
Cela  donne  la  mesui'e  de  l'indépendance  que  les  Boers  du 
Transvaal  pi'étendenl  conserver.  Mais  je  serais  fort  sui'pris  si 
une  telle  insuliordiiialion  ne  conduisait  pas  l'Etat  à  la  ban- 
queroute pour  la  seconde  fuis. 

La  population  indigène  est  trop  considérable  pour  que  le 
gouvernement  la  soumette  h  son  pouvoir;  aussi,  il  y  a  sans 
cesse  des  batailles  et  des  guerres  de  tribu  à  tribu,  et  les  au- 
toiilés  n'essayent  pas  même  de  maintenir  l'ordre.  La  Mission 
de  Berlin  avait  une  station  florissante  dans  le  pays  de  Molya- 


120  CORRESPONDANCE. 

tyi  ;  mais  les  cliefs  païens  el  les  sorciers,  jaloux  de  leur  puis- 
sance que  menace  l'Évangile,  enli-eprirent  une  persécution 
violente  contre  les  chrétiens.  Au  jour  donné  on  prend  les 
armes,  et  l'on  massacre  sans  pitié  un  chef  de  second  rang, 
chrétien  fidèle,  et  avec  lui  trente  personnes,  qui  acceptent  le 
mai'tyre  sans  résister.  Aussitôt  le  missionnaire  écrit  au  ma- 
gistral et  le  nantit  de  l'affaire,  lui  demandant  de  proléger 
les  chrétiens  contre  les  meurtriers.  Mais  on  lui  répond  que 
Ton  ne  possède  pas  les  forces  nécessaires.  Nos  autorités  font 
des  aveux  pareils  sans  aucune  honte  ;  et  l'on  prétend  néan- 
moins que  le  Transvaal  englobe  le  pays  de  Motyatyi, 

Dans  les  Spelonken  il  en  est  de  même  :  les  blancs,  une 
vingtaine  de  familles,  payent  les  impôts,  mais  ne  reçoivent 
en  échange  ni  protection,  ni  aucun  bénéfice.  On  vit  comme 
on  peut  ;  et  si  quelque  péril  menace,  on  fait  les  plus  grands 
sacrifices  pour  le  conjurer.  Dans  de  telles  conditions,  le  pays 
ne  peut  pas  progresser,  el  le  commerce  est  à  peu  près  im- 
possible. Les  indigènes  de  la  montagne,  appelés  Ba-Venda, 
refusent  de  payer  Timpôt  ;  mais  les  Ma-Gwamba  sont  plus 
dociles,  et  ils  payent.  Malheureusement  on  en  profile  pour 
les  exploiter  ;  comme  ils  n'ont  pas  d'argent,  ils  essayent  de 
payer  en  nature;  mais  le  magistrat,  qui  trouve  cela  fort  en- 
nuyeux, vend  ou  taxe  à  un  prix  infime  les  objets  qu'on  lui 
apporte  ou  le  bétail  qu'on  lui  amène.  De  cette  façon,  si  l'on 
compte  la  valeur  intrinsèque  des  dits  objets,  ces  natifs  sont 
souvent  obligés  de  livrer  dix  fois  plus  que  le  montant  de 
l'impôt.  La  conséquence,  c'est  que  beaucoup  d'indigènes  se 
découragent  et  qu'ils  émigi'ent  pour  chercher  la  paix  ail- 
leurs. 

Un  des  chefs  des  Ba-Venda  se  nomme  Chivasse  (écrit  à  la 
française),  et  fait  volontiers,  comme  les  autres  du  reste,  le 
commerce  de  chair  humaine.  Un  certain  H.  S.,  Boei'  du  Ma- 
galisberg,  dont  la  ferme  se  trouve  entre  Pretoria  et  Rusten- 
burg,  est  en  affaire  avec  lui  et  le  fournit  de  chevaux.  Der- 
nièrement, Chivasse  envoyait  trois  enfants  au  Boer  pour 
qu'il  en  fît  ses  esclaves.  Un  missionnaire  du  voisinage,  ému 
de  pitié,  essaya  de  racheter  ces  enfants  avant  leur  départ. 
Mais  sans  entrer  dans  ses  vues,  le  chef  indigène  lui  dit  avec 
empressement  qu'il  lui  en  fournirait  autant  qu'il  en  voudrait, 
moyennant  une  somme  de  Liv.  st.  30  par  tête.  Il  va  sans 


NÉCROLOGIE.  121 

dire  que  le  missionnaire  sentit  son  impuissance  et  s'en  re- 
tourna découragé. 

Je  vous  le  disais  en  commençant,  cher  Monsieur,  nous 
vivons  dans  la  barbarie,  et  aucune  lueur  ne  nous  annonce 
l'aurore  d'un  jour  nouveau.  Mais  qui  sait  ?  Les  changements 
se  produisent  parfois  dans  la  vie  des  peuples  sans  qu'on 
puisse  les  prévoir.  Ainsi,  qui  nous  eût  dit  l'an  passé  que  la 
colonie  de  Waltisch  Bay  allait  devenir  allemande  ? 

Voilà  Umzila,  le  chef  zoulou  conquérant  des  Ma-Gwamba, 
qui  vient  de  mourir.  Cet  événement  pourrait  changer  beau- 
coup la  situation  politique  du  Uttoi-al. 

J'ai  lu  avec  intérêt,  dans  le  Globej  le  compte  rendu  de  la 
conférence  de  M.  Gros.  Mais  je  dois  y  i-elever  un  mot  pour 
en  contester  l'exactitude  ;  c'est  à  la  page  1 13,  au  bas.  Les 
chevaux  vivent  très  bien  sur  les  hauteurs  du  Zoutpansberg  ; 
mais  dans  les  vallons  ils  périssent  presque  tous,  et  cela  dans 
n'importe  quel  mois  de  l'année,  et  qu'ils  aient  été  ou  non 
préservés  de  l'influence  de  la  rosée  ou  de  l'air  de  la  nuit  ; 
c'est  ce  que  j'ai  moi-même  souvent  constaté. 

Agréez,  cher  Monsieur,  les  souvenirs  respectueux  de  votfe 

dévoué 

Paul  Berthoud.  M.  G. 
Valdézia,  21  décembre  1884. 


••«*5=<!A3" 


NÉCROLOGIE 


Le   D""   g.    Nachtigal. 

La  science  géographique  a  fait  une  perte  considérable  par 
la  mort  du  D"  Nachtigal,  qui,  depuis  vingt-cinq  ans  environ,  la 
servait  avec  une  haute  intelligence  et  un  zèle  infatigable.il  a 
succombé  au  climat  de  cette  Afrique  à  laquelle  il  avait  dû,  en 
18(J0,  aller  demander  le  rétablissement  de  sa  santé,  altérée 
par  une  affection  pulmonaire.  De  Bône,  où  il  avait  peu  à  peu 
recouvré  des  forces,  il  se  rendit  à  Tunis,  s'y  établit  et  étudia 
le  pays  et  ses  habitants  ainsi  que  la  langue,  qu'il  parla  bientôt 
couramment.  Aussi,  en  1868,  le  roi  de  Prusse  le  chargea-t-il 
de  porter  des  présents  au  sultan  du  Bornou,  le  cheik  Omar, 


122  iîÉCROLOGIE. 

qui  avait  rendu  d'importanls  services  aux  explorateurs  alle- 
mands Bartii,  Voii^el.  v.  Beurmann,  Rolilfs,  etc. 

Le  18  février  18(59  il  quitta  Tripoli  et  se  dirigea  d'aboid 
sur  Mourzouk.  Mais  là,  il  trouva  la  route  du  Bornou  par  Bil- 
ma  fermée  par  des  tribus  pillardes,  et  ne  voulant  pas  rester 
longtenjps  inoccupé  à  Mourzouk,  il  résolut  de  se  rendre  au 
Tibesti,  où  jusqu'alors  aucun  Européen  n'avait  osé  pénétrer. 
Ce  qu'il  eut  à  y  endurer  rappelle  les  récils  d'aventures  de 
voyage  des  siècles  passés.  Rendu  à  moitié  aveugle  par  une 
ophtalmie,  souffrant  d'une  inflammation  aux  pieds  par  suite 
de  l'ardeui-  du  soleil,  il  n'atteignit  le  Tibesti  qu'après  avoir 
failli  succomber  deux  fois,  grâce  à  la  négligence  de  ses  gui- 
des; arrivé  dans  la  vallée  de  Bardai,  il  fut  retenu  prisonnier 
un  mois  dans  sa  tente,  qui  n'olfrail  qu'un  abri  insuffisant 
contre  le  soleil,  11  dut  s'échapper  de  nuit,  et  n'arriva  au  Fez- 
zan  qu'épuisé  de  fatigue  et  les  vêtements  en  lambeaux.  Heu- 
reusement il  avait  sauvé  ses  papiers  les  plus  importants. 

Le  6  juillet  1870,  il  enirait  dans  Kouka,  capitale  du  Bor- 
nou, d"où  il  entreprit  l'exploration  des  pays  qui  entourent  le 
lac  Tchad:  le  Borkou,  le  Baghirmi,  etc.,  sur  lesquels  il  four- 
nit des  renseignements  nouveaux  d'un  haut  intérêt.  En  1873 
il  se  rendit  au  Wadaï,  et  de  Abeschr  il  fit  de  nombreuses 
excursions  pour  apprendre  à  connaître  à  fond  le  pays.  Il  y 
resta  jusqu'en  janvier  1874,  empêché  jusqu'à  ce  moment  de 
pénétrer  dans  le  Darfour.  agité  par  des  querelles  de  succes- 
sion au  trône.  Lorsqu'enfin  il  eut  réussi  à  y  entrer,  il  l'étudia 
aussi  et  en  rapporta,  ainsi  que  du  Kordofan  qu'il  visita  en- 
suite, des  matériaux  qui  trouvèrent  leur  place  dans  son  grand 
ouvrage  Safiara  et  Soudan. 

Lorsque  vint  le  moment  où  l'Allemagne  commença  à  se 
préoccuper  des  intérêts  allemands  en  Afrique,  le  prince  Bis- 
marck envoya,  en  1882,  Nachtigal  à  Tunis  comme  consul- 
général  de  l'empii'e;  puis,  quand  la  côte  occidentale  d'Afrique 
devint  l'objet  des  vues  coloniales  du  gouvernement  allemand, 
ce  fut  encore  à  l'ancien  explorateur  que  furent  confiées  les 
fonctions  de  commissaire  impérial  dans  cette  région.  Il  entre- 
prit alors  (1884),  cette  expédition  fameuse  dont  le  résultat  fut 
la  création  des  premières  colonies  allemandes,  au  Cameroon, 
à  Togno,  et  au  Damaraland,  dont  les  détails  sont  dans  toutes 
les  mémoires.  Il  était  en  loute  pour  venir  présenter  person- 


BIBLIOGRAPraE.  123 

nellement  son  rapport  à  l'empereur  et  au  chancelier  de  l'em- 
pire, lorsque  la  fièvre  le  prit  et  l'emporta  le  21  avril,  en  mer, 
à  la  hauteur  du  Cap  Palmas,  où  le  vapeur  qui  le  ramenait  en 
Europe  s'arrêta  pour  déposer  sa  dépouille  mortelle  et  lui 
rendre  les  derniers  devoirs.  Vraiserablahlement  ses  restes 
seront  rapportés  plus  tard  en  Allemagne  pour  qu'ils  repo- 
sent dans  sa  patrie,  au  développement  scientifique  et  colonial 
de  laquelle  il  a  tant  contribué.  Nous  nous  associons  au  deuil 
de  ses  compatriotes  et  de  tous  les  amis  de  la  géographie. 
Appelé  comme  conseil  à  la  Conférence  de  Bruxelles,  il  fut 
un  des  fondateurs  de  l'Association  internationale  africaine, 
et  devint  un  des  membres  de  sa  commission  executive.  Pré- 
.sident  de  la  Société  de  Géographie  de  Berlin,  il  travailla  à 
.son  développement  avec  toute  l'intelligence  et  le  zèle  dont  il 
était  capable,  et  sut  rendre  chacune  de  ses  séances  attrayante, 
par  le  résumé  lumineux  des  faits  géographiques  venus  h  sa 
connaissance  d'une  séance  h  l'autre.  Il  était  membre  hono- 
raire de  notre  Société  depuis  1880;  nous  ne  pouvions  le  voir 
enlever  par  la  mort  sans  payer  à  sa  mémoire  un  juste  tribut 
de  regrets  sincères.  Ch.  F. 


-^Ay\,'^.J^-  "v^>j^>- 


BIBLIOGRAPHIE 


Lettres  du  général  Gordon  adressées  à  sa  sœur,  et  traduites  en 
français,  par  Daryl,  1884. 

Les  dates  de  ces  nombreuses  lettres  nous  retracent  les 
péripéties  de  sa  carrière  poursuivie  pendant  plusieurs  années 
au  sein  de  l'Afrique,  au  milieu  de  ces  populations  barbares 
auxquelles  il  tenta  de  poiler  aux  unes  la  protection,  au\  au- 
tres la  lépression,  dans  une  lutte  contre  les  trahirons,  la 
résistance  ouverte,  le  climat,  les  éléments,  toujours  infatiga- 
ble et  .soutenu  par  une  im perturba hle  confiance  en  Dieu. 
Dans  la  partie  purement  géographique  de  ses  travaux,  nous 
le  voyons  parcourir  avec  une  activité  dévorante  la  route  du 
Nil,  de  KiKUtoum  à  l'éqiiateur,  et  de  l'équateur  au  Caire,  de 
Suez  à  Aden,  de  Zeila  remonter  à  la  cité  presque  légendaire 
d'Harar,  de  Massaouah  à  l'intérieur  de  l'Abyssinie,  aupi'ès 


124  BIBLIOGRAPHIE. 

du  loi  Joliannès,  dans  les  solitudes  où  la  garnison  de  Kassala 
se  débat  aujourd'hui  contre  la  faim.  Nous  glanons  à  la 
page  2B3  cette  phrase  :  «  Maintenant  que  j'ai  absolument 
abandonné  tout  vin  ou  spiritueux  je  m'en  trouve  beaucoup 
mieux  et  je  dors  bien  ;  mais  je  vis  dans  la  fièvre.  »  Le  vin 
avait  été  le  grand  sujet  des  préoccupations  de  Charles  Didier 
dans  ce  voyage  de  Souakim  à  Khartoum,  qu'il  intitule  pom- 
peusement Quarante  jours  dans  le  désert,  centième  partie  de 
ceux  de  Gordon. 

11  rend  justice  aux  services  loyaux  de  Gessi,  ce  marin  ita- 
lien, explorateur  de  l'Albert  Nyanza.  Entouré  de  traîtres  et 
d'assassins,  il  ne  pouvait  se  risquer  à  conduire  à  l'ennemi, 
en  mettant  son  indignité  trop  en  évidence,  cette  armée  égyp- 
tienne, dont  il  connaissait  les  trahisons  el  la  lâcheté,  de  peur 
de  se  priver  du  prestige  qu'elle  lui  donnait.  Les  traîtres  les 
moins  justifiables  étaient  les  hommes  en  faveur  desquels 
s'exerçaient  ses  brillantes  qualités,  le  khédive  et  ses  minis- 
tres. —  Se  rendait-il,  à  force  de  bravoure  et  de  stratégie, 
maître  de  quelques  scélérats,  chasseurs  d'esclaves  du  Dar- 
Four,  il  les  retrouvait  comblés  d'honneurs  à  la  cour  du 
vice-roi.  Chassait-il  le  prévaricateur  Reouf-Pacha  de  sa  vice- 
royauté  de  Khartoum,  il  le  retrouvait  toujours  pillard,  gou- 
verneur d'Harar  et  Ten  expulsait  encore. 

Il  restait  à  ce  héros  abandonné^  trahi  de  tout  le  monde  et 
qui  devait  l'être  de  ses  prolecteurs  naturels,  à  être  traité 
comme  le  lion  mourant  par  la  plume  de  son  traducteur  qui, 
dans  sa  préface,  taxe  Gordon  iTanachronisme,  en  1884,  et 
trouve  dans  ses  lettres  si  pleines  de  sentiments  élevés  et  de 
confiance  en  Dieu  le  «  style  d'une  vieille  fille  dévote  et  an- 
glaise. »  Il  est  un  anachronisme  vivant  comme  la  féodalité 
anglaise  peut  seule  en  produire  au  millésime  de  1884  » 
(p.  61).  Il  tourne  en  ridicule  le  héros  qui  «  va  en  Palestine 
étudier  avec  passion  le  Saint-Sépulcre,  le  Tabernacle,  l'en- 
ceinte de  Jérusalem.  »  —  Il  lui  fait  déterminer  à  son  entière 
satisfaction  remplacement  exact  du  pai-adis  terrestre.  Tandis 
que  le  héros  martyr  écrit  (p.  6(5}  :  «  Confie-loi  à  Lui  de  tout  ton 
cœur  et  ne  t'appuie  pas  sur  ta  propre  intelligence,  »  le  tra- 
ducteur qui  connaît  si  peu  l'Angleterre  et  son  aristocratie, 
montre  une  égale  ignorance  du  style  dû  à  des  lecteurs;  il 
représente  Gordon  (p.  61),  à  son  retour  de  la  mer  Rouge, 


BIBLIOGRAPHIE.  125 

«  allant  serrer  la  main  à  son  lieutenant  Gessi  en  train  (sic)  de 
mourir  à  l'hôpital  français  de  Suez.  »  Il  le  conduit  (p.  319) 
auprès  du  roi  Mtésa  pour  voir  de  quoi  il  retournait  (p.  167), 
et  qui  était  dans  tous  ses  états.  «  11  lui  fait  écrire  :  «  Xai  donné 
un  fameux  savon  au  commandant  en  voyant  dans  quel  pétrin 
il  s'était  fourré.  »  El  il  dépeint  les  bandes  de  maraudeurs  du 
Kordofan  prenant  leurs  jambes  à  leur  cou. 

Paul  Chaix. 

ïm  Thurn,  Among  the  Indians  of  Guiana.  Vie  au  milieu  des 
Indiens  de  la  Guyane  anglaise. 

M.  Im  Thurn,  Suisse  d'origine,  devenu  Anglais  par  émi- 
gration et  par  l'éducation,  est  fixé  depuis  plusieurs  années 
dans  l'Amérique  méridionale  par  des  recherches  d'histoire 
naturelle.  Il  a  eu  pour  prédéceseurs  M.  Hillhouse,  excursio- 
niste  hardi  et  narrateur  agréable,  et  les  frères  Schomburgk, 
explorateurs  absolument  qualifiés  pour  leur  œuvre  difficile. 
M.  Im  Thurn,  moins  topographe  que  les  Schomburgk,  est 
naturaliste,  observateur  des  mœurs  des  Indiens,  admirateur 
des  beautés